Nicolas Sarafian – foule et solitude

Erevan et mont Ararat : provenance
Nicolas ou Nigoghos Sarafian est un auteur arménien,
qui s’est exprimé sur le génocide perpétré en son pays, et dont on peut retrouver des extraits sur cette page pdf
ainsi que dans le blog de poésie arménienne ( quelques textes sont traduits en français)
« J’aimais la foule, quelquefois. Dans la grande ville, de rue en rue, les soirs, je me livrais au courant du fluide électrique émanant de milliers de corps. Je m’enivrais au bruit marin des innombrables pas. Mais peu à peu, au fil des ans, cette foule m’a jeté dans la solitude. J’ai reconnu la différence entre eux et moi. Et j’étais seul dans ma différence. Et une nuit, sur un trottoir visqueux de
pluie, dans les lumières diverses qui étincelaient au fond du miroir noir, je me suis soudain senti
au-dessus du vide. L’étranger.Mais également un mal plus cruel encore. La terre était seule, errante dans l’espace. Seuls et errants étaient les êtres. Et en même temps l’individu était absent.
Je songeais que l’homme avait été ainsi depuis l’époque préhistorique. Il marchait, parlait, mangeait,
copulait,riait, pleurait, se sacrifiait, poursuivant toujours un mirage, attendant toujours un avenir
qui ne vient pas. Le trottoir bouillonnait sous mes pieds, des pourritures de milliers d’années. Et
moi, seul et errant, je me demandais ce qui se préparait.Un chrême* ou une mixture infernale ? Le
trottoir mouillé du sang d’innombrables vers écrasés. Et les lumières blanches et rouges, vertes et
jaunes des boutiques de luxe qui éclairaient les teignes de la pluie par milliards et qui donnaient
aux passants un masque funèbre comme s’ils fussent tous des morts, se reflétaient dans le trottoir
mouillé, remuaient là quelques générations de méduses et de vipères visqueuses et grouillantes.
J’avais vu la civilisation, mon rêve d’adolescence…
Je l’avais vue et je m’y perdais… »
je m'exprime:haut et foooort