voir l'art autrement – en relation avec les textes

auteurs étrangers

Rabindranath Tagore – les yeux m’interrogent


photo – détail de fresque murale Malacca Malaisie

Tes yeux m’interrogent, tristes, cherchant à pénétrer ma pensée;
de même la lune voudrait connaître l’intérieur de l’océan.
J’ai mis à nu devant toi ma vie tout entière, sans en rien omettre ou dissimuler.
C’est pourquoi tu ne me connais pas.
 Si ma vie était une simple pierre colorée, je pourrais la briser en cent morceaux
 et t’en faire un collier que lu porterais autour du cou.
 Si elle était simple fleur, ronde, et petite, et parfumée, je pourrais l’arracher  de sa tige et la mettre sur tes cheveux.

Mais ce n’est qu’un cœur, bien-aimée.
 Où sont ses rives, où ses racines ?
Tu ignores les limites de ce royaume sur lequel tu règnes.
 Si ma vie n’était qu’un instant de plaisir, elle fleurirait en un tranquille sourire
que tu pourrais déchiffrer en un moment.

  Tes yeux m’interrogent, tristes, cherchant à pénétrer ma pensée;
  de même la lune voudrait connaître l’intérieur de l’océan.
  J’ai mis à nu devant toi ma vie tout entière, sans en rien omettre ou dissimuler.
  C’est pourquoi tu ne me connais pas.

  Si ma vie était une simple pierre colorée, je pourrais la briser en cent morceaux
  et t’en faire un collier que tu porterais autour du cou.
  Si elle était simple fleur, ronde, et petite, et parfumée, je pourrais l’arracher de sa tige et la mettre sur tes cheveux.

 Mais ma vie n’est qu’amour, bien-aimée.
 Mon plaisir et ma peine sont sans fin, ma pauvreté
 et ma richesse éternelles.
 Mon cœur est près de toi comme ta vie même,
  mais jamais tu ne pourras le connaître tout entier.


René Maria Rilke – Le livre d’heures 1899-1903 (extrait)


Adalbert STIFTER – Vue sur les maisons de la banlieue viennoise (Beatrixgasse)

.

– Tu vas et viens. Les portes se referment
avec plus de douceur, et sans un souffle presque.
Tu es de tous le plus silencieux,
qui vont par les maisons silencieuses.
On peut si bien s’habituer à toi
qu’on ne relève plus les yeux du livre
quand ses images s’embellissent,
bleuissant sous ton ombre;
car les objets te font écho sans trêve,
mais tantôt en sourdine et tantôt à voix haute.

Souvent quand je te vois en songe
se multiplie ta stature totale;
tu vas comme un troupeau de clairs chevreuils
et je suis la ténèbre et la forêt.
Tu es comme une roue et je me tiens près d’elle:
de tes nombreux essieux obscurs
sans cesse il en est un qui redevient plus lourd
et se tourne un peu plus vers moi,
et mes travaux consentants croissent
de retour en retour.

Le vent du retour

( traduction Claude Vigée)

Arfuyen


Sierra de Mulder – comme une fenêtre ouverte


One day you’ll learn

how to give and receive love

like an open window

and it will feel like summer

every day.

Sierra DeMulder receive love open window

Un jour tu apprendras

comment donner et recevoir  l’amour

comme une fenêtre ouverte

et cela sentira comme l’été

tous les jours.

Sierra DeMulder


Emile Nelligan – clair de lune intellectuel


peinture Joseph Stella

Ma pensée est couleur de lumières lointaines,
Du fond de quelque crypte aux vagues profondeurs.
Elle a l’éclat parfois des subtiles verdeurs
D’un golfe où le soleil abaisse ses antennes.

En un jardin sonore, au soupir des fontaines,
Elle a vécu dans les soirs doux, dans les odeurs ;
Ma pensée est couleur de lumières lointaines,
Du fond de quelque crypte aux vagues profondeurs.

Elle court à jamais les blanches prétentaines,
Au pays angélique où montent ses ardeurs,
Et, loin de la matière et des brutes laideurs,
Elle rêve l’essor au céleste Athènes.

Ma pensée est couleur de lunes d’or lointaines.


Nazim Hikmet – je ne l’ai pas encore dit


installation exposition « intuition » Palais Fortuny Venise 2017

La plus belle des mers
Est celle où l’on n’est pas encore allé.
Le plus beau des enfants
N’a pas encore grandi.
Les plus beaux jours
Les plus beaux de nos jours
On ne les a encore vécus.
Et ce que moi je voudrais te dire de plus beau
Je ne l’ai pas encore dit.


Anthony Phelps – Pour ceux que j’aime


montage RC

Dans ma cellule
pour une fleur
je donnerais un vers
Tout un poème
pour un oiseau
et pour la voix de ceux que j’aime
mon don entier de poésie


Rose Ausländer – Ni foyer ni tonneau –


Daniil Arkhipenko – Paysage avec cercle de cuivre 2019

En fuite
passer la nuit
dans le camp des étoiles

Ni foyer
ni tonneau

A quai
sont les bateaux

Pays dans la
poche
mouches de cuivre
sur la peau

L’or
enterré dans la montagne

Nous avons
steppes et océans
vagues et grêle
ni foyer
ni tonneau

.

.

Auf der Flucht
übernachten
im Sternenlager

Kein Heim
keine Tonne

Am Kai
stehen Schiffe

Lânder in der
Tasche
Kupferfliegen
auf der Haut

Das Gold
Begraben im Berg

Wir haben
Steppen und Ozeane
Wellen und Hagel
kein Heim
keine Tonne

.

ich spiele noch – je joue encore

traduction alba chouillou

LE BOUSQUET-LABARTHE éditions


Anna Akhmatova – ils ont abandonné leur terre


peinture Josef Sima

Ils ont abandonné leur terre
Aux ennemis qui la déchirent,
Je ne suis pas de leur côté.
Leurs flatteries sont grossières,
Je ne les écoute pas.
Ils n’auront pas mes chansons.
Mais j’ai pitié toujours de l’exilé,
Du malade, du prisonnier.

Errant, ton chemin est obscur,
Amer, le pain de l’étranger.
Ici, dans la sombre fumée
De l’incendie, laissant périr
Ce qui restait de la jeunesse,
Nous n’avons esquivé aucun coup.
Plus tard, lors de la pesée,
Chaque instant sera justifié.
Nous en avons la certitude.

Il n’est personne dans ce monde,
Qui ait moins de larmes que nous,
Ni qui soit plus fier et plus simple .
Pourquoi te démener, maudit ?
Que regardes-tu, le souffle coupé?

Tu l’as compris : on a forgé
Pour nous deux une seule âme.
Oui, je te consolera
Comme personne n’ose le rêver.
Et si tu me blesses d’un mot féroce,
Tu auras mal toi-même.
En ces années fabuleuses


Cees Nooteboom – Personnage –


Robert Delaunay – Paysage au disque solaire

.

La fleur de l’hibiscus dure une journée,
étoile de feu fugace dans la controverse
du ciel et du jardin, l’homme y est un corps
qui se défend, comme toute fleur.

Ce qu’il ignore : combien tout cela est vrai.
Est-il bien là, ce personnage
qui reste dehors dans l’ultime clarté des étoiles,
ne voit pas la fleur, se brûle
à la lumière froide et dans l’éphémère
matin ramasse des fleurs sur
une terre noire et cède devant la violence
du soleil ?

Le sens du deuil qui prolifère en lui
commémore un ami, une amitié
qui perd sa mesure
parmi tant de flétrissure.

Qu’est-ce qui reste là, un homme ou un poème ?

Le facteur en chemise jaune vient à vélo jusqu’à la grille,
conte le monde, délivre sa lettre
à un vivant, ne sait rien du deuil ou de l’âme.
Il voit les fleurs rouges à terre,
dit « il va faire chaud aujourd’hui »,
puis disparaît dans la lumière

et ce poème.

.

Le visage de l’œil
poèmes traduits du néerlandais par Philippe Noble
Actes sud

.


Thomas Bernhard – avec moi avec mon pays


    VII
    Avec moi avec mon pays

peinture Alvaro Castagnet:HarbourBridge

Là ou je vivais, on ne peut échapper
à ta voix lubrique,
pas même le dispositif d’un seul jugement
me débusquer dans ton ombre..

Le lien qui m’unit aux fleuves
se dresse entre toi et moi,
je ne pense qu’à une chose :
dilapider
ce pays insensé,
ces rivières irrémédiables avec tous
les enfants et les enfants des enfants…

Ma science je l’ai tirée
des fosses à pommes de terre,
des ténèbres de la porcherie
j’ai tiré mon expérience de la terre et du ciel,
dans l’avalanche des pommes d’octobre, je suis
mon perpétuel psaume…

Sans que je te voie j’entends
tes paroles, sans cesse je suis
tes maisons,
dans les ténèbres de ta maison
je reconnais mon père
comme le concepteur de ma mort,
comme le géniteur de mon supplice,
comme l’instigateur,
le père de mes crimes…

Qui parle dans le buisson?
…le soir se tait.
Moi. ils m’ont trouvé en plein désarroi…
Je ne savais pas une seule strophe, un seul vers, moi,
pourtant tous contre tout s’insurgèrent…
comme si je n’apparaissais pas dans leurs villes :
vent glacial, malédiction des éléments…
Seul avec ce pays de deuil
ne pense pas…
ni fenêtres ouvertes, ni portes ouvertes,
rien que des épitaphes transparentes sur les pierres
tombales.


extrait de « Je te salue Virgile » 1959-1960


Ziâgol Soltâni – mélodie de ma patience


Au nom du miroir, ce soir, libérez-moi
La nuit passée, l’aube venue, appelez-moi
Sur ce rivage où je me suis perdue à moi-même
À moi-même, ramenez-moi
Les bleus sur mes épaules sont les bleus de l’hiver
À la saison du vert printemps, priez pour moi
De la mélodie de ma patience et de mon silence, que savez-vous ?
Le temps d’un souffle, à la flûte associez-moi
Sur l’aile du papillon est écrite la brûlure de la chandelle
De toutes les âmes enténébrées, séparez-moi
La cruauté d’être confinée derrière un voile m’a fait perdre toute patience
Au nom du miroir, ce soir, libérez-moi !

In Le cri des femmes afghanes, © Bruno Doucey, 2022 — Traduction par Leili Anvar – provenance article d’origine:apagraindesel


Titios Patrikios – l’histoire d’Œdipe


Histoire d’Œdipe

Il a voulu résoudre les énigmes
éclairer l’obscurité
dont tous s’accommodent
même si elle les oppresse.

Il n’a pas eu peur
des choses qu’il a vues
mais du refus des autres
de les reconnaître

Resterait-il toujours l’exception ?
Il ne supportait plus la solitude.
Et pour retrouver ses prochains
il a plongé dans ses yeux

profondément les deux agrafes.
À nouveau il distinguait au toucher
ce que personne ne voulait voir.


Hugo Claus – Contre le mur (Exercice 1)


Vera PAGAVA – Le mur d’école à Tiflis

.

.

Poèmes

traduit du Néerlendais par Marnix Vincent

Ed. L’AGE D’HOMME


Charles Bukowski – le génie de la foule


Il y a assez de traîtrise, de haine, de violence,
d’absurdité dans l’être humain moyen
Pour approvisionner à tout moment n’importe quelle armée

Et les plus doués pour le meurtre sont ceux qui prêchent contre
Et les plus doués pour la haine sont ceux qui prêchent l’amour
Et les plus doués pour la guerre – finalement – sont ceux qui prêchent la paix

Ceux Qui Prêchent Dieu ont besoin de Dieu
Ceux Qui Prêchent La Paix n’ont pas la paix.
Ceux qui Prêchent l’amour n’ont pas l’amour.

Attention aux prêcheurs
attention a ceux qui savent.
Attention a ceux qui lisent toujours des livres.

Attention a ceux qui soit détestent la pauvreté soit sont fiers d’elle
Attention a ceux qui sont prompts a glorifier
Car Ils ont besoin d’Être Glorifiés en retour

Attention a ceux qui sont prompts a censurer:
Ils ont peur de ce qu’Ils ne connaissent pas

Attention a ceux qui recherchent la foule:
Ils ne sont rien seuls

Méfiez-vous de l’homme moyen, de la femme moyenne
méfiez-vous de leur amour
Leur amour est moyen,
recherche la médiocrité

Mais il y a du génie dans leur haine
Il y a assez de génie dans leur haine pour vous tuer,
pour tuer n’importe qui

Ne voulant pas de la solitude
Ne comprenant pas la solitude

Ils essaient de détruire
Tout ce qui diffère d’eux

Etant incapables de créer de l’art
Ils ne comprennent pas l’art

Ils ne voient dans leur échec en tant que créateurs
Qu’un échec du monde

Etant incapables d’aimer pleinement
Ils croient votre amour incomplet

Du coup, ils vous détestent
Et leur haine est parfaite

Comme un diamant qui brille
Comme un couteau
Comme une montagne
Comme un tigre
Comme la ciguë

Leur plus grand art.


Nâzim Hikmet – ( A propos du Mont Uludag) –


Arkhip Kuindzhi – Cimes enneigées -1895
Voilà sept ans que nous nous fixons
les yeux dans les yeux
cette montagne et moi.
Et nul ne bouge       ni elle
				ni moi.
On se connaît pourtant de près.
Elle sait rire et se fâcher
comme tout ce qui vit pour de vrai.

Pourtant
	surtout en hiver
	surtout la nuit
	surtout quand le vent souffle du sud
avec ses pics neigeux
	ses forêts de pins
	ses alpages
	ses lacs gelés
elle remue légèrement dans son sommeil
et l’ermite qui habite tout là-haut
avec sa longue barbe en désordre
et sa robe volant au vent
dévale vers la plaine en hurlant
		en hurlant devant le vent
Et parfois
	surtout en mai, au point du jour
	toute bleue, sans bornes ni limites
	immense, heureuse et libre
elle s’élève, pareille à un monde nouveau.

Et il y a des jours, parfois
où elle ressemble à son image sur les bouteilles de
limonade...

Et je devine que dans l’hôtel que je n’ai jamais vu
mesdames les skieuses boivent du cognac
en prenant du bon temps avec messieurs les skieurs.

Et il y a des jours
où l’un de ces montagnards aux sourcils noirs
et au large pantalon bouffant de bure jaune
égorgeant son voisin sur l’autel de la sacro-sainte propriété
devient notre hôte
pour passer quinze ans à la chambrée numéro dix-sept...


1947

(Dominant sa prison, l’Uludag, Mont Olympe de Bithynie , a été pour Nâzim Hikmet une image obsédante.) . .

Nostalgie

dessins originaux d’Abidine

Editions fata morgana


Benjamin Fondane – nos rides poussent dans la glace


Nos rides poussent dans la glace

et le monde se refroidit dans notre sang…


Marina Tsvetaïeva – une fleur épinglée à la poitrine


Une fleur épinglée à la poitrine.
Je ne sais déjà plus qui l’a épinglée.
Inassouvie, ma soif de passion,
De tristesse et de mort.

Par le violoncelle et par les portes
Qui grincent, par les verres qui tintent
Et le cliquetis des éperons, par le signal
Des trains du soir,

Par le coup de fusil de chasse
Et par le grelot des troïkas –
Vous m’appelez, vous m’appelez,
Vous – que je n’aime pas !

Mais il est encore une joie :
J’attends celui qui, le premier,
Me comprendra, comme il le faut – 
Et tirera à bout portant

( poème écrit le 22 octobre 1915 )


Kenneth White – la porte de l’Ouest


L’échappée, ah – cette lueur bleu sombre
le long du fleuve puis
l’éclair d’ambre doré puis encore
la lueur bleu sombre tout le long du fleuve
( vieux rafiot noir là-bàs traînant
près d’un gros paquebot blanc )
et les nuages filant bas
au-dessus des vagues grises aux crêtes
écumantes ( ah cette courbe qui se brise ) et en haut
le vol noir des goélands

Puis les collines, fougères rousses entre-
mêlées et les ronces et les roses sauvages et
le houx rouge-sacré dans la neige
et les arbres dégoulinant de pluie –
marchant sur les chemins de glace bleue les
ruisseaux impétueux l’air mordant
et cette lumière d’une clarté folle
cette lumière abrupte angélique démentielle
qui fait surgir le monde dans sa nudité
réel toujours changeant clair-obscur perpétuel.


James Wright – une bénédiction


Au bord de l’autoroute pour Rochester, Minnesota,
Le crépuscule ricoche doucement sur l’herbe.
Et les yeux de ces deux poneys indiens
S’assombrissent de gentillesse.
Ils ont gaiement émergé des saules
Pour nous accueillir mon amie et moi.
Nous enjambons les barbelés, entrons
Dans le pâturage où ils broutent durant le jour, seuls.

Ils frémissent avec ardeur,
parvenant à peine à contenir leur joie
Car nous sommes là.
Ils s’inclinent timidement, tels des cygnes mouillés.
Ils s’aiment.
Il n’y a pas de solitude semblable à la leur.
A nouveau détendus.
Ils commencent par grignoter les jeunes touffes de printemps
Dans l’obscurité. J’aimerais étreindre la mince ponette.

Elle s’est avancée vers moi,
a mis son museau dans ma main gauche.
Elle est noire et blanche.
Sa crinière s’échevèle sur son front.
Et la brise légère me pousse à caresser son oreille fuselée
Aussi délicate que la peau du poignet d’une jeune fille.
Aussitôt je comprends
Que si je sortais de mon corps je me mettrais
soudain à fleurir.

(Traduction inédite de Sabine Huynh du poème de James Wright,
« A Blessing », The Branch Will Not Break, 1963)


Sándor Petőfi – Nuages (extraits)


Edouard Vuillard – Nuage blanc sur la forêt –

.

J’aimerais laisser là…

J’aimerais laisser là ce monde lumineux,
Sur lequel j’aperçois tant de points ténébreux.
Je voudrais pénétrer dans la forêt sans borne,
Où jamais je ne trouverais personne, personne !
Là-bas, j’écouterais le murmure des feuillages,
Là-bas, j’écouterais le bruissement des flots
Et le chant des oiseaux,
En contemplant l’armée nomade des nuages,
En contemplant le soleil qui se lève et qui tombe…
Jusqu’à ce que moi-même enfin aussi succombe.

.

.

La vie ne me touche pas…

La vie ne me touche pas davantage
Qu’une casserole brisée,
Jetée loin des cuisines, dont un mendiant sans âge
Pourlèche les restes desséchés.

.

.

Derrière moi, la belle forêt bleue du passé…

Derrière moi, la belle forêt bleue du passé,
Devant moi, les beaux semis verts de l’avenir ;
Toujours loin, sans me distancer,
Toujours près, sans que je puisse y parvenir.
Ainsi, sur la grand-route, je vais errant,
Dans ce désert luxuriant,
Abattu et toujours errant
Au sein de l’éternel présent.

.

.

Sándor Petőfi ( 1823-1849) , héros de la Révolution de 1848 , mort en combattant ,

est l’un des plus grands poètes de la littérature hongroise.

Nuages et autres poèmes

traduit par Guillaume Métayer

Editions Sillage


Antonio Gamoneda – Cecilia


Tu dors sous la peau de ta mère et ses rêves pénètrent dans tes rêves. Vous allez vous éveiller dans la même confusion lumineuse.

Tu ne sais pas encore qui tu es ; tu demeures indécise entre ta mère et un frémissement vivant….

…Entre en ta mère et ouvre en elle tes paupières,

entre doucement dans son cœur ;

Redeviens fruit dans le silence.

Soyez comme un arbre qui enveloppe la palpitation des oiseaux

et il s’incline, et en descendent le parfum et l’ombre….

plusieurs textes de cet auteur sont visibles, en traduction française sur le blog d’Ahmed Bengriche


William Carlos Williams – Le Moineau –


René Chabrière – calligraphie oiseau –

 

       Traduit par Valérie Rouzeau

 

                                                                                                                                               (À mon père)

 

Ce moineau
                qui se pose sur ma fenêtre
                                    incarne une vérité

plus poétique que naturelle.
                Sa voix.
                                    ses mouvements,

ses habitudes –
                comme il aime
                                    à secouer ses ailes

dans la poussière –
                tout le confirme ;
                                    certes, il fait cela

pour chasser la vermine
                mais son soulagement
                                    lui fait

jeter un cri vigoureux
                plus caractéristique
                                    du registre musical

que d’autre chose.
                Où qu’il se trouve
                                    au début du printemps

dans une rue mal famée
                comme auprès d’un palace
                                    imperturbablement

il vaque
                à ses amours.
                                    Ça commence dans l’œuf,

son sexe veut ça :
                Quoi de plus prétentieux
                                    et vain

que ce dont nous
                sommes le plus fiers ?
                                    Et qui souvent nous mène

à notre perte.
                La voix provocatrice
                                    du jeune coq, du corbeau

ne saurait surpasser
                la ferveur
                                    de son tchip !

Une fois
                à El Paso
                                    vers le soir,

j’ai vu – et entendu ! –

                des milliers de moineaux
                                    venus du désert
se percher.

                Ils remplissaient les arbres
                                    d’un petit parc. On s’enfuyait
 (les oreilles qui tintaient)

                loin de leurs fientes, 
                                    abandonnant les lieux
aux alligators

                qui habitent
                                    la fontaine. Son image
 est aussi familière

                que celle de l’aristocratique
                                    licorne, dommage
que de nos jours

                on ne consomme pas plus d’avoine,
                                    il aurait la vie

plus facile.
                Il a

                                    sa petite taille,
son œil vif,
                son bec solide

                                    et sa combativité
pour s’en tirer –
                sans parler

                de son innombrable
progéniture.
                Même les Japonais

                                    le connaissent
et l’ont peint
                avec bienveillance,

                                    une profonde acuité
 jusqu’en ses moindres
                caractéristiques.

                                    Rien à signaler

de très subtil
                quant à sa parade nuptiale.

                                    Il se tapit
devant la femelle .
                laisse trainer ses ailes

                                    tout en valsant,
rejette la tête en arrière
                et sans plus de cérémonie

                                    braille ! Son vacarme
est épouvantable.
                La façon qu’il a de se frotter le bec

                                    contre une planche
pour le nettoyer
               est irrévocable.

                                   Ainsi de tout
ce qu’il fait. Ses sourcils cuivrés
               au-dessus des yeux

                                   lui donnent un air
d’éternel
              vainqueur – et pourtant

                                   une fois j’ai vu
une femelle de son espèce
              résolument

                                   cramponnée à une
gouttière
              l’attraper

                                   par la calotte
et le contraindre
             au silence,

                                   à la soumission,
 le tenant suspendu au-dessus de la rue
             jusqu’à

                                  ce qu’elle en ait fini avec lui.
A quoi tout cela
             pouvait-il bien servir ?

                                  Elle était là suspendue
 elle-même,
             déconcertée par sa victoire.

                                  J’ai ri de bon coeur

Réaliste jusqu’au bout
            c’est le poème

                                 de son existence
qui l’a emporté
            finalement ;

                                 une touffe de plumes
aplatie
            sur le bitume,

                                 les ailes écartées symétriques
comme en plein vol, la tête arrachée,
            l’écusson noir du poitrail

                                 indéchiffrable,
une effigie de moineau,
            rien qu’une hostie desséchée,

                                 pour dire
ce qu’elle dit,
            sans offense,

                                 admirablement ;
C’était moi,
            un moineau.

                                J’ai fait de mon mieux ;
salut.

 

William Carlos Williams
The Sparrow
(To My Father)

 

This sparrow
who comes to sit at my window
is a poetic truth
more than a natural one.
His voice,
his movements,
his habits —
how he loves to
flutter his wings
in the dust —
all attest it ;
granted, he does it
to rid himself of lice
but the relief he feels
makes him
cry out lustily —
which is a trait
more related to music
than otherwise.
Wherever he finds himself
in early spring,
on back streets
or beside palaces,
he carries on
unaffectedly
his amours.
Il begins in the egg,
his sex genders it :
What is more pretentiously
useless
or about which
we more pride ourselves ?
It leads as often as not
to our undoing.
The cockerel, the crow,
with their challenging voices
cannot surpass
the insistence
of his cheep !
Once
at El Paso
toward evening,
I saw and heard ! —
ten thousand sparrows
who had come in from
the desert
to roost. They filled the trees
of a small park. Men fled
(with ears ringing !)
from their droppings,
leaving the premises
to the alligators
who inhabit
the fountain. His image
is familiar
as that of the aristocratic
unicorn, a pity
there are not more oats eaten
nowadays
to make living easier
for him.
At that,
his small size,
keen eyes,
serviceable beak
and general truculence
assure his survival –
to say nothing
of his innumerable
brood.
Even the Japanese
know him and have painted him
sympathetically,
with profound insight
into his minor
characteristics.
Nothing ewen remotely
subtle
about his lovemaking.
He crouches
before the female,
drags his wings,
waltzing,
throws back his head
and simply —
yells ! The din
is terrific.
The way he swipes his bill
across a plank
to clean it,
is décisive.
So with everything
he does. His coppery
eyebrows
give him the air
of being always
a winner — and y et
I saw once,
the female of his species
clinging determinedly
to the edge of
a water pipe,
catch him
by his crown-feathers
to hold him
silent,
subdued,
hanging above the city streets
until
she was through with him.
What was the use
of that?
She hung there
herself,
puzzled at her success.
I laughed heartily.
Practical to the end
it is the poem
of his existence
that triumphed
finally;
a wisp of feathers
flattened to the pavement,
wings spread symmetrically
as if in flight,
the head gone,
the black escutcheon of the breast
undecipherable,
an effigy of a sparrow,
a dried wafer only,
left to say
and it says it
without offense,
beautifully ;
This was I,
a sparrow.
I did my best ;
farewell.

(A journey to love 1955)

in Po&sie n°167-168 des oiseaux 


Jorge Carrera Andrade – Les amitiés quotidiennes


Fenêtres, portes, lucarnes : amies intimes,
complices de mon évasion quotidienne,
messagères d’un monde clair et agile
qui pose sur les meubles son éclatant reflet.

La fenêtre est invitation incessante au voyage :
son fleuve d’air et de lumière débouche dans le ciel.
Dans ses profondeurs transparentes
plus d’un rêve a naufragé.

La porte évite ma présence et me laisse passer
dans l’éternelle attitude roide du soldat.
Ne déjouent sa consigne
que le jour et l’air.

Avec sa corde de lumière
la lucarne me hisse jusqu’au bord du ciel.
Les nuages et les pigeons domestiques
s’approchent en leur voyage de sa bouche de puits.

extrait de l’anthologie « poètes d’aujourd’hui ( Seghers )


Alda Merini – dans les ombres du sommeil


gravure Gustave Doré ( de l’enfer de Dante )

Tu es entrée dans les ombres du sommeil
un jour
et tu y as reconnu mon visage exsangue
aligné aux autres sur l’aire du sacrifice.
avec la torche de ton savoir.

Tu as éclairé les ombres de l’enfer.
toi, mère immaculée et triste
pour qui les jours ont été
comme autant de fils
.


Abdelkhebir Khatibi – Etoiles du jour étoiles de la nuit ( 1ère partie)


Etoiles du jour étoiles de la nuit
Votre éclat est-il le garant de notre serment ?
De notre beau secret sur sa fleur vocale ?
Et qui peut m’assurer que l’illusion ne s’est pas évanouie ?
Ou que le vertige du litige n’est pas en instance
Dans la caresse d’aujourd’hui que tu nous prêtes ?
Va et viens dans le cycle de l’Aimance
Je te passe l’anneau au centre du cœur
Ce qu’il reçoit de noblesse et de grâce
Ne l’avons-nous pas risqué en sa pensée la plus légère ?
Qu’avons-nous rassemblé dans l’ivresse de l’irréel ?
Chante-moi la forme du Nom sous sa parure transparente
Mais à l’oubli du temps ajoute la moindre blessure
Nous habitons d’heure en heure une jouissance passagère
Et ce que j’en retiens je le pense tout bas dans son rythme
Peut-être sommes-nous allés trop loin dans l’insouciance
Laissant au temps la mesure de la dispersion
Nous sortons du rire de l’enfance et de ses voyances
Es-tu ma maîtresse ? mon élue ? mon amie du bel âge ?
Lorsque j’entre dans ce lit surpris par son orgasme
Je me demande vers quelle distance le corps appareille
Vers quelle contrée qui nous défende de nous égarer
Dans la déraison d’un sentiment si tôt chancelant ?


Rabindranath Tagore – assoiffé d’infini


installation :Karina Smigla-Bobinski

Je suis inquiet, assoiffé d’infini.

Mon âme s’épuise en son désir d’atteindre aux sphères inconnues.

Ô Grand Au-delà! le pénétrant appel de ta flûte!

J’oublie, j’oublie toujours que je n’ai pas d’ailes pour voler,

que je suis indissolublement rivé à ma place ici-bas.

Anxieux, je ne puis trouver le sommeil. Je suis un étranger en un pays étrange.

Ton souffle m’arrive, murmurant un impossible espoir.

Ton langage est proche de celui de mon cœur.

Ô Grand Lointain, le pénétrant appel de ta flûte!

J’oublie, j’oublie toujours que j’ignore le chemin, que je n’ai pas de coursier ailé.

Je suis inattentif, vagabond en mon propre cœur.

Dans la brume ensoleillée des heures languides, quelle

    immense vision de Toi se dessine sur le bleu du ciel!

Être suprêmement lointain, le pénétrant appel de ta flûte !

J’oublie, j’oublie toujours que dans la maison où je vis seul,

toutes les grilles sont fermées.


KHÔNG LÔ – Douce oisiveté du vieux pêcheur – (Ngu nhàn)


Shitao, Peintre-Pêcheur


Sur mille lieues, le fleuve limpide, sur mille lieues, le
ciel d’azur,
Une fumée flotte sur les mûriers d’un hameau solitaire.
Le vieux pêcheur que nul ne trouble reste plongé dans le
sommeil
Quand il s’éveille, l’après-midi, sa barque est couverte
de neige*.

.

* la neige est inconnue dans cette région du Vietnam .
Mais les poètes employaient souvent ce mot pour désigner la brume
par temps de froid intense.

.

.

  • KHÔNG LÔ – ( ?-1119)

    Issu d’une famille de pêcheurs, les Duong du village de Hai
    Thanh ( ?) , il abandonne le métier familial pour se faire bonze à
    la pagode de Ha Trach (certains documents mentionnent la
    pagode de (Quan Dinh sur le mont Khong Lo). Son plus grand
    ami est le bonze Giac Hai, conseiller du roi Ly Nhan Tong.

in Mille ans de littérature vietnamienne
Picquier poche

  • sur le peintre SHITAO  (1642-1707) , lire :

  Libellus : François Cheng , Vide et Plein

beauxarts.com/grand-format/le pinceau libre du moine citrouille amere/