voir l'art autrement – en relation avec les textes

photographie

marcher sur l’ombre – ( RC )


peinture : GHYVES

Tu prends trop d’avance,
sur le fil du soir…
Que dit ton ombre quand tu marches dessus ?

Va-t-elle te peindre en noir,
effacer tes traits de lumière
comme par inadvertance,
te laisser seul derrière,

histoire d’un malentendu
où ton vertige de façade
part en capilotade,
faire un tour
vers d’autres contre-jours ?


Nathaniel Tarn – tout tremble dans les trois créations


photo perso – îles Penrentian – Malaisie

Front de nuage dans lequel nous glissons,
lèvre bleue en bas qui fait saillie dans la mer,
nez d’une île qui pointe, gigantesque proue,
atterrissage à la surface de la lèvre comme un baiser –
hélices au ralenti, bienvenue des palmes –
en un mouvement de vent qui ne saurait cesser
tant que nos mains soulèvent les montagnes.
Île languissant dans l’air moite,
orage qui monte à l’horizon alentour,
impossible de savoir d’où exactement
mais tout tremble dans les trois créations.


Carl Norac – le goût de traverser


Sur le fleuve, sur les canaux, nous n’avons
nulle autre frontière que la brume.
Devant, il n’y a que des ponts
qui relient ces gens que l’on voit
traverser et dont certains parfois,
étrangement à nos yeux,
rêvent seulement de murs.
Bien sûr, voilà l’écluse, cet ascenseur
au vieux refrain qui suinte,
où les oiseaux jacassent,
le temps de regarder un paysage
moins mouvant, de célébrer
le crépuscule ou le point du jour
qui, aujourd’hui, se rêve en virgule.
« Nulle frontière ! », nous sommes nous
répétés sur la péniche, « Pas même de la langue »
.

Car, soudain, on vous hèle de la rive,
on comprend ou on ne comprend pas,
sinon que le geste se ressemble,
simple principe de la main ouverte
au lointain le plus proche.
Si des régions existent à bon droit
et que les cartes qui nous guident
nous le rappellent, nous vivons
également ici, voyageuses, voyageurs,
dans cette volupté de la lenteur
où nous aimons les traverser
aussi libres que la ligne d’eau
et sans écouter les leçons de tous bords.
Sur le fleuve, sur les canaux,
nous n’aurons encore
nulle autre frontière que la brume.

voir le site de Carl Norac – celui-ci est l’auteur également de « une valse pour Billie », dont il y a des extraits sur ce blog.


Tout semble immobilisé – ( RC )


photo : netfolk.blog.hu

Sur un chemin banal
encombré de flaques
déjà tourbillonnent
les feuilles veinées d’automne.
Sous le miroir des nuées
je devine les graviers.

Le dialogue du gel
étire ses filaments
sous les rafales de vent.
Un insecte traverse prudemment
quittant les herbes folles
pour un abri incertain.

Les oiseaux ont disparu du ciel
pour des régions plus clémentes.
Il s’est perdu
parmi les branches nues ;
les arbres sont dans l’attente
et ne sont plus que bois.

Soudain, il fait si froid .
Viendras-tu me retrouver,
si loin de la maison de l’été ?
Tout semble s’être immobilisé,
le défilé des heures,
comme le sourire du bonheur.


René Maria Rilke – Le livre d’heures 1899-1903 (extrait)


Adalbert STIFTER – Vue sur les maisons de la banlieue viennoise (Beatrixgasse)

.

– Tu vas et viens. Les portes se referment
avec plus de douceur, et sans un souffle presque.
Tu es de tous le plus silencieux,
qui vont par les maisons silencieuses.
On peut si bien s’habituer à toi
qu’on ne relève plus les yeux du livre
quand ses images s’embellissent,
bleuissant sous ton ombre;
car les objets te font écho sans trêve,
mais tantôt en sourdine et tantôt à voix haute.

Souvent quand je te vois en songe
se multiplie ta stature totale;
tu vas comme un troupeau de clairs chevreuils
et je suis la ténèbre et la forêt.
Tu es comme une roue et je me tiens près d’elle:
de tes nombreux essieux obscurs
sans cesse il en est un qui redevient plus lourd
et se tourne un peu plus vers moi,
et mes travaux consentants croissent
de retour en retour.

Le vent du retour

( traduction Claude Vigée)

Arfuyen


Ce qu’il reste derrière l’image – ( RC )


photographie Cato Lein

C’est en progressant dans une pente grise,
où les ombres se confondent,
que l’on devine une présence invisible,
image subliminale derrière l’image.
Nos pas soulèvent la cendre :
elle s’accroche aux rochers,
et aux troncs d’arbres que l’on distingue à peine.
C’est un brouillard aux formes diffuses ,
tel un buvard de poussières,
qui recouvre inexorablement toute surface.
C’est une chose étrange, ….on la suppose liée à la photographie.
Tout ce qui entoure le lieu semble appelé à disparaître.
Il sera inutile de gratter la surface.
L’Eden originel ne se situe pas dessous,
le regretter ne sert qu’à éveiller l’inquiétude :
un rapace aux ailes grises,
qui ne secoue que l’ombre.


Jacques Dupin – entre la sauge et le lichen , vers les constellations


Nous n’appartenons qu’au sentier de montagne
qui serpente au soleil entre la sauge et le lichen
et s’élance à la nuit, chemin de crête,
à la rencontre des constellations.


Raie Manta – ( RC )


photo du site technosciences


Les abîmes d’eau portent l’éventail du rêve
où les étoiles rencontrent les profondeurs.
Le miroir de la surface, a cessé d’être
au-dessus de la brousse des vagues.

Les coraux aux mille couleurs
s’emparent d’oriflammes de soleil,
et mes ailes battent la mesure
comme si elles allaient vers le ciel.

Elles ont l’envergure de celles d’un aigle
mais leurs ombres demeurent .
Elles effraient les bancs de poissons,
qui furtifs contournent les rochers :
( autant de boucliers pour les crustacés
et coquillages ).

Je n’ai pu déposer un baiser
sur les lèvres bleues des bénitiers,
qui priaient , dans leur coquille,
solitaires aux vents de mer,
alors j’ai fini par m’envoler,
luisante et noire,
vers d’autres contrées.

RC


Alain Balussou – nouvelles de mars ( 3 )


Il subsiste, au fond du jardin,
un arbre de peu. Par dédain,
si mal branchu, moche, en survie,
je l’ignorai.
               Là, je l’envie,
ce bancal, laid d’architecture.
Parce que race, la nature
l’a consolé par un feuillage
exubérant ? Pas d’avantage
que d’un vert extraordinaire.
Ni nombreux ni spectaculaires
ses maigres fruits, dans leur époque,
déplaisent et sans équivoque
à qui les recherche éclatants,
tissus végétaux blêmes tant
autour du noyau qu’extérieurs.

Changez vos mises, parieurs :
sur nos lèvres, leur chair livide
aux couleurs pâles insipides
éblouit de son goût pareil
à l’essence ocre des soleils.

                   —–

voir le site d’ A Balussou


Se contenter de voir l’herbe pousser – ( RC )


( écho à un écrit de Clément Bollenot , – qui suit )

photo – le Figaro

On recherche toujours
l’origine du monde .
La cicatrice du temps
a beaucoup plus de cheveux d’argent
qu’un modèle de Courbet,
on peut la comparer
en quelques vers,
à la courbure de l’univers,
et le sillon éphémère
que la terre a tracé dans la nuit
en décrivant des ellipses
autour de l’astre aimable
qui l’apprivoise.
L’origine du monde
est bien au-delà.
Même les hypothèses les plus fécondes
n’arrivent pas à l’imaginer.
alors je me contente d’un bout de terre,
et de regarder l’herbe pousser.

RC


j’ignore où se trouve l’origine
du sillon qui traverse ce front
des reflets argentés striant ces cheveux
de ces yeux pochés de soucis
peut-être
est-ce la vie qui fait naufrage
à moins qu’elle ne trouve
refuge
dans le lit accueillant des cicatrices du temps

Clément Bollenot


L’effleurement de ton épaule – ( RC )


photo V Ort

Tout autrement est celle
du corps de marbre
qui reste froid
sous la pression des doigts,
pourtant je n’aurai de frissons,
qu’à l’aube et au matin revenu:

un jeu de nue sans satin blanc ,
là où la lumière se pose,
c’est l’effleurement de ton épaule,
qui s’offre une dentelle
sur sa peau:
c’est comme si la tapisserie
avait pris fantaisie
de rire sur son dos :
simple métamorphose
qui s’irise et glisse.

Faut-il profiter d’un interstice
où le corps se détend
pour qu’une brise tiède
chante à sa manière
le chœur des roses ?


Sur la surface du dos – ( RC )


photo Perle Valens – voir son site

Ce corps n’a pas d’identité feinte,
il n’a comme images
que celles de légers creux
laissés par l’empreinte
des cailloux sur la plage
qui parsèment les lieux.

Peut-être préfères tu pour confort
les objets métalliques
laissant leur marque de fer:
les sommiers à ressorts
sont particulièrement artistiques
et devraient te plaire.

C’est dû à la position horizontale
d’une sieste immobile
pendant cette après-midi d’été
où chaque sinuosité de métal
laisse son creux fossile

– comme tu pouvais t’en douter -.

C’est à même la peau
que c’est inscrit
comme une signature
sur la surface du dos
qui provoque l’envie
d’en évoquer l’écriture…

Car la chair est tendre
et soumise aux lois physiques
quel que soit notre âge :
il fallait s’attendre
à ce que cela soit la réplique
d’un éphémère tatouage…


Ziâgol Soltâni – mélodie de ma patience


Au nom du miroir, ce soir, libérez-moi
La nuit passée, l’aube venue, appelez-moi
Sur ce rivage où je me suis perdue à moi-même
À moi-même, ramenez-moi
Les bleus sur mes épaules sont les bleus de l’hiver
À la saison du vert printemps, priez pour moi
De la mélodie de ma patience et de mon silence, que savez-vous ?
Le temps d’un souffle, à la flûte associez-moi
Sur l’aile du papillon est écrite la brûlure de la chandelle
De toutes les âmes enténébrées, séparez-moi
La cruauté d’être confinée derrière un voile m’a fait perdre toute patience
Au nom du miroir, ce soir, libérez-moi !

In Le cri des femmes afghanes, © Bruno Doucey, 2022 — Traduction par Leili Anvar – provenance article d’origine:apagraindesel


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Maurice Chappaz – bêtes sauvages


« Elle (la beauté) me saisit tellement quand je surprends les bêtes sauvages
– biches, cerfs, chamois ici même, qui traversent
avec un tel incognito les pentes, s’effacent toujours.
Elles ont un abîme devant les yeux
dès qu’elles nous aperçoivent et se sauvent.

Se sauvent, oui. Qu’est-ce qu’elles emportent ?
Un autre monde et la beauté introuvable
dont elles nous ont laissé l’impression par cette allure où s’est profilée la peur…
et une si inviolable indifférence.

Dès qu’elles s’apprivoisent, c’est fini.
Il leur manque le grand frisson du paradis antérieur.
Où on ne mourait pas car on ne savait pas qu’on mourrait. ..
Nous, c’est cette connaissance que nous leur apportons.
On a perdu le miracle de vivre, d’être toujours dans l’éternel.
Et ainsi la beauté, comme l’amour, est liée à la mort.

Et tout est lié à la mort nous masquant quelque chose qui a eu lieu avant elle.


Maurice Chappaz « de tout ce que je déteste » in  La pipe qui prie et fume ( mars 2009, ed. de la revue Conférence)


Charles Bukowski – le génie de la foule


Il y a assez de traîtrise, de haine, de violence,
d’absurdité dans l’être humain moyen
Pour approvisionner à tout moment n’importe quelle armée

Et les plus doués pour le meurtre sont ceux qui prêchent contre
Et les plus doués pour la haine sont ceux qui prêchent l’amour
Et les plus doués pour la guerre – finalement – sont ceux qui prêchent la paix

Ceux Qui Prêchent Dieu ont besoin de Dieu
Ceux Qui Prêchent La Paix n’ont pas la paix.
Ceux qui Prêchent l’amour n’ont pas l’amour.

Attention aux prêcheurs
attention a ceux qui savent.
Attention a ceux qui lisent toujours des livres.

Attention a ceux qui soit détestent la pauvreté soit sont fiers d’elle
Attention a ceux qui sont prompts a glorifier
Car Ils ont besoin d’Être Glorifiés en retour

Attention a ceux qui sont prompts a censurer:
Ils ont peur de ce qu’Ils ne connaissent pas

Attention a ceux qui recherchent la foule:
Ils ne sont rien seuls

Méfiez-vous de l’homme moyen, de la femme moyenne
méfiez-vous de leur amour
Leur amour est moyen,
recherche la médiocrité

Mais il y a du génie dans leur haine
Il y a assez de génie dans leur haine pour vous tuer,
pour tuer n’importe qui

Ne voulant pas de la solitude
Ne comprenant pas la solitude

Ils essaient de détruire
Tout ce qui diffère d’eux

Etant incapables de créer de l’art
Ils ne comprennent pas l’art

Ils ne voient dans leur échec en tant que créateurs
Qu’un échec du monde

Etant incapables d’aimer pleinement
Ils croient votre amour incomplet

Du coup, ils vous détestent
Et leur haine est parfaite

Comme un diamant qui brille
Comme un couteau
Comme une montagne
Comme un tigre
Comme la ciguë

Leur plus grand art.


Benjamin Fondane – nos rides poussent dans la glace


Nos rides poussent dans la glace

et le monde se refroidit dans notre sang…


Bernard Vanel – Changefège


photo RC – causse de Changefège
_

L’hiver incline l’homme au refuge des chambres, à la braise des bûches et au secret des lampes. Des hauts de Font Fadette, je regarde arriver, à l’horizon de Changefège, une nouvelle giboulée. Et c’est toujours ainsi.
C’est d’abord un brouillard, au loin, qui se rapproche. On dirait la fumée d’un incendie qui couve. Elle finit par effacer l’échancrure inutile de la vallée du Lot. Elle avance à boucher presque tout le paysage. Puis le ciel s’époussette, au-dessus de la ville, en tourbillons mélancoliques et Mende disparaît dans l’inquiétude des éclipses. Il neige. Mais cela dure peu ; le peu de temps, pas plus, que la giboulée passe. Lorsque les toits éteints quelques instants plus tôt, se dégagent du gris, les voilà saupoudrés de poignées de farine ; et des coulées de lait ruissellent sur les flancs du vieux causse transi. Mais vite le soleil fait vadrouiller son disque derrière les nuages, le ciel vient s’essuyer au mouchoir bleu d’une éclaircie et les lointains de Changefège dessinent à nouveau la ligne d’horizon.
Et c’est toujours ainsi.

extrait du « passager de Mende  » ed le Bousquet-la Barthe


Un effet d’hiver – ( RC )


photo Caroline D – tempête douce

C’est sans doute un effet d’hiver.
Les lèvres sont fermées.
Ne m’en veux pas de t’avoir jeté la pierre…
Le livre a les pages raides,
les corneilles ont laissé leur empreinte noire
sur un ciel gris au-dessus de nous.
Qu’est devenu ton sourire ?
maintiendra-t-il aussi les lèvres fermées
comme au moment de ton départ:
j’irai le découper dans le papier
pour le coller sur la photo floue
que tu trouvais laide.
Ce n’est rien qu’un détour d’écriture
qui cachera un peu ma blessure…


Marina Tsvetaïeva – une fleur épinglée à la poitrine


Une fleur épinglée à la poitrine.
Je ne sais déjà plus qui l’a épinglée.
Inassouvie, ma soif de passion,
De tristesse et de mort.

Par le violoncelle et par les portes
Qui grincent, par les verres qui tintent
Et le cliquetis des éperons, par le signal
Des trains du soir,

Par le coup de fusil de chasse
Et par le grelot des troïkas –
Vous m’appelez, vous m’appelez,
Vous – que je n’aime pas !

Mais il est encore une joie :
J’attends celui qui, le premier,
Me comprendra, comme il le faut – 
Et tirera à bout portant

( poème écrit le 22 octobre 1915 )


Kenneth White – la porte de l’Ouest


L’échappée, ah – cette lueur bleu sombre
le long du fleuve puis
l’éclair d’ambre doré puis encore
la lueur bleu sombre tout le long du fleuve
( vieux rafiot noir là-bàs traînant
près d’un gros paquebot blanc )
et les nuages filant bas
au-dessus des vagues grises aux crêtes
écumantes ( ah cette courbe qui se brise ) et en haut
le vol noir des goélands

Puis les collines, fougères rousses entre-
mêlées et les ronces et les roses sauvages et
le houx rouge-sacré dans la neige
et les arbres dégoulinant de pluie –
marchant sur les chemins de glace bleue les
ruisseaux impétueux l’air mordant
et cette lumière d’une clarté folle
cette lumière abrupte angélique démentielle
qui fait surgir le monde dans sa nudité
réel toujours changeant clair-obscur perpétuel.


James Wright – une bénédiction


Au bord de l’autoroute pour Rochester, Minnesota,
Le crépuscule ricoche doucement sur l’herbe.
Et les yeux de ces deux poneys indiens
S’assombrissent de gentillesse.
Ils ont gaiement émergé des saules
Pour nous accueillir mon amie et moi.
Nous enjambons les barbelés, entrons
Dans le pâturage où ils broutent durant le jour, seuls.

Ils frémissent avec ardeur,
parvenant à peine à contenir leur joie
Car nous sommes là.
Ils s’inclinent timidement, tels des cygnes mouillés.
Ils s’aiment.
Il n’y a pas de solitude semblable à la leur.
A nouveau détendus.
Ils commencent par grignoter les jeunes touffes de printemps
Dans l’obscurité. J’aimerais étreindre la mince ponette.

Elle s’est avancée vers moi,
a mis son museau dans ma main gauche.
Elle est noire et blanche.
Sa crinière s’échevèle sur son front.
Et la brise légère me pousse à caresser son oreille fuselée
Aussi délicate que la peau du poignet d’une jeune fille.
Aussitôt je comprends
Que si je sortais de mon corps je me mettrais
soudain à fleurir.

(Traduction inédite de Sabine Huynh du poème de James Wright,
« A Blessing », The Branch Will Not Break, 1963)


Erick Gaussens – René Chabrière – « romantiques 5 « 


Photo :  B. Monginoux /  www.photo-paysage.com (cc by-nc-nd)

 » à genoux devant ton icône »

Chemins de toutes les traces,
les miroirs de la ville
récitent l’alphabet aux carrefours
de la passion.
Cette ville ne rêvait de ses néons
que pour rire à gorge déployée :
de désir-nylon encombré de rose
sous le couvercle obscur de la nuit.
Bien sûr les étincelles se sont emparées des yeux,
mais plus éphémères que la musique et le sang
lui qui circule dans tes veines
sans que tu t’en aperçoives.
Le sourire de ton visage
a combattu les reflets factices
pour s’emparer de l’âme endormie :
c’est comme ça que tu m’as trouvé
à genoux, devant ton icône
dépossédé de mes larmes
avec mes souliers de pluie,
l’illusion des lambeaux nocturnes
d’une autre vie
quand la ville s’estompe
derrière ses draps de nuage…

RC

écho à Erick Gaussens

Devant la nuit qui dormait J’ai crié ton nom
Et rien ne s’est passé
Alors j’ai mis mes souliers
De nuages et de pluie
Et je me suis enfui

La ville s’oubliait
Dans un plaisir-néon
Dans un désir-nylon

Devant la nuit qui rêvait
Je me suis attendri
Et je l’ai recouverte du drap de ton rire

Alors ses nuages bleus
Se couvrirent d’étincelles
Et d’images tremblantes

La ville s’estompa
En brouillard factice
En fragile illusion

Devant la nuit qui criait
Je suis tombé à genoux
Les larmes à la main

Alors dans un sourire
Qui ressemblait au tien
La nuit s’est rendormie

(c) Erick Gaussens Hillwater


Murièle Modely – leurs yeux sur moi


ils lancent leurs yeux sur moi

comme une lame

je sens leur rayon laser

leur récit fulgurant

jaillir

sous le derme

je sens remonter les picotements

l’emballement lyrique qui peine

à restituer d’un poème le scintillement

des étoiles du trou noir de leur cornée


Xavier Bordes – gravité folâtre


Vaillance du papillon dévoué à la rose
en dépit de ce monde qui depuis des âges
n’est plus un jardin
.                               Écoute le frôlement,
le froissement soyeux, mystérieux des années,
en organza de soleils à la moire fanée
Malgré le ciel – brûlant et glacé tour à tour –
elles ruissellent réfractaires aux ténèbres
comme à la lumière
.                                Telles ces fenêtres
en lesquelles s’éteint la fleur rouge du soir
indéfiniment au même instant où dans nos veines
le sang chasse le sang en réglant les secondes
sur le pas de l’inéluctable avenir
.                                                   Celui qui pétrifie
en une même inanité l’aimer le vivre et le mourir

extrait du site de l’auteur


Gaëlle Josse – l’offrande d’un chemin de sagesse


….s’il n’en reste qu’une des musiques aimées de celles qui tiennent tête aux vents contraires -car on sort même par gros temps n’est-ce pas ?- ce sera elle cette aria toute nue innocente et pensive celle des variations Goldberg trente mesures entre ciel et terre la main d’Ariel pour tresser nos jours dépareillés saturés de trépidance habités d’éclats de rien et pourtant uniques fastueux bellissimes trente mesures tout est dit clos et infini


Corps de Ménéham – ( RC )


photo RC Ménéham juillet 22

Corps de granit en bord de mer,
au hasard , tu verras des maisons minuscules
par rapport à ces géants de pierre.
Comme elles le peuvent, elles se dissimulent
tout en espérant
se mettre à l’abri du vent
et des embruns, derrière les roches.

Pas question pour un Petit Poucet
de s’égarer dans la forêt.
Même si l’océan est proche,
( la futaie est lointaine:
les rochers se referment
sur la terre ferme ):

Possèdes tu le sésame
qui permet d’ouvrir les demeures secrètes
du village de Ménéham ?
si tu veux je te le prête,
mais ne penses pas y trouver
un trésor caché
par les flibustiers :

on ne compte plus les heures
avec le temps qui passe
sur les légendes
parmi les herbes de la lande.
Seuls ces grands corps demeurent:
corps de granite
qui restent sur place
aux grandes formes insolites.
Ils ne confieront rien de leur âge
à ceux qui viennent visiter le village.


Pierre de Massot – Mirages


Ne quitte pas le bleu de l’aube
Avant que de mouiller tes doigts
Fragiles aux pieds du hasard
Et ta tunique invisible
« Le cœur trop lourd n’a plus ses cygnes
Pour étoiler vos rêves d’anges
Et nous buvons des fleurs si blanches
que la vertu sous neige signe ».

Le vaisseau noie ses ailes calmes
Dans le cristal où tu souris
Car les douleurs prennent de l’ombre
A la douceur des palmes moites.

(Paris-Journal, 1924)