Juliette – Aller sans retour

Ce que j´oublierai c´est ma vie entière,
La rue sous la pluie, le quartier désert,
La maison qui dort, mon père et ma mère
Et les gens autour noyés de misère
En partant d´ici
Pour quel paradis
Ou pour quel enfer?
J´oublierai mon nom, j´oublierai ma ville
J´oublierai même que je pars pour l´exil
Il faut du courage pour tout oublier
Sauf sa vieille valise et sa veste usée
Au fond de la poche un peu d´argent pour
Un ticket de train aller sans retour
Aller sans retour
J´oublierai cette heure où je crois mourir
Tous autour de moi se forcent à sourire
L´ami qui plaisante, celui qui soupire
J´oublierai que je ne sais pas mentir
Au bout du couloir
J´oublierai de croire
Que je vais revenir
J´oublierai, même si ce n´est pas facile,
D´oublier la porte qui donne sur l´exil
Il faut du courage pour tout oublier
Sauf sa vieille valise et sa veste usée
Au fond de sa poche un peu d´argent pour
Un ticket de train aller sans retour
Aller sans retour
Ce que j´oublierais… si j´étais l´un d´eux
Mais cette chanson n´est qu´un triste jeu
Et quand je les vois passer dans nos rues
Étranges étrangers, humanité nue
Et quoi qu´ils aient fui
La faim, le fusil,
Quoi qu´ils aient vendu,
Je ne pense qu´à ce bout de couloir
Une valise posée en guise de mémoire…
Gaëlle Josse – l’offrande d’un chemin de sagesse

….s’il n’en reste qu’une des musiques aimées de celles qui tiennent tête aux vents contraires -car on sort même par gros temps n’est-ce pas ?- ce sera elle cette aria toute nue innocente et pensive celle des variations Goldberg trente mesures entre ciel et terre la main d’Ariel pour tresser nos jours dépareillés saturés de trépidance habités d’éclats de rien et pourtant uniques fastueux bellissimes trente mesures tout est dit clos et infini
Annick Nozati – C’est un pays sans fin, peuplé d’ombres

C’est un pays sans fin
peuplé d’ombres qui errent
le soleil descendu n’éveille plus les couleurs
les minutes arrêtées n’avançant plus les heures,
nous ne pouvons plus boire qu’aux mirages des eaux
et nous n’entendons plus que nos peurs en échos.
Annick Nozati est connue comme musicienne , vocaliste, improvisatrice, j’ai extrait ce texte d’un livret du CD « la peau des Anges »
Miguel Angel Asturias – marimba chez les indiens

La marimba pond ses œufs dans les astres…
Oh la la, quel caquet
pour un œuf que tu ponds !
Eh, venez donc le pondre !
La marimba pond des œufs dans les astres…
Le soleil est son coq, il la coche, il la saigne.
La marimba pond des œufs dans les astres.
Oh la la, quel caquet
pour un œuf que tu ponds !
Eh, venez donc le pondre !
Dans les calebasses au trou noir de noix de coco
et aux membranes de tripes tendues il y a des
sanglots de mouches,
de poissons-mouches, d’oiseaux-mouches…
Et le charivari de la perruche verte
et le crépitement de l’oiseau jaune en flammes,
et le vol tournoyant du guêpier bleu de ciel,
et les quatre cents cris du moqueur d’Amérique.
Le moqueur a sifflé, le guêpier a volé
l’oiseau jaune a flambé, la perruche a crié.
Oh la la, quel caquet
pour un œuf que tu ponds !
Eh, venez donc le pondre !
Musique entre les dents et la peur endormie,
jetée par des hommes de pierre-foudre vêtus de blanc,
qui du haut du soleil tendent leur bras de feu
et leurs doigts armés de baguettes brûlées aux longs
cheveux de caoutchouc
qui frappent la face sonore du clavier à peine soutenue
par les fils de quatre couleurs
en bariolant les airs : vert, rouge, jaune, bleu….
Son-roulement de pluie des tissages célestes !
Son-roulement de pluie de la ruche du monde !
Son-roulement de pluie de la sueur des humains !
Son-roulement de pluie du pelage du tigre !
Son-roulement de pluie de la robe de plumes !
Son-roulement de pluie des robes de mais !
Dans la république des oiseaux – ( RC )
montage RC
Il n’y a pas besoin de clé,
pour passer dans un autre monde:
Juste tourner la poignée de la fenêtre
pour marcher de plein pied dans l’espace.
Des traits se côtoient,
mais jamais ne s’enchevêtrent.
Les pépiements que j’écoute,
aussi , se superposent.
Je suis rentré dans la république des oiseaux,
( en fait dans un monde sonore
où se croisent les langages
de la nature ).
Quels que soient les plumages,
de bois, de cuivre
ou de simple roseaux
que le souffle entraîne.
Je voisine en musique un merle rieur,
une bécasse, et d’autres espèces
aux couleurs changeantes,
comme dans le catalogue de Messiaen.
Ces oiseaux sont de minuscules étoiles
qui animent le ciel tendu
à mes oreilles :
drap vivant de l’azur perpétué.
Il n’y a pas besoin de clé,
pour passer dans un autre monde:
il suffit , par exemple, d’écouter
Naïma , de Coltrane …
C’est comme une partition de liberté
où les notes filent à toute allure
comme ces hirondelles
dansant leur mélodie.
Qui la leur a apprise ?
Comment se fait-il qu’à chaque fois s’échappe
l’harmonie sans qu’on la rattrape,
quand le musicien improvise ?
Que faire de sa main droite ? – ( RC )
image extraite du « chien andalou » de Luis Bunuel & S Dali
Que faire de sa main droite
quand la gauche prend toute la place… ?
– déjà, on peut s’appuyer
sur le côté du piano,
la distraire par de petits objets,
faire des allées-venues
en frôlant les touches d’ivoire,
écraser la cigarette
qui s’est consumée,
sans que tu t’en aperçoives
pendant que tu jouais,
le concerto pour la main gauche :
( c’est le cadeau de Ravel pour Wittgenstein,
lui qui revint des combats
sans le bras droit ) .
Que faire de sa main droite,
quand elle ne parle pas
ou devient un accessoire ?
La laisser tomber
comme une feuille morte,
devenue froide et mutique,
détachée des rêves coupables ,
la coller à un autre endroit,
– qu’elle trouve le chemin des épaves.
On en distingue les stigmates,
qu’elle puisse aller chercher des croissants
et fasse partie d’un collage surréaliste,
pouvant blanchir à loisir
si l’orchestre communie avec la gauche .
–
RC – juill 2018
Tous, du blues – ( RC )
Peinture : Zao Wou Ki
S’échappe la mer
se courbe le ciel
Et toi et moi,
entre nous …
Mer et ciel et toi et moi
Avec tous ces bleus
Toutes ces nuances
Leur ensemble de teintes
Quelques bleus sont tristes
D’autres bleus sont heureux
Sombres et lumineux
tristes ou heureux en même temps
Nous sommes tous du blues
Nous en avons toutes les nuances
Toutes les teintes
Nous sommes tous le blues .
–
RC – dec 2016
Librement et directement inspiré de « All Blues »
de l’album mythique « Kind of blue » de Miles Davis,
dont on peut retenir entre autres, les interprétations chantées de Helen Merrill, ( difficile à trouver ) , Rachel Gould, avec Chet Baker, Ernestine Anderson et celle de Dee-Dee Bridgewater
Mark Rothko : untitled n°15
Mouloudji – Cache-cache
C’est de texte de sa chanson….
Vous êt’s-vous caché
Un jour de cache-cache
Sous la jupe lâche,
Quoiqu’ intimidé,
Dans l’intimité
D’une dam’ ombrelle
Aux senteurs si blêmes
Strident’s de douceur
L’avez-vous rêvé ?
Ce doux goût de peur
Couleur de péché,
Était-ce inventé ?
Sous la jupe folle,
Vous flairiez la chair
De dame prison
Ell’, dans son émoi
Ouvrait de plus belle
Ses ciseaux femelles
En prison de joie,
Vous étiez ému
Sous la chèr’ ombrelle,
Un soleil diffus
Éclairait tout bas
La tendre bastille
Vous, les yeux béats
La tête levée
Au ciel albinos,
Vous suiviez le vol
D’un corbeau velu
Entre chair et rose
Des cuisses jouflues
Et du pantalon
Comme rêve glauque.
la vibration d’un gong, un arrière plan de toile – ( RC )
–
C’est comme la vibration d’un gong : cela frissonne,
puis cela frémit, dans un froissement qui monte en puissance,
En s’amplifiant jusqu’à la parole délivrée de l’étain.
Un point critique nait de la rencontre de la mailloche et du disque de métal.
Un germe du sensible : Un geste le précède.
Mais le son qui s’en extrait, cache son envers, sa mutité,
sa « face silencieuse », en quelque sorte , dans l’objet.
Celui -ci pourrait être joliment décoratif,
mais sa matière, sa forme, recèle en puissance le son.
Même lorsqu’il est silencieux.
Et pour une peinture, c’est parallèlement, la rencontre des formes,
des couleurs et des contrastes, qui révèle
de la toile « silencieuse », les dialogues de la lumière avec l’ombre,
de la matière même du geste de peindre,
et ce qui fait la personnalité de son auteur.
Cet arrière plan de toile, entend les soleils,
écoute les matins blêmes, et retransmet, comme le gong, dès qu’on la regarde,
ce frissonnement des éléments « dans un certain ordre agencés ».
Cachée, elle peut, comme un instrument de musique, demeurer muette,
ses potentialités ne s’éveillent que sous la caresse du regard.
–
RC – avr 2015
C’était une mazurka – ( RC )

photo NF
–
Je me souviens de la musique
Et ta tête penchée sur le clavier.
Les mains ont déserté les touches d’ivoire,
Elles se sont ternies au voyage des ans.
Les cordes fatiguées, sont une harpe
Assourdie de toiles d’araignées.
Les mélodies que tu jouais,
Ne renvoient plus de reflet
Elles sont été mangées,
Par l’ombre du piano noir.
Juste, le concert des étoiles,
Me chante encore tout bas,
Leurs volutes et les arabesques,
Naissant sous tes doigts.
Je me souviens de la musique
Et ta tête, penchée , au-dessus de moi …
–
RC – sept 2014
L’Ave Maria – ( RC )
–
Le ruban de musique
Se déroule
Au fil de l’archet.
Ce sont des couleurs amples,
Qui sentent le bois mûr,
Où les cordes chantent,
Et les doigts dansent.
Un chant s’élève, doux,
Au contre-bas d’amour,
En arpèges se posent,
Comme les vagues le portent,
Ouvrant de futurs horizons,
S’arrondissant comme galets,
Aux accords du piano.
L’offrande se donne,
Aux envols des notes ;
C’est toujours un poème,
Que l’on reçoit,
Les oreilles attentives,
Les mains ouvertes,
Avec l’Ave Maria
De Franz Schubert
–
RC- mars 2014
Billie Holiday – Strange fruits
—
C’est bien sûr la superbe chanson interprétée par Billie Holiday… une composition d’Abel Meeropol, dont l’interprétation est synonyme de la voix de Billie ( et emblématique d’une certaine forme de racisme, et de dénonciation de la condition des esclaves )
et dont il existe un équivalent, par la voix de John Martyn

pochette de l’album de john Martyn, ce titre fait partie du CD dans » a church with one bell »
–
Strange Fruit
–
Southern trees bear strange fruit
Blood on the leaves
Blood at the root
Black bodies swinging in the southern breeze
Strange fruit hanging from the poplar trees.
Pastoral scene of the gallant south
The bulging eyes and the twisted mouth
The scent of magnolia sweet and fresh
Then the sudden smell of burning flesh
Here is a fruit for the crows to pluck
for the rain to gather
for the wind to suck
for the sun to rot
for the tree to drop
Here is a strange and bitter crop
Composed by Abel Meeropol
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Les arbres du Sud portent un étrange fruit
Du sang sur leurs feuilles et du sang aux racines
Un corps noir se balançant dans la brise du Sud
Un fruit étrange suspendu aux peupliers
Scène pastorale du vaillant Sud
Les yeux exorbités et la bouche tordue
Parfum du magnolia doux et frais
Puis la soudaine odeur de chair brûlée.
Fruit à déchiqueter pour les corbeaux,
Pour la pluie à récolter, pour le vent à assécher
Pour le soleil à mûrir, pour les arbres à perdre,
Etrange et amère récolte !
——-
Strange Fruit (Fruit Etrange ) Chanson composée en 1946
par Abel Meeropol afin de dénoncer les Necktie Party ( pendaisons )
———-
Stabat Mater – ( RC )
C’est une voix intérieure,
Dont je peine à dessiner la forme,
Puisqu’elle est cachée dans l’âme,
Et le regard de celui
Qui la fait vibrer ,
Trempée dans celle de la musique,
Et ses couleurs en contre-jour,
Inscrite en dentelles d’encre,
Sur une ancienne partition,
… Notre oreille en ignore,
les passages soulignés de crayon.
Une parenthèse ardente,
Celle de la Passion,
Où l’invisible des sons,
Se transmet de nuit aux jours,
En plusieurs siècles au fil,
Quand se donne le chant,
Jusqu’aujourd’hui,
Et bien plus encore,
D’une émotion palpable,
Partagée en frissons,
Et portée par les accords…
Une colonne s’élève ,
Se sépare en volutes,
Peut-être vers un plafond à fresques,
Dessiné par les voix,
Se détachant des portées,
Emplissant tout l’espace,
Puis fuyant sous les voûtes,
Pour que renaisse le souffle,
S’appuyant sur le silence,
Remplacé bientôt par
le tapis dense d’instruments anciens.
—
( en hommage à la restitution des musiques du passé,
et ici particulièrement dédié à Gérard Lesne,
dans son interprétaton du « Stabat Mater » de Pergolèse)
—
RC – 10 novembre 2013
—
–
Opéra de silence ( RC )

photo: François Berthon – Macbeth Opéra de Tours
–
Comme une scène désertée,
Où résonne encore ,
Sang du silence retombé,
Une voix cantatrice,
–
Chute un ruban rouge,
Depuis l’espace insondé des cintres,
Le sable blanc se dépose,
Sur le plancher gris,
–
Lentes strates,
Poussées de vaguelettes,
L’opéra s’achève face à la mer,
Les voiles écarlates,
–
Disparues derrière l’horizon,
La lune est l’unique projecteur,
Elle flirte sur l’écume,
–
Et le lourd rideau de velours,
Fermant le décor,
– Côté jardin.
–
RC – 10 septembre 2013
–
Ta voix, cristalline, dévalant les collines – ( RC )
- Il y a le bruissement des feuilles dans ma tête, d'accords sur ocres. Harpe d'herbes qu'accompagne la poussée du vent, ce n'est pas encore l'automne... Les oiseaux alignés sur les fils, traits de flûte tirés de biais entre les arbres clarinettes, Les blés mûrs des violoncelles, agacés de l'ombre sonore du piano, La montagne de l'orchestre, qui disait tour à tour le sombre et l'éclat, Et puis ta voix, cristalline, dévalant les collines, Percée soudaine du soleil entre les nuées. - RC – 9 août 2013 ( l'expression « ombre sonore » est de Max Jacob dans "vie et marées") -
Langston Hugues – Weary Blues poems

photo: auteur non identifié le bluesman T Bone Walker
Et loin dans la nuit, il chantonnait cet air.
Les étoiles sont parties , et ainsi fit la lune.
Le chanteur a arrêté de jouer et est allé dormir
Pendant que le Weary Blues lui fait écho dans sa tête.
Il dormit comme un roc ou un homme qui est mort .
(ma traduction diffère sensiblement de celle fournie avec le poème entier en dessous)
And far into the night he crooned that tune.
The stars went out and so did the moon.
The singer stopped playing and went to bed
While the Weary Blues echoed through his head.
He slept like a rock or a man that’s dead…
—
( Le haut-parleur de « The Weary Blues » de Langston Hughes décrit une soirée à écouter un musicien de blues à Harlem.
Avec sa diction, sa répétition de lignes et sa prise en compte des paroles de blues, le poème évoque le ton lugubre et le tempo de la musique blues et donne aux lecteurs une appréciation de l’état d’esprit du musicien de blues dans le poème.)
–Langston Hughes, a laissé une œuvre abondante de poète, de nouvelliste, de dramaturge et d’essayiste. Les poèmes qui suivent sont extraits de son premier recueil paru en 1925, « The Weary Blues ».
d’autres poèmes de Langston Hugues:
LE NÈGRE PARLE DES FLEUVES
J’ai connu des fleuves
J’ai connu des fleuves anciens comme le monde et plus vieux
que le flux du sang humain dans les veines humaines.Mon âme est devenue aussi profonde que les fleuves.
Je me suis baigné dans l’Euphrate quand les aubes étaient neuves.
J’ai bâti ma hutte près du Congo et il a bercé mon sommeil.
J’ai contemplé le Nil et au-dessus j’ai construit les pyramides.
J’ai entendu le chant du Mississipi quand Abe Lincoln descendit
à la Nouvelle-Orléans, et j’ai vu ses nappes boueuses transfigurées
en or au soleil couchant.J’ai connu des fleuves :
Fleuves anciens et ténébreux.Mon âme est devenue aussi profonde que les fleuves.
(paru dans la revue « Crisis » en 1921)
–
I’ve known rivers:
I’ve known rivers ancient as the world and older than the flow of human blood in human veins.
My soul has grown deep like the rivers.
I bathed in the Euphrates when dawns were young.
I built my hut near the Congo and it lulled me to sleep.
I looked upon the Nile and raised the pyramids above it.
I heard the singing of the Mississippi when Abe Lincoln went down to New Orleans, and I’ve seen its muddy bosom turn all golden in the sunset.
I’ve known rivers:
Ancient, dusky rivers.
My soul has grown deep like the rivers.
MOI AUSSI
Moi aussi, je chante l’Amérique.
Je suis le frère à la peau sombre.
Ils m’envoient manger à la cuisine
Quand il vient du monde.
Mais je ris,
Et mange bien,
Et prends des forces.Demain
Je me mettrai à table
Quand il viendra du monde
Personne n’osera
Me dire
Alors
« Mange à la cuisine ».De plus, ils verront comme je suis beau
Et ils auront honte, –Moi aussi, je suis l’Amérique.
—–
I, Too
I, too, sing America.
I am the darker brother.
They send me to eat in the kitchen
When company comes,
But I laugh,
And eat well,
And grow strong.Tomorrow,
I’ll be at the table
When company comes.
Nobody’ll dare
Say to me,
« Eat in the kitchen, »
Then.Besides,
They’ll see how beautiful I am
And be ashamed–I, too, am America.
LE BLUES DU DÉSESPOIR
[THE WEARY BLUES]
Fredonnant un air syncopé et nonchalant,
Balançant d’avant en arrière avec son chant moelleux,
J’écoutais un Nègre jouer.
En descendant la Lenox Avenue l’autre nuit
A la lueur pâle et maussade d’une vieille lampe à gaz
Il se balançait indolent…
Il se balançait indolent…
Pour jouer cet air, ce Blues du Désespoir.
Avec ses mains d’ébène sur chaque touche d’ivoire
Il amenait son pauvre piano à pleurer sa mélodie.
O Blues !
Se balançant sur son tabouret bancal
Il jouait cet air triste et rugueux comme un fou,
Tendre Blues !
Jailli de l’âme d’un Noir
O Blues !D’une voix profonde au timbre mélancolique
J’écoutais ce Nègre chanter, ce vieux piano pleurer –
« J’n’ai personne en ce monde,
J’n’ai personne à part moi.
J’veux en finir avec les soucis
J’veux mettre mes tracas au rancart. »
Tamp, tamp, tamp ; faisait son pied sur le plancher.
Il joua quelques accords et continua de chanter –
« J’ai le Blues du Désespoir
Rien ne peut me satisfaire.
J’n’aurai plus de joie
Et je voudrais être mort. »
Et tard dans la nuit il fredonnait cet air.
Les étoiles disparurent et la lune à son tour.
Le chanteur s’arrêta de jouer et rentra dormir
Tandis que dans sa tête le Blues du Désespoir résonnait.
Il dormit comme un roc ou comme un homme qui serait mort.
———————–
Droning a drowsy syncopated tune,Rocking back and forth to a mellow croon,I heard a Negro play.Down on Lenox Avenue the other nightBy the pale dull pallor of an old gas lightHe did a lazy sway . . .He did a lazy sway . . .To the tune o’ those Weary Blues.With his ebony hands on each ivory keyHe made that poor piano moan with melody.O Blues!Swaying to and fro on his rickety stool He played that sad raggy tune like a musical fool.Sweet Blues!Coming from a black man’s soul.O Blues! In a deep song voice with a melancholy tone I heard that Negro sing, that old piano moan—« Ain’t got nobody in all this world,Ain’t got nobody but ma self.I’s gwine to quit ma frownin’And put ma troubles on the shelf. »Thump, thump, thump, went his foot on the floor.He played a few chords then he sang some more— « I got the Weary BluesAnd I can’t be satisfied. Got the Weary BluesAnd can’t be satisfied— I ain’t happy no mo’And I wish that I had died. » And far into the night he crooned that tune.The stars went out and so did the moon.The singer stopped playing and went to bedWhile the Weary Blues echoed through his head.He slept like a rock or a man that’s dead. –
NÈGRE
Je suis un Nègre :
Noir comme la nuit est noire,
Noir comme les profondeurs de mon Afrique.J’ai été un esclave :
César m’a dit de tenir ses escaliers propres.
J’ai ciré les bottes de Washington.J’ai été ouvrier :
Sous ma main les pyramides se sont dressées.
J’ai fait le mortier du Woolworth Building.J’ai été un chanteur :
Tout au long du chemin de l’Afrique à la Géorgie
J’ai porté mes chants de tristesse.
J’ai créé le ragtime.Je suis un Nègre :
Les Belges m’ont coupé les mains au Congo.
On me lynche toujours au Mississipi.Je suis un Nègre :
Noir comme la nuit est noire
Noir comme les profondeurs de mon Afrique.
—
I am a Negro:
Black as the night is black,
Black like the depths of my Africa.I’ve been a slave:
Caesar told me to keep his door-steps clean.
I brushed the boots of Washington.I’ve been a worker:
Under my hand the pyramids arose.
I made mortar for the Woolworth Building.I’ve been a singer:
All the way from Africa to Georgia
I carried my sorrow songs.
I made ragtime.I’ve been a victim:
The Belgians cut off my hands in the Congo.
They lynch me still in Mississippi.I am a Negro:
Black as the night is black,
Black like the depths of my Africa.
—
et toujours sur Langston Hugues, voir ma parution » fresque sur Lennox Avenue«
–
–
.
Le concert des fausses notes ( RC )
- retable d ‘Issenheim : tentation de St Antoine
–
Les cors essoufflés font avec, les violons langoureux
Un dialogue grisé, qui éteint le décor.
La symphonie fantastique a mille retours
Gnomes et djinns me soufflent au visage
Une haleine soufrée, des cloches fêlées
Les héros politicards, vite endormis
Aux matières sournoises, se drapent dans le pourpre
Et s’entourent de mains molles,
D’anciennes affiches pendantes, en clones plats
Le miroir n’a plus à raconter l’avenir,
L’humanité pleure, le concert des fausses notes
Les saxophones barbotent en faux airs enjoués,
Le fossoyeur, jette une tasse brisée
Avec les fleurs passées du retable d’Issenheim,
Les tarots alignés, montrent bâtons,
Les mères pleurent leurs fils partis
– Combattre d’autres enfants,
…..L’au delà des frontières, appelle chimères.
Chaque coup marqué par les timbales
– cerne le présent , celui d’ ici –
Les hennissements des trompettes…
Après la “marche au supplice’
> Rendez-vous sous l’horloge…
… maintenant avec des chiffres, elle égare ses aiguilles
Qui défilent, et le progrès qu’on emballe;
Cacophonie ouatée, cuivres ternis
Les pères ont disparu – On leur a menti
– La fumée jaunasse des usines
Au dernier mouvement, noie bientôt l’orchestre…
Et ses ressacs d’un matin. – insolvables –
–
RC – 22 septembre 2012
( composé au souvenir d’un panneau du retable d’Issenheim, de Grünewald, dont la
reproduction illustrait la “symphonie fantastiques ” de Berlioz )
- Caricature d’Hector Berlioz par Etienne Carjat, 1858
Abats-moi ( RC )
D’après une partie du texte de la chanson de Nick Cave « Shoot me down »
–
Je peux entendre l’herbe pousser
Et sentir la marée monter
Je peux ressentir la fonte des neiges
Et suspendre dans leur vol, les flocons
Je peux sentir ton souffle contre mon oreille
Et voyager, vermeil à l’idée d’un soleil
Je pourrais tout simplement disparaître
Et me dissoudre derrière un écran de vapeur
Qu’en dis-tu ? ça ne serait pas mal ?
Mais, en te regardant dans les yeux
Je sens, à ton sourire figé
Que tu vas mettre fin à l’histoire
Et m’envoyer dans les flammes
A m’imposer ta vengeance glacée
Me faire dégringoler par terre
Dans un tonnerre de feu…
Au troisième coup, j’aurai cessé
D’écouter la bouche froide de ton arme.
Et serai rendu au sol.
–
RC 18 avril 2012
–
Zeno Bianu – Chet Baker – déploration
CHET BAKER (DÉPLORATION)
je joue au bord du silence chaque note a sa pesanteur son apesanteur particulière je ne bavarde jamais
je n’aime pas le brio le brio c’est toujours l’égo et ses vieilles lunes je préfère jouer vers autrui vers l’autre
tendre sereinement mon cœur oui ma musique s’envole vers autrui c’est un art de l’envol quoi d’autre .
ZENO BIANU .
–
Claude Debussy – Voir le jour se lever

dessin perso ——-d’après une oeuvre de Meister von Stierentz : Musée d’Art de Bâle – Suisse mars 2013
–
Une citation paradoxale, pour quelqu’un d’aussi fin musicalement que Claude Debussy:
« Voir le jour se lever est plus utile que d’entendre la Symphonie pastorale. «
Mais ( outre la notion d »utilité », qui pourrait se discuter, et savoir qu’est-ce que l’auteur entendait par là ) … le fait de ressentir des émotions dans le monde « en direct », sans être lié au monde de la création, et notamment du domaine auquel on appartient…
– peut-être aussi parce que l’oeuvre citée fait partie d’une culture « classique », donc, du passé…
jour
–
Dans l’instant, porté par la musique ( RC )
–
C’était donc dans l’instant
porté par la musique,
les sons qui se cognent
saxo trompette et trombone.
Et je prends le carnet,
pour des instants prolongés,
ceux que je vais dessiner
laisser sur le papier.
C’est donc dans l’instant
porté par la musique,
une danse des lignes,
qui se croisent et puis riment
Avec les notes
l’atmosphère rêveuse
juste ce qu’il faut de pose.
enlaçant l’instrument
Les doigts des musiciens
sur la brillance des cuivres,
qu’il me faut transmettre
avec mon pinceau.
–
RC – 18 février 2013
Langston Hugues – fresque sur Lenox Avenue
Se dessèche-t-il
Comme un raisin au soleil ?
Ou suinte-t-il comme une plaie
Avant de disparaître ?
Est-ce qu’il pue comme la viande pourrie ?
Ou se couvre-t-il d’une croûte sucrée
Comme un bonbon acidulé ?

Clairière de Varsovie ( RC )
photo « tout le monde il est beau « . Varsovie
–
La ville bourdonnante, aux façades serrées
Les unes contre les autres
Le flux régulier des voitures et autobus
Déroule son ruban quotidien,
Aux rues et avenues, qu’investit aujourd’hui
La coulée du soleil.
Mais comme dans l’image,
Un découpage, – un collage ?
Tout à coup se dessine
Une surface noire
Qui dessine, la traînée de nuages
Qu’on avait oubliés.
On entend toujours, mais plus loin ,
Les voix de la ville
Qui font tout à coup cercle,
Comme les arbres autour de la clairière
A la musique d’un piano
Qui dit Chopin, à Varsovie.
–
RC 9 décembre 2012
Jacques Reda – tombeau de Bill Evans

peinture: Richard Diebenkorn Ocean Park – De Young Museum – San Francisco USA
–
Comme ces longs rayons dorés du soir qui laissent
le monde un peu plus large et plus pur après eux,
sous le trille exalté d’une grive, je peux
m’en aller maintenant sans hâte, sans tristesse:
tout devient transparent. Même le jour épais
s’allège et par endroits brille comme une larme,
heureux entre les cils de la nuit qui désarme.
Ni rêve ni sommeil. Plus d’attente. La paix.
Jacques Réda
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Bill Evans(1929-1980),
comme on le sait, le prodigieux compositeur et pianiste de jazz, qui a accompagné les plus grands
( notamment Miles Davis et Coltrane dans son fameux Kind of Blue), se trouve être un de mes musiciens « phare » dont j’ai quasiment l’intégrale.
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le concert du soir vient de commencer ( RC )
anchois au sel
Ce sont des anchois… oui, qui macèrent dans leur bocal,
on peut dire que leur vie ne manque pas de sel,
et qu’ils se tiennent chaud, serrés comme ils sont.
Enfin, on les remercie d’exister, même si mes filles ne les aiment pas.
C’est sans doute leur regard absent, ou parce qu’elle ne peuvent les imaginer, habillés avec des tee-shirts, sur lesquels il y aurait marqué Pepsi.
De toute façon je doute que les américains en consomment.
Déjà leurs pizzas, n’en ont que l’aspect, l’insipide triomphe, et je vois mal les anchois s’étirer d’aise sur un lit de tomates.
Il y a une vieille lampe qui grésille , allumée dans l’appartement, une cannette de bière à moitié vide…
et donc les anchois qui restent sur l’étagère, sagement , à côté des cornichons… tout ce ptit monde apprécie Mozart, qui passe à la radio…
le concert du soir vient de commencer.
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RC – 25 septembre 2012
– et après les anchois, les harengs…

Mozart enfant
Librellule – la contrebasse
J’aimerais apprendre à jouer de la contrebasse
Pouvoir jouer des accords
Ouvrir ma porte sur un chant léger
M’envoler sur la traîne d’un arc-en-ciel
Me laver sous une pluie d’étoiles
J’aimerais voir de l’autre beauté
Comme un reflet de ma tendresse enfouie
Et je veux croire au sourire des hommes
à celui qui se lie aux vagues de mes lèvres
Bientôt
J’habiterai une demeure sans murs ni loquets
Sans bure ni hoquets
Je deviendrai une vallée verte et fleurie
Qui ne connaitra plus ni faux ni sécheresse
Une vallée fertile aux méandres joyeux
Qui accueillera le faucon émerillon
Et s’élargira face à l’horizon ouvert
J’aimerais apprendre à jouer de la contrebasse
Mais je marche sur des cordes tangibles
Soutenue par des canopées de lettres
Et des aurores mordorées
De celles que savent écrire les poètes.
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