Joseph Brodsky – Elegie
–
ÉLÉGIE
Ma bonne amie, c’est bien toujours le même
bistrot, le même barbouillage aux murs,
les mêmes prix… Le vin est-il meilleur?
Je ne crois pas. Non, ni meilleur ni pire.
Pas de progrès, et c’est très bien ainsi.
Seul le pilote de l’avion postal
picole, ange déchu.
Les violons
continuent de troubler, par habitude,
mon imagination.
A la fenêtre,
blancs comme la virginité, des toits.
Les cloches sonnent. Il fait déjà sombre.
Pourquoi as-tu menti?
Pourquoi mon ouïe
ne sait plus distinguer la vérité
et le mensonge, veut des mots nouveaux,
sourds, étrangers, que tu ne connais pas
mais qui ne peuvent être prononcés
que par ta voix, comme avant…
Joseph Brodsky
1968
(Traduit par Michel Aucouturier)(éditions Gallimard)
LE POÈTE DE CHAGALL
Le poète de Chagall
a la tête à l’envers
Elle est verte
et le crâne est posé
sur une tasse de café
ouverte comme un cou coupé
Le poète de Chagall
travaille en bleu
son long stylo
posé sur un carnet
de sang et d’encre
distrait par un chat
diable d’oreilles
et qui lui tire
sa langue de patapon
de patagon de christ
de toutes les Russies
La bouteille d’absinthe
vacille penchée
abritant l’oeil verlainien
La table est rouge
avec un couteau
qui a fendu la vie
comme une pêche
C’est du moins
Ce que disait
Son ami Cendrars
Dans ses poèmes élastiques
C’est du moins
Ce que faisait Chagall
Envoyant en l’air
Les objets naturels
Les vaches à l’ombrelle
Et les mariées…
Et vive la Liberté!
Jean-Jacques Dorio
Marc Chagall (1887 1985)
Le poète (1911)
La vache à l’ombrelle (1946)
Blaise Cendrars (Dix-neuf poèmes élastiques)
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08/31/2012 à 3 h 11 min