Nicolas Deleau – Epiphanies (extraits) –

1.
Et il lui dit :
Nous irons dans le Tigré.
Ce sera le matin ; la lumière baignera crue
nos gestes engourdis et l’on sentira, imperceptible,
ce frémissement que prennent parfois les paysages
familiers : un départ !
Nous embarquerons, chacun se calera pour la route.
Nous quitterons ensemble ces collines au flanc
desquelles se mêlent les échos perdus de la ville
et des hyènes. Nous longerons les routes,
interminablement, jusqu’aux plaines arides.
Mais ils étaient là, juste là; et des promesses,
tels les moutons qu’abrite l’ombre de midi,
se nichaient patientes contre leur seuil.
3.
Chargés de bidons jaunes ou rouges,
chargés de fagots de bois trois fois grands
comme les femmes qui les portent, chargés de
bâtons, de fusils, de la marche d’un troupeau,
d’un ballot de bijoux d’argent ou de sacs de
semences, de poteries, chargés – et qui cheminent.
Ici, on va.
Peuple de marcheurs, peuple en route,
peuple pastoral, à la frange – juste à la frange.
A merci.
Au moindre caprice du climat.
Peuples précaires, infiniment : portez !
Exodes sans destination. Exodes massifs,
exodes vespéraux, sous l’œil rond du soleil,
entre les ombres. Exodes en chapelets, isolés,
en familles, en bandes, en armes –
Anes de bât,
Dromadaires,
Calèches gémissantes,
Foins, bois, eau, et ce que l’on vendra plus
loin, et les rumeurs encore trop lointaines
des marchés que l’on devine,
Et les bâtons sur les épaules soutiennent les
mains fatiguées – silhouettes crucifiées, pai-
sibles – et les futas volent aux vents solaires.
Les armes brillent.
4.
J’ai vu l’argent à leurs oreilles, leurs che-
veux de jais de dentelle, le ciel de nuit posé
sur leurs peaux sombres, ceignant leurs yeux,
feux follets.
Ici, maintenant.
Et partout cette quiétude, et partout cette
sollicitude qui – digne, courtoise, distante –
bondit , mord le ventre et ne lâche plus.
9.
Dehors, la nuit s’était alourdie de brume;
j’ai marché, transi, gorge et ventre brûlants,
guettant les gros yeux jaunes des taxis sans savoir
si je cherchais à les éviter ou à les héler.
Je me souviendrai longtemps de ces vieilles
Lada bleues et blanches, brinquebalantes,
empestant l’essence et grimpant crachotantes
-étemels derniers râles – jusqu’aux pentes
sans lumière de nos quartiers.
Havres d’un soir.
Le confort d’un siège défoncé, mais au sec;
un peu de musique; la main paisible d’un guide
qui lâche un instant le volant et cherche,
dans le noir, une tige de khat dans le gros
bouquet posé à la place du mort.
Je serai bientôt chez nous. Je me blottirai
contre toi et te raconterai, demain,
cette sourde envie de pleurer qui m’étreint.
.
Revue apulée 2016
.1 Galaxies identitaires
p 182-191
traduit en amharique par Brooke Beyene et François Morand
Ici, texte intégral avec sa traduction en amharique
lire également quelques reflexions sur la traduction en amharique des Epiphanies de Pierre Deleau
Kamel Abdou – le linceul de la résignation

Ils t’ont habillé du linceul
De la Résignation Et tu t’es souvenu du Barbu
Et tu as hurlé « que la joie demeure
que la joie demeure »
qui m’empêchera de chanter tes yeux
et qui me fera oublier la chaleur
de tes mains rugueuses qui s’étreignent ?
Où est-il celui qui signait d’un Soleil ?
Mère j’ai égrené les pustules de la Révolte
J’ai craché dans les gueules
Béantes des cellules
J’ai lu Hikmet à m’en soûler
Et j’ai pleuré à Diar Yassine
Dérisoire révolution
Pourras-tu tourner le dos à l’espoir
Et t’en aller résolument
Chercher les hommes et leur expliquer
Leur diras-tu «je cherche la beauté »
Aux Hommes aux mains calleuses
Leur diras-tu
Les mots sont tous magiques
Leur parleras-tu
Des yeux de la Bien-aimée
Mais que diras-tu quand les mots se dénudent
Versets et Décrets obstruant les portes
Eclate mon poème au curur du mensonge.
oui le Départ était un arrachement de ferrailles
déchirées le rebeb escalade la mémoire millénaire
Anéantissement dans la retraite du Cheikh… Le chacal
chasse le lion…
Une odeur de bout de pain brûlé
j’ai vingt ans et je suis épuisé
Oui tu ne sauras jamais la terreur des yeux écarquillés
Qui ne verront jamais ; tu ne sauras jamais la douleur
Du verbe se donnant tour à tour au pré épanoui au noir
De tes yeux aux rêves du sourire à la saveur sauvage
Des fruits libres aux flétrissures du vers
Une odeur de bout de pain trahi
J’ai vingt-cinq ans et je suis épuisé
Oui la malédiction du sein a un souffle d’incantation
Et tu ne connaîtras jamais le silence de la mort te cernant
Tu ne pourras même pas t’accrocher à la douceur
D’une chanson à la joie d’un retour. Tu ne t’es jamais
Arrêté dans la foule d’Alger pour pleurer
Une odeur de bout de pain renié J’ai cinquante ans et j’ai peur
L’angoisse
Dis mère
Dis-moi que nous avons le droit d’aimer
Le droit de rencontrer d’autres yeux
Sans avilir le Regard
Il faut croire mère
Que toi et moi pourrons un jour
« crucifier le refus
et répudier la Nuit »
mais Re Dis-moi ce conte du
mot qui fait fondre la pierre
extrait du recueil de la poésie Algérienne ed « points »
–
Ahmed Abd al-Mu’ti Hegazi – Commentaire d’un spectacle naturel
Un soleil s’écroule à l’horizon d’hiver
Rouge
Nuages de métal
D’où fusent des bouquets en feu
Je suis un petit paysan
Que maltraite la nuit
Notre charrette avale le fil d’asphalte
Vertical du village à la ville
Alors que je voudrais
Me jeter
Sur l’herbe mouillée.
Un soleil s’écroule à l’horizon d’hiver
Palais magique
Portière de lumière
Ouvrant à un temps légende
Paume teintée de henné
Le Paon surgit dans les Gémeaux
Queue arc-en-ciel déployée.
Jadis il y avait Dieu
Qui m’apparaissait au couchant
Comme un jardinier
Marchant à l’horizon rosé
Aspergeant un monde de jade.,,
Image exemplaire…
Mais l’enfant peintre
A été broyé par le temps,
Ahmed Abd al-Mu’ti Hegazi
Formant une colonne chantante – ( RC )
photo perso – Burkina Faso
Il fallait que je marche
sur les sentiers secs
parsemés de pierres
et d’herbes sèches,
longtemps ,
depuis le village
– je n’en ai plus la notion –
pour arriver jusqu’au puits.
Il y avait un cercle de béton:
une rondelle comme une estrade,
où des femmes en pagnes
s’activaient à la pompe,
en exprimant la soif du monde :
il y a au village
toujours des bouches
qui demandent à boire…
Sous le soleil de l’Afrique.
l’ombre des manguiers ne suffit pas
à en tempérer l’ardeur….
Elles avaient la peau luisante
d’éclats d’eau et de sueur,
et riaient de me voir attendre,
empoussiéré,
une bouteille en plastique vide, à la main .
Elles s’apprêtaient,
quelquefois avec un enfant accroché au dos,
à prendre à leur tour
les sentiers secs
parsemés de pierre,
un gros bidon jaune,
en équilibre sur la tête
formant une colonne chantante .
–
RC – nov 2017
Ce qu’elle regarde – ( RC )
Statue masculine Bembe, Rep Du Congo
–
Ce que la statue regarde ,
– on ne le sait pas –
( Peut-être est-elle vigilance,
par sa seule présence ).
La vue importe peu.
– D’ailleurs on a masqué ses yeux
par des surfaces en amande -.
Ce sont peut-être des miroirs
où rebondissent les rayons de lumière.
Les bénéfiques et ceux qui nuisent.
Ici rien ne pénètre de l’extérieur.
Qu’ils soient ouverts ou clos,
pour ces yeux, c’est sans d’importance .
Une force intérieure traverse ces miroirs,
( comme s’ils étaient sans tain ).
La statue reste immobile,
en apparence seulement.
Ce qui l’habite a un champ de vision
des plus étendus…
Elle veille.
–
RC – avr 2016
Leopold Sedar Senghor – To a dark girl
Photo: Denise Bellon
Tu as laissé glisser sur moi
L’amitié d’un rayon de lune.
Et tu m’as souri doucement,
Plage au matin éclose en galets blancs.
Elle règne sur mon souvenir, ta peau olive
Où Soleil et Terre se fiancent.
Et ta démarche mélodie
Et tes finesses de bijou sénégalais,
Et ton altière majesté de pyramide,
Princesse !
Dont les yeux chantent la nostalgie
Des splendeurs du Mali sous ses tables ensevelies.
La nuit a juste oublié la lumière – ( RC )
–
Tu ignores tout de la nuit .
Elle a juste oublié la lumière,
Les belles saisons s’enfuient
Sous des manteaux de poussière,
Qui s’étendent en rideaux,
De latérite
Sur les routes d’Afrique :
Ces fils tendus entre des pays,
Dont beaucoup mordent la misère,
A pleines dents .
Car la nuit s’étale en plein jour,
La population ne connait d’amants,
Que les dieux de l’enfer .
Ce sont eux que l’on prie :
On dirait que le passé d’esclavage,
N’a pas suffi,
Toujours on se décide,
Pour le choix du fer,
Le goût du sang ,
Et ses ravages.
Ce ne sont pas les luttes fratricides,
Qui résoudront les choses :
Les groupes de fanatiques,
En répandant la terreur ,
Augmentent encore la dose,
Avec le rideau de la nuit .
Malgré la chaleur,
Le soleil reste extérieur
Bien loin de la terre ,
Et des démons de la guerre .
–
RC – mai 2015
la soif du Niger – ( RC )
photo Françoise Hughier
–
Aucune poussière suivant la marche de l’animal.
Un long fleuve prolonge ses rives,
Paresse dans la plaine écrasée de soleil;
Une pirogue en silence se dirige vers l’aval.
L’eau n’a pas de rides, lourde,
semblant coller aux mouvements
lents de la pagaie.
Un homme à la peau très sombre est à bord,
Contraste marqué au gris figeant le ciel,
celui, légèrement différent des sables et de l’eau,
répercutent ces teintes monotones.
Le temps est stoppé, écrasé par la chaleur,
au bord du fleuve Niger.
Le chameau n’a pas progressé.
Sa tête est baissée.
Le reflet immobile boit son image.
Soif impossible à désaltérer:
Qui s’attendrait à voir en cet endroit,
Une statue de bronze ?
–
RC – juin 2015
Abdallah Zrika – J’ai apporté le vin … les dattes
–
J’ai apporté le vin
sans la peau du verre
J’ai apporté les dattes
fraîchement cueillies d’un mamelon
Je suis venu à vous
Je ne suis pas venu
Et vous n’êtes pas venus à moi
Je suis ainsi
vif-argent
comme le courant de la volupté
Je vous ai apporté
le minaret
pour appeler d’en-bas à la prière
Puissent les morts m’entendre
Je suis venu à vous mort
pour que vous m’aimiez davantage
et que vous disiez de moi
tout ce qui m’agrée
J’ai apporté des fleurs
pour ceux d’entre vous
qui ont proclamé leur folie
Je suis venu fou
pour comprendre le fou
tordre ce qui est droit
comprendre le fleuve
le serpent
Fou
pour aimer les échelles
devenir sage
comme chacun voudrait que je sois
Je vous apporté des choses inestimables
Les petits cailloux avec lesquels je joue
Des formes
qui ne ressemblent qu’aux animaux imaginés
dans la volupté
Du parfum
pour ouvrir vos narines
à la sauvagerie du plaisir
De l’or
que je répands
chaque fois que j’atteins la jouissance
Et vous ô femmes
je vous ai apporté un bâton d’or
qui ravit la lumière de la vulve
J’ai apporté
plusieurs copies de moi-même
Aucune
ne ressemble à l’autre
J’ai apporté
des nombres impressionnants de moi-même
Aucun nombre ne ressemble à l’autre
J’ai apporté
la soif
pour les lèvres humides
…
extrait de « Bougies Noires « aux Éditions de la Différence
traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi
Un chaos au plus près – ( RC )

– image d’actualité ( Congo) site dw.de
–
Si c’est un homme,
Alors, laisse le marcher,
Et garder tête haute,
Sous le soleil,
De son pays,
Sans pour autant,
Lui faire respirer
La haine et l’envie.
–
Les lumières artificielles,
Des écrans et néons ;
Une civilisation,
Où des hommes de néant,
Commercent le droit de vivre,
Si seulement trouver à se nourrir,
Au delà de la poussière
D’un soleil retiré, reste possible.
–
Au lendemain de l’émeute,
Les boîtes de médicaments,
Vidées, – concentrés de richesse ,
Les pharmacies pillées
Et eux, avalés comme des bonbons,
… Les dollars eux-même,
Ne sont pas plus comestibles…
Que le sourire du bourreau.
–
Avec ceux qui n’ont rien,
Et n’auront jamais rien,
Que la faim au ventre,
Générant des hordes,
D’ enfants soldats,
Le pays cerné
Par sa propre misère.
A défaut d’avenir.
–
( en rapport avec « white material », film de Claire Denis )
–
RC – août 2014
Entaille de l’histoire de l’Afrique – ( RC )
–
Sur les pistes où sont passés jadis,
Au milieu des sables et des rocs,
Tant de caravanes, et de cris,
Tant d’esclaves enchaînés,
Aux êtres vendus comme bétail,
Arrachés les uns aux autres,
Sous le fouet
Et les griffures du soleil…
Sur ces pistes, ne subsistent,
Comme vestiges, juste le sable
Des couches en ont recouvert d’autres,
Comme les années l’ont fait .
L’entaille de l’histoire, cicatrice
Gravée de générations d ‘exil,
Est pourtant toujours ouverte
Mémoire du tribut du sang, de l’Afrique
–
RC – mai 2014
–
Monique Mbeka Phoba- Rivages – Yemadja
Yemadja
Peut-être baisser les armes
Et nous rendre la mer…
La mer et ses gestes chauds
L’écharpe de ses vagues au cou
La mer et sa complainte débordante
Autour du ventre
La mer et son grain de sable
Et son perpétuel questionnement d’écume
La mer et sa grotte de suppositions
Dans son alambic verdâtre
La mer et son goût d’écume et de vent
Dans lequel on n’est plus rien
La mer et son tambour battant de gouttelettes
Sur le rivage qui n’en peut mais
La mer et son adieu chuchoté de coquillage
A la voix de Yemadja –
See more at: http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=8480#sthash.KuZgMH4a.dpuf
Monique Mbeka Phoba est une auteure congolaise.
–
Abdelkader Zibouche – O peuple de l’arrière-monde
O peuple de l’arrière-monde du monde
existe-t-il un présent à l’impensable
verras-tu un lendemain à l’obscur
Où dormiras-tu du sommeil des morts apaisés
si nul ne prononce ton nom
ni ne calme les gerçures de tes mains
ni ne convie au banquet de midi
la fraîcheur de l’ombre que tu aimas .
–
extrait de » Chant triste pour une Algérie défunte »
Main-mise de la sécheresse – ( RC )
–
Je suis des yeux le mince ruban d’un chemin
Il progresse lentement entre les pierres,
Un convoi laisse sa trace, en ruban de poussière
Derrière on ne distingue pas encore les engins,
–
La main-mise de la sécheresse est partout,
Elle a mis à nu les pentes rousses,
Où aucune plante ne pousse,
Et aucun arbre n’est debout.
–
En s’aventurant dans les creux,
Des maisons d’argile se dressent,
La fantaisie les délaisse,
Elles se distinguent à peine du sol rocheux.
–
Au pied de pentes raides,
Quelques palmiers survivent,
Bordée de roches coupantes, la rive
A peine humide, de l’oued…
–
Le regard des enfants a l’éclat de la fièvre,
Il n’y a pas d’herbes, mais un sol orange.
On se demande ce que mangent,
Les quelques troupeaux de chèvres…
–
Tu as le visage cuivré au grand air,
Buriné de rides,
Cuit au soleil de l ‘aride,
Offrant du cuir, plutôt que de la chair.
–
L’astre du jour monte en puissance,
Tant, que l’éblouissement prolifère,
Et la mince croûte de terre,
S’ouvre en béances,
–
Sans ombre protectrice,
Ce sont d’abord quelques fissures
Puis sol se lézarde en brisures,
Aux plaies du sacrifice.
–
Sous l’abri des tentes berbères ;
Le thé à la menthe …..
Et les heures passent, lentes,
Aux portes du désert…
–
RC – 17 novembre 2013
–
Alain Mabanckou – Le livre de Boris
–
Le Livre de Boris
Est ton pays
Celui qui t’ouvre les portes
Sans fouiner dans la besace
De tes songes
Est ton pays
Celui qui t’indique où
Mettre tes songes en lieu sûr
Nul ne naît en terre étrangère
L’espace appartient à l’homme
Dont le sort est d’errer
Ne me demande pas mon pays d’origine
Regarde dans mes yeux baissés
La fêlure des horizons
… Qui t’a parlé du mot exil
Je ne le prononce plus
Bâtis dans ton cœur
Des terres de réserve
Des îles vierges
Ne demande à l’espace qu’un peu d’immobilité
Le temps d’une halte
II faut bêcher le territoire au jour le jour
Y planter un drapeau blanc
Et non des épouvantails
Qui apeurent les oiseaux
L’exil est aussi ce chemin
Qui délivre de la solitude
Tout homme seul
Porte la langueur du temps
Sur ses épaules
II pleure le cloisonnement
De l’espace
Mais toi
Regarde plutôt la splendeur
Des songes égarés
Dans l’herbe de ton enfance…
–
Alain Mabanckou, (Congo)
–
Langston Hugues – Weary Blues poems

photo: auteur non identifié le bluesman T Bone Walker
Et loin dans la nuit, il chantonnait cet air.
Les étoiles sont parties , et ainsi fit la lune.
Le chanteur a arrêté de jouer et est allé dormir
Pendant que le Weary Blues lui fait écho dans sa tête.
Il dormit comme un roc ou un homme qui est mort .
(ma traduction diffère sensiblement de celle fournie avec le poème entier en dessous)
And far into the night he crooned that tune.
The stars went out and so did the moon.
The singer stopped playing and went to bed
While the Weary Blues echoed through his head.
He slept like a rock or a man that’s dead…
—
( Le haut-parleur de « The Weary Blues » de Langston Hughes décrit une soirée à écouter un musicien de blues à Harlem.
Avec sa diction, sa répétition de lignes et sa prise en compte des paroles de blues, le poème évoque le ton lugubre et le tempo de la musique blues et donne aux lecteurs une appréciation de l’état d’esprit du musicien de blues dans le poème.)
–Langston Hughes, a laissé une œuvre abondante de poète, de nouvelliste, de dramaturge et d’essayiste. Les poèmes qui suivent sont extraits de son premier recueil paru en 1925, « The Weary Blues ».
d’autres poèmes de Langston Hugues:
LE NÈGRE PARLE DES FLEUVES
J’ai connu des fleuves
J’ai connu des fleuves anciens comme le monde et plus vieux
que le flux du sang humain dans les veines humaines.Mon âme est devenue aussi profonde que les fleuves.
Je me suis baigné dans l’Euphrate quand les aubes étaient neuves.
J’ai bâti ma hutte près du Congo et il a bercé mon sommeil.
J’ai contemplé le Nil et au-dessus j’ai construit les pyramides.
J’ai entendu le chant du Mississipi quand Abe Lincoln descendit
à la Nouvelle-Orléans, et j’ai vu ses nappes boueuses transfigurées
en or au soleil couchant.J’ai connu des fleuves :
Fleuves anciens et ténébreux.Mon âme est devenue aussi profonde que les fleuves.
(paru dans la revue « Crisis » en 1921)
–
I’ve known rivers:
I’ve known rivers ancient as the world and older than the flow of human blood in human veins.
My soul has grown deep like the rivers.
I bathed in the Euphrates when dawns were young.
I built my hut near the Congo and it lulled me to sleep.
I looked upon the Nile and raised the pyramids above it.
I heard the singing of the Mississippi when Abe Lincoln went down to New Orleans, and I’ve seen its muddy bosom turn all golden in the sunset.
I’ve known rivers:
Ancient, dusky rivers.
My soul has grown deep like the rivers.
MOI AUSSI
Moi aussi, je chante l’Amérique.
Je suis le frère à la peau sombre.
Ils m’envoient manger à la cuisine
Quand il vient du monde.
Mais je ris,
Et mange bien,
Et prends des forces.Demain
Je me mettrai à table
Quand il viendra du monde
Personne n’osera
Me dire
Alors
« Mange à la cuisine ».De plus, ils verront comme je suis beau
Et ils auront honte, –Moi aussi, je suis l’Amérique.
—–
I, Too
I, too, sing America.
I am the darker brother.
They send me to eat in the kitchen
When company comes,
But I laugh,
And eat well,
And grow strong.Tomorrow,
I’ll be at the table
When company comes.
Nobody’ll dare
Say to me,
« Eat in the kitchen, »
Then.Besides,
They’ll see how beautiful I am
And be ashamed–I, too, am America.
LE BLUES DU DÉSESPOIR
[THE WEARY BLUES]
Fredonnant un air syncopé et nonchalant,
Balançant d’avant en arrière avec son chant moelleux,
J’écoutais un Nègre jouer.
En descendant la Lenox Avenue l’autre nuit
A la lueur pâle et maussade d’une vieille lampe à gaz
Il se balançait indolent…
Il se balançait indolent…
Pour jouer cet air, ce Blues du Désespoir.
Avec ses mains d’ébène sur chaque touche d’ivoire
Il amenait son pauvre piano à pleurer sa mélodie.
O Blues !
Se balançant sur son tabouret bancal
Il jouait cet air triste et rugueux comme un fou,
Tendre Blues !
Jailli de l’âme d’un Noir
O Blues !D’une voix profonde au timbre mélancolique
J’écoutais ce Nègre chanter, ce vieux piano pleurer –
« J’n’ai personne en ce monde,
J’n’ai personne à part moi.
J’veux en finir avec les soucis
J’veux mettre mes tracas au rancart. »
Tamp, tamp, tamp ; faisait son pied sur le plancher.
Il joua quelques accords et continua de chanter –
« J’ai le Blues du Désespoir
Rien ne peut me satisfaire.
J’n’aurai plus de joie
Et je voudrais être mort. »
Et tard dans la nuit il fredonnait cet air.
Les étoiles disparurent et la lune à son tour.
Le chanteur s’arrêta de jouer et rentra dormir
Tandis que dans sa tête le Blues du Désespoir résonnait.
Il dormit comme un roc ou comme un homme qui serait mort.
———————–
Droning a drowsy syncopated tune,Rocking back and forth to a mellow croon,I heard a Negro play.Down on Lenox Avenue the other nightBy the pale dull pallor of an old gas lightHe did a lazy sway . . .He did a lazy sway . . .To the tune o’ those Weary Blues.With his ebony hands on each ivory keyHe made that poor piano moan with melody.O Blues!Swaying to and fro on his rickety stool He played that sad raggy tune like a musical fool.Sweet Blues!Coming from a black man’s soul.O Blues! In a deep song voice with a melancholy tone I heard that Negro sing, that old piano moan—« Ain’t got nobody in all this world,Ain’t got nobody but ma self.I’s gwine to quit ma frownin’And put ma troubles on the shelf. »Thump, thump, thump, went his foot on the floor.He played a few chords then he sang some more— « I got the Weary BluesAnd I can’t be satisfied. Got the Weary BluesAnd can’t be satisfied— I ain’t happy no mo’And I wish that I had died. » And far into the night he crooned that tune.The stars went out and so did the moon.The singer stopped playing and went to bedWhile the Weary Blues echoed through his head.He slept like a rock or a man that’s dead. –
NÈGRE
Je suis un Nègre :
Noir comme la nuit est noire,
Noir comme les profondeurs de mon Afrique.J’ai été un esclave :
César m’a dit de tenir ses escaliers propres.
J’ai ciré les bottes de Washington.J’ai été ouvrier :
Sous ma main les pyramides se sont dressées.
J’ai fait le mortier du Woolworth Building.J’ai été un chanteur :
Tout au long du chemin de l’Afrique à la Géorgie
J’ai porté mes chants de tristesse.
J’ai créé le ragtime.Je suis un Nègre :
Les Belges m’ont coupé les mains au Congo.
On me lynche toujours au Mississipi.Je suis un Nègre :
Noir comme la nuit est noire
Noir comme les profondeurs de mon Afrique.
—
I am a Negro:
Black as the night is black,
Black like the depths of my Africa.I’ve been a slave:
Caesar told me to keep his door-steps clean.
I brushed the boots of Washington.I’ve been a worker:
Under my hand the pyramids arose.
I made mortar for the Woolworth Building.I’ve been a singer:
All the way from Africa to Georgia
I carried my sorrow songs.
I made ragtime.I’ve been a victim:
The Belgians cut off my hands in the Congo.
They lynch me still in Mississippi.I am a Negro:
Black as the night is black,
Black like the depths of my Africa.
—
et toujours sur Langston Hugues, voir ma parution » fresque sur Lennox Avenue«
–
–
.
Richesse inutile ( RC ) – ( écho à Isabelle Dalbe)
–
Aux pays lointains,
Ceux où le soleil s’attarde,
méridiens d’Afrique,
La Noire
Ne s’imagine
Une couverture blanche,
Que la nudité du silence,
Il recouvrirait
A ce qu’on dit
Des terres d’abondance,
Forêts denses,
Rivières clarté,
Mais si loin encore,
Le froid qui recouvre,
Etendues, et convoitées
D’autant de diamants,
La blanche
Ce qui reste de cristaux,
Qu’on ne peut emporter,
Richesse inutile.
A portée de mains,
Glacée,
La neige se fond en elle-même.
–
RC – 25 juillet 2013
–
La neige
à Laurent Albarracin
La neige noue clepsydre et giboulées.
Elle fleurit la bombe de cet écho.
Dans la nudité de la blancheur
elle existe pour le silence.
La neige continue l’objet convoité.
Elle est le temple de la grêle.
Une poupée de la rosée
à hauteur de la vive allure.
A l’enseigne de nos pas
c’est un loup d’azur.
Tout un temps bâti
pour le huitième jour.
La neige se fond dans la neige.
Mère à-pic baptisée Ẻquilibre.
S’enterre sa racine phénix.
La neige ne s’arrache pas.
I. Dalbe
—
également ce texte de Sophie G Lucas, qui dit quelque chose d’approchant à ce que j’écris…
extrait de « Se recoudre à la terre »
on n’en fait rien de
la neige
(toute l’épaisseur de
ce monde dans une fenêtre)
tout juste se demande-t-on
comment ce sera une fois
que tout aura fondu
si la vie sera la
même
et si c’est bien la neige
qui bloque les siens
dans le
silence
–
Nimrod Bena Djangrang – le cri de l’oiseau
Nimrod Bena Djangrang (auteur né en 1959, au Tchad)
“The Cry of the Bird”
(for Daniel Bourdanné)
.
I wanted to be overcome with silence
I abandoned the woman I love
I closed myself to the bird of hope
That invited me to climb the branches
Of the tree, my double
I created havoc in the space of my garden
I opened up my lands
I found the air that circulates between the panes
Pleasant. I was happy
To be my life’s witch doctor
When the evening rolled out its ghosts
The bird in me awoke again
Its cry spread anguish
In the heart of my kingdom.
. . .
“Le Cri de l’Oiseau”
(à Daniel Bourdanné)
.
J’ai voulu m’enivrer de silence
J’ai délaissé la femme aimée
Je me suis fermé à l’oiseau de l’espoir
Qui m’invitait à gravir les branches
De l’arbre, mon double
J’ai saccagé l’espace de mon jardin
J’ai ouvert mes terroirs
J’ai trouvé agréable l’air qui circule
Entre les vitres. Je me suis réjoui
D’être le sorcier de ma vie
Alors que le soir déroulait ses spectres
L’oiseau en moi de nouveau s’est éveillé
Son cri diffusait l’angoisse
Au sein de mon royaume.
. . .
Leopold Sedar-Senghor – L’éthiopienne
…Puisque reverdissent nos jambes pour la danse de la moisson
Je sais qu’elle viendra la Très Bonne Nouvelle
Au solstice de Juin, comme dans l’an de la défaite et dans l’an de l’espoir.
La précèdent de longs mirages de dromadaires, graves des essences de sa beauté.
La voilà l’Ethiopienne, fauve comme l’or mûr incorruptible comme l’or
Douce d’olive, bleu souriante de son visage fin souriante dans sa prestance
Vêtue de vert et de nuage. Parée du pentagramme.
–
Léopold Sédar Senghor
in » Ethiopiques «
Ahmed Bouanani – Si tu veux revoir les chiens noirs de ton enfance
Si tu veux… Je me dis chaque jour
Si tu veux revoir les chiens noirs de ton enfance
fais-toi une raison
jette tes cheveux dans la rivière de mensonges
Plonge plonge plus profondément encore
Que t’importe les masques mais
fais-toi une raison et meurs s’il le faut
et meurs s’il le faut
avec les chiens noirs qui s’ébattent dans les dépotoirs des
faubourgs parmi les têtes chauves les gosses des bidonvilles
mangeurs de sauterelles et de lunes chaudes.
en ce temps-là il pleuvait des saisons de couleurs
il pleuvait de la lune des dragons légendaires
le ciel bienfaiteur s’ouvrait sur des cavaliers blancs
même que sur les terrasses de Casablanca
chantaient des vieilles femmes coquettes
une nuit un enfant attira
la lune dans un guet-apens
dix années plus tard
il retrouva la lune
vieille et toute pâle
plus vieille encore que les vieilles femmes sans miroirs
les grands-mères moustachues palabrant comme la mauvaise pluie
alors alors il comprit
que les saisons de couleurs étaient une invention
des ancêtres Ce fut la mort des arbres la mort des géants de la
montagne El ghalia bent el Mansour ne vivait pas au-delà des
sept mers sur le dos des aigles il la rencontra au bidonville
de Ben Msik si ce n’est pas aux carrières centrales près des
baraques foraines elle portait des chaussures en plastique
et elle se prostituait avec le réparateur de bicyclettes…
mon mal est un monde barbare
qui se veut sans arithmétiques ni calculs
je drape les égouts et les dépotoirs
j’appelle amis
tous les chiens noirs
Mon usine est sans robots
mes machines sont en grève
les vagues de mon océan parlent
un langage qui n’est pas le vôtre
je suis mort et vous m’accusez de vivre
je fume des cigarettes de second ordre
et vous m’accusez de brûler des fermes féodales
écoutez
écoutez-moi
Par quelle loi est-il permis au coq
de voler plus haut que l’aigle ?
en rêve le poisson voudrait sauter jusqu’au 7e ciel
en rêve j’ai bâti des terrasses et des villes entières
Casablanca vivait sous la bombe américaine
Ma tante tremblait dans les escaliers et il lui semblait voir le
soleil s’ouvrir par le ventre Mon frère M’Hammed avec la
flamme d’une bougie faisait danser Charlie Chaplin et Dick Tracy
Ma mère…
Dois-je vraiment revenir à la maison aux persiennes ?
les escaliers envahis par une armée de rats
la femme nue aux mains de sorcellerie
Allal violant Milouda dans une mare de sang
et les Sénégalais « Camarades y mangi haw-haw »
coupant le sexe à un boucher de Derb el Kabir…
Dois-je vraiment revenir aux chiens noirs de mon enfance ?
La sentinelle se lave les pieds dans tes larmes
ton rêve le plus ébauché bascule dans le monde barbare du jour
et de la lune
Tu ne tiens pas debout
tes équations dans les poches
le monde sur les cornes du taureau
le poisson dans le nuage
le nuage dans la goutte d’eau
et la goutte d’eau contenant l’infini
Les murs du ciel saignent
par tous les pores des chiens
entonnent un chant barbare qui fait rire les montagnes
C’est un chant kabyle ou une légende targuie
peut-être est-ce tout simplement un conte
et ce conte s’achève en tombant dans le ruisseau
il met
des sandales en papier
sort dans la rue
regarde ses pieds
et trouve qu’il marche
pieds nus
Les murs du ciel saignent par tous les pores
Le vent les nuages la terre et la forêt
Les hommes devenus chanson populaire
Derrière le soleil
des officiers
creusent
des tombes
Un homme
est
mort
sur le trottoir
une balle de 7,65 dans la nuque
et puis
et puis voici
une vieille qui se lamente
en voici une autre qui raconte aux enfants des histoires de miel
et de lait où il est question de sept têtes et de la moitié
d’un royaume
le vent fou se lève soudain sur ses genoux
éteint le feu sous la marmite
dégringole les escaliers
et
s’en va
s’amuser sur les pavés de la rue Monastir en racontant
les mêmes histoires lubriques aux fenêtres des alentours
et la poitrine pleine et les yeux plus hauts que le ciel
toutes les maisons les terrasses et le soleil
franchissent le plafond jusqu’à mon lit
Mes cheveux
ou mes mains
retrouvent l’usage
de la parole
De ce que j’ai le plus aimé je veux
préserver la mémoire intacte
les lieux les noms les gestes – nos voix
un chant
est
né – était-ce un chant ?
De ce que j’ai le plus aimé je veux
préserver la mémoire intacte mais
soudain voilà
les lieux se confondent avec d’autres lieux les
noms glissent un à un dans la mort
une colline bleue a parlé – où donc était-ce ?
un chant est né ma mémoire se réveille
mes pas ne connaissent plus les chemins mes yeux
ne connaissent plus la maison ni les terrasses la maison où
vivaient des fleurs autrefois un vieux chapelet de la Kaâba
et des peaux de moutons
Dans ce monde en papier journal
il n’y a pas
de vent fou
ni de maisons qui dansent
il y a
derrière
le soleil
des officiers
creusant
des tombes
et dans le silence
le fracas des pelles
remplace
le chant
……
Victor Hugo buvait dans un crâne
à la santé des barricades
Maïakovsky lui
désarçonnait les nuages dans les villes radiophoniques
(il fallait chercher la flûte de vertèbres aux cimetières du futur)
Aujourd’hui
il me faut désamorcer les chants d’amour
les papillons fumant la pipe d’ébène
les fleurs ont la peau du loup
les innocents oiseaux se saoulent à la bière – il en est même
quelques-uns qui cachent un revolver ou un couteau
Mon coeur a loué une garçonnière
au bout de mes jambes
Allons réveillez-vous les hommes
Des enfants du soleil en sortira-t-il encore des balayeurs et
des mendiants ?
où donc est passé celui-là qui faisait trembler les morts dans
les campagnes ? et celui-là qui brisait un pain de sucre en
pliant un bras ? et celui-là qui disparaissait par la bouche
des égouts après avoir à lui tout seul renversé un bataillon
de jeeps et de camions ?…
Toutes les mémoires sont ouvertes
mais
le vent a emporté les paroles
mais
les ruisseaux ont emporté les paroles
il nous reste des paroles étranges
un alphabet étrange
qui s’étonnerait à la vue d’une chamelle.
L’aède s’est tu
Pour s’abriter de la pluie Mririda
s’est jetée dans le ruisseau
A l’école
on mange
de l’avoine
la phrase secrète ne délivre plus
Cet enfant ne guérira-t-il donc jamais ?
Prépare-lui ma soeur la recette que je t’ai indiquée et n’oublie
pas d’écraser l’oiseau dans le mortier…
mais enfin de quoi souffre-t-il ?
Vois-tu
mon père à moi n’a pas fait la guerre Il a hérité de ses ancêtres
un coffret plein de livres et de manuscrits il passait des
soirées à les lire Une fois il s’endormit et à son réveil il
devint fou
Quinze jours durant il eut l’impression de vivre dans un puits
très profond il creusait il creusait furieusement mais il
ne parvenait pas à atteindre la nappe d’eau
il eut grande soif
le seizième jour ma mère lui fit faire un talisman coûteux
qui le rendit à la raison seulement seulement depuis ce
jour-là il devint analphabète il ne savait plus écrire son
nom
Quand il retrouva le coffret il prit sa hache et le réduisit en
morceaux Ma mère s’en servit pour faire cuire la tête du
mouton de l’Aïd el Kébir Aujourd’hui encore lorsque je
demande à mon père où sont passés les livres et les manuscrits
il me regarde longuement et me répond
Je crois je crois bien que je les ai laissés au fond du puits.
–
Esther Nirina – Parle du pays où il pleut des pierres de topaze

peinture: Joan Miro. Constellation
Parle du pays
Où il pleut
Des pierres de topaze
Rosées suspendues
Sur toile d’araignée
La distance
N’est plus.
Le pont
Se situe
Entre révolte
Et la barque de prières
Il est temps
De tendre l’ouïe
Aux confidences
De la conscience
Sans s’écarter jamais
De l’œil locomotive
Qui glisse
Dans la nuit du sentier souterrain
Par où
La solitude n’est
Que terre liquide
Qui amasse la mémoire
Du futur
Poème tiré de la partie « De l’obscurité au soleil » du recueil Lente spirale d’Esther Nirina ( auteur Malgache)
–
Jean-Baptiste Tati-Loutard – la mer n’est plus notre tombe
La Mer n’est plus notre tombe,
C’est notre sarcophage antique,
Notre relique,
Ensevelie sous quatre cents ans de sables
Et recouverte de toutes les peaux du ciel
Jamais vues.
Regarde ! les étoiles sont nues
Dans le lit bleu de la nuit
On voit bien leur sexe de lumière ;
Et la lune qui se lève à l’horizon,
Sent toutes les roses du jardin colonial.
–
Rituel de la lame et des voeux ( RC )
-Bobo Diolasso, vallée sacrée (Dafra) . Burkina FASO
A l’ombre d’un arbre dont je ne saurais dire
Ni le nom, ni le dessin des feuilles,
Cet homme, un être sans âge,
Presque nu, immobile,
– Et peut-être aveugle
Gisant, endormi, sous la voûte des feuillages,
Sur un gros bloc
A l’entrée d’une cathédrale de rochers.
Des lianes pendaient dans l’ombre végétale,
Et m’habituant à elle, je la perçus moins obscure,
> Accompagnée du frêle murmure,
D’une eau, s’écoulant , paresseuse,
De bassins en vasques naturelles.
Dans cette espère ce château creux, inversé,
habité de relents lourds, gras, écoeurants,
Ne devant rien à la profusion végétale.
Il n’y avait pas d’idole incrustées dans les parois,
> Pas de sphinx de pierre, dans ce lieu reclus,
Isolé d’un ciel , qui claque sous le soleil,
Mais un sol presqu’entièrement couvert de plumes,
Et progresser parmi le chaos rocheux,
N’était possible, qu’en foulant aux pieds
De multiples ossements
S’affaissant sous mon poids.
Peut-être étais-je habité par le non-savoir,
Enfui trop vite de la lumière,
> Vers ces profondeurs
Où le ruissellement d’une eau rare
S’associant aux rituels millénaires
Où l’amour et le vivant, meurent
Tranchés, par la lame de l’officiant,
> Le sang se mêlant à l’eau lente…
Peut-être, n’ai-je pas dans l’esprit,
– Celui de faire un voeu
Quand on lit l’avenir
Selon , que la bête sacrifiée
Prolonge ou non son agonie
Sur le ventre ou le dos,
Et , que se vide son corps
Palpitant encore, au milieu des pierres.
Mais , l’homme endormi,
Au pied des carcasses suspendues,
> Et des toisons dépecées
Rêvait peut-être de la vie qui s’enfuit,
Et du murmure indéfinissable,
– Des dieux primitifs,
Offrant, dans ce lieu reclus,
Des promesses de prospérité.
–
RC – 26 janvier 2013
–
A noter qu’à Dafra, le cours d’eau se continue en mares, où vivent d’énormes poissons chats ( silures), nourris avec les restes des animaux sacrifiés: voir photo de Brad 177:
Jean-Baptiste Tati-Loutard – Congo

peinture Antoni Tapiès: Llencol
Congo
Le silence debout parmi nous atteint le ciel :
Un poète a vécu…
C’était un nègre d’Amérique : un précipité noir
Au fond d’un mélange d’azur et de Yankees.
Les soleils futurs chercheront longtemps son visage
Par les chemins du monde et les champs de bataille.
Son corps de terre cuite s’est brisé dans la lumière :
La cassure est là toute fraîche et toute franche,
Cristal d’une étoile coupée à ras d’azur ;
Et la vie gravite encore autour de l’astre mal éteint.
C’est sûr, ô poète, l’herbe ne poussera pas
Autour de ton nom :
Ton verbe est la source qui nous fournit en eau vive,
Et les âmes de tous les braves en reverdissent.
Que celui qui l’ignore aujourd’hui en soit heurté
Par un jour de grand vent,
Car désormais, il navigue à la proue de l’orage
–
Irène Assiba d’Almeida – Ici et les ailleurs du monde ( africulture )
Ici et les ailleurs du monde
Lorsque tu auras parcouru
Tous les ailleurs du monde
Tu découvriras que le meilleur ailleurs
Est encore ici
A la fois appauvri
Et plein de richesses
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où naissent les Bouts de bois de Dieu
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où poussent les augustes baobabs
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où reposent les ancêtres protecteurs
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où bat ton cœur-soleil
Où vit ton âme-ébène
Où tes pieds connaissent les sentiers
Le meilleur des ailleurs
Est encore ici
A la fois appauvri
Et plein de richesses
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Et tu songeras
Qu’au fil du temps
On devient plus profondément
Ce que l’on est
Au fil du temps
On devient plus profondément
Ce que l’on est
Et tu comprendras enfin
Que le mot « racines »
Est loin très loin
D’être un *canari percé.
*canari : Afrique : récipient en terre cuite dans lequel on conserve ou transporte des liquides.
–
visible sur le site africultures.com
–
En présence de l’inconnu ( RC )
Un quart de tour de terre
Suffit à bouleverser les critères,
Mettre en présence l’inconnu
Aux enfants marchant les pieds nus,
Dans la poussière…
C’est quand même un mystère
De voir arriver par les airs
Et au-delà des mers
Tous ces gens venus d’ailleurs
Et d’un monde pensé meilleur,
Sortant de leur carrosse
Qui se reflète dans les yeux des gosses.
Ils n’en croient pas leurs yeux
Quand viennent se poser devant eux
Brillant de chromes et courbures,
De grosses voitures
Que leurs mains , osent parcourir
Les toucher du doigt, en garder souvenir
Lors d’une courte pause, regards en miroir,
Les reflets du toucher, se jouent en noir…
C’est avoir à portée de mains, le mythe
de l’occident, – que les rêves habitent…
Il y a toujours des pensées avides,
Même pour les bouteilles en plastique, vides.
–
RC – 24 décembre 2012
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Un mirage d’eau et puis l’attente ( RC )
–
Entre un mirage d’eau, en bouteille, et puis l’attente,
Comme, de plus, il n’y a pas d’eau courante
On ne pourra s’en servir
Pour traverser l’avenir
A capter le reflet du soleil
Sur le creux d’une bouteille
Mais cela fait toujours son effet
De ramener un trophée
La pause était courte, la voila à son terme
Ainsi… les portières se referment.
La voiture redémarre, et la poussière soulevée efface
L’image des enfants, nus pieds, restés sur place…
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RC – 26 dec 2012 – Tiebélé, Burkina Faso
–