voir l'art autrement – en relation avec les textes

fine arts

Patrick Cauvin – huit jours en été – extr 1


peinture Gérard Schlosser  » avec un autre » 2013

En tout cas, c’est fini pour les méditations, je n’ai plus
qu’à m’équiper joyeusement et les rejoindre.
Enfilade du premier maillot de bain.
J’ai l’approximative couleur de l’endive de saison.
Bien sûr, je vais me tailler ma part de ricanements
au milieu des foules hâlées. Je me demande
comment les gens font, à croire qu’ils sont hâlés en
permanence, qu’ils passent leur vie dans des solariums
tandis que je pâlis sur les contrats d’assurance.
Ou alors il ne pleut que sur le XVIII è,
ensoleillement maximum sur le reste de la France…


Gérants de la fortune du roi – ( RC )


peinture G Rouault – Ubu Roi.

Le roi chantait nos louanges
en négociant notre chair contre notre salut
car tout l’or du monde affluait,
se convertissait en papier monnaie.

Nous étions gérants d’une fortune
qui se compte en places réservées
pour être au premier rang au paradis,
plus près de l’arc-en-ciel.

Froides banquises et coffres-forts,
nous comptions les liasses,
et l’argent se figeait entre nos doigts,
graissant la patte à Saint-Pierre.

Nous nous sommes battus pour le conserver,
mais les financiers en voulaient toujours plus,
et le roi nous a fait embastiller.
Nous n’avons vu du ciel que la découpe.

à travers la lucarne étroite de notre cachot.
Alors nous avons su que les prières
n’arrivent pas jusqu’à l’ombre,
et qu’en fait c’était l’enfer qui nous était promis.


Marceline Desbordes-Valmore – Le beau jour


J’eus en ma vie un si beau jour,
Qu’il éclaire encore mon âme.
Sur mes nuits il répand sa flamme ;
Il était tout brillant d’amour,
Ce jour plus beau qu’un autre jour ;
Partout, je lui donne un sourire,
Mêlé de joie et de langueur ;
C’est encor lui que je respire,
C’est l’air pur qui nourrit mon coeur.

Ah ! que je vis dans ses rayons,
Une image riante et claire ?
Qu’elle était faite pour me plaire !
Qu’elle apporta d’illusions,
Au milieu de ses doux rayons !
L’instinct, plus prompt que la pensée,
Me dit : « Le voilà ton vainqueur. »
Et la vive image empressée,
Passa de mes yeux à mon cœur.

Quand je l’emporte au fond des bois,
Hélas ! qu’elle m’y trouble encore :
Que je l’aime ! que je l’adore !
Comme elle fait trembler ma voix
Quand je l’emporte au fond des bois !
J’entends son nom, je vois ses charmes,
Dans l’eau qui roule avec lenteur ;
Et j’y laisse tomber les larmes,
Dont l’amour a baigné mon cœur.


Marcel Migozzi – affleure la souche


peinture Eugène Jansson

Contre le muret sans passage :
cet espace récent, de malaise.


Le pin y est mort. Affleure
encore la souche
qui ne possède plus que la terre.

Certains soirs,
au-dessus de ce vide,
le ciel immobile, je suffoque.

Je ne dis rien à ma famille.


François-Xavier Maigre – les dimanches


J’ai longtemps détesté les dimanches

je les tuais en écrivant
je les piétinais sans savoir

 aujourd’hui
 
je te regarde grandir
et le temps nous manque.

peinture Bela Kadar

Marine Giangregorio – la songeuse


peinture – détail de? peut-être Rubens

Restait la songeuse
la songeuse et ses méandres
son apesanteur
un
goutte à goutte dans le temps

belle évanescente, tendez-moi encore vos mains gantées de satin blanc
étourdissez-moi de votre souffle langoureux
je me veux aussi songeuse que vous
éperdument trouble et silencieuse


Un intérieur à la Vuillard – ( RC )


peinture E Vuillard – Misa au piano 1898

Je vois encore un intérieur,
où les couleurs papillonnent,
d’ocres et de gris,
j’imagine le parfum des lilas
parmi les ors
du soir qui se fane
auprès de la fenêtre.
La musique qui l’accompagne,
comme une traverse embaumée :
c’est « la Pavane pour une infante défunte »
à laquelle je pense .

Des sourires flottent
parmi les silences,
alors que s’égrènent
les dernières mesures au clavier.
J’ai le souvenir des mains qui dansent,
s’envolent, puis se posent
après que la mélodie se soit achevée,
puis la lumière, doucement s’éteint
comme dans un tableau de Vuillard.
Son chemin s’égare
dans les motifs de la tapisserie.
Je me rappelle de la lampe à pétrole,
qu’on allume en fin de soirée,
posée sur le guéridon,
à côté du piano…


Je reconnais les cavaliers de l’Apocalypse – ( RC )


enluminure : vue de la partie supérieure d’une des pages du manuscrit du Beatus de Liébana – Codex de Ferdinand Ier et doña Sancha – Espagne – (art roman, date soumise à caution ) la totalité peut être vue à cette page

Tiens je les connais ceux-là,
les cavaliers de l’ Apocalypse
sur fond orangé.
Il n’arrêtent pas de courir de ci, de là,
se croisent mais ne se regardent pas,
même les jours de totale éclipse.
C’est comme deux équipes qui se rencontrent:
qu’il faut reconnaître sur le terrain :
c’est ainsi que le peintre nous les montre:
à chacune sa couleur et son fond de teint !
Le maillot jaune du Tour de France
avant que chacun s’élance,
le maillot à rayures
conforme aux Ecritures !

Pour l’instant tout est à peu près normal
même si les chevaux ont l’haleine un peu chargée:
de leur gueule quelques flammes et de la fumée,
mais leur queue porte des êtres plus que pâles
qu’on aurait imaginés plutôt noirs ou roses…
Ils semblent tenus par un cordon ombilical
et ont tendance à préférer l’horizontale:
c’est quand même une drôle de chose:
on se sait pas qui va l’emporter:

chacun a ses supporters
pour semer la panique sur la terre
d’ailleurs sous le cheval noir, on voit un petit pied
qui s’enfonce de façon irrémédiable
dans le bas de la page:
c’est sans doute un présage
car le choc semble inévitable
du fait que les bêtes ont maintenant les pattes croisées
( je suis sûr que vous ne l’aviez pas observé ! )…

je prévois bientôt la fin du combat !
Et que deviendront alors les innocents blancs
que l’on a privé de leur sang ?
Il est encore temps de miser sur l’espoir
contre le cheval noir !
Non, ce n’est pas votre cas ?
dans mille ans il sera trop tard
pour me faire signe
on aura interdit les paris en ligne
dans les versets de la Bible
et les imprécations qui s’égarent
ça c’était prévisible !

pour le guide illustré de l’Apocalypse, voir


Mots suivant le chemin d’avant – ( RC )


montage Viki Olner

En avance sur le chemin d’après,

les mots dansent et se répondent.

Mais nul ne peut les saisir:

ils glissent comme grains de sable

accumulés par un souffle de vent.

Ils sont sans apprêt,

légers, pourtant

portés par l’écho,

plus légers que ces cailloux qu’on sème,

avec l’espoir qu’ils repoussent,

deviennent falaises ou montagnes.

Si les mots se répondent et s’assemblent

c’est d’abord qu’ils s’aiment

tout autant

que si on suivait le chemin d’avant.

ce texte est une « réponse » à un de ceux d’ Elisa Ka – ———février 2023


Double portrait de Clive Barker – ( RC )


peinture – deux portraits de Clive Barker par Francis Bacon

Si un jour, tu croises dans la rue
l’artiste dont tout le monde parle
tu n’oseras pas lui dire
que ton regard s’est égaré dans les recoins,
pour chercher des symboles
effacés d’un coup de chiffon.

Ses toiles sont les plus chères du monde,
mais tu ne te verrais pas
associé aux portraits de Clive Barker,
que tu ne connais que de nom,
– et puis il lui manque un coin de la tête,
et ses yeux restent flous
derrière d’épaisses lunettes -.

Sans doute vaut-il mieux le connaître,
à travers ses « livres de sang »,
mais il faudrait affronter les démons
ou les serpents d’eau
du maître des illusions.

Au royaume des devins
l’avenir est la loi.
Le visage de l’écrivain
dépose sa trace sur la toile,
comme si c’était le Saint Suaire.

S’apprêterait il à parler,
un coup de brosse
du peintre l’en empêche.

Il restera mutique en prenant petit à petit
les couleurs froides
d’un jambon avarié
auquel on ne demande jamais
de s’exprimer sur son passé.


Alda Merini – dans les ombres du sommeil


gravure Gustave Doré ( de l’enfer de Dante )

Tu es entrée dans les ombres du sommeil
un jour
et tu y as reconnu mon visage exsangue
aligné aux autres sur l’aire du sacrifice.
avec la torche de ton savoir.

Tu as éclairé les ombres de l’enfer.
toi, mère immaculée et triste
pour qui les jours ont été
comme autant de fils
.


Daphnis et Chloé échappés d’une planète – ( RC )


lithographie Marc Chagall de la suite « Daphnis et Chloe »

Un couple ailé s’est échappé de l’une d’entre elles,
faisant face à un oiseau qui tenait dans son bec
une sorte de grappe.
Un soleil imitant une fleur
a ouvert ses pétales jaunes
nourrissant la terre de sa chaleur.

Avec l’arrivée du soir l’une des planètes
a dû se poser sur l’horizon,
car les couleurs ont changé :
du vert et du mauve se sont emparés des collines,

les routes se sont dissoutes
les arbres ont bleui,
des temples ont basculé,
et même une chèvre s’est envolée,
désireuse de répondre à l’appel des êtres ailés,

juste avant que les pétales
ne se referment
sur un tiède crépuscule
précédant la nuit.


Ludovic Massé – la terre du liège ( extrait )


estampe chinoise musée Guimet Paris

Tout au long de ces années d’exil, j’appris peu dans les livres,
seulement de quoi ne pas être vaincu aux examens,
mais la petite jungle où je pataugeais, parmi une faune sans griffe ni crinière,
ensauvagea plus encore mon caractère et mes sentiments,
m’immunisa pour toujours contre les tentations et les ambitions dérisoires.

Profit unique, vraie richesse engrangée d’une âme goulue,
sagesse surgie de l’instinct, privilège providentiel qui m’a permis de vivre
avec plus de joie que de résignation.
Comme on l’imagine, j’emportais toute ma vie passée avec moi, contre moi,
jour et nuit, sans jamais la lâcher, la compromettre d’une distraction ou d’une lâcheté.

Quoiqu’il advint, j’étais sûr de trouver la paix dans mes refuges.
Aux heures les plus absorbantes, les plus périlleuses de ma vie d’étudiant,
je m’évadais irrésistiblement des maquis du savoir pour me retremper
dans ceux de la nature. Cependant qu’on me rivait des chaînes,
je galopais dans les montagnes ; mon âme débordait d’arbres et de fleurs.


Alicia Galienne – Nous nous noyons de fleurs grandissantes et vulnérables


Isoler tes lèvres
Les fleurs nouvelles

Et tes grands yeux d’eau
Qui vont la nuit sur les toits
Cueillir d’autres fleurs
Promener les champs de nuit

Isoler tes regards
Les cacher sans malice
Lorsque tu baisses les yeux
Sur moi sur nous

Nous marchons les fleurs
Sans trop nous approcher des fenêtres
Vacantes d’espace
Et les toits remplis de pluie
Se vernissent de lune

Je n’ai jamais eu de souliers vernis
« L’amour est enfant de bohème »
Et je danse pieds nus
Ruisselantes les ardoises du ciel
Et toutes les fleurs nouvelles
Amène-moi dans ta bouche de pluie
Boire les lacs sucrés
Qui s’en vont dérisoires
Au-delà de mes cheveux
Nous nous noyons de fleurs
Grandissantes et vulnérables
Sur des murs rampants
Comme des astres
Tu m’envoies
Chaque jour davantage
Tu m’en voles
Par centaines de fois
C’est la danse aux fleurs
Au-dessus des toits navigués
Isoler tes gestes dans l’air
Pour te répéter lorsque tu manques
Au petit matin

extrait de «  » l’Autre moitié du songe m’appartient  » ( ed Sophie Noleau )


Nicolas Jaen – le coing propose une joue d’ombre à l’apprenti


peinture Andy Demzler

Il pourrait le dire, en haut-allemand, ou en noroît :
Le vent souffle, la cendre dans les hangars, le bel orage oui
Les morts déplacent des pierres des chantiers le H pour fenêtre d’hôpital
Où la lumière fait une flaque au pied de personne avant de se retirer,
Où les rideaux évoquent théâtre chauffé, lit, drame, jouent des scènes
Furtives au toucher qu’est la main retrouvée.
(La pourriture du coing propose une joue d’ombre à l’apprenti au pinceau
Le trait de la lame écrit en sang sur la pulpe du doigt la dominante)
etc. Les peaux de raisins de poires le jus des pommes épandus.
Dans la galette, le pois cassé, le salsifis, l’iris troublé :
le temps s’étire comme un chat, je jeûne au festin ô
L’œil nid de palombes
L’ombre, enfoncée, dans le mur signe une proximité – et une absence.
Les thèmes de l’air et de l’eau sont les voisinages du vide

  • les fonds, le bleu du ciel, et dessous une maison qui penche, qui a faim.
    Un siècle qu’elle n’a pas bougé d’un ciel.
    On chiffrera plus tard mes études, on me verra copiste.
    L’ange attendra comme pierre, comme saule, et il y a pleurs dans peupliers
    Le temps efface les mains Une craie s’est brisée en écrivant le mot
    « père » sur le tableau noir de l’école L’écolier persiste sous le cœur.

Au teint de vieux noir et blanc.
( Oui j’ai de la chapelle de l’hôpital des poussières d’hosties encore dans la gorge.)
On lavera au sang. On ouvrira nos écorchures.
On se baignera en nous.
Et l’ange frappera. Par sa nervosité.
Son œil boira les couleurs.
À peine recommencées. Esquives.
Et coups bas. Oui, la folie reprisée. D’avoir a consumer d’êtres l’urne, lente, fourragée, d’éternité.
(Oui j’étais la pierre la dune le sable le soleil)

Nicolas Jaen ( texte paru dans la revue « Décharge » )


Mireille Podchlebnik – Passante


peinture : Markus Lupertz musée d’art moderne de Paris

Je ne suis que passante

La passante du rêve

La passante d’un soir

La passante du désespoir

Sur la feuille volante

J’existe et je n’existe pas

L’écriture s’efface sans laisser de traces

Comme un écho à travers le temps

Illusion

Je partirai un jour à pas de loup sur le chemin.

—————

( texte de 2008 extrait de la revue « Comme en >Poésie »


Trop lourd, pour que je reste debout, à la surface du monde – ( RC )


gravure sur bois Lynd Ward

Le poids de ma tête est trop lourd
pour que je reste debout,
à la surface du monde.
Je le creuse avec les dents,
la face contre terre,
et il m’arrive de trouver,
quand je dévisse un membre,
mon double, sculpté dans le bois,
par ces racines revêches,
qui ont fini par absorber mon sang.


C’est ainsi que ma vue s’est brouillée,
sans doute à cause de la poussière,
qui, elle aussi encombre mon esprit.
Je ne pense qu’aux temps,
où, trop léger sans doute,
je planais à quelques mètres
au-dessus du sol.
Composé de plusieurs parties
prévues pour s’emboîter,
il a fallu les rassembler.


J’étais à la recherche de la pièce manquante,
qu’on déniche par inadvertance :
un visage à modeler,
qui, maintenant que j’y pense,
offre une certaine ressemblance
à celui qui me fait face et me regarde,
dans le dédale des racines .


Le poids de ma tête est trop lourd  :
je ne peux que supposer
que trop d’années l’ont plombée :
le jour se confond avec la nuit,
et je ne peux saisir aucune de ces lueurs,
enfouies dans la terre.


Je ne peux que les imaginer…
car, si j’y voyais encore,
je verrais croître les arbres
se nourrissant de morceaux d’étoiles.
La mienne doit être quelque part,
car un jour je l’ai perdue…


variations en bleu et vert ( chez Whistler ) – ( RC )


W A Whistler – variations en bleu et de vert 1868

C’est peut-être une fin d’été. devant la mer
Quatre femmes sont les actrices
d’une peinture de Whistler: presque une esquisse
peinte à grands traits rapides.
Sous un ciel paisible et lisse,
une brise s’élève à peine :
c’est une symphonie de bleus et de verts
devant une eau claire et limpide,
où rien ne bouge…


Le personnage de gauche marche lentement.
On le dirait sorti d’une fresque romaine
ses voiles jouent avec le vent.
A côté de cette femme
se tiennent deux dames
habillées de bleu et vert, également
avec quelques notes de rouge.
L’une d’elles tient un éventail.
Le peintre n’a précisé aucun détail…
Elles entourent le personnage principal
à la position centrale,
le regard perdu dans le lointain
assise, avec un geste de la main.


On ignore ce qui les réunit ici,
s’il y a une maîtresse et des servantes ;
elles se fondent dans le calme et l’harmonie.
On s’attendrait à une fête galante,
sans fioriture inutile
au retour d’Ulysse dans sa patrie,
un vaisseau que l’on devinerait entre deux îles:
—- on ne saura rien de la suite
du tableau, le regard se perd au-delà de ses limites…


Nous écoutons cette cantate (RC ) – Que le monde soit ( SD )


retable Chartreuse de la Sainte-Trinité de Champmol  ( Dijon )

Je t’ai vue à travers la musique .
Tu dansais comme dans toi-même
au son de ces voix,
habillées de pourpre,
et qui s’élevaient
jusqu’aux voûtes,
donnant un peu de chaleur
aux âmes qui ont froid,
dans le parcours des leçons de Ténèbres,
où l’on mouche les chandelles
une à une, jusqu’à ce que
l’obscurité pèse
son poids de silence .

Je t’ai vue à travers la musique ,
tu étais loin, mais proche pourtant ,
tu avais tracé mon nom sur le carreau de la vitre,
et nous écoutions la même cantate,
comme si je te tenais la main
et, les yeux fermés,
les harmonies se croisant ,
offraient au jour naissant ,
la lumière vibrant ,
avec l’avènement d’un monde,
celui que l’on ne peut décrire
ni en images ni à l’aide de mots .

René C – septembre 2018

variation sur " que le monde soit ( SD )

-------

Que le monde soit…
comme je le veux
comme je l’ai pris    enfanté  au matin
les  yeux ouverts
 
La lumière s’y déployait si blanche
avant que la couleur l’inonde,
 

ainsi l’orgue  conduit la voix  -                                                                                       
la liturgie du jour à venir  était blonde
et me parlait de toi.
 
J’ai effacé un peu de buée à la fenêtre
et sur le carreau froid tracé ton nom
dessiné un peut-être
 
Le jour venait de naitre
limpide et pur, oratorio vibrant
une césure    avant que le ciel ne bascule
vers son avènement
dans une orgie d’ors et de cuivres                                                                        
 
Je ne sais  s’il était d’une étoffe
dont on peut se vêtir
comme l’aube de lin des retables                         
ou la pourpre ardente des rois                                                                             
 
s’il fallait  le poursuivre dans sa marche solaire
au-delà du beffroi  qui claironnait les  heures
 
et l’aurais-je cherché dans le sel ou le sable                                              
comme le vent façonne la dune instable                                        
quand il glissait vers toi  en éclaireur
 
 
Le  monde s’offrait à moi
par un matin de fin d’été
et je m’en suis saisie les yeux fermés.

SD

José-Maria Alvarez – Le fruit d’or, lointain


Pour Carme Riera,

Les nuits où brille la lune
je me promène dans mes jardins
sur le port, je contemple les étoiles
et la mer calme.
Ah comme elle me rappelle Alexandrie,
l’air apporte les mêmes
arômes et la même fraîcheur,
et parfois j’imagine que sous mes yeux
ce sont ses rues joyeuses qui dorment.
Que sera devenu Phila ? Qui jouira cette nuit
de son corps que je désirai tant ?
Mon cœur est encore ouvert
à sa grâce adolescente,
je peux encore sentir sa bouche sur mon corps,
ses attitudes infantiles,
la musique de ses bracelets résonne encore
à mes oreilles et console mes nuits.
Pourquoi accepter qu’elle aura,
comme moi, vieilli?
Ni les dieux, ni la nuit ne la ramèneront.
Mais elle vit dans ma rêverie,
je peux en elle retenir ces heures-là.
Et fixer pour toujours dans mes vers
l’éclat de son corps presque impubère.

  • extrait d’une parution dans la revue Apulée _2016

Dominique Le Buhan – l’histoire continue des saisons


peinture Arkhip Kuindzhi

Le gris du jour, de la nuit le clair-obscur
s’unissent en l’histoire continue des saisons :
au revers de l’action, c’est être patience
que d’éprouver des heures durant leur cours :
c’est attendre de l’objet l’ombre au soleil,
savoir qu’à ce moment la chair aura l’éclat —
c’est espérer de la flamme la crue des couleurs
liées à des textures perçues sans les toucher.

Ce feu sécrète en nous le ductile espace
par les jeux du bois sec et de la cendre —
et déjà la rose d’hiver donne le blanc,
blanc repris par fleurs qui percent la neige,
puis la tulipe à son tour est la fraîcheur,
la rose avive la brique et le bleu de l’ardoise,
enfin la pivoine de son rouge touche le vert —
et le bruit de nos mots est un murmure sonore.

extrait des « heures inégales » ed Fata Morgana


Tableau d’anatomie comparée – ( RC )


collage Frederick Sommer

Férus d’anatomie,
complétez votre tableau,
en disposant comme ici
des éléments fleuris
tout à votre avantage :
on découpera le cerveau
pour faire plus joli,
quelques glandes accessoires
à l’aspect mat.

Epinglées avec habileté
dans votre collage,
pouvant s’exposer
sur un fond noir :
couleurs délicates
avec dominante nacrée :
d’autres paraîtront bien plus belles
que les morceaux
encore tout chauds
et les autres organes
dont on ne détectera pas la panne.

Ces éléments non identifiés –
sont maintenant à l’état de choses
découpées par le scalpel…
Certains gardent leur aspect rose
entrant dans une composition
des plus élaborée
résultat de la dissection,
à conserver dans le formol
et une bonne dose d’alcool

( ingrédients de base,
comme il est d’usage,
dans le cabinet de curiosités)…


le jardin de mon poème – ( RC )


peinture Otto Müller

Reconnaîtrais-tu ce jardin,
maintenant abandonné,
laissé à lui-même
alors que débordent les branches
du saule, que tu as connu
jeune encore, devant la maison?

Les heures de l’hiver
viendront tuer les fleurs,
arracher les feuilles
du chêne encore debout,
mais tu reconnaîtras le jardin de mon poème,
auquel subsistent quelques vers…


Constantin Cavafis – Je m’en suis allé


montage RC

J’ai ignoré toute entrave. Je m’en suis allé.
Je suis parti vers la nuit illuminée
aux jouissances moitié réelles,
moitié issues de mon imagination.
Et j’ai bu des vins forts, tels
que n’en boivent que ceux
qui ne craignent pas la volupté.


Au-delà des fenêtres – ( RC )


Peinture Andrew Wyeth

Personne ne convoite l’hiver.
Lui se cantonne sous tes fenêtres,
et ton royaume est étanche.

Il y a de ces frontières
qui dépassent les saisons,
amidonnées de givre et de silence.

Il faudra bien cependant un jour
sortir de ta bulle
pour affronter l’avenir.

L’enfance s’est rétrécie toute seule,
et tu l’a perdue de vue,
pourtant tu n’as pas froid

Car insensiblement tout s’est transformé,
et la vie, dans son royaume , s’étend
bien au-delà des fenêtres .


L’homme qui marche est LE mouvement – ( RC )


Sculpture – Giacometti – l’homme qui marche

L’homme qui marche file :
en interprétant la sculpture,
on ne se fie qu’à son allure
traversant la terre aride.
Il distribue les heures vides
en allongeant le pas.


Il l’allonge tant, que les pieds
ont leur poids de présence.
Il faut marcher, marcher toujours
et peut-être ne pas laisser de traces…

Ailé comme la victoire de Samothrace,
l’homme s’est fixé une destination,
but ultime de son parcours,
mais on ne la connaît pas…

Le corps paraît porté
par son déplacement régulier.
Les bras sont plus légers,
ils pourraient tomber
ou devenir des ailes.

( poids superflu de métal,
même de bronze patiné)
on ne va pas s’encombrer,
une vie entière
à porter ces bras de pierre …

Ainsi la flèche de l’archer
une fois décochée,
prend plus d’importance
que la cible, malgré la distance.

Le corps en déplacement
est toujours LE mouvement .


.sculpture Rodin : l’homme qui marche

RC


Ogden Nash – Mariez vous toujours à une fille d’Avril


peinture Dorothea Tanning

Louez les sortilèges, bénissez les charmes,

j’ai trouvé Avril dans mes bras.

Avril doré, Avril nuageux,

Gracieux, cruel, tendre et frondeur;

Le doux avril en langueur fleurie,

Le froid avril à la soudaine colère,

toujours changeant, toujours sincère –

J’aime Avril, je t’aime.

extrait du blog poésie et racbouni