Georg Heym – Les Démons des villes

peinture: Gorge Grosz la grande ville – 1917
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Georg Heym – Les Démons des villes (Die Dämonen der Stadt, 1911)
À travers la nuit ils parcourent les villes
Qui se tapissent, noires, sous leur pied.
Comme des barbes de marin, à leurs mentons
Se pressent les nuages, charbonneux de fumée et de suie.
Leur ombre longue tangue sur l’océan des toits
Et étouffe les lumières en enfilade dans les rues.
Elle rampe comme un brouillard pesant sur le pavé
Et, léchant maison après maison, lentement progresse.
Plantés d’une jambe sur une place
De l’autre agenouillés sur une tour,
Ils se dressent là où la pluie tombe noire, soufflent,
Sous la tourmente des nuages, dans leur flûte de Pan.
À leurs pieds tournoie la rengaine
De l’océan des villes à la musique triste,
Vaste chant de mort. Tantôt sourde, tantôt perçante
La tonalité change, s’élève dans le ciel obscur.
Ils progressent sur le courant qui noir et large
Comme un reptile au dos tacheté de jaune
Par les réverbères, dans l’obscurité de noir
Couvrant le ciel se faufile tristement.
Ils s’appuient lourdement au mur d’un pont
Et ils plongent leurs mains dans la chaleur
Aux hommes puisée, comme les faunes sur la rive
Des marais enfouissent le bras dans la vase.
L’un se lève. À la lune blanche il accroche
De noires mandibules. La nuit
Qui comme du plomb tombe du ciel ténébreux
Enfonce les maisons dans le puits de l’obscurité.
Les épaules des villes craquent. Et un toit
Éclate, un feu rouge en fait son lit.
Ils sont assis à califourchon sur sa cime
Et hurlent comme des chats au firmament.
Dans une chambre emplie de ténèbres
Hurle une femme grosse, dans les douleurs.
Son corps puissant se dresse haut hors des coussins,
Autour de lui se tiennent les grands diables.
Elle s’agrippe tremblante à son lit de douleur.
La pièce autour d’elle tangue sous son cri,
Voici son rejeton. Son giron se déchire, rouge et béant,
Sanglant il s’ouvre et livre passage au rejeton.
Les cous des démons s’allongent comme ceux de girafes.
L’enfant n’a pas de tête. Sa mère le tient
Devant elle. Son dos est déchiré sous la terreur
Aux doigts de crapauds, quand elle retombe étendue.
Or les démons grandissent, monstrueux.
Leur corne déchire le ciel rougi.
Le tonnerre d’un séisme parcourt le giron des villes
Sous leur sabot d’où jaillit l’étincelle.
***
Georg Heym (1887-1912) – Le Jour éternel (Der ewige Tag, 1911)
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la couleur du ciel aujourd’hui est tout à fait appropriée. L’air est suffisamment agité pour en sentir les démons comme l’auteur nous les peint dans un surréalisme que j’aime.
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06/12/2012 à 11 h 54 min
et sachant que ça comment à faire pas mal d’années que l’auteur a écrit ça… il est qualifié d’expressioniste… c’est pour ça que je l’ai associé à Grosz
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06/12/2012 à 11 h 58 min