Alda Merini – l’hystérique

J’ai aimé tendrement de très doux amants
sans que jamais ils n’en sachent rien.
Et sur eux j’ai tissé des toiles d’araignée
et je fus la proie de ma propre matière.
Il y avait en moi l’âme de la catin
de la sainte, de la sanguinaire et de l’hypocrite.
Beaucoup ont donné un nom
à ma façon de vivre
et je fus seulement une hystérique.
Alda Merini – la notte
La chose la plus magnifique est la nuit
quand tombent les dernières épouvantes
et que l’âme se lance à l’aventure.
Lui se tait en ton sein
comme résorbé par le sang
qui prend enfin la couleur de Dieu
et toi tu pries pour qu’il se taise à jamais
pour ne pas l’entendre telle une plénitude fixe
jusqu’à l’intérieur des murs.
–
La cosa più superba è la notte
quando cadono gli ultimi spaventi
e l’anima si getta all’avventura.
Lui tace nel tuo grembo
come riassorbito dal sangue
che finalmente si colora di Dio
e tu preghi che taccia per sempre
per non sentirlo come un rigoglio fisso
fin dentro le pareti.
Lucio Mariani – Echec et mat
11 septembre 2001
Je suis né à Rockaway, non loin de Brooklyn, sur un morceau de terre qui ressemble à un grand doigt pointé vers l’Atlantique.
Je ne me souviens pas qu’une femme ait entouré d’amour mon enfance et mes premiers émerveillements.
Mais c’était beau de grandir derrière une haie, avec l’océan dans les yeux chaque jour, aussi beau que de débusquer dans le visage italien de mon père un orgueil mal dissimulé, le jour où je revins à la maison avec mon premier salaire de comptable.
Il voulut faire une partie d’échecs, et le temps de fumer deux cigarettes, lui coup de la tour, un coup de la reine,
Il se laissa battre sans appel. Il en tira la conclusion qu’ il me fallait toujours prendre garde aux tours, « Dangereuses », avait dit mon vieux d’un air grave et moi, souriant,
Je me souvenais de son propos en ce mardi 11 septembre, tandis que je me hâtais de rejoindre mon bureau à Manhattan.
Et je peux reconnaître le bien-fondé de son conseil maintenant que je suis poussière dispersée par un éclair obscène, poudre abandonnée parmi d’autres poudres, matière décomposée sous un trottoir détruit, près d’une feuille où mon père ne pourra jamais me trouver, ne serait-ce que pour tenir cette main avec laquelle je jouais aux échecs.
J’étais de Rockaway Et je n’ai connu ni l’amour ni le réconfort des femmes : qu’une femme vienne, maintenant, et qu’elle demande aux iris blancs de fleurir au milieu de mon nom disparu, effacé.
Alda Merini – en contact avec la chair du monde
sculpture – Musée Gulbenkian – Lisbonne
J’aime les gens qui savent écouter le vent sur leur peau,
sentir les odeurs des choses, en capturer l’âme.
Ceux qui ont la chair en contact avec la chair du monde.
Parce que, là, il y a de la vérité, il y a de la sensibilité,
parce que, là, il y a encore de l’amour « . –
–
Alda Merini – née le vingt-et-un au printemps
peinture D Rossetti – détail – Proserpine
Je suis née le vingt-et-un au printemps
mais je ne savais pas que naître folle,
ouvrir les mottes
pouvait déchaîner la tempête.
Ainsi Proserpine légère
voit pleuvoir sur les herbes,
sur les gros épis gentils
et pleure toujours le soir.
C’est peut-être sa prière.
(de Vuoto d’amore, Il volume del canto)
Erri de Luca – la brebis brune
photo denvedarvro ( écomusée du musée de Rennes )
La brebis brune
Est la première agressée par l’éclair et le loup,
le tour de mauvaise chance qui gâte la couleur uniforme
du blanc troupeau.
Le jour la chasse, la nuit l’accueille
dans le noir térébenthine qui dissout couleurs et contours
et fait qu’elle ressemble aux autres.
La nuit est plus juste que le jour.
Face au danger le cri le plus limpide est le sien,
sur la glace de l’aube c’est elle qui marque la trace.
Où passent les confins, elle seule longe la haie de mures
Qui fait frontière à la vie frénétique, féroce, qui ne donne répit.
—
La pecora bruna
È la prima aggredita dal lampo e dal lupo,
lo scherzo di mala fortuna che guasta il colore uniforme
del bianco di gregge.
Il giorno la scaccia, la notte l’accoglie
nel buio d’acqua ragia che scioglie colore e contorno
e fa che assomigli alle altre.
La notte è più giusta del giorno.
In faccia al pericolo il grido più limpido è il suo,
sul ghiaccio dell’ alba la traccia è battuta da lei.
Dove corre il confine, lei sola rasenta la siepe di more,
e chi si è smarrito si tiene al di qua della pecora bruna,
che fa da frontiera alla vita veloce, feroce, che tregua non dà.
———-
traduction par Antonio Silvestrone : voir son site
Maurizio Cucchi – Vies particulaires (extrait)

Raymond Rochette – coulée aux aciéries
Faisons en sorte cependant
que tout devienne doux,
intime, familier, affable,
même dans les gestes du crève-cœur
Cela te dérangeait cette ferveur bruyante
de l’atelier, ce grand désordre de fer en barre, en coins, en tôles,
réservoirs, axes, engrenages, manivelles,
marmites surtout, et combinaisons d’ouvriers
jeunes, sales de suie et de plâtre
et les montagnes de débris rouillés.
Si tu avais vu au contraire, comme dans l ‘album
d’images, la noblesse du fer
jeune, éblouissant. Le fer rouge
de feu ou blanc incandescent, le fer
noir froid, et un goût fort
(le fer, une odeur âpre
de fer…
Vies particulaires
traduction Bernard Vanel
le bousquet-labarthe éditions
Maria Grazia CALANDRONE – Chanson
Odilon Redon ( Tête d’enfant avec fleurs)
Je chante pour que tu reviennes
quand je chante
je chante pour que tu traverses tous les jours
des milliers de solitudes
pour essuyer mes larmes.
Mais j’ai honte de te demander tant
et je cesse mon chant.
Je chante et je suis léger
comme une fleur de tilleul
je chante et je m’assieds vraiment
là où je m’étonne :
au début du monde
il y a l’ombre blanche des premières roses
qui ne sont plus amères
parce que je chante et je te vois revenir
comme reviennent les choses sur le rivage :
sans passé,
avec la poitrine lavée
par la mer.
Voilà !,
tu montes les escaliers comme un petit garçon
qui fait tomber de ses cils une couronne de sel,
donne deux coups d’index
à la porte, s’agenouille
à la hâte, en hâte
dit : « Viens !,
je t’emmène à la mer » et me sourit, de sa stature
de grésil et de roses, de sa gaze d’âme sauvée
des petites choses.
Par sa bouche blanche le monde rit
et rient les choses
transparentes du ciel
si, en se tournant à peine
par pudeur, il dit : « Tu vois, je n’ai plus peur »
comme en parlant à une ombre évaporée
dans l’innocence
calme des genêts, à un souffle de roses
envolé par les fenêtres
ouvertes
jusqu’aux fondations.
Ainsi tu me laisses à découvert privé
de poids. Et alors je chante
d’être assis
dans le vif, tout l’amour privé,
pour que ne s’arrête pas
la présence parfaite
de qui n’a pas de poids
mais c’est sans volonté, sans décombres, sans l’avènement
de la matière
la poussière seule tend à la lumière.
Canzone
Canto perché ritorni
quando canto
canto perché attraversi tutti i giorni
miglia di solitudine
per asciugarmi il pianto.
Ma ho vergogna di chiederti tanto
e smetto il canto.
Canto e sono leggero
come un fiore di tiglio
canto e siedo davvero
dove mi meraviglio:
all’inizio del mondo
c’è l’ombra bianca delle prime rose
che non sono più amare
perché canto e ti vedo tornare
come tornano a riva le cose:
senza passato,
con il petto lavato
dal mare.
Ecco !,
sali le scale come un ragazzino
che scrolla dalle ciglia una corona di sale,
dà due beccate d’indice
alla porta, s’inginocchia
in fretta, in fretta
dice: “Vieni !,
ti porto al mare” e mi sorride, dalla sua statura
di nevischio e di rose, dalla sua garza d’anima salvata
dalle piccole cose.
Dalla sua bocca bianca ride il mondo
e ridono le cose
trasparenti del cielo
se, girandosi appena
per pudore, dice: “Lo vedi, non ho più paura”
come parlando a un’ombra evaporata
nell’innocenza
calma delle ginestre, a un fiatare di rose
andato via per le finestre
aperte
fino alle fondamenta.
Cosi mi lasci nell’aperto privo
di peso. E allora canto
lo stare seduti
nel vivo, tutto l’amore privo,
che non smetta
la presenza perfetta
di chi non pesa
ma è senza volontà, senza maceria, senza l’avvenimento
della materia
è solo polvere che tende alla luce.
Rome, 30 septembre 2010
Poème extrait de Le Bien moral, 2012.
Traduits par Claire Pellissier
Maria Luisa VEZZALI- yeux (occhi)
LE BA DANG, « Yeux », 2006
Yeux
qui ont papillonné
en moi comme des ailes sous-marines
qui ont vu le rouge pour la première fois
sans mot pour pouvoir le décrire
qui sont passés de la cécité à la vue
non l’inverse comme c’est inévitable
qui m’ont distinguée parmi les ombres
comme une fenêtre
qui cristallisent la lumière
dans le sérieux du jeu
qui savent se faire pierre, de tourbillon
de miroir
fermés dans le sommeil comme une friandise
à sucer
ouverts au jour
comme une main
qui chaque jour semblent s’enrichir d’années
pour ensuite redevenir rosée
et bien que j’essaie – et dieu sait
que j’essaie – je ne peux imaginer
pourtant j’ai imaginé juste assez
pour les évoquer à l’argile humide
du monde
Occhi
che hanno sbattuto
come ali sottomarine dentro di me
che hanno visto il rosso per la prima volta
senza parole per poterlo descrivere
che hanno avanzato dalla cecità alla visone
non viceversa come inevitabile
che tra le ombre mi hanno distinta
come una finestra
che cristallizzano la luce
nella serietà del gioco
che sanno farsi pietra, di vortice
di specchio
chiusi nel sonno come un dolce
da succhiare
aperti al giorno
come una mano
che ogni giorno paiono crescere anni
per poi tornare rugiada
che per quanto provi – e dio sa
come provo – non posso immaginare
pure ho immaginato quanto bastava
per evocarli all’ argilla umida
del mondo
Maria Luisa VEZZALI
Matrices du soleil ébranlées
Extrait de la mini-série Explosions
Poèmes extraits de ligne mère
Traduits par Claire Pellissier
Alda Merini – vide d’amour
détail de peinture Sainte Ursule, c. 1650 Zurbaran
de Vuoto d’amore,
J’ai aimé tendrement de très doux amants
sans que jamais ils n’en sachent rien.
Et sur eux j’ai tissé des toiles d’araignée
et je fus la proie de ma propre matière.
Il y avait en moi l’âme de la catin
de la sainte de la sanguinaire et de l’hypocrite.
Beaucoup ont donné un nom à ma façon de vivre
et je fus seulement une hystérique.
Mario Luzi – Que de vie !
détail d’une peinture de Frida Kahlo
.
« Que de vie ! »
une voix aiguë d’enfant s’élève
là où une foule d’oiseaux
arrachés à leur gazouillement
de branche en branche
s’enfuit dans l’effeuillement du bois
sous le froid contre jour,
trace un sillage de plumes et de cris,
abandonne les phrases brisées
d’un discours qui achoppe, fête
et fuite, tandis que des hommes à l’affût
en préparent le massacre ;
“que de vie !” répètent des derniers,
ces plus lumineux battements d’ailes
sur toute la broussaille entre mer et marais […]
car on ne perçoit jamais la vie
si fort qu’au moment de sa perte.
Mario Luzi, « Du fond des campagnes », L’Incessante Origine, Flammarion, 1985, pp. 112-115.
.
.
Patrizia Valduga – Cette neige
photo Luis Fernandez – Toronto
XVI.
Sur le blanc du givre en lents flocons
se perd un peu de neige silencieuse,
tu avais une ombre noire au front,
chaque jour t’enlevait quelque chose…
Il fait si froid, je couvre tes jambes
tu suis ton ombre mystérieuse,
ce papillon noir vif t’afflige
tu ne l’as même pas vue, cette neige.
Cet écrit est issu du beau site » une autre poésie Italienne »
Giuseppe Penone – Déchiffrant la culture du toucher
Sur le bout de la langue, sur le bout des doigts, qui, rassemblés sont les pattes de la bête qui m’entraîne dans l’univers de l’alphabet, en déchiffrant la culture du toucher contenue dans la forêt des images, présente dans la réalité des arbres qui jalonnent le temps de l’histoire dans l’espoir de mettre de l’ordre dans la vie des hommes.
Giuseppe Penone, est l’artiste italien connu pour ses installations, souvent prenant l’arbre comme « motif » réel, dans lequel il sculpte et révèle le départ des branches anciennes…
Jean Soldini – Locus Solus
Je me tenais immobile
dans un minuscule pré ovale
locus solus bordé de fleurs.
Les abeilles vibraient
tout près de mon corps,
comme si je n’existais pas,
enveloppé du parfum chaud de l’herbe et des fleurs
du bourdonnement qui les couvrait,
les découvrait puis les recouvrait.
Je me tenais
ostensiblement introuvable :
les yeux fermés
le dos collé au sol
les jambes croisant des trajectoires champêtres.
- de » Tenere il passo, LietoColle 2014″
( » Locus solus » peut être trouvé, avec d’autres du même auteur, sur le site d’ une autre poésie italienne » )
Matera – Basilicate – ( RC )
vue partielle ( bas de la ville de Matera, province de Basilicate, Italie du sud )
—
Une ville subsiste,
en équilibre sur le bord de la falaise.
Elle s’est agrippée à son passé,
en continuant nonchalamment
à arborer sa présence
de ses dalles posées là,
et qui demeurent.
La nécropole creusée dans le roc,
– une plateforme toujours nue –
et dont on a rempli les creux,
( conservant la forme humaine ),
avec du ciment ,
– pour des raisons pratiques –
Les herbes sèches, secouées par le vent,
se défendent du pittoresque
et de l’admiration vulgaire
d’un décorum importé,
comme pourrait l’être
l’alignement de bacs à fleurs.
Elles, ne pouvant subsister
que grâce à un terreau,
ou un sol, qu’on ne trouve pas ici.
Certes les visiteurs sont les bienvenus,
mais la vie continue,
sans sacrifier aux dieux du tourisme .
Le cirque de pierres en équilibre,
Creusé d’alvéoles,
s’ouvre à un ciel d’éternité .
Plus haut, c’est toujours l’animation:
les klaxons, le bourdon des scooters,
particulièrement les jours de marché .
A heures régulières,
les cloches des églises, s’emballent
se faisant écho les unes aux autres.
–
RC – juin 2015
Aria – ( Comme un air d’Italie ) – ( RC )
peinture: B Gozzoli – détail-
—
C’est en franchissant les portes des jardins,
que la vue se porte, sur les collines.
Elles se dandinent, dans une robe chamarrée d’ors.
On y trouve des villages à mi-pente
Où les maisons s’épaulent de leurs lignes.
Les cyprès forment une couronne, sur les lignes de crète.
Ce serait une lumière, comme celle que peint Botticielli ;
La transparence diaphane de l’air, et le vent léger soulève les voiles de la Vénus,
La caresse du regard enchante même les parterres de fleurs .
Les mains se tendent et les bras s’arquent en chorégraphie.
Les cloches se répondent de vallée en vallée .
La terre ne serait pas comme on la voit ailleurs : blonde ou brune,
Nourrie à la tiédeur solaire,
Presque nourriture à son tour ,
Elle en a le parfum, et son pesant de couleur
Qu’on retrouve dans la robe des vins ,
Alignées dans les trattoria.
Les linges sont oriflammes en travers des rues ;
On a l’impression d’entrer de plain pied dans un tableau …
La langue italienne est une porte ouverte sur sa chanson.
photo Robert Schrader
—

photo: Edmondo Senatore – atmosphère toscane
–
RC – mai 2015
Astrid Waliszek – bois, bois cette coupe

Mario Luzi – Nature
–
La terre et à elle accordée la mer
et partout au-dessus, une mer plus joyeuse
à cause de la rapide flamme des moineaux
et du trajet
de la lune reposante, et du sommeil
des doux corps entrouverts à la vie
et à la mort dans un champ ;
à cause aussi de ces voix qui descendent
s’échappant de mystérieuses portes, et bondissent
au-dessus de nous comme des oiseaux fous de revenir
en chantant au-dessus des îles originelles :
ici, se préparent
un grabat de pourpre et un chant qui berce
pour celui qui n’a pu dormir,
si dure était la pierre,
et si tranchant l’amour.
–
Mario Luzi, La Barque in Prémices du désert, Gallimard, Collection Poésie, 2005, p. 69.
Antonella Anedda – octobre, nuit
–
octobre, nuit
Accepte ce silence : le mot tassé dans le noir de la gorge comme une bête raidie,
comme le sanglier empaillé qui lors des orages d’octobre resplendissait dans le sous-sol.
Livide et tressé de paille, le cœur sec, sans fumée, et
pourtant contre l’éclair qui clouait la porte, chaque fois à l’endroit exact où la mort avait débuté : le vain recul, le corps ardent, le coup de pied du chasseur sur son flanc.
Ferme les yeux. Pense : lièvre, et renard et loup, appelle les bêtes qui chassées courent en rase campagne et se trouvent dans la fronde de la mort
ou du sommeil épuisées dans la tanière où seul celui qui est poursuivi connaît véritablement la nuit, véritablement le souffle.
—
Paul Vincensini – Moi j’ai toujours peur du vent

photo J M P Salles
–
Moi j’ai toujours peur du vent
Me voici
Mes poches
Bourrées de cailloux
Pour rester avec vous et
Ne pas m’envoler dans les arbres.
—
Èiu t’aghju sempri a paùra di u ventu
Èccumi
I mè stacchi
Pieni à cutichja
Par stàmini cù vὸ è
Micca bullamini nantu à l’àrburi
Alessandra Frison – La pluie vide chaque soupçon de vie
*
La pluie vide chaque soupçon de vie
des draps tirés jusqu’à la limite
elle ne te fait pas voir
la charge des heures le matin
tôt tous sont réveillés
déjà à leur corde
et tu devrais t’efforcer jusqu’à ce point
jusqu’à assécher le sommeil
alangui et réfractaire terme de
qui existe l’indispensable
à temps tout juste pour s’évacuer de chez soi
c’est ce que je me dis,
après une journée qui mesure
les centimes de chaque dignité,
après la vague déchargée
mécanique déçue des feux rouges à la gare
parmi le moyen âge des rues, je suis
la plus incertaine fenêtre du monde.
***
Alessandra Frison
est une (très) jeune poétesse milanaise – née à Zevio -,
Elle a publié dans l’Almanacco dello Specchio (Mondadori) 2008; elle présente régulièrement son travail grâce aux pages http://alessandrafrison-blog.myblog.it/ , où l’on pourra trouver d’autres poèmes.
Inediti:
La pioggia svuota ogni sospetto di vita
dalle lenzuola tirate fino al limite
non ti fa vedere
il carico delle ore la mattina
presto tutti sono svegli
già alla loro corda
e ti dovresti impegnare fino a quel punto
fino ad asciugare il sonno
molle e refrattario termine di
chi esiste l’indispensabile
in tempo appena per sfollarsi di casa
così mi dico
dopo una giornata che squadra
i centesimi di ogni dignità,
dopo l’onda scarica
meccanica disillusa dei semafori alla stazione
tra il medioevo delle strade, sono
la più incerta finestra del mondo.
Catherine Pozzi – Le don du figuier
photo Annabella
–
Si tu veux
Nous irons ensemble
Tous les deux
Vers le vieux figuier.
Il aura
Des fruits noirs qui tremblent
Sous le vent
Qui vient d’Orvillers.
Tu iras
L’âme renversée
Sur ta vie
Et je te suivrai.
Le ciel bas
Tiendra nos pensées
Par la lie
D’un malheur secret.
Tu prendras
L’un des fruits de l’arbre
Et soudain
Le feras saigner
Et ta main
Morte comme marbre
Jettera
Le don du figuier.
Le vent vert
Plein du bruit des hêtres
Ouvrira
La geôle du ciel
Je crierai
Comme un chien sans maître
Tu fuiras
Dans le grand soleil.
–
Allegra Sérendipité – Vesper
Vesper
Comme des milliers de bougies allumées
Le ciel du soir est étoilé
Parmi tous ces points dorés
Il n’est qu’une flamme à aimer.
Dès cinq heures elle est là
Suivie par d’autres, qui pas à pas,
Jalouses comme des sirènes
S’agglutinent aux voilées siciliennes
N’est-il pas vrai qu’elle laisse un gout amer
Cette étoile que l’on nomme Vesper
Un certain James pense tout autre
Une fois goûtée on ne veut rien d’autre
Ma vie à cette heure cardinale
Irradie comme ce chant vespéral
Hymne enchaîné d’un verset mystique
Salué d’un Magnificat Liturgique
Mais la lecture de leurs filantes capitules
Me laissent telle un rameau d’Aspérules
Alanguie dans mon lit de plumes
Insomnies et chevauchées de runes
Ô nuit illuminée, pose magnifique
Sur mes lèvres ce sourire chimérique
Car au matin de ce moment magique
J’ouvre des yeux d’amnésique.
–
Alda Merini – rêves
–
Le rêve se lève souvent et marche sur ma tête comme un elfe,
un tout petit elfe qui me dérange mais m’amuse aussi.
Combien de rêves ai-je faits ! J’y ai vu quelquefois une lueur magique, il s’agissait parfois de rêves lourds comme des pierres posées dans le centre du cœur.
Moi ces rêves je les ai tous acceptés : les formes me plaisent, qu’elles viennent ou non de l’inconscient.
Si elles venaient de l’inconscient, j’en recherchais l’origine.
Il s’agissait de toute façon de rêves magnifiques, pleins de couleurs, de rêves qui disaient “allez lève-toi ! la vie est belle ; elle est comme nous l’enseigne la nature, elle est toujours au-delà de l’angoisse”.
Et alors je m’asseyais sur mon lit et les rêves disparaissaient et l’air pur du matin entrait et mon corps devenait une merveilleuse statue, la statue d’un guerrier prêt à combattre et à se battre pour sa propre journée.
–
extrait de « D é l i r e a m o u r e u x »
–
Alda Merini – Les plus beaux poèmes s’écrivent sur les pierres
–
Les plus beaux poèmes
s’écrivent sur les pierres
genoux écorchés,
esprit aiguisé par le mystère.
Les plus beaux poèmes s’écrivent
devant un autel vide,
encerclés par des agents
de la divine folie.
Ainsi, fou criminel que tu es
tu dictes des vers à l’humanité,
vers de la rescousse
et prophéties bibliques
tu es frère de Jonas.
Mais dans la Terre Promise
où germent les pommes d’or
et l’arbre de la connaissance
Dieu n’est jamais descendu ni ne t’a jamais maudit.
Toi si, tu maudis
heure par heure ton chant
car te voilà descendu dans les limbes
où tu respires l’absinthe
d’une survie refusée.
–
Le più belle poesie
si scrivono sopra le pietre
coi ginocchi piagati
e le menti aguzzate dal mistero.
Le più belle poesie si scrivono
davanti a un altare vuoto,
accerchiati da agenti
della divina follia.
Così, pazzo criminale qual sei
tu detti versi all’umanità,
i versi della riscossa
e le bibliche profezie
e sei fratello a Giona.
Ma nella Terra Promessa
dove germinano i pomi d’oro
e l’albero della conoscenza
Dio non è mai disceso né ti ha mai maledetto.
Ma tu sì, maledici
ora per ora il tuo canto
perché sei sceso nel limbo,
dove aspiri l’assenzio
di una sopravvivenza negata.
–
Alessandra Frison – On ne peut savoir…
On ne peut savoir
si la course est donnée comme part
à partager
jusqu’au fond de l’enseigne
– là au fond à droite –
pour me laisser en oublier la voix
qui compense des wagons de figures
le défoulement d’une journée,
la chambre du monde à l’engorgement
de la gare Centrale
ici est l’embouchure du silence
et à la crue des heures fait suite
un exorde d’images
Milan
qui secoue la fatigue de rester
à regarder et éteindre l’ombre
pour chaque coup infligé
y vivre dedans
c’est le moindre mal.
**
Non si può sapere
se la corsa è data come parte
da spartire
fino al fondo dell’insegna
– là in fondo a destra –
per lasciarmi smemorare la voce
che compensa vagoni di facce,
lo sfogo di una giornata,
la camera del mondo all’ingorgo
della Stazione Centrale,
qui è la foce del silenzio
e segue alla piena delle ore
un esordio di immagine
Milano
che scuote la fatica dello stare
a guardare e spegnere l’ombra
per ogni colpo inferto
il viverci dentro
è il male minore.
*
*