Charles Dobzynski – Un cheval juif –

Un cheval juif ça n’existe pas pourtant j’en ai vu un. Tête noire et crinière blanche qui ne s’était pas enfui d’une écurie de Chagall. Cheval aveugle qui pleurait paupières lourdes de toutes les larmes du monde. Hirsute échappé soudain du visible peut-être de la Bible ou d’une énigme du Zohar. Il avait fléchi son allure oublié son galop et ne portait pour cavalier qu’un maigre halo de lune. Il ressemblait au portrait d’un aïeul désolé incarcéré dans les fissures de son image. Tressaillement des naseaux et sous sa robe tremblante une douleur insatiable. La douleur qui est l’azote des âmes tombées d’un trou de l’ozone. Le cheval ne se cabrait pas face au destin déserté il flairait les lointains. Il humait dans l’herbe rêveuse une rosée millénaire l’histoire volée en éclats. Le cheval traverse la nuit sans la voir et puis il entre dans le jour à son insu comme on entre dans un miroir. Je l’enfourchais parfois sa tendresse me soulevait je le tenais par le mors. Il me tenait par la mort.
Je est un Juif, roman
nrf Poésie/ Gallimard
je m'exprime:haut et foooort