A l’ombre : « monologue carcéral » ( RC )

photo extraite de « elle dit lemonde » texte d’Antoine Volodine:
–
Quelques pas dans le couloir,
L’écho lointain du parloir
Se déplace avec le son
Cliquetis , le trousseau du maton
La démarche lente,
Les chaussures traînantes…
Et l’ouverture du volet de la porte
Sa face grasse encadrée de la sorte
Et le parcours de son regard louche
Traverse l’espace comme une mouche.
Une lumière un peu terne
Qui s’efface quand il ferme.
Je parcours le décor hideux
Des murs d’un vieux vert huileux
Par endroits graffités
La couverture sur le lit, mitée,
La table bancale dont j’ai hérité
Le formica de ses coins, effrité
Et mes poèmes qui s’empilent
Peut-être bientôt, mille…
– Grand bien me fasse –
Le long du temps qui passe…
Ajoutons , la vieille chaise en fer
Trois livres sur l’ étagère
Pour décrire l’austère
De mon univers
–*
La fenêtre carrée du troisième étage
A pour avantage
D’avoir une vue panoramique
Sur les arbres rachitiques
Et l’herbe pelée
Derrière les barbelés
Puis les miradors
S’ajoutent au décor
Au coin j’ai la vue
Sur une avenue
Un peu à l’écart
Du quartier d’la gare
Un quartier hostile
Du nord de la ville —
Les barreaux s’enlacent
Y a des bras qui passent
A travers l’acier
Du pénitencier.
Exposées en rage
Des mains issues des cages
Demandent conseil
Aux rayons du soleil
S’accrochent à un ailleurs
Qu’on voudrait meilleur
De ceux qui appellent
De ces moignons d’ailes
—
Pauvres garde-mangers
Il y a des rangées
De sacs plastiques blancs
Ballotés par le vent
On dirait que, des cellules
S’échappent des bulles
De la monotonie, du morne
Et de l’uniforme
Et quelques gardiens
Promènent leurs chiens .
Quartier artificiel
Qui grillage le ciel
Quartier d’sécurité
» Tu l’as bien mérité ! »
Pendant que les heures agacent
Se retournent et prélassent
Je suis égaré
Dans quatre mètres- carrés.
Etant dans mes chaînes
A purger ma peine
– Le temps s’est entêté
Et semble s’arrêter
En étant à l’ombre
A broyer du sombre
Bientôt trois années
Assis à ruminer
Elucubrations, divagations
A chaque occasion
» En avant toute ! »
–
Pendant que les gouttes
De cette satanée fuite
Dessinent et délimitent
Comme une sorte d’Afrique
Géographie maléfique
Ou bien une Asie
Sentant le moisi
Un contour sordide
Tout autant humide
Mais, glissant sous la cloison
En rêves d’évasion…
—
RC 4- 03 -2012
—
Et je remercie Brigitte pour son commentaire poétique…
Du coup je mets aussi ce poème de Armando Valladeres ,( poète cubain ) qui passa 22 années en prison (1960-1982) pour ses convictions chrétiennes et politiques. Armando Valladeres a écrit des poèmes d’une haute portée contre la dépossession humaine. L’un de ses textes porte les couleurs de la résistance et mérite qu’on s’y arrête:
« Ils m’ont tout enlevé , les porte-plumes
les crayons, l’encre
car, eux,
ils n’aiment pas que j’écrive.
Et ils m’ont enfoui
dans cette cellule de châtiment
mais même ainsi
ils n’étoufferont pas ma révolte.
Ils m’ont tout enlevé
– enfin, presque tout –
car il me reste le sourire
l’orgueil de me sentir un homme libre (…)
Ils m’ont tout enlevé, les porte-plumes , les crayons.
Mais il me reste l’encre de la vie
– mon propre sang-
et avec lui,
j’écris encore des vers. »
extrait de quand les mots dénoncent les maux…
—
voir aussi ce nouveau post, avec un autre texte de l’auteur cubain...
je partage et distribue
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Cette entrée a été publiée le 03/05/2012 par rechab. Classé dans photography, self creation et a été tagué acier, Armando Valladeres, étagère, évasion, barreau, chabriere, chaise, fer, fuite, gare, grillage, heures, hostile, maléfique, mirador, moisi, mouche, pénitencier, plastiques, poème, prison, rachitique.
Dans une cage en fer
Qui moisit dans l’enfer
Grillé par des barreaux,
Le temps se rétrécit
Gommé de tout sursit
Sans l’ombre d’un sursaut.
Sous l’injonction des murs
Le vide carcéral
Infléchit le futur,
Et la vie de crotale
S’enroule vers la moiteur
Des courbes du mal heurt.
Sur l’arrête des songes
S’arc boute un mensonge
Qui se perd dans la nuit
Comme un silence qui crit :
Exploser le parloir
Pour une toute autre histoire…
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03/06/2012 à 6 h 43 min
tu conjugues les talents… au présent
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03/08/2012 à 14 h 13 min
C’est un peu à « incitation »… car je sais que pour le printemps des poètes, la petite ville de Cuisery dept 71: Saône et Loire, région de la Bresse, proche de l’Ain…( qui est un des « villages du livre » ), organise un cycle de lectures autour de textes de la prison.
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03/08/2012 à 15 h 33 min
très certainement connais tu les poèmes d’Albertine Sarrazin, écrits dans sa cellule…je les ai découverts à 15 ans…elle et quelques autres m’ont fait à cet âge basculer du côté de la poésie…
Bien amicalement Ren, j’espère que tu vas bien ?
Bises
Nath
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03/08/2012 à 15 h 26 min
Bonjour Nath, oui , j’avais lu, lycéen, l’Astragale, la « cavale ».. mais non, je ne la connais pas sous son côté poétique, tu en as ?
bises bises
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03/08/2012 à 15 h 31 min
Pingback: Armando Valladeres – cavernes de silence « Art et tique et pique- mots et gammes
en voici un parmi d’autres, mais il faut que j’aille jeter un oeil dans les livres sur l’étagère, oui, j’ai…et je te joins les réfèrences dès que je l’ai retrouvé. ok ?
Il y a des mois que j’écoute
Les nuits et les minuits tomber
Et les camions dérober
La grande vitesse à la route
Et grogner l’heureuse dormeuse
Et manger la prison les vers
Printemps étés automnes hivers
Pour moi n’ont aucune berceuse
Car je suis inutile et belle
En ce lit où l’on n’est plus qu’un
Lasse de ma peau sans parfum
Que pâlit cette ombre cruelle
La nuit crisse et froisse des choses
Par le carreau que j’ai cassé
Où s’engouffre l’air du passé
Tourbillonnant en mille poses
C’est le drap frais le dessin mièvre
Léchant aux murs le reposoir
C’est la voix maternelle un soir
Où l’on criait parmi la fièvre
Le grand jeu d’amant et maîtresse
Fut bien pire que celui-là
C’est lui pourtant qui reste là
Car je suis nue et sans caresse
Mais veux dormir ceci annule
Les précédents Ah m’évader
Dans les pavots ne plus compter
Les pas de cellule en cellule
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03/08/2012 à 18 h 33 min
le voici, il date et il sent bon le vieux bouquin qui est passé de l’étagère au lit, du lit à la table, de la table aux escaliers, des escaliers aux bords de mer etc etc…
il s’appelle » Lettres et poèmes « . Le mien est en livre de poche, il date de 1973.
Voili, voilou
Belle soirée à toi
Nath
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03/08/2012 à 20 h 23 min
et aussi
« Ici les bruits étaient différents, uniques, et même lorsqu’elles étaient dehors, les femmes entendaient encore toute la semaine les clés, celles qui se balancent à la ceinture des gardiens, celles qu’ils manipulent et font pénétrer sans ménagement dans le penne de la porte de la classe puis dans la grille, sans prévenir.
Ainsi un gardien entrait parfois, d’une façon soudaine, n’allait pas jusque dans la salle, mais restait dans ce sas entre la porte et la grille, appelait sans ménagement un homme par son patronyme.
Et il enlevait Thom ou Kéré pour quelques minutes ou deux heures.
Il pouvait s’agir de la signature d’un document, de la venue de courrier dont la censure avait subtilisé des passages ou d’une convocation auprès du directeur pour régler une affaire de bagarre pendant la promenade de la veille, ou une histoire de drogue qui avait fini par arriver jusque dans les cellules.
Elles avaient deviné tout cela.
Elles avaient compris à demi-mot comment les petits sachets pouvaient entrer.
Ils n’en dirent rien franchement. Ils savaient qu’elles savaient. Ils n’en parlèrent pas.
Ils écrivaient parfois des métaphores bien claires, elles disaient que le rêve ne se fume pas.
Et le gardien leur rendait ou pas le détenu, dans un état plus ou moins favorable à une nouvelle concentration pour écrire et lire.
Le gardien ignorait les deux femmes.
Quelques-uns cependant au bout de plusieurs mois entreraient en s’excusant auprès de ces dames, je ne vous dérange pas longtemps. »
Cathie Barreau «Résonnent les voix des hommes»
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03/12/2012 à 10 h 17 min