voir l'art autrement – en relation avec les textes

philo

Caroline Dufour – Saturation


peinture RC

et l’arbre se tient béant
devant tant d’yeux
sur le vide
et tant de vide
à vendre

d’autant béant
qu’autour de lui,
la blanche tombe cristalline
comme une grande
chanson d’amour

des milliards de
diamants cosmiques
projetés
d’une bouche céleste
sur un monde

gorgé

mais que
sais-je, se dit-il,
de l’instable
peut-être, dans
sa parfaite élégance, sa
courbure patiente

· du site de Caroline D  » Si j’étais un arbre »


Basho -La pièce perdue


euro, 5 cents, pièce de monnaie en cuivre, de tomber, de crise, de l'eau

La pièce perdue dans la rivière se trouve dans la rivière
Le soleil et la lune sont des voyageurs dans l’éternité.
Même les années sont errantes.
Pour ceux dont la vie est sur les eaux
ou qui conduisent un cheval au fil des ans
chaque jour est un voyage
et le voyage lui-même est la maison .


– Basho

( tentative  de traduction RC à partir  de l’anglais )

 

The Coin Lost In The River Is Found In The River

The sun and moon are travelers in eternity.
Even the years are wanderers.
For those whose life is on the waters or leading a horse through the years
each day is a journey and the journey itself is home

– 


Julia Kristeva – l’étranger qui est en nous


Le mariage de l'homme sans têteEtrangement,          l’étranger nous habite:

il est la face cachée de notre identité,l’espace qui ruine notre demeure,le temps où s’abîment l’entente et la sympathie.De le reconnaître en nous,nous nous épargnons de le détester en lui-même.


Raymond Abelio – Seuls les faibles me demandent encore ma chaleur


photo: Anna Bodnar

photo: Anna Bodnar

 

Seuls les faibles me demandent encore ma chaleur.

Ils veulent s’y assoupir. Mais ils se trompent sur moi, ils me prennent pour l’enfant que j’ai été.

Je n’ai plus de chaleur disponible, je la change toute.

Éternels voleurs d’énergie, enfants adultérins de Prométhée, profanateurs du feu dont ils ne dérobent que la fumée charbonneuse !

J’appelle forts ceux qui ne me demandent rien, mêlant à la mienne leur lumière, qui est la même.

  • Ma dernière mémoire, Raymond Abellio, éd. Gallimard, 1971, t. I, partie Un faubourg de Toulouse, 1907-1927

Main-mise de la sécheresse – ( RC )


photo perso -  route de Ouazazate Maroc

photo perso –                  route de Ouazazate                   Maroc

Je suis des yeux le mince ruban d’un chemin

Il progresse lentement entre les pierres,

Un convoi laisse sa trace, en ruban de poussière

Derrière on ne distingue pas encore les engins,

La main-mise de la sécheresse est partout,

Elle a mis à nu les pentes rousses,

Où aucune plante ne pousse,

Et aucun arbre n’est debout.

En s’aventurant dans les creux,

Des maisons d’argile se dressent,

La fantaisie les délaisse,

Elles se distinguent à peine du sol rocheux.

Au pied de pentes raides,

Quelques palmiers      survivent,

Bordée de roches coupantes, la rive

A peine humide,          de l’oued…

Le regard des enfants a l’éclat de la fièvre,

Il n’y a pas d’herbes,  mais un sol orange.

On se demande        ce que mangent,

Les quelques troupeaux de chèvres…

Tu as le visage cuivré au grand air,

Buriné de rides,

Cuit au soleil de l ‘aride,

Offrant du cuir, plutôt que de la chair.

L’astre du jour monte en puissance,

Tant, que l’éblouissement prolifère,

Et           la mince croûte de terre,

S’ouvre en béances,

Sans ombre protectrice,

Ce sont d’abord   quelques fissures

Puis sol se lézarde  en brisures,

Aux plaies du sacrifice.

Sous l’abri des tentes berbères  ;

Le thé à la menthe …..

Et les heures passent,       lentes,

Aux portes du désert…

RC – 17 novembre  2013

 

photo perso - Maroc   octobre 2013

photo perso –                       Maroc octobre 2013


Un état poétique – ( RC )… écho à Cesare Pavese


photo:           extraite des   « temps Modernes  »   C Chaplin

Dès l’instant où l’auteur tourne sa tête,

Diverge le quotidien, dans ce qu’il a de commun,

Et répétitif,

Des occupations « terrestres »….

Le regard change de place.

La pensée ricoche sur d’autres,

( celles des autres aussi )

Et remplace la normalité, par une envolée

–  Plus belle – je ne saurai le dire-

Mais davantage libérée,

( si libérée est le terme),

des occupations de la vie,

Pour laisser place

Aux émotions,            dites

En métaphores,

Enracinées à la fois

Dans la vie et le rêve,

Une manière d’être.

( un état poétique),

Comme on dirait « un état fébrile »

Qu’il lui faut traverser.

De sa plume – seule ? –

En tout cas par l’esprit,

Ouvert à des éclairages,

Qui lui sont encore , inconnus.

 

RC- septembre 2013

—-

en écho à ce qu’écrivait C Pavese:

16 avril 1940

Il doit être important qu’un jeune homme toujours occupé à étudier, à tourner des pages, à se tirer les yeux, ait fait sa grande poésie sur les moments où il allait sur le balcon, sous le bosquet, sur la colline ou dans un champ tout vert. (Silvia latini, Vie solitaire, Souvenirs) La poésie naît non de l’our life’s work, de la normalité de nos occupations mais des instants où nous levons la tête et où nous découvrons avec stupeur la vie. (La normalité, elle aussi, devient poésie quand elle se fait contemplation, c’est-à-dire quand elle cesse d’être normalité et devient prodige.)

On comprend par là pourquoi l’adolescence est grande matière à poésie. Elle nous apparaît à nous — hommes — comme un instant où nous n’avions pas encore baissé la tête sur nos occupations.

20 février

La poésie est non un sens mais un état, non une compréhension mais un être.

extrait du « Métier de vivre « 

 


Gao Xingjian – la montagne de l’âme ( extr 01 )


sweet%2520chair-iot%2520n%2520c%2520times%2520sunday%25207292007

*

La vérité n’existe que dans l’expérience de chacun,
et même dans ce cas, dés qu’elle est rapportée, elle devient histoire.

Il est impossible de démontrer la vérité des faits et il ne faut pas le faire.

Laissons les habiles dialecticiens débattre sur la vérité de la vie.

Ce qui est important, c’est la vie elle-même.
Ce qui est réel, c’est que je suis assis à côté de ce feu dans cette pièce noircie
par la fumée de l’huile, que je vois ces flammes dansant dans ses yeux,
ce qui est vrai, c’est moi-même,
c’est la sensation fugitive que je viens d’éprouver,
impossible à transmettre à autrui.

Dehors, le brouillard est tombé,
les montagnes sombres se sont estompées,
le son de la rivière rapide résonne en toi et cela suffit.


Langue au pas à pas des signes ( RC )


photo:        Herlinde Koelbl:         Robert Mapplethorpe, 1983

C’est en suivant         pas à pas ,

–                            Des traces sur les murs,

   Et le sol                     d’un immense labyrinthe

Qu’une vie entière ne suffirait pas à appréhender,

–                        Qu’elle fit sienne une langue,

Imprimée de marche                          intime,

< Dont                seule elle détenait les clefs,

Que je comprenais,        je crois,      un peu,

–            Sans pouvoir la déchiffrer tout à fait.

RC  – 20 mai 2013

–  en rapport  à une phrase  de Patti Smith,  ( et son rapport à Rimbaud ):

« Rimbaud détenait les clefs d’un langage mystique que je dévorais même lorsque je ne pouvais le déchiffrer tout à fait »

–     dédié à Arthémisia


Shitao – l’image entraîne la plongée dans l’autre monde


Au sujet  du cinéma  de  Raoul Ruiz,  une analyse approfondie  est visible ici

dont  j’ai  extrait  ce petit paragraphe  où il est question  du voyage  de l’oeil dans le monde de la peinture  ( applicable  aussi  à Bruegel…  ayant vu la présentation du film  récent  qui lui est consacré)  voir le post sur si-peu-de-nous

( où on retrouve  François Cheng,  déja mentionné  dans  trois  de mes  posts)…

Suivre  l’empreinte  de l’oiseau   , du poisson

partie  A,         partie  B              et  « le vide »

—-

L’exemple fourni par Ruiz des préceptes du peintre Shi-T’ao l’illustre bien : « Nous pénétrons la peinture.

La pluralité des événements devient un tout organique auquel nos yeux et nous-mêmes appartenons. »

C’est ainsi que l’image entraîne la plongée dans l’autre monde, devient à la fois lieu de passage et milieu de rencontre, suggérant une proximité avec la médiation traditionnelle fondée sur
la transmission orale.

La spectature est dès lors perçue comme un rituel, une cérémonie…


Walter Benjamin – Klee, Kandinsky


peinture oeuvre de W Kandinsky

 

Klee, et surtout Kandinsky, sont depuis longtemps occupés à nous acclimater aux royaumes où le microscope nous entraîne avec une brusque violence, ces plantes agrandies
nous découvrent plutôt des « formes stylistiques » végétales. Dans la forme de crosse d’évêque de la fougère en aile d’autruche, dans la dauphinelle et la fleur de
la saxifrage, qui fait une deuxième fois honneur à son nom en rappelant les rosaces des cathédrales, on devine un parti pris * gothique.

peinture Kandinsky

 

Les prêles voisines montrent de très antiques formes de colonnes, les pousses dix fois
agrandies des châtaigniers et des érables des formes de totems et celle de l’aconit se déploie comme le corps
d’une danseuse touchée par la grâce. De ces calices et de ces feuilles, la nécessité intérieure de ces images jaillit vers nous et garde le dernier mot dans toutes les phases
et tous les stades — les métamorphoses — de la croissance.

Nous touchons là à l’une des formes les plus profondes et insondables de la création, la variante, qui a toujours été, avant toute autre, la forme du génie, des créations collectives et des créations de la nature.

Elle est la contradiction fertile, dialectique de l’invention : le   « natura non facit saltus »
.< La nature ne fait pas de saut ». La formule est, entre autres, reprise par
Leibniz, Nouveaux Essais sur l’entendement humain, dans Die
Philosophischen Schriften von G.W. Leibniz,

 

Une  série  de photographes  se sont intéressés  au développement  végétal  entre  autres  Karl Blossfeld, qui est très connu, mais  j’ai  choisi  de vous  en présenter  un qui l’est moins.

 

photographie: Antonio Gesmundo

 


Mahatma Gandhi- enfer et paradis


 

 

 

Un jour un saint’ homme eut une conversation avec le bon Dieu et Lui posa une question :
« Seigneur j’aimerais bien savoir comment sont le Paradis et l’Enfer »
Dieu conduit le saint’ homme vers deux portes.
Il en ouvrit une et lui permit de regarder à l’intérieur.
Il y avait une très grande table ronde.
Au milieu de la table il y avait un très grand récipient contenant
de la nourriture au parfum délicieux.
Le saint’ homme en eut l’eau à la bouche
Les personnes assises autour de la table étaient maigres, avaient une mine livide et malade.
Toutes avaient un air affamé.
Ils avaient une cuillère avec un manche très très long, attachée à leur bras.
Tous pouvaient atteindre l’assiette de nourriture et en recueillir un peu, mais
comme le manche de la cuillère était plus long que leur bras,
ils ne pouvaient approcher la nourriture de leur bouche.
Le saint’ homme trembla à la vue de leur misère et de leur souffrance.Dieu lui dit: « tu viens de voir l’Enfer »
Dieu et l’homme se dirigèrent vers l’autre porte.

Dieu l’ouvrit

La scène que l’homme vit était identique à la précédente.
Il y avait la grande table ronde, le récipient qui lui faisait venir l’eau à la bouche.
Les personnes autour de la table avaient eux aussi des cuillères avec de longs manches.
Cette fois, par contre, ils étaient bien nourris, heureux et papotaient entre eux en souriant.
Le saint’homme dit à Dieu : « Je ne comprends pas »
« C’est simple » répondit Dieu. Ceux-ci ont appris que le manche trop long de la cuillère ne leur permettait pas de se nourrir eux-mêmes mais permettait de nourrir leur voisin. Ils ont ainsi appris à se nourrir les uns les autres !
Ceux de l’autre table, au contraire, ne pensaient qu’à eux-mêmes…. L’Enfer et le Paradis sont égaux dans la structure… la différence nous la portons en nous !!!!
Je me permets d’ajouter :

« Sur la terre il y a suffisamment de choses pour satisfaire les besoins de tous mais pas la goinfrerie de quelques-uns »
Nos pensées, pour le peu qu’elles puissent être bonnes, sont des perles fausses tant qu’elles ne sont pas traduites en actions.
Il en va de même pour les changements que tu voudrais voir dans le monde ».
Mahatma Gandhi.


Claude Simon – Citation de J Luis Borgès


photographie: Matt Stuart

 

« Je crois qu’il y a une extraordinaire nouvelle de Borges où il raconte qu’un architecte
paysagiste dessine un parc avec des statues, des pavillons, des petits lacs, des allées. Quand
le parc est fini, il s’aperçoit qu’il fait son propre portrait. Je trouve que c’est une parabole
admirable. On ne fait jamais que son propre portrait »
Claude Simon

Tout un pdf  autour de Claude Simon est disponible aux carnets d’Eucharis

 

Claude Simon, est l’écrivain phare des Editions de Minuit:

-La  Bataille  de Pharsale,

-Le Vent  ( tentative de restitution d’un retable baroque)

-la Route des Flandres,

-l’Acacia

-Leçon de choses

-Les Georgiques

-Tryptique

-Histoire

-Les corps conducteurs

J’ai lu trois d’entre eux,  et écouté la version audio de la « Route des Flandres »… impressionant.


Pierre Reverdy – Si le réel …


art populaire mexicain

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si le réel nous échappe, aussitôt que nous nous mettons à y penser comme si nous le posions devant nous ainsi qu’un objet sur la table, ce n’est pas tant parce que notre imagination nous tiraille toujours vers l’irréel, mais parce que nous sommes le réel, nous baignons dans le réel, nous en sommes partie comme un globule de sang dans la masse et ne pouvons nous en dégager.

Nous sommes un atome constituant du réel et ne pouvons pas nous en distraire pour le juger, le jauger, ni même seulement le définir et nous en faire une très nette idée.

C’est pourquoi nous préférons souvent toutes les images, si minables soient-elles, que nos moyens peuvent nous en donner. Je veux parler de l’art en général, et toutes sortes d’autres produits de notre imagination que nous pouvons, une fois sortis du moule, si facilement dominer.

Ainsi l’esprit nous donne conscience du réel et nous interdit à la fois de l’appréhender parce qu’il exige toujours, de toute chose qu’il approche et sonde sous prétexte de la mieux connaître, d’être d’abord autre chose que ce qu’elle est.

 

 

extrait de    « en vrac  »  éditions  du Rocher  1956


Pierre Bergounioux ( sur Proust)


dessin: création personnelle: carnet de croquis, projet de peinture

 

“C’est qu’il se pourrait que je n’y parvienne pas, que les choses obscures, les ombres se refusent à venir au jour, que la vie échappe irrémédiablement aux prises de la compréhension rétrospective

comme elle s’est dérobée, dans l’instant, à la conscience.

Les seuls moments accomplis sont ceux qui ont trouvé, au-delà d’eux-mêmes,

l’explication qu’ils peuvent (doivent) recevoir, sur le papier.

Proust dit quelque chose d’approchant. La seule réalité est celle que nous avons pensée.” p335 – des carnets  de notes  de Pierre Bergounioux, 1991-2000),   voir  source.

—- Proust étant une  fréquente  source d’inspiration  (  et à propos d’inspiration… un souffle, justement)…

Pierre Silvain, écrivait  le côté de Balbec

voir ausssi sur Proust ,  ma publication sur écrits et cris ( 1er blog), en me rappelant  des « plaisirs  et les jours »

( il s’avère  que ces  deux  auteurs, dont j’ai lu beaucoup d’ouvrages, font partie  de mes auteurs  « phare »… tous deux ont été publiés aux  magnifiques  éditions Verdier. )

peinture: détail de panneau central, au Muusée Metropolitan de N York


Jean-Jacques Dorio: – instants



28 septembre 2006
INSTANTS

Le temps n’a qu’une réalité, celle de l’Instant.

Gaston BACHELARD

——–

Comme si parfois on cherchait à rendre

Une certaine exactitude de l’existence

Ceci est du pain suédois

De la pastèque cuite au chaudron

Ceci est un chat européen

C’est-à-dire de gouttière

Le bruit d’un réveil

Les paroles des proches

Mangeant le pain et la pastèque

Flattant le chat

Disant les choses du jour

Lançant l’argile dont chacun fait les statuettes de ses rêves

Comme si parfois on auscultait

Ces contours lents

D’un instant

Intact

Jean-Jacques Dorio


Diderot – supplément au voyage de Bougainville ( extrait)


A. Qu’entendez­vous donc par des moeurs ?

B. J’entends une soumission générale et une conduite conséquente à des
lois bonnes ou mauvaises. Si les lois sont bonnes, les moeurs sont
bonnes ; si les lois sont mauvaises, les moeurs sont mauvaises ; si les
lois, bonnes ou mauvaises, ne sont point observées, la pire condition
d’une société, il n’y a point de moeurs. Or comment voulez­-vous que
les lois s’observent quand elles se contredisent ?

Parcourez l’histoire des siècles et des nations tant anciennes que modernes, et vous trouverez les hommes assujettis à trois codes, le code de la nature, le code civil, et le code religieux, et contraints d’enfreindre alternativement ces trois codes qui n’ont jamais été d’accord ; d’où il est arrivé qu’il n’y a eu dans aucune contrée,
comme Orou l’a deviné de la nôtre, ni homme, ni citoyen, ni religieux.

A. D’où vous conclurez, sans doute, qu’en fondant la morale sur les
rapports éternels, qui subsistent entre les hommes, la loi religieuse
devient peut­être superflue ; et que la loi civile ne doit être que
l’énonciation de la loi de nature.

B. Et cela, sous peine de multiplier les méchants, au lieu de faire
des bons.

dallage réalisé à partir de plume de paon, montage perso


François Cheng – le vide


La notion de vide, comme principe dynamique  est développée   par l’écrivain chinois  François Cheng.

Comme le moyeu d’une roue dont tous les points sont en mouvement  à l’exception du centre, le vide occupe une position centrale dans la pensée chinoise.

Il prend une valeur positive lorsqu’il est lié à la notion du souffle, car selon cette pensée, l’ordre de la Vie qu’est le tao, « voie », a été rendu possible lorsque du vide originel a jailli le souffle primordial qui anime désormais toute entité vivante. Le mot « vide », {tl en chinois, évoque un vase vide ou un tertre inhabité. Sa prononciation xu (hsii) sugère )ustement un expir, un souffle qui passe.

Le vide positif est donc à percevoir comme l’espace où se génère et circule le souffle, le lieu par excellence où s’effectuent les transformations.

dessin calligraphique de Chu-Ta

Ni principe abstrait, ni catégorie vague, le vide est dynamique, intervenant au sein même de la vie courante. Pour ce qui est du fonctionnement du souffle lié au vide, on distingue, à la base, trois souffles qui agissent en concomitance : le Yin (douceur réceptive), le Yang (puissance active) et le vide-médian.

Ce dernier prend place lorsque le Yin et le Yang sont en présence; il a le don naturel d’entraîner les deux souffles dans l’interaction, et par là dans le processus de la mutation réciproque.

Et à propos des oiseaux,  voir  les posts de février 2012:

suivre l’empreinte de l’oiseau

suivre le poisson, suivre l’oiseau


Charles Dhuits– symbiose spirituelle


Le sentiment de la solitude est l’un des traits fondamentaux de la conscience occidentale.

Il nous semble naturel de croire que chaque individu  enfermé dans sa subjectivité comme dans une prison
par suite isolé de ses semblables.

Je ne peux «voir» ce qui se passe dans le cerveau de mon prochain; et mon prochain de son côté ne peut voir ce qui se passe dans le mien : personne ne songe à mettre en doute ces évidences.

Pour cette raison, la conscience moderne (ou occidentale) regarde la communication comme une affaire difficile, douteuse et douloureuse, complexe.

Comment si je suis enfermé dans ma subjectivité comprendre l’autre et me faire comprendre de lui? Je
suis obligé de me servir de signes: gestes, expressions du visage, regards et surtout mots. Ainsi, le langage est pour l’occidental le seul véhicule réel de l’échange. Je comprends l’autre parce que je comprends ses paroles. C’est grâce aux mots que je sais que je ne suis pas seul et que les êtres qui m’entourent sont mes semblables, c’est-à-dire possèdent une conscience analogue à la mienne.

On ne peut jamais savoir de science certaine,
« comme on sait que l’eau est froide », que les mots ont pour l’autre le même sens que pour nous.

En fin de compte il faut toujours croire aux signes, à ce qui sort de la bouche, à ces bruits que l’on a peut-être seulement l’illusion de comprendre.

Comme on le voit, l’importance que nous attribuons en Occident au langage explique celle que nous attribuons à la foi.

C’est aussi pourquoi, comme le montre l’histoire de notre philosophie, l’Occident ne surmonte jamais vraiment le solipsisme.

Nous admettons, il le faut bien, que les autres hommes ont une conscience analogue à la nôtre. Mais
nous l’admettons uniquement parce que nous pouvons parler avec eux et parce que nous ne supportons pas la
solitude.

Pour traverser un fleuve, on doit se fier à une embarcation ; de même, pour communiquer, on doit se fier
aux paroles. Or, comme l’ont de tout temps montré les
menteurs et les sophistes, les paroles sont traîtresses.

Pour des hommes qui ne regardent comme réelle que
la communication indirecte, c’est-à-dire verbale, une
seule question est fondamentale : qui croire ? quel est,
parmi les innombrables signes, celui de la vérité ?

Le problème de la communication se dissipe si l’or admet la possibilité de la communication directe, c’est-à- dire non-verbale.

Est-il vrai que la chair soit opaque et que je ne «voie» pas la pensée du prochain? Cela ne peut l’être que dans un contexte dualiste.

Sans nier l’importance de la parole, l’Orient a toujours tenu la communication directe pour un fait, ainsi
que le montre la relation traditionnelle du maître et du disciple.

Le maître parle, sans doute. Mais l’enseignement essentiel est transmis dans le silence. Il est le fruit de ce
qu’on pourrait appeler une symbiose spirituelle.

Pour l’Occidental, cette symbiose est nécessairement illusoire.

mix perso —

Il lui paraît naturel de penser que les êtres avec qui l’échange verbal est impossible sont animaux ou chimères. On ne peut avoir, dit l’imperturbable philosophe,
que l’illusion de sentir ce que sent un chien. Et le silence de l’Ange est la preuve irréfragable de son inexistence.

La différence qui est entre le rapport que noue avec son Dieu l’homme de foi (Pascal, Kierkegaard) et celui
que noue avec le sien l’homme qui tient pour un fait la communication directe est la suivante : l’un veut enjamber un gouffre; l’autre tient ce gouffre pour illusoire.

Selon l’Oriental nous ne sommes nullement séparés du Brahman (ou de la Tathata, ou du Tao). Nous pensons seulement que nous le sommes. Et cette erreur est l’une des ruses de Maya.


Citation

Fabienne Verdier, calligraphe – sur le site de JLK


 

—–

Fabienne Verdier ou l’abstraction vitale

ff9034ad8dc401997f02240847b25b69.jpg
ENTRETIEN Un livre magnifique, rassemblant ses œuvres et un entretien avec Charles Juliet, illustre la démarche exemplaire de l’artiste.
Le parcours existentiel et artistique de Fabienne Verdier fait figure, pour beaucoup, de véritable leçon de vie. Initiée à la calligraphie traditionnelle au fin fond de la Chine, au lendemain de la Révolution culturelle, ainsi qu’elle le raconte dansPassagère du silence, l’humble disciple de Maître Huang Yuan est aujourd’hui une artiste de renommée internationale. Est-ce pour autant une « star » ? Le prétendre serait ne rien comprendre à ce qui l’anime ni à ce qu’elle vit… 
– Qu’est-ce qui, depuis votre rude apprentissage en Chine, a changé pour vous ?

– Pour l’essentiel rien n’a changé : j’en suis toujours à me battre pour me construire, et ce n’est pas plus facile aujourd’hui que dans mes périodes d’apprentissage les plus rudes. Cela tient d’abord au fait que la relation au monde actuel est très difficile. Le monde de la consommation fausse notre rapport à autrui autant qu’il menace chacun de nous. J’ai tout à fait conscience, par exemple, du danger que représente ce qu’on appelle le marché de l’art, auquel je participe pour vivre de ma peinture, mais avec réticence, sans aucun goût pour les mondanités, et je sens que plus ça ira et plus je m’enfermerai. Je constate que plusieurs de mes camarades artistes chinois, qui crevaient de faim quand je les ai connus, gagnent aujourd’hui des millions de dollars. Je m’en réjouis pour eux, mais l’art est autre chose pour moi qu’un moyen de se faire de l’argent. On n’a pas idée des sacrifices qu’il représente, et je me refuse d’ailleurs à produire pour vendre.. Je tiens à rester rare afin de préserver mon intégrité ; en fait je me bats contre le marché ! Par ailleurs, je détruis 80% de mes travaux. Ceci dit, je viens de passer deux mois durant lesquels, ayant à présenter mon livre en Belgique et en Suisse, j’ai fait d’innombrables rencontres à la fois émouvantes et stimulantes : de jeunes gens qui doutent de tout et que ma démarche encourage à poursuivre une recherche personnelle ; de vieilles personnes aussi qui me disent que ma peinture les aide à vivre ; et cela va plus loin que la jouissance esthétique : cela touche au sens de la vie. Bref, on me rend au centuple ce que j’essaie de donner.
– Le grand collectionneur zurichois Hubert Looser vous a comparée aux maîtres de l’abstraction lyrique américaine, avant de vous inviter à « dialoguer » avec De Kooning, Cy Twombly ou Donald Judd par des créations qu’il a incorporées à sa collection. Comment l’avez-vous vécu ?
– Looser a découvert mon travail à Lausanne, à la galerie Pauli, puis il a débarqué dans mon atelier avec toute une documentation qui m’expliquait la parenté de mes recherches avec celles de Kooning, de Pollock ou de Barnett Newman, dont je ne me doutais pas. Or j’ai trouvé, chez ces peintres, une préoccupation spirituelle fondé sur des recherches que j’ignorais, recoupant la mienne. Jusque-là, je ne comprenais pas l’art radical d’un Donald Judd. Or la proposition si généreuse de Hubert Looser, de créer des œuvres en résonance avec ces maîtres m’a révélé leurs univers tout en m’aidant à mieux définir la spécificité de mon abstraction.
– Dans quelle mesure celle-ci participe-t-elle encore de sa source chinoise ?
4cf6caed941d39a865680d909ebc5acc.jpg– Il est évident que l’enseignement de mon maître reste une base fondamentale, avec tout ce qu’il implique. Les bâtonnets primordiaux, mais aussi la transmission d’un souffle immense. Ainsi je voulais que ma peinture s’ouvre à une dimension plus universelle, et c’est le sens aussi des grands formats que j’investis comme des paysages. Je m’y promène, J’y rêve. Par rapport aux abstraits américains, je ne me sens pas, comme eux, démiurges tout-puissants, mais plutôt dans la lignée du non-vouloir et d’une connaissance purement intuitive. Ma peinture est une peinture d’au-delà du désir d’art, elle s’accorde à une notion que le bouddhisme appelle l’« ainsité », exprimant avec fulgurance ce qui est ainsi, ce qui doit être ainsi et pas autrement. Sans jugement de valeur, « cela » chute dans le réel. Je foudroie la forme. C’est le sens de l’expression « entre ciel et terre ». Le tableau prend forme parce qu’on est en plein accord avec cette verticalité. J’ai alors le sentiment de travailler dans une sorte de mémoire primordiale. Nous sommes tous des fragments de mémoire. Je ne suis, pour ma part, qu’une petite tête chercheuse de cette mémoire incommensurable. Il y a en chacun de nous des milliards d’univers « à naître », et cette alchimie intérieure qui entre en résonance avec la nature – fondamentale pour moi – mais aussi avec les œuvres les plus diverses, les mystiques du moyen âge ou Gabriel Fauré, Leopardi ou Hofmannstahl, entre tant d’autres rencontres vivantes ou posthumes, constitue l’ « encre » d’où se précipite le trait de pinceau…0b71c4886655f325183f6138d349999e.jpg

Ainsi fulgure la beauté

Un formidable trait vertical de pinceau rouge sur fond vert (couleurs de la passion) et le titreEntre terre et ciel, constituent le fronton du magnifique ouvrage faisant  suite (notamment) àL’unique trait de pinceau (Albin Michel, 2001), où se trouvait illustré, non moins somptueusement, la passage de l’œuvre calligraphique à la peinture,  et à Passagère du silence (Albin Michel, 2004), récit de l’apprentissage et des tribulations chinoises de Fabienne Verdier. Devenue peintre à part entière, accueillie dans le gotha de l’art contemporain par le truchement de la galerie lausannoise d’Alice Pauli, Fabienne Verdier nous fait entrer ici dans le jardin secret d’île-de-France où, loin de la rumeur du monde, dans le voisinage privilégié de la nature, elle exerce son ascèse créatrice. Un entretien de haute volée, avec l’écrivain Charles Juliet, nous éclaire sur le processus de cristallisation de l’œuvre, de la plus simple donnée quotidienne à la plus profonde méditation, alors que deux reportages photographiques (un portrait en mouvement de Dolorès Marat et un aperçu du Rituel du feu, signé Naoya Hatakeyama, par lequel l’artiste brûle impitoyablement ses « ratés ») nous font approcher la réalité physique du travail de Fabienne Verdier, pour lequel un atelier avec « fosse à peindre » a été construit par l’architecte Denis Valode. On se rappelle  alors que cet art de l’épure extrême procède d’un véritable combat, évoquant une sorte de danse de tournoyant derviche, avec un pinceau plus grand que l’artiste, suspendu au plafond et tenu verticalement, dont le trait va saillir comme une foudre liquide. Fascinante « visite », que prolonge l’émerveillement de quatre-vingt peintures admirablement reproduites,  où la beauté fulgure.      

Fabienne Verdier Entre terre et ciel. Texte de Charles Juliet. Photographies de Dolorès Marat et Naoya Hatakeyama. Albin Michel.
Charles Juliet. Entretien avec Fabienne Verdier. Albin Michel, 73p.
 (ce petit ouvrage constitue l’édition séparée de l’entretien figurant dans Entre terre et ciel)

Cet entretien a paru dans l’édition de 24 Heures du 18 décembre 2007.

d08fa6bab0afdfd97d5b7828ac215587.jpg