voir l'art autrement – en relation avec les textes

peinture

Le silence à travers les âges – ( RC )


peinture: Max Ernst  » le silence à travers les âges » – 1968

Le silence à travers les âges
ne tourne pas sur lui même
à la manière d’une roue dentée:
personne ne l’enferme dans une cage.

On ne sait pas ce qu’il cache :
des oublis, les âmes des damnés,
des soleils éteints
au cœur même de la terre…

Le sol inconscient
recèle dans le charbon noir
des fragments de mémoire
qui parfois s’y attachent:

des insectes, une fleur de renoncule,
une branche de fougère
qui a connu d’autres instants
avant le carbonifère…

Le silence est l’absence de bruit
– ce que nous suggère à notre oreille
les limites de notre ouïe –
On ne perçoit pas des frottements minuscules :

…quelques instants de repos et la vie
reprend son souffle dans le sommeil
après une éclipse partielle :
l’ombre tourmentée de Sybille

n’est que la révélation
d’un langage énigmatique
des instruments de divination
enfermés dans des feuilles fossiles :

il échappe aux données synthétiques
consignées dans le sanctuaire
où on conserve à l’abri
l’encyclopédie sans paroles :

le silence somnole
mais se dissout par lui-même
sans avoir besoin d’un poème
qui le circonscrit…


François Corvol – c’est parti dans les nuages


V

peinture Marc Chagall – costume de Zemphira, pour Aleko

C’est parti dans les nuages
j’éprouve des bonheurs inconnus et familiers
chaque jour renouvelé
chacune de mes journées est merveilleuse
j’ai peine à y croire

VI

Cette vie est semblable à un rêve
j’en ai tant de ces rêves que je n’y vois plus rien
mes yeux distinguent à peine tout ce qu’il y a de réel
je les écoute parler
j’ai du mal à suivre
j’écoute intensément pourtant
mes pensées sont déjà ailleurs
je me sens comme un oiseau flottant
qui n’a pas appris à se poser
les musiques les livres et les films tous aussi nombreux
que les êtres humains qui habitent la terre
sensation de danser dans les choses et les êtres
je fluctue je marche
je divague sur les eaux
j’erre et j’ai quelques brasiers au-dedans
à entretenir
quelques êtres dont je dois prendre soin


Patrick Cauvin – huit jours en été – extr 1


peinture Gérard Schlosser  » avec un autre » 2013

En tout cas, c’est fini pour les méditations, je n’ai plus
qu’à m’équiper joyeusement et les rejoindre.
Enfilade du premier maillot de bain.
J’ai l’approximative couleur de l’endive de saison.
Bien sûr, je vais me tailler ma part de ricanements
au milieu des foules hâlées. Je me demande
comment les gens font, à croire qu’ils sont hâlés en
permanence, qu’ils passent leur vie dans des solariums
tandis que je pâlis sur les contrats d’assurance.
Ou alors il ne pleut que sur le XVIII è,
ensoleillement maximum sur le reste de la France…


Gérants de la fortune du roi – ( RC )


peinture G Rouault – Ubu Roi.

Le roi chantait nos louanges
en négociant notre chair contre notre salut
car tout l’or du monde affluait,
se convertissait en papier monnaie.

Nous étions gérants d’une fortune
qui se compte en places réservées
pour être au premier rang au paradis,
plus près de l’arc-en-ciel.

Froides banquises et coffres-forts,
nous comptions les liasses,
et l’argent se figeait entre nos doigts,
graissant la patte à Saint-Pierre.

Nous nous sommes battus pour le conserver,
mais les financiers en voulaient toujours plus,
et le roi nous a fait embastiller.
Nous n’avons vu du ciel que la découpe.

à travers la lucarne étroite de notre cachot.
Alors nous avons su que les prières
n’arrivent pas jusqu’à l’ombre,
et qu’en fait c’était l’enfer qui nous était promis.


Marcel Migozzi – affleure la souche


peinture Eugène Jansson

Contre le muret sans passage :
cet espace récent, de malaise.


Le pin y est mort. Affleure
encore la souche
qui ne possède plus que la terre.

Certains soirs,
au-dessus de ce vide,
le ciel immobile, je suffoque.

Je ne dis rien à ma famille.


François-Xavier Maigre – les dimanches


J’ai longtemps détesté les dimanches

je les tuais en écrivant
je les piétinais sans savoir

 aujourd’hui
 
je te regarde grandir
et le temps nous manque.

peinture Bela Kadar

Renaissance sans attendre à demain – ( RC )


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peinture: Cliff Spohn

C’est maintenant …
je n’attendrai pas demain,
je compresse l’ombre
et parcours les veines de la terre.
Je convoque les complices du soleil
pour voler derrière les flammes :

– impatience de mes membres
qui s’extraient soudain des cendres – ,
pour renaître,
phénix au matin léger
du miracle de l’aube
dont j’emprunte les voies :
C’est aujourd’hui mon envol.
Je n’attendrai pas demain.


Anna Akhmatova – ils ont abandonné leur terre


peinture Josef Sima

Ils ont abandonné leur terre
Aux ennemis qui la déchirent,
Je ne suis pas de leur côté.
Leurs flatteries sont grossières,
Je ne les écoute pas.
Ils n’auront pas mes chansons.
Mais j’ai pitié toujours de l’exilé,
Du malade, du prisonnier.

Errant, ton chemin est obscur,
Amer, le pain de l’étranger.
Ici, dans la sombre fumée
De l’incendie, laissant périr
Ce qui restait de la jeunesse,
Nous n’avons esquivé aucun coup.
Plus tard, lors de la pesée,
Chaque instant sera justifié.
Nous en avons la certitude.

Il n’est personne dans ce monde,
Qui ait moins de larmes que nous,
Ni qui soit plus fier et plus simple .
Pourquoi te démener, maudit ?
Que regardes-tu, le souffle coupé?

Tu l’as compris : on a forgé
Pour nous deux une seule âme.
Oui, je te consolera
Comme personne n’ose le rêver.
Et si tu me blesses d’un mot féroce,
Tu auras mal toi-même.
En ces années fabuleuses


Alexandre Vialatte – Homard


Le homard est un animal paisible qui devient d un beau rouge à la cuisson. Il demande à être plongé vivant dans l’eau bouillante.
Il l’exige même, d’après les livres de cuisine. La vérité est plus nuancée.
Elle ressort parfaitement du charmant épisode qu’avait rimé l’un de nos confrères et qui montrait les démêlés d’un homard au soir de sa vie avec une Américaine hésitante :
Une Américaine était incertaine
Quant à la façon de cuire un homard.
— Si nous remettions la chose à plus tard ?…
Disait le homard à l’Américaine.
On voit par là que le homard n’aspire à la cuisson que comme le chrétien au Ciel.
Le chrétien désire le Ciel, mais le plus tard possible.

Ce récit fait ressortir aussi la présence d’esprit du homard.
Elle s’y montre à son avantage.
Précisons de plus que le homard n’aboie pas et qu’il a l’expérience des abîmes de la mer, ce qui le rend très supérieur au chien, et décidait Nerval à le promener en laisse, plutôt qu’un caniche ou un bouledogue, dans les jardins du Palais-Royal.
Enfin, le homard est gaucher.
Sa pince gauche est bien plus développée que sa pince droite.
A moins, toutefois, qu’il n’ait l’esprit de contradiction, et, dans ce cas, sa pince droite est de beaucoup la plus forte. De toute façon, il n’est pas ambidextre.
Ou plutôt il l’est en naissant.
Mais il passe sa vie misérable à se coincer les pinces dans toutes sortes de pièges.
Si bien qu’il les perd constamment.
Tantôt c’est l’une, tantôt c’est l’autre.
Comme elles repoussent, au contraire des bras de l’homme (le bras de l’homme ne repousse jamais), la dernière en date est plus petite, si bien que le homard ressemble au célèbre empereur Guillaume II, qui avait un bras bien plus petit que l’autre. Il ne put jamais se servir également des deux mains.


Marine Giangregorio – la songeuse


peinture – détail de? peut-être Rubens

Restait la songeuse
la songeuse et ses méandres
son apesanteur
un
goutte à goutte dans le temps

belle évanescente, tendez-moi encore vos mains gantées de satin blanc
étourdissez-moi de votre souffle langoureux
je me veux aussi songeuse que vous
éperdument trouble et silencieuse


Thomas Bernhard – avec moi avec mon pays


    VII
    Avec moi avec mon pays

peinture Alvaro Castagnet:HarbourBridge

Là ou je vivais, on ne peut échapper
à ta voix lubrique,
pas même le dispositif d’un seul jugement
me débusquer dans ton ombre..

Le lien qui m’unit aux fleuves
se dresse entre toi et moi,
je ne pense qu’à une chose :
dilapider
ce pays insensé,
ces rivières irrémédiables avec tous
les enfants et les enfants des enfants…

Ma science je l’ai tirée
des fosses à pommes de terre,
des ténèbres de la porcherie
j’ai tiré mon expérience de la terre et du ciel,
dans l’avalanche des pommes d’octobre, je suis
mon perpétuel psaume…

Sans que je te voie j’entends
tes paroles, sans cesse je suis
tes maisons,
dans les ténèbres de ta maison
je reconnais mon père
comme le concepteur de ma mort,
comme le géniteur de mon supplice,
comme l’instigateur,
le père de mes crimes…

Qui parle dans le buisson?
…le soir se tait.
Moi. ils m’ont trouvé en plein désarroi…
Je ne savais pas une seule strophe, un seul vers, moi,
pourtant tous contre tout s’insurgèrent…
comme si je n’apparaissais pas dans leurs villes :
vent glacial, malédiction des éléments…
Seul avec ce pays de deuil
ne pense pas…
ni fenêtres ouvertes, ni portes ouvertes,
rien que des épitaphes transparentes sur les pierres
tombales.


extrait de « Je te salue Virgile » 1959-1960


Un intérieur à la Vuillard – ( RC )


peinture E Vuillard – Misa au piano 1898

Je vois encore un intérieur,
où les couleurs papillonnent,
d’ocres et de gris,
j’imagine le parfum des lilas
parmi les ors
du soir qui se fane
auprès de la fenêtre.
La musique qui l’accompagne,
comme une traverse embaumée :
c’est « la Pavane pour une infante défunte »
à laquelle je pense .

Des sourires flottent
parmi les silences,
alors que s’égrènent
les dernières mesures au clavier.
J’ai le souvenir des mains qui dansent,
s’envolent, puis se posent
après que la mélodie se soit achevée,
puis la lumière, doucement s’éteint
comme dans un tableau de Vuillard.
Son chemin s’égare
dans les motifs de la tapisserie.
Je me rappelle de la lampe à pétrole,
qu’on allume en fin de soirée,
posée sur le guéridon,
à côté du piano…


Je reconnais les cavaliers de l’Apocalypse – ( RC )


enluminure : vue de la partie supérieure d’une des pages du manuscrit du Beatus de Liébana – Codex de Ferdinand Ier et doña Sancha – Espagne – (art roman, date soumise à caution ) la totalité peut être vue à cette page

Tiens je les connais ceux-là,
les cavaliers de l’ Apocalypse
sur fond orangé.
Il n’arrêtent pas de courir de ci, de là,
se croisent mais ne se regardent pas,
même les jours de totale éclipse.
C’est comme deux équipes qui se rencontrent:
qu’il faut reconnaître sur le terrain :
c’est ainsi que le peintre nous les montre:
à chacune sa couleur et son fond de teint !
Le maillot jaune du Tour de France
avant que chacun s’élance,
le maillot à rayures
conforme aux Ecritures !

Pour l’instant tout est à peu près normal
même si les chevaux ont l’haleine un peu chargée:
de leur gueule quelques flammes et de la fumée,
mais leur queue porte des êtres plus que pâles
qu’on aurait imaginés plutôt noirs ou roses…
Ils semblent tenus par un cordon ombilical
et ont tendance à préférer l’horizontale:
c’est quand même une drôle de chose:
on se sait pas qui va l’emporter:

chacun a ses supporters
pour semer la panique sur la terre
d’ailleurs sous le cheval noir, on voit un petit pied
qui s’enfonce de façon irrémédiable
dans le bas de la page:
c’est sans doute un présage
car le choc semble inévitable
du fait que les bêtes ont maintenant les pattes croisées
( je suis sûr que vous ne l’aviez pas observé ! )…

je prévois bientôt la fin du combat !
Et que deviendront alors les innocents blancs
que l’on a privé de leur sang ?
Il est encore temps de miser sur l’espoir
contre le cheval noir !
Non, ce n’est pas votre cas ?
dans mille ans il sera trop tard
pour me faire signe
on aura interdit les paris en ligne
dans les versets de la Bible
et les imprécations qui s’égarent
ça c’était prévisible !

pour le guide illustré de l’Apocalypse, voir


Double portrait de Clive Barker – ( RC )


peinture – deux portraits de Clive Barker par Francis Bacon

Si un jour, tu croises dans la rue
l’artiste dont tout le monde parle
tu n’oseras pas lui dire
que ton regard s’est égaré dans les recoins,
pour chercher des symboles
effacés d’un coup de chiffon.

Ses toiles sont les plus chères du monde,
mais tu ne te verrais pas
associé aux portraits de Clive Barker,
que tu ne connais que de nom,
– et puis il lui manque un coin de la tête,
et ses yeux restent flous
derrière d’épaisses lunettes -.

Sans doute vaut-il mieux le connaître,
à travers ses « livres de sang »,
mais il faudrait affronter les démons
ou les serpents d’eau
du maître des illusions.

Au royaume des devins
l’avenir est la loi.
Le visage de l’écrivain
dépose sa trace sur la toile,
comme si c’était le Saint Suaire.

S’apprêterait il à parler,
un coup de brosse
du peintre l’en empêche.

Il restera mutique en prenant petit à petit
les couleurs froides
d’un jambon avarié
auquel on ne demande jamais
de s’exprimer sur son passé.


esquisse trempée d’encre verte – ( RC )


peinture Jane Cornwell

une esquisse rapide,
dans ce lavis liquide
un pinceau qui court,
sans souci du détail
ni des contours,
trempé d’encre verte à tout hasard,
plus une touche de grisaille
le tout sans symétrie,

mais c’est ton regard
qui y est inscrit
toujours interrogatif:

chaque fois que j’ouvre ce cahier,
je pense à cet instant furtif,
l’essence d’un secret,
ce moment passager
que je vais conserver
pour toujours, à l’abri de l’oubli…


Nicolas Jaen – le coing propose une joue d’ombre à l’apprenti


peinture Andy Demzler

Il pourrait le dire, en haut-allemand, ou en noroît :
Le vent souffle, la cendre dans les hangars, le bel orage oui
Les morts déplacent des pierres des chantiers le H pour fenêtre d’hôpital
Où la lumière fait une flaque au pied de personne avant de se retirer,
Où les rideaux évoquent théâtre chauffé, lit, drame, jouent des scènes
Furtives au toucher qu’est la main retrouvée.
(La pourriture du coing propose une joue d’ombre à l’apprenti au pinceau
Le trait de la lame écrit en sang sur la pulpe du doigt la dominante)
etc. Les peaux de raisins de poires le jus des pommes épandus.
Dans la galette, le pois cassé, le salsifis, l’iris troublé :
le temps s’étire comme un chat, je jeûne au festin ô
L’œil nid de palombes
L’ombre, enfoncée, dans le mur signe une proximité – et une absence.
Les thèmes de l’air et de l’eau sont les voisinages du vide

  • les fonds, le bleu du ciel, et dessous une maison qui penche, qui a faim.
    Un siècle qu’elle n’a pas bougé d’un ciel.
    On chiffrera plus tard mes études, on me verra copiste.
    L’ange attendra comme pierre, comme saule, et il y a pleurs dans peupliers
    Le temps efface les mains Une craie s’est brisée en écrivant le mot
    « père » sur le tableau noir de l’école L’écolier persiste sous le cœur.

Au teint de vieux noir et blanc.
( Oui j’ai de la chapelle de l’hôpital des poussières d’hosties encore dans la gorge.)
On lavera au sang. On ouvrira nos écorchures.
On se baignera en nous.
Et l’ange frappera. Par sa nervosité.
Son œil boira les couleurs.
À peine recommencées. Esquives.
Et coups bas. Oui, la folie reprisée. D’avoir a consumer d’êtres l’urne, lente, fourragée, d’éternité.
(Oui j’étais la pierre la dune le sable le soleil)

Nicolas Jaen ( texte paru dans la revue « Décharge » )


Mireille Podchlebnik – Passante


peinture : Markus Lupertz musée d’art moderne de Paris

Je ne suis que passante

La passante du rêve

La passante d’un soir

La passante du désespoir

Sur la feuille volante

J’existe et je n’existe pas

L’écriture s’efface sans laisser de traces

Comme un écho à travers le temps

Illusion

Je partirai un jour à pas de loup sur le chemin.

—————

( texte de 2008 extrait de la revue « Comme en >Poésie »


variations en bleu et vert ( chez Whistler ) – ( RC )


W A Whistler – variations en bleu et de vert 1868

C’est peut-être une fin d’été. devant la mer
Quatre femmes sont les actrices
d’une peinture de Whistler: presque une esquisse
peinte à grands traits rapides.
Sous un ciel paisible et lisse,
une brise s’élève à peine :
c’est une symphonie de bleus et de verts
devant une eau claire et limpide,
où rien ne bouge…


Le personnage de gauche marche lentement.
On le dirait sorti d’une fresque romaine
ses voiles jouent avec le vent.
A côté de cette femme
se tiennent deux dames
habillées de bleu et vert, également
avec quelques notes de rouge.
L’une d’elles tient un éventail.
Le peintre n’a précisé aucun détail…
Elles entourent le personnage principal
à la position centrale,
le regard perdu dans le lointain
assise, avec un geste de la main.


On ignore ce qui les réunit ici,
s’il y a une maîtresse et des servantes ;
elles se fondent dans le calme et l’harmonie.
On s’attendrait à une fête galante,
sans fioriture inutile
au retour d’Ulysse dans sa patrie,
un vaisseau que l’on devinerait entre deux îles:
—- on ne saura rien de la suite
du tableau, le regard se perd au-delà de ses limites…


le jardin de mon poème – ( RC )


peinture Otto Müller

Reconnaîtrais-tu ce jardin,
maintenant abandonné,
laissé à lui-même
alors que débordent les branches
du saule, que tu as connu
jeune encore, devant la maison?

Les heures de l’hiver
viendront tuer les fleurs,
arracher les feuilles
du chêne encore debout,
mais tu reconnaîtras le jardin de mon poème,
auquel subsistent quelques vers…


Dévêtue d’un temps trop lourd – ( RC )


peinture Gaston Bussière – ( l’anneau des Niebelungen)–la Révélation, Brünnhilde découvrant Siegmund et Sieglinde, 1894

En plongeant dans la rivière
pour aller chercher l’anneau d’or
que tu avais perdu,
j’ai trouvé la marque de tes mains.
Elles avaient modelé les pierres
lorsque tu t’es dévêtue
d’un temps trop lourd,
avant de t’envoler
légère
au-dessus de la terre
pour y rejoindre les constellations
dont même la science
ignorait l’existence….


Au-delà des fenêtres – ( RC )


Peinture Andrew Wyeth

Personne ne convoite l’hiver.
Lui se cantonne sous tes fenêtres,
et ton royaume est étanche.

Il y a de ces frontières
qui dépassent les saisons,
amidonnées de givre et de silence.

Il faudra bien cependant un jour
sortir de ta bulle
pour affronter l’avenir.

L’enfance s’est rétrécie toute seule,
et tu l’a perdue de vue,
pourtant tu n’as pas froid

Car insensiblement tout s’est transformé,
et la vie, dans son royaume , s’étend
bien au-delà des fenêtres .


Ogden Nash – Mariez vous toujours à une fille d’Avril


peinture Dorothea Tanning

Louez les sortilèges, bénissez les charmes,

j’ai trouvé Avril dans mes bras.

Avril doré, Avril nuageux,

Gracieux, cruel, tendre et frondeur;

Le doux avril en langueur fleurie,

Le froid avril à la soudaine colère,

toujours changeant, toujours sincère –

J’aime Avril, je t’aime.

extrait du blog poésie et racbouni


Venise en hiver – ( RC )


voir site

As-tu encore des souvenirs
du film de Visconti ,
de Venise en hiver,
de la neige sur les gondoles
alignées sur les pontons de bois ?

Plutôt que des photographies,
tu en fis un carnet de voyage,
avec des traits subtils
les traces versatiles
de lavis poursuivant les nuages.

La ville est silencieuse
dans ses habits d’ocre rouge,
et des palais aux colonnes de marbre
penchés sur la lagune
comme à regret.

La Salute est en équilibre,
un peu effacée par la brume.
Elle a abandonné ses reflets
à la matité d’un hiver
couronnant les rives de gel.

Tout est immobile,
le silence est dans le cœur
de la terre et du ciel,
les pieds dans la vase et les flots
sans qu’on en voie les limites.

C’est un instant prélevé sur l’éternel,
où tout ce qui scintille
s’évanouit dès qu’on approche la main.
Tu nous décriras San Michele,
le cimetière en dehors de la ville

où les poètes
dans leur profond sommeil
ne sont pas dérangés par les touristes
venus pour le Carnaval ,
les vaporetti du Grand Canal.

Les peintres n’ont pas de mots
pour dire la beauté des lieux
traversés par les siècles
et la ville qui doucement sombre
dans le miroir les eaux.

RC

( texte en rapport avec l’ouvrage de dessins de Jean-Gilles Badaire  » Venise » )


Kate Tempest – Ballade pour un heros – ( War music )


peinture M Gromaire

Ton papa est soldat, mon petit
Ton papa est parti à la guerre,
Ses mains fermes tiennent son arme,
Il vise précis et sûr.
.
Ton papa est dans le désert maintenant,
L’obscurité et la poussière,
Il se bat pour son pays, oui,
Il le fait pour nous.
.
Mais ton papa va bientôt rentrer à la maison,
Dans pas longtemps il sera là,
Je te mettrai ta plus belle chemise
Pour aller le chercher sur le quai.
.
Il te portera sur ses épaules et
Tu chanteras, tu applaudiras, tu riras,
Je le tiendrai par la taille,
Et je l’aurai enfin tout près de moi.
.
Ton père n’a plus quitté la maison,
Ton père ne se brosse pas les dents,
Ton père est toujours en colère,
Et la nuit, il ne dort pas.
.
Il fait sans cesse des cauchemars,
Et il semble faible et épuisé,
Oui, j’ai tenté de le soutenir, mais
On se parle à peine.
.
Il ne sait pas quoi me dire,
Il ne sait pas comment le dire,
Toutes ses médailles pour sa bravoure,
Il veut juste les oublier.
.
Il boit plus que jamais, mon fils,
Avant, il ne pleurait jamais. Mais maintenant,
Je me réveille la nuit et je le sens
Qui tremble à côté de moi.
.
Il m’a enfin parlé mon fils !
Il s’est tourné vers moi en larmes,
Je l’ai serré contre moi et j’ai embrassé son visage
J’ai demandé ce qu’il craignait.
.
Il a dit qu’il fait toujours plus sombre,
Quelque chose n’a pas disparu,
Il dit qu’il le comprend bien mieux
Maintenant que sable et fumée se sont dissipés.
.
Il y avait ce gosse qu’il avait appris à connaître,
Un jeune d’à peine dix-huit ans,
Brillant et gentil, il s’appelait Joe,
Il tenait son fusil bien propre.
.
Sa petite amie attendait un bébé,
Joe aimait plaisanter et rire,
Joe marchait devant ton paternel,
En patrouille sur un chemin.
.
Tout était calme jusqu’à
ce qu’ils entendent l’explosion.
L’homme qui a marché devant Joe
A été complètement soufflé.
.
Des éclats d’obus ont frappé Joe au visage,
Arraché les deux yeux à la fois,
La dernière chose qu’ils aient vue
C’est l’homme qui était devant :
.
Membres et chair et os et sang,
Déchiquetés, éparpillés,
Et après cela – juste la nuit.
Le goût, la puanteur, le bruit.
.
Je te dis ça mon fils parce que
Je sais comment tu seras,
Dès que tu seras assez grand
Tu voudras aller te battre
.
Qu’importe la bataille où tu t’engageras,
Tu donneras ton sang, tes os,
Pas au nom du bien ou du mal –
Mais au nom de ta patrie.
.
Ton père croit au combat.
Il se bat pour toi et moi,
Mais les hommes qui envoient les armées
Ne l’entendront jamais pleurer.
.
Je ne soutiens pas la guerre mon fils,
Je ne crois pas que ce soit juste,
Mais je soutiens les soldats qui
Partent en guerre pour combattre.
.
Des troupes comme ton papa, mon fils,
Des soldats jusqu’au fond de l’âme,
Portant fièrement leur uniforme,
Et faisant ce qu’on leur commande.
.
Quand tu seras grand, ma petit, mon amour,
S’il te plaît, ne pars pas à la guerre,
Mais combats les hommes qui les décident
Ou combats une cause qui est la tienne.
.
Cela semble si plein d’honneur, oui,
Si vaillant, si courageux,
Mais les hommes qui envoient à la guerre
Le font au nom de l’or
.
Ou vous envoie pour du pétrole,
Et nous raconte que c’est pour notre pays
Mais les hommes rentrent comme papa,
Et passent leurs journées à boire.

traduction M Bertoncini dans « jeudi des mots »

une musique lancinante qui a quelque chose à dire…et qui retrouve une certaine actualité ( en faisant le pont entre le souvenir de la guerre de 14, finalement assez peu évoquée ces derniers temps juste après le 11 novembre…, et l’actualité ukrainienne…………………………….sans parler des autres… )


Jean-Pierre Balpe – la rencontre imprévue


peinture Gabriele Münter 1913

ce quil écrit c’est pas des mots c’est autre chose pas la vie
non plus ni l’amour ni la réalité un moment se demande si
l’âme mais dans ce mot est quelque chose d’enfantin
effrayant comme l’enfance ou l’enfance se dit alors la
langue ou le langage ou le texte ou l’avant-texte mais
ça lui fait mal à la tête et ne le satisfait pas non plus alors
cherche écrit cherche cherche ce qu’il écrit écrit qu’il
cherche ce qu’il cherche qu’il écrit s’enfonce parfois dans
ces profondeurs abyssales
avec un goût d’encre dans la bouche une nausée des profondeurs
qui l’indispose un peu mais n’a pas d’autre solution il écrit il écrit il écrit
il cherche il cherche il écrit il cherche ce qu’il écrit et tout ça finit
par remplir des pages et des pages d’écrits sur l’écrit et la recherche
de l’écrit et ses pourquoi ses comment ses attendus ses causes
ses effets ses hésitations ratures remords repentirs retours
ou autres remugles de l’esprit qui des heures et des heures
et des heures le clouent pieds joints et mains en croix
sur la surface toute griffonnée de son bureau


Azem Shkreli  – Le baptême du Verbe




peinture :Ilya Repin – la fille du pêcheur (1874)


Je n’ai pas fait de toi une poupée mais conçu un enfant

Sous le fouet de ta peine étant peut-être torturé moi-même
Tu béniras comme une offrande la soif et la faim
Que te donna un messager attardé, roulant sans amertume

J’ignore les caresses car je t’ai tiré d’un sang
Acre, ce qui rendait vaines les sages leçons
A présent, tu ne souffres pas de ma plaie à moi, mais
De ce qui cause ton désespoir et mes désillusions

Tu suscites et supplies sans fruit
Le silence automnal qui s’insinue de par mes membres
En cette folie qui nous habite tu peux te jeter à ta guise
Mais en aucune façon te soustraire au destin de ta ville de Troie

texte issu du recueil  » Kosovo dans la nuit « 


Ce que les oiseaux n’ont pas vu…- ( SD-RC )


Entre tilleul et cerisier,
J’ouvre une parenthèse:
mains, peau, émois, éveil, ….

Quelques éclats de soleil
nous caressent à notre insu.

Ce que les oiseaux ont vu,
je ne le dirai pas…

Dirai-je ce qu’ils n’ont pas vu :
la valse tendre de nos doigts
dans l’ombre du feuillage,
les étoffes froissées,

dansant,
ton corps léger , flottant dans l’air,
sous la lumière complice,
baignant le couvert de petites parcelles d’or
que tu n’as pas saisies.

C’est qu’ils n’ont pas surpris
la douce chanson du désir…

L’été s’est installé
dans un soupir…

SD-RC août 2020