KHÔNG LÔ – Douce oisiveté du vieux pêcheur – (Ngu nhàn)

Sur mille lieues, le fleuve limpide, sur mille lieues, le
ciel d’azur,
Une fumée flotte sur les mûriers d’un hameau solitaire.
Le vieux pêcheur que nul ne trouble reste plongé dans le
sommeil
Quand il s’éveille, l’après-midi, sa barque est couverte
de neige*.
.
* la neige est inconnue dans cette région du Vietnam .
Mais les poètes employaient souvent ce mot pour désigner la brume
par temps de froid intense.
.
.
- KHÔNG LÔ – ( ?-1119)
Issu d’une famille de pêcheurs, les Duong du village de Hai
Thanh ( ?) , il abandonne le métier familial pour se faire bonze à
la pagode de Ha Trach (certains documents mentionnent la
pagode de (Quan Dinh sur le mont Khong Lo). Son plus grand
ami est le bonze Giac Hai, conseiller du roi Ly Nhan Tong.
in Mille ans de littérature vietnamienne
Picquier poche
- sur le peintre SHITAO (1642-1707) , lire :
Libellus : François Cheng , Vide et Plein
beauxarts.com/grand-format/le pinceau libre du moine citrouille amere/
Titos Patrikios – maison amie

Résidence provisoire
Encore une maison amie
où habiter une semaine,
un mois entre le lac et les montagnes basses.
Une semaine, pas plus,
Un mois, pas davantage, loin de toi.
Chaque journée ici, au moment de sa fin,
ne s’assemble pas avec l’autre.
Quand tombe l’obscurité je place des haillons
dans les fentes des fois que la mort y pénètre,
quand le temps tourne je change d’habits et de démarche
des fois qu’elle me reconnaisse.
Encore une maison amie,
encore une maison étrangère
encore une journée aux joints béants.
poème extrait de la revue Apulée
José-Maria Alvarez – Le fruit d’or, lointain
Pour Carme Riera,

Les nuits où brille la lune
je me promène dans mes jardins
sur le port, je contemple les étoiles
et la mer calme.
Ah comme elle me rappelle Alexandrie,
l’air apporte les mêmes
arômes et la même fraîcheur,
et parfois j’imagine que sous mes yeux
ce sont ses rues joyeuses qui dorment.
Que sera devenu Phila ? Qui jouira cette nuit
de son corps que je désirai tant ?
Mon cœur est encore ouvert
à sa grâce adolescente,
je peux encore sentir sa bouche sur mon corps,
ses attitudes infantiles,
la musique de ses bracelets résonne encore
à mes oreilles et console mes nuits.
Pourquoi accepter qu’elle aura,
comme moi, vieilli?
Ni les dieux, ni la nuit ne la ramèneront.
Mais elle vit dans ma rêverie,
je peux en elle retenir ces heures-là.
Et fixer pour toujours dans mes vers
l’éclat de son corps presque impubère.
- extrait d’une parution dans la revue Apulée _2016
Roja Chamankar – Le neuvième jour de la mer –

C’était le neuvième jour de la mer Recroquevillée sur moi-même Accompagnée du cri de la mère J’ai glissé Dans un bassin de cendres Avec deux ailes blanches aux épaules Comme un oiseau à la gorge coincée La poche d’eau m’a mouillé les yeux La mer était salée et grande Le matelot frappait en cadence Le tambour Gitane solitaire Une danseuse sans anneaux aux chevilles Ni grain de beauté au coin des lèvres Mes poupées Ont grandi Aux seins arides et au lait noir Et un ruisseau de sang a brûlé leurs cuisses Le neuvième jour de la mer Aucun bruit d’applaudissements Ni de you-yous Quatre gouttes de sang tombent de ma gorge Je m’offre... La mer était salée et grande Pour la gitane solitaire C’est pour tes yeux que je suis devenue poète.
Je ressemble à une chambre noire
Traduit du persan (Iran) par Farideh Rava
Ed. Bruno Doucey
A écouter , à lire :
Apéro-poésie avec Bruno Doucey #44 / Roja Chamankar (5 poèmes dits par Bruno Doucey)
Cesare Pavese – la terre et la mort

photo RC – causse de Sauveterre ( 48 )
Tu es comme une terre
que nul n’a jamais dite.
Tu n’attends rien
que la parole
qui jaillira des tréfonds
comme un fruit parmi les branches.
Un vent vient, te gagne.
Ces choses, mortes et desséchées,
t’encombrent et s’en vont dans le vent
Membres et paroles anciennes
Tu trembles dans l’été.
Nelly Sachs – champs de silence

Anselm Kiefer – peinture & collage de paille Nüremberg 1982
Ces champs de silence
impénétrables
Les prières doivent faire des détours
laissent déjà des traces
comme des pattes d’oiseaux
ancrées encore dans la chair
Néant néant
Le souffle savait encore quelque chose de I’amour
La mort habite trop près
Ici le monde dit : Que cela soit – Amen –
Hamid Skif – Mon escale, ma solitude –

Mon escale, ma solitude Tes yeux miroir de la mer Je suis seul sur la rive Vingt mille ans pour parcourir L’âge de ta joie Et les cheveux déjà blancs Pour n’avoir pu oublier Les premières gorgées de ton corps. Lueurs sur la jetée humide Le port renifle les étrangers Mal vêtus Chaque seconde tremble Dans mon cœur Ici les feuilles clapotent contre les quais Ta voix navigue dans les veines solaires Mon escale, ma solitude Mon refus de voir le monde Dans l’opacité des hublots J’habite les sentiers du cosmos Quelque part Dans un port pour terriens refusés Je pourrais déménager tous les jours Et revenir tout le temps aux premiers Souffles qui t’habitent Nulle part qu’ici je t’attends Depuis l’âge de la roche Nulle part qu’ici je t’attends Depuis l’âge de la roche En comptant les jours premiers De ta joie Mon escale, ma solitude.
Quand la nuit se brise
Anthologie
Poésie Algérienne
Points
Constantin Cavafis – Je m’en suis allé

montage RC
J’ai ignoré toute entrave. Je m’en suis allé.
Je suis parti vers la nuit illuminée
aux jouissances moitié réelles,
moitié issues de mon imagination.
Et j’ai bu des vins forts, tels
que n’en boivent que ceux
qui ne craignent pas la volupté.
Sandro Penna – Lune de Décembre –

Elle est si belle cette lune de décembre, Calme, elle regarde l'année s'éteindre. Pendant que dans la plaine les trains s'essoufflent, elle seule sourit à ces feux si étranges. Come è bella la luna di dicembre che garda calma tramontare l'anno. Mentre i treni si affanano si affanano a quei fuochi stranissimi ella soride.
Poésie/Poèmes
(1973)
Traduit de l’italien par
Pierre Lepori
Editions d’en bas
Yehuda Amichai – ton corps a gardé sa chaleur pendant longtemps

Montage Viki Olner
Les cheveux étaient les derniers à sécher.
Quand nous étions déjà loin de la mer, quand les mots et le sel, qui s’étaient mêlés sur nous, se séparèrent les uns des autres avec un soupir,
et que ton corps ne montrait
plus les signes d’une terrible ancienneté.
Et en vain nous avions oublié quelques choses sur la plage,
afin d’avoir une excuse pour revenir.
Nous ne sommes pas revenus.
Et ces jours-ci, je me souviens des jours
qui portent ton nom, comme un nom sur un navire, et comment nous avons vu à travers deux portes ouvertes un homme qui pensait,
et comment nous avons regardé les nuages avec l’ancien regard que nous avons hérité de nos pères ,
qui attendaient la pluie, et comment la nuit,
quand le monde s’est refroidi,
ton corps a gardé sa chaleur pendant longtemps, comme la mer.
Alejandro Oliveros – cartes

Nous sommes des habitants
sans rues ni places.
Les frontières de cette terre
ne correspondent pas
à nos cartes.
Les montagnes sont plus froides
mais moins hautes ;
les fleuves plus paisibles,
sans boas ni piranhas ;
il y a bien des plaines,
mais sans sécheresses mortelles,
et les mers sont bleues,
mais sans raisins sur les rameaux.
On ne nous trouvera pas
sur ces cartes ;
sur la rose des vents,
aucune fenêtre.
Nos rivages
se sont perdus, et avec eux
notre nord
et nos demeures.
Herberto Helder – Les menstrues –

Les menstrues quand sur la ville soufflait cet air. Les jeunes filles respirant, mangeant des figues - et les menstrues quand sur la ville filait le temps à travers les airs. C’étaient des œillets dans la neige. Les jeunes filles riaient, criaient - et les figuiers insufflaient les figues, de leurs poumons d’éponge blanche. Et les jeunes filles mangeaient des œillets dans l’air. Et elles riaient dans la neige et criaient : c’était le temps des menstrues. Les pommes roulaient dans la maison. Quelqu’un disait : la neige. La nuit venait briser la tête des statues, et les pommes roulaient sur le toit - quelqu’un disait : le sang. Dans la maison, elles riaient - et les menstrues ruisselaient par les cavernes blanches des éponges, et les têtes des statues se brisaient. Des œillets - quelqu’un disait cela. Et les jeunes filles qui respiraient, mangeaient des figues dans la neige. Quelqu’un disait : des pommes. Et le temps était venu… Le sang ruisselait des cous de granit, l’enfant plaquait sa bouche noire sur la neige dans les figues - alors elles criaient dans l’ombre de la maison. Quelqu’un disait : le sang, le temps. Les figuiers soufflaient dans l’air qui courait, les machines aimaient. Tandis qu’un poisson, parole ancienne et sensible, parcourait la page de cet amour. Et quelqu’un disait : c’est la neige. Les jeunes filles riaient dans leurs menstrues, mangeant de la neige. Les têtes des statues étaient pleines d’œillets, et les enfants plaquaient leur bouche noire sur les cris. La nuit approchait dans les airs, dans l’ombre roulaient les pommes. Et le temps était venu. Et elles riaient dans l’air, mangeant la nuit, se nourrissant de figues et de neige. Alors quelqu’un disait : les enfants. Et les menstrues ruisselaient en silence - dans la nuit, dans la neige - pressées par les éponges blanches, là-bas dans la nuit des jeunes filles qui riaient dans l’ombre de leur maison, roulant, mangeant des œillets. Alors quelqu’un disait c’est un poisson qui parcourt la page d’un amour ancien. Et les jeunes filles criaient… …Les jeunes filles, chantant leurs enfants, mangeaient des figues. La nuit mangeait du sable. Et c’étaient des œillets dans les cavernes blanches. Les menstrues - disait quelqu’un. L’air passait - et à travers nuit, en silence, les menstrues ruisselaient dans la neige.
.
Le Poème continu, somme anthologique,
traduction Magali Montagné et Max de Carvalho,
éditions Chandeigne
voir également : Esprits nomades
Aytekin Karaçoban – Pourquoi –

Pourquoi Pourquoi mon désir s’accroit-il, juste au moment de tailler la vigne, d’apprendre au temps de t’écrire, de déployer un chemin de rêves sous ses pieds pour qu’il apprenne aussi à ne pas se contenter seulement de sa science de traverser le réel ? Pourquoi pas, par exemple, juste au moment où je glisse ma voiture entre deux lignes dans le parking ou bien au moment où je saisis le sourire forcé de la vendeuse chez le boulanger ? Pourquoi fondent les notes, se tendent les voix les heures deviennent lierres dont les fibres tressent des cordes quand j’attends une mélodie valable de l’opéra à trois sous de la vie ? Pourquoi l’envie de me mesurer avec l’ouragan de la foule, de courir en hurlant se mêle-t-elle dans l’affaire juste au moment où mon pied glisse sur la marche et pourquoi pas quand je regarde en colère dans mon fauteuil moelleux les canons à eau déployés en plein hiver pour repousser des migrants qui tentent de traverser la frontière ? Je fais semblant comme si ces heures n’existaient pas comme si tu n’étais pas mon abri, mon refuge, mon sauveur juste au moment où mon pied touche le sol. Ma mémoire devient l’attrape-guêpe. Partout le brouillard.
Ce que Orphée contemporain disait lorsqu’il réparait sa lyre cassée
Recours au poème (6/11/2022)
.
Antonio Gamoneda – Je parle avec ma mère

photo Jock ( flickr)
Maman : tu es maintenant silencieuse
comme l’habit de qui nous a quittés.
Je fixe le bord blanc de tes paupières
et je ne peux penser.
Maman : je veux tout oublier
au fond d’une respiration qui chante.
Passe-moi tes grandes mains sur la nuque
tous les jours pour que
ne revienne pas
la solitude.
Je sais que sur chaque visage
on voit le monde.
Ne va plus chercher sur les murs, maman.
Regarde le visage que tu aimes :
dans chaque visage humain, mon visage.
J’ai senti tes mains.
Perdu au fond des êtres humains je t’ai sentie
comme tu sentais mes mains avant ma naissance.
Maman, ne recommence plus à me cacher la terre.
Telle est ma condition.
Et mon espoir.
on peut voir ce même texte sur le site lafreniere
en savoir plus sur cet auteur
Edward Thomas – Adlestrop –

.***
.
. Richard Burton lit ‘Adlestrop‘:
.
. Essai de traduction personnelle :
Oui. Je me souviens d’Adlestrop,
De ce nom, parce qu’un après-midi
De chaleur l’express s’y arrêta
Inopinément. C’était à la fin juin.
Le train-vapeur siffla. Quelqu’un s’éclaircit la gorge.
Personne ne descendit et personne ne se montra
Sur le quai vide. Tout ce que je vis
Fut Adlestrop – seulement ce nom
Et des saules, des épilobes et de l’herbe,
Et des reines-des-prés, des meules de foin séché,
Non moins paisibles dans leur blonde solitude
Que les petits nuages ,hauts dans le ciel.
Et juste à cet instant , un merle chanta
Tout près , et tout autour de lui ,
de plus en plus loin, dans une brume sonore,
Tous les oiseaux de l’Oxfordshire
Et du Gloucestershire.
.
in Poems (1917)
Hamid Skif – Me voici –

.
.
Me voici étrange et revenu
aux sources du cuivre et des versets
je m’habille de ronces, d’éclairs, d’une froide lumière
jaillie de l’épée
.
Les mots ceints m’assurent la fragile mesure de mes propos
la chamelle blanche s’abreuve à l’ombre oblique
du palmier
me guide sur l’énigme voluptueuse de sa marche
.
Je cherche
la colline d’ocre et d’or
l’œil du faucon
un reste de tison
le lit du vent
les voix de l’homme déserté
.
Aux portes du ciel je frappe
et le bâton se rompt pour ne pas entendre
le bruit qu’il fait
.
À Tipaza c’est l’heure des oliviers
leurs feuilles chantent les psaumes et
drapent les sépultures ouvertes
je marche vêtu de souffles volés aux tombes
de fragments d’étoiles
perdues
de pétales trouvés sur les murailles du temps
je chante des cantilènes suaves de liberté
je suis les traces des chevaliers de sable
le hennissement de leurs montures
l’odeur de leur sang figé
Toute halte est ma demeure
.
Je cherche l’encrier des siècles
la rose noire du sel
un cri de feu
une larme de pierre
laver ta présence de ses plaies.
.
.
Poèmes d’El Asnam et d’autres lieux. ENAL, Alger. 1986.
Quand la nuit se brise
Anthologie
Poésie Algérienne
Points
José Pedroni – Vie

Viens avec moi, poète.
Quitte ta table avec sa rose triste.
La joie est à l’extérieur.
Mourant et renaissant
il arrive à cheval: il s’assied sur l’herbe.
Viens avec moi, oh, mon ami. La douleur est à l’extérieur.
Cela arrive et cela ne se produit pas seulement en pleurant.
Il apporte soixante-dix morts sur terre.
Viens avec moi. Dans le ciel ,
de gros oiseaux tournent en rond
pendant que les paysans sont venus sur leur ile d’herbe,
et ils parlent et chantent autour d’elle.
Viens avec moi. Dans la rue passe
un grand drapeau avec une étoile,
sur des fleurs que les femmes plantent.
Cela arrive et le ciel ne passe pas tout simplement.
Il apporte soixante-dix morts sur terre.
Viens avec moi, cet homme a des voix
que tu ne peux pas trouver;
que ton verset a une nouvelle femme ,
à qui le vent des branches souffle
dans ses cheveux et sa jupe.
Viens, ils ne te connaissent pas
Ta chanson est dehors.
Pour qui sera la fleur solitaire de ton verre;
pour qui, s’il est mort ?
Viens avec moi pour rencontrer l’homme
à la table de la terre; pour accompagner
l’homme dans sa rue de sang et de lys
Le chant est dans la voix de ceux qui chantent.
L’ange est dehors.
( tentative de reconstruction du texte par google trad ) à partir du texte original..
voir un certain nombre de ses poèmes dans la langue originale sur le site .
–
voir aussi dans le même registre…
Me voici seul (Alain Borne)
Me voici seul avec ma voix
j’entends le dernier pas qui balaye la route
et le silence tombe enfin comme l’ombre d’une feuille.
Me voici seul avec ma voix, un nouveau jeu commence
puisque le sang torride dont je m’étais vêtu
rejeté vers la mer écrase d’autres naufrages,
c’est de mon propre sang que je teindrai les murs
mon sang hanté de l’âme neuve des lecteurs du ciel.
Alain Borne, Contre-feu, Cahiers du Rhône, 1942
Kate Tempest – Ballade pour un heros – ( War music )

peinture M Gromaire
Ton papa est soldat, mon petit
Ton papa est parti à la guerre,
Ses mains fermes tiennent son arme,
Il vise précis et sûr.
.
Ton papa est dans le désert maintenant,
L’obscurité et la poussière,
Il se bat pour son pays, oui,
Il le fait pour nous.
.
Mais ton papa va bientôt rentrer à la maison,
Dans pas longtemps il sera là,
Je te mettrai ta plus belle chemise
Pour aller le chercher sur le quai.
.
Il te portera sur ses épaules et
Tu chanteras, tu applaudiras, tu riras,
Je le tiendrai par la taille,
Et je l’aurai enfin tout près de moi.
.
Ton père n’a plus quitté la maison,
Ton père ne se brosse pas les dents,
Ton père est toujours en colère,
Et la nuit, il ne dort pas.
.
Il fait sans cesse des cauchemars,
Et il semble faible et épuisé,
Oui, j’ai tenté de le soutenir, mais
On se parle à peine.
.
Il ne sait pas quoi me dire,
Il ne sait pas comment le dire,
Toutes ses médailles pour sa bravoure,
Il veut juste les oublier.
.
Il boit plus que jamais, mon fils,
Avant, il ne pleurait jamais. Mais maintenant,
Je me réveille la nuit et je le sens
Qui tremble à côté de moi.
.
Il m’a enfin parlé mon fils !
Il s’est tourné vers moi en larmes,
Je l’ai serré contre moi et j’ai embrassé son visage
J’ai demandé ce qu’il craignait.
.
Il a dit qu’il fait toujours plus sombre,
Quelque chose n’a pas disparu,
Il dit qu’il le comprend bien mieux
Maintenant que sable et fumée se sont dissipés.
.
Il y avait ce gosse qu’il avait appris à connaître,
Un jeune d’à peine dix-huit ans,
Brillant et gentil, il s’appelait Joe,
Il tenait son fusil bien propre.
.
Sa petite amie attendait un bébé,
Joe aimait plaisanter et rire,
Joe marchait devant ton paternel,
En patrouille sur un chemin.
.
Tout était calme jusqu’à
ce qu’ils entendent l’explosion.
L’homme qui a marché devant Joe
A été complètement soufflé.
.
Des éclats d’obus ont frappé Joe au visage,
Arraché les deux yeux à la fois,
La dernière chose qu’ils aient vue
C’est l’homme qui était devant :
.
Membres et chair et os et sang,
Déchiquetés, éparpillés,
Et après cela – juste la nuit.
Le goût, la puanteur, le bruit.
.
Je te dis ça mon fils parce que
Je sais comment tu seras,
Dès que tu seras assez grand
Tu voudras aller te battre
.
Qu’importe la bataille où tu t’engageras,
Tu donneras ton sang, tes os,
Pas au nom du bien ou du mal –
Mais au nom de ta patrie.
.
Ton père croit au combat.
Il se bat pour toi et moi,
Mais les hommes qui envoient les armées
Ne l’entendront jamais pleurer.
.
Je ne soutiens pas la guerre mon fils,
Je ne crois pas que ce soit juste,
Mais je soutiens les soldats qui
Partent en guerre pour combattre.
.
Des troupes comme ton papa, mon fils,
Des soldats jusqu’au fond de l’âme,
Portant fièrement leur uniforme,
Et faisant ce qu’on leur commande.
.
Quand tu seras grand, ma petit, mon amour,
S’il te plaît, ne pars pas à la guerre,
Mais combats les hommes qui les décident
Ou combats une cause qui est la tienne.
.
Cela semble si plein d’honneur, oui,
Si vaillant, si courageux,
Mais les hommes qui envoient à la guerre
Le font au nom de l’or
.
Ou vous envoie pour du pétrole,
Et nous raconte que c’est pour notre pays
Mais les hommes rentrent comme papa,
Et passent leurs journées à boire.
–
traduction M Bertoncini dans « jeudi des mots »
une musique lancinante qui a quelque chose à dire…et qui retrouve une certaine actualité ( en faisant le pont entre le souvenir de la guerre de 14, finalement assez peu évoquée ces derniers temps juste après le 11 novembre…, et l’actualité ukrainienne…………………………….sans parler des autres… )
Georges Castera – Accent circonflexe sur le A –

Salvador Dali – Figura de perfil
.
Je sortais quelquefois de la blessure
ouverte de la mer
telle la dernière minute de ton regard
vers les paroles invisibles
qu’on ne peut toucher du doigt
matière tambourinante des rêves
dont les notes sont de grandes cages
d’oiseaux
où toutes nos mémoires
sont sur la plus haute tige
dans le silence mal ponctué
la première porte qui s’ouvre
c’est ton corps
embué dans sa déclivité interminable.
.
Georges Castera ( Haïti 1936-2020 )
Actes Sud
Váno Krueger – témoin de trop d’ombres
pour Paulina Lavrova

montage RC
le champagne et les cerises je comprends
mais pourquoi y a-t-il un candélabre dans ta chambre ?
ce témoin de trop d’ombres déjà…
les flammes des bougies sont ongles sur les doigts—
hommes ardents dans les yeux
.
un zèbre dans la nuit c’est les rayons du soleil qui se lovent
rayures noir sur blanc
un zèbre le jour est l’obscurité de la nuit qui se love
rayures de soleil sur fond noir
.
Je me souviens
du cerisier au verger des Hetman
qu’un ami et moi dépouillions
il a été abattu
mais
l’arbre de celui qui a pris l’écorce pour sa peau
pousse toujours vert
trad. Marilyne Bertoncini
Váno Krueger est un poète ukrainien, – ce texte est issu du site » jeudi des mots »
Rafael Alberti – Laisse ton rêve

Laisse ton rêve.
Enroule-toi, blanche et nue,
dans ton drap. On t’attend là
derrière les murs du jardin.
Tes parents meurent, endormis.
Laisse ton rêve.
Vite, allons, vite.
Les murs franchis, on t’attend avec un couteau.
Repars chez toi, presse le pas.
Laisse ton rêve.
Vite, allons, vite.
Dans la chambre de tes parents
entre, nue et blanche, en silence.
Cours vite, vite, jusqu’aux murs.
Laisse ton rêve.
Saute. Viens.
Quel rubis flambe dans tes mains
et brûle d’un feu noir ton drap?
Laisse ton rêve.
Vite, allons, vite….
Ferme les yeux et dors.
Rafael Alberti, Matin à terre, suivi de L’Amante / L’Aube de la giroflée (coll. Poésie/Gallimard, 2012)
traduit de l’espagnol par Claude Couffon
Yehuda Amichai – Un long trajet

Qui ferme les yeux pendant un long trajet
la voiture roule en lui
et il devient le paysage
des deux côtés de la route
comme qui rêve
contient le rêve
et est contenu par lui.
L’été j’ai aperçu près de la mer
un bébé qui voyait la mer pour la première fois
et un vieillard qui la voyait pour la dernière fois
assis ensemble dans le sable
et ils avaient les yeux grands ouverts :
chacun sur un autre monde.
Perdu dans la grâce
(traduit par Emmanuel Moses
Gallimard 2006)
Sierra de Mudler – donner et recevoir
One day you’ll learn
how to give and receive love
like an open window
and it will feel like summer
every day.

Un jour tu apprendras
comment donner et recevoir l’amour
comme une fenêtre ouverte
cela sera la sensation de l’été
tous les jours.
Mario Benedetti – des mots qui n’existent plus

Combien de mots n’existent plus.
Le présent repas n’est pas la soupe.
L’eau qui reste ici n’est pas la mer.
Une aide c’est trop demander.
Il n’y a rien à vivre et il n’y a plus rien, sauf mourir, quand on m’enlève les mots .
Et pas de sauts à la corde, de mains qui ensemble se tiennent
, sourires, caresses, baisers.
Le lit de la maison est une lande imprononçable :le repos des mourants,
dans les spasmes agités, quand on sent que l’on vit encore.
Province d’Udine, Codroipo, le malade des deux poumons,
le pantalon trop large, le visage avec la peau sur les os,
le nez effilé , ce n’est pas quelque chose à raconter, ni les souvenirs.
Se savoir aride, se sentir aride…
Et je me dis, réalisez donc, n’ayez pas seulement vingt ans,
et une vie comme éternelle, pour juste me faire du mal.
( traduction « improbable de Google trad, » au mot à mot modifiée pour que cela soit plus compréhensible. )
texte issu du site une nouvelle poésie italienne.
Anthony Phelps – fleur-soleil

Au plus vert de la vie
ma voix est sur ta voix
et ta pensée double la mienne
Tu es ma meilleure part
le matin de mes yeux
Ma plus pure émotion
Et ton sourire est dans mon cœur
un talisman contre la peur
Passe le temps sans toi plus lent si vide
Pleuvent à tout instant les confettis du souvenir
et l’écho de tes mimes se profile en silhouette
sur le blanc de l’absence
Mon nénuphar ma fleur-soleil
mon oiseau-mouche aux ailes vibrantes
ton infini est ma limite
car ta vie contredit la mort
et je bénis le jour où nos yeux s’allumèrent •