Nâzim Hikmet -Un étrange sentiment-

«Le prunier de Damas est en fleurs,
– C’est l’abricotier qui fleurit le premier
– le prunier de Damas le dernier –
Mon amour,
sur le gazon
agenouillons-nous
face à face.
L’air est clair et savoureux
– mais il ne fait pas encore très chaud –
l’écorce de l’amande
verte et couverte de duvet
n’a pas encore durci…
Nous sommes heureux
parce que nous sommes encore en vie.
Nous serions morts depuis belle lurette
si tu te trouvais à Londres
et moi à Tobrouk ou sur un cargo anglais…
Mon amour,
pose tes mains sur tes genoux
– tes poignets sont épais et blancs
la paume gauche ouverte.
La lumière du soleil est dans ta paume
pareille à un abricot…
Parmi les morts de l’attaque aérienne d’hier
cent avaient moins de cinq ans,
et vingt-quatre tétaient encore…
Mon amour,
j’adore la couleur du grain de grenade
– grain de grenade, grain de lumière –
du melon j’aime le parfum de la prune l’aigre-doux…»
…..un jour de pluie
loin des fruits loin de toi
– pas un arbre fleuri
il est même possible qu’il neige –
dans la prison de Bursa
en proie à un étrange sentiment
et à une terrible colère,
ces vers, je les écris envers et contre tout
pour me narguer moi-même
et ceux que j’aime.
7 février 1941
Nostalgie
éditions Fata Morgana
Qui peut mieux traduire cette valeur si ténue de la vie, que ceux qui ont souffert au point de quitter ce monde ?
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01/06/2022 à 19 h 22 min
Prison et exil , c’est ce qu’il a connu
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01/06/2022 à 19 h 29 min