Le rhinocéros est morne et il louche vers sa corne. Que veut le rhinocéros ? Il veut une boule en os. Ce n’est pas qu’il soit coquet : c’est pour jouer au bilboquet. Car l’ennui le rend féroce, le pauvre rhinocéros.
Sois partout, où je ne suis pas : j’aime l’embrasement des anges dans le bleu, quand la nuit s’éteint et que le jour pointe…
Comme si, derrière tes yeux, je devinais ces matins, où la pluie tombe, continue. Ce sont des fléchettes qui se plantent dans le sol, et hachent ce qu’il reste de blanc.
La neige se dissout en pâte molle. L’épaisseur blanche se rétrécit, telle une peau de chagrin et on voit à travers les herbes qui réapparaissent, têtues .
Derrière tes yeux, les saisons s’apprivoisent.
J’ai beau essayer, je ne verrai jamais ce que tu vois, ni le jour, ni la nuit qui se morcelle…
Un magicien ne pourrait échanger nos regards, et dans l’aube aucune empreinte de morsure ne demeure: l’air ne garde pas trace de ce que tu as vu.
oeuvre de G Penone ( empreinte de corps dans la glaise – grandeur nature )
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S’il faut s’extraire de bourbiers, en soulevant des plaques de ciment, tu préfères leur densité cernant les plaques de fonte, en tenant ta joie du bout des doigts. Le ciel est si pesant, et les pierres obtuses, qu’un orage probable te colle au regard, pendant que tu glisses sur ton reflet.
Changeant, il se disperse aux premières gouttes, plus loin la terre soupire, de joie aussi, et c’est cette saveur amère qui promet de nouvelles floraisons. C’est là ton berceau, cet habit spongieux qui te ramène à tes origines, lorsque tes yeux n’étaient pas ouverts. Ton corps sans froidure portait ce vêtement de glaise, et tu engloutissais les nuits,
Maintenant que tu marches, tu connais le poids exagéré du temps. Tu récoltes sur le chemin de petits cailloux, avant que le vent recouvre de sable ton ombre, et que du bourbier, scintillent des éclats de strass et de mica,
C’est un endroit curieux ( généralement le cas des musées que l’on fréquente encore habillé ) où l’on voit des demi-dieux interrompant leur mouvement , bien conscients du danger, avant d’aller plonger avec leur accoutrement dans la piscine évoquant de très loin la mer qui se souvient des marées ( et ici, piétine ).
C’est une eau stagnante où personne ne se risque car la vie se confisque dans une mort lente . Quelques émanations perfides auxquelles on ne s’attendait guère ont changé ces héros en pierre, ( à tout jamais rigides semblerait-il, pour l’éternité ): on ne s’attend pas à les voir courir ou les voir s’enfuir , condamnés à l’immobilité .
Peut-être est-ce préférable à un autre destin tragique: ces personnages de l’antique retournant en sable ou bien des anges à qui on aurait coupé les ailes, transformés en statues de sel… le Moïse de Michel-Ange souffrant d’insomnies soumis à rude épreuve retrouvé au fond d’un fleuve ou au large d’Alexandrie…
Alors, mieux vaut patienter ( contre mauvaise fortune, bon coeur ) sous l’oeil des connaisseurs fréquentant le musée…
L’éternité est pour eux, rien ne presse : ils attendront que le charme disparaisse: il faut voir le côté avantageux, d’être quand même à l’abri, rassemblés ici dans cet endroit incongru plutôt que d’errer dans les rues .
Je ne vois qu’une solution :
c’est ce que je pense et estime – Pour que ces statues s’animent,
proposons l’absolution, et que des génies changent l’eau en vin ( ou plutôt en eau de vie…) il faut aider son prochain, faire que le sang de nouveau circule, que les dieux fassent des bulles,
When I am down I breathe in and out as deeply and widely as I can, centering myself in the clarity of her light, the intuition of eternity.
Quand je n’ai pas le moral Je respire et souffle Aussi profondément que possible , En me centrant Dans la clarté de sa lumière, L’intuition de l’éternité.
mon pas s’éloigne de moi comme une cloche sourde l’air va l’absorber et ma voix ma propre voix qui crie de loin gèle en une pelote de vapeur mes mains retombent encerclant la bouche qui crie
le toucher animal aveugle se retirera au fond de cavernes sombres et humides subsistera l’odeur du corps la cire qui se consume
alors grandit en moi non la peur ou l’amour mais une pierre blanche
c’est donc ainsi que s’accomplit le destin qui nous dessine au miroir d’un bas-relief je vois le visage concave la poitrine saillante et les coques sourdes des genoux les pieds dressés une gerbe de doigts secs
plus profonde que la terre le sang plus touffue que l’arbre la pierre blanche plénitude indifférente
mais les yeux crient à nouveau la pierre recule c’est à nouveau un grain de sable noyé sous le cœur
nous absorbons des images nous remplissons le vide notre voix se mesure avec l’espace oreilles mains bouche tremblent sous les cascades dans la coquille des narines vogue un navire transportant les arômes des Indes et des arcs-en-ciel fleurissent du ciel aux yeux
attends pierre blanche il suffit de fermer les yeux
Je ne crois pas que pour écrire, il soit nécessaire d’aller courir l’aventure.
La vie, notre vie, est la seule, la plus grande aventure.
La tapisserie d’un mur vue dans notre enfance, un arbre à la tombée du jour,
le vol d’un oiseau , un visage qui nous a surpris dans le tramway,
peuvent être plus important pour nous que les grands événements du monde.
Peut-être que lorsque nous aurons oublié une révolution, une épidémie
ou nos pires avatars, il restera en nous le souvenir du mur, de l’arbre, de l’oiseau, du visage.
Et s’ils y restent, c’est parce que quelque chose les rendait mémorables,
qu’il y avait en eux quelque chose d’impérissable et que l’art ne s’alimente
que de ce qui continue à vibrer dans notre mémoire.
La main est l’un des animaux de l’homme ; souvent le dernier qui remue. Blessée parfois, traînant sur le papier comme un membre raidi quelque stylo bagué qui y laisse sa trace. A bout de forces, elle s’arrête. Fronçant alors le drap ou froissant le papier, comme un oiseau qui meurt crispé dans la poussière, — et s’y relâche enfin.
photos perso montage – musée archéologique de Lisbonne
Connais-tu la fin de l’histoire,
puisqu’il en manque de grands morceaux ?
On peut toujours combler les manques, en déduire des trajectoires, en tout ce qui s’est perdu dans la grande fosse de l’oubli .
Pour ceux qui vivent ici, c’est au présent, qu’ils cultivent leur jardin. Leur origine s’est diluée dans les générations.
Les racines de l’arbre vont si loin, et se ramifient tellement, que les suivre se fait en pure perte. Ce qu’il en émerge est la partie visible de l’iceberg des siècles.
Pour en revenir à celui qui cultive son arpent, le voila qui remonte au jour des fragments de marbre. Un voisin en a trouvé d’autres.
Ce sont des mains finement sculptées, qui tiennent entre leurs doigts de drôles d’objets, mais il manque le corps auxquel elles correspondent.
Sauras-tu me dire ce que signifient ces lambeaux d’une mémoire à jamais enfouie sous une épaisseur de terre ?
Nous en avions oublié, même l’existence dans le désastre de l’abandon des aubes . Celles-ci ne nous ont pas vu naître. Peut-être que le vieux faune endormi s’en souvient .
S’il n’était pas de marbre, > il nous répondrait peut-être…
sculpture – bronze nuragique ( Sardaigne ) musée de Sassari
Il s’est approché lentement Avec son grand poignard en peau de nuit Il a pris, il a pris tout son temps Avec son grand poignard en peau d’ennui Il a reniflé dans le vent Avec son grand sourire de trop de nuit Il a souri de toutes ses dents Pour laisser t’approcher lentement Il a pris tout, tout son temps De son flanc a délogé une lame de fer Avec son grand couteau en peau de fer Il s’est mis à tuer le temps Il avait froid dans ses grands vents Il avait de la poule à chair Il était nu, nu comme un ver Avec sa lame en peau de fer Avec son grand couteau de nuit Il ne savait vraiment pas quoi faire Il faisait froid, il est parti.
« On peut comparer le monde à un bloc de cristal aux facettes innombrables.
Selon sa structure et sa position, chacun de nous voit certaines facettes, certaines parties de facettes et son tableau poème objet etc. n’est qu’un témoignage de ce qu’il aperçoit.
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C’est bien évident que toutes les facettes vues par un groupe de gens à une certaine époque doivent être très près l’une de l’autre, à peine des petites différences d’angle, d’inclinaison, et vue de loin elles ne forment qu’une seule masse claire par rapport à toutes les innombrables qui trempent dans le noir de l’espace.
–
La production de chacun de nous est le reflet exact de cette différence d’angle et de position. »
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— Alberto Giacometti, Écrits, Éditions Hermann, 2007
Si tu te penches par les jours intelligents
regarde comment se forme la soie en eux, comme
le vêtement se forme sur le corps.
La soie et la chair fondues dans l’outre de sang.
Le nom : pulsation de la mémoire.
Et tu danses à quelques encablures des flammes
la zone ouverte, mais fermée,
spasmodique ; l’air retourné
autour des pierres en feu.
Le regard est pensée
Tout se fond en tout, et je suis l’image de ce tout
La roue du jour de dos montre ses blessures
la lumière trébuche
la beauté est menace –
– Je ne peux plus écrire plus haut
les formes se transmettent, intérieures.
Le Blanc m’obsède Le Blanc me tourmente Le Blanc me poursuit, m’aveugle Couleur des limbes crépusculaires Suaire des résurrections mortes Compagnon des crépuscules du soir et du matin Candidat de blanc vêtu Blanc qui es-tu ? Mort poursuivant la vie Vie poursuivant la mort Rideau de ma vie morte Jour tissé de nuit Blanc de l’amour ici Et de la mort Là-bas Blanc de l’absence remplie de vide Complice du temps qui passe Le Blanc m’envahit doucement Et irrésistiblement m’entraîne Devant la Grande Porte. Tandis qu’il me pousse et m’attire Je le distingue partout Il apparaît là où je ne le voyais pas Il me poursuit et je le traque… Avec espoir de mieux le comprendre Doux compagnon de mes vieux jours…
Du passé affaibli par l’éphémère Où sous le pont du temps le vent efface Machinalement toutes les traces
Des instants d’aimer qui hélas en ombres Se sont métamorphosés comme l’état du monde Aux yeux de l’homme rêvant de paix de tolérance Tandis que l’on se noie dans l’indifférence
A l’égard des victimes à l’égard des misères A l’égard des rancunes qui puisent dans les guerres Ses armes écrasant le repos des gens Horrifiés par des morts enterrés tout vivants
Alors c’est elle qui peut consoler mon âme Confusément perdue un batelier qui rame Vers un îlot sans nom pour l’évasion du cœur Habillé d’ennui vis-à-vis des malheurs
Et l’unique cordeau des trompettes marines résonne encore en moi. Je suis debout à la pointe de l’île et je tremble de douleur.
J’ai entendu la voix qui montait des grands fonds marins, peut-être avait-elle traversé l’univers depuis les plus lointaines étoiles, elle avait parcouru tous les temps qui se sont écoulés, elle portait la trace de la première nuit, elle avait voyagé à travers l’immensité pour trouver une âme qui l’écoute et je me suis redressée, élue entre toutes, j’ai ouvert les bras, j’ai ouvert tout mon corps qu’elle a pénétré d’un seul coup, je suis devenue le lieu même qu’elle cherchait de toute éternité,nous nous sommes fondues l’une dans l’autre, j’ai connu l’appartenance absolue, j’étais elle, elle était moi, pendant l’intervalle
effroyablement court entre avant et après je suis devenue l’évidence, l’incontestable, l’affirmation définitive, mais elle ne s’est pas arrêtée, peut-être l’avais-je déçue ou devait-elle poursuivre sa route car je me suis retrouvée vide.
Le silence a repris son empire et j’écoute, malade de manque, rongée par l’espoir comme par un cancer, des trous s’ouvrent en moi, je suis en état d’hémorragie interne et je vais mourir noyée dansmon sang.
On n’entend plus que le vent ou le fracas des vagues, je les distingue mal l’un de l’autre.
Parfois une femme s’approche de moi et me tend de la nourriture, mais je ne peux pas la prendre,ma bouche se ferme irrésistiblement, il semble que mon corps refuse l’accès à tout ce qui n’est pas la voix.
Quand l’hiver a commencé, un homme est venu poser sur mes épaules un vêtement chaud, peut-être y est-il encore.
Je ne sais pas si je l’ai remercié, cela est probable car j’étais une femme très polie.
Du moins, il me semble. Je ne sais plus grand-chose de moi.
Qui me parlera, désormais?
Je ne veux plus rien entendre et je dis que tout est silence qui n’est pas la voix.
Il semble que je vais me dessécher sur place, debout dans le vent, les oreilles tendues, j’ai mal à force d’écouter et j’ai le terrible pressentiment que la voix ne me parlera plus.
Je ne suis même pas sûre de savoir ce qu’elle promettait et voilà que je ne veux rien d’autre.
Cela va me faire mourir, c’est sûr, on ne survit pas en restant tout un hiver debout devant l’océan sans manger, sans dormir.
Mais qu’y puis-je?
Suis-je responsable de l’avoir entendue?
Je n’aurais pas même pu me boucher les oreilles car elle est arrivée à l’improviste, rien ne m’avait avertie.
On n’est pas responsable de ces choses, on vit innocemment, on écoute parler les enfants, les maris, les voisins, rien n’avertit que l’éternité peut entrer par les oreilles.
Le temps coulait comme une eau libre, il arrivait que je parle, je connaissais beaucoup de mots que je pouvais assembler selon des règles familières que j’observais sans y penser, de sorte qu’on me comprenait aisément.
Depuis que j’ai entendu la voix, j’ai la gorge nouée et la tête vide.
Il me semble que je crie de manière ininterrompue, au maximum de mes forces, mais je n’en suispas sûre : je suppose que je m’entendrais et, depuis un moment, je n’entends plus rien.
Rien du tout.
Je vois que l’herbe de la plaine est ployée, couchée et mouvante comme quand il y adu vent, que les vagues viennent se briser sur la grève et je n’entends plus un seul bruit.
Peut-être la voix m’a-t-elle rendue sourde ou je veux tellement l’entendre que je refuse d’entendretout ce qui n’est pas elle ?
Les gens viennent et me parlent, je vois leurs lèvres bouger.
Cela m’ennuie beaucoup et je tente de me rassurer en me disant que la voix est très puissante, quele petit bavardage humain ne peut pas la couvrir, mais l’agacement grandit en moi.
Je détourne mon regard d’eux, je le porte vers l’horizon ou vers le ciel puisque c’est de là qu’elle viendra, et je m’applique à ne pas voir les petits visages grimaçants de ceux qui veulent me distraire.
Je n’ai plus envie de bouger, après tout mes propres mouvements font un certain bruit
qui pourrait me distraire du bruit essentiel.
Si discrète qu’elle soit, ma respiration ne m’empêche-t-elle pas d’entendre?
Et les battements de mon cœur? Je suis sûre qu’ils m’assourdissent.
Il faudrait que je fasse tout taire en moi, que j’arrive au silence absolu des statues,
je veux que tous mes bruits s’arrêtent, le sang, les entrailles, les poumons sont insupportablement agités, mon corps vocifère, ce doit être lui qui encombre mon ouïe, il bouche l’éther, les sons ne se propagent plus, mon corps rend l’air si lourd que les délicates vibrations de la voix ne peuvent plus l’ébranler, tout cela doit s’immobiliser et je crois qu’alors, dans l’instant qui suit le dernier battement de cœur, la dernière exhalaison, il y aura ce qu’il faut d’immensité pour que, juste avant que je meure, se déploie de nouveau le bonheur et l’unique cordeau des trompettes marines.
–
extrait du recueil de nouvelles « La Lucarne » Stock 1992
C’est pareil pour un amour. Un jour on ne connaît pas un homme. Et le lendemain, subitement, on le connaît.
Subitement, en une seconde on le voit et on apprend son prénom, on découvre son visage et après il est trop tard pour oublier cela que l’on nomme « faire connaissance » de quelqu’un.
« Défaire la connaissance » est impossible.
Et c’est là qu’elle prend toute sa place. La douleur.
Elle s’installe sans qu’on s’en doute, au premier regard, et simplement elle attend son tour, elle a l’habitude. Elle est toujours l’invitée de la dernière heure. La souffrance liée à l’impossibilité de l’amnésie, la souffrance, main géante qui vous tient et hésite. Vous asphyxier lentement ou vous broyer d’un seul geste.
–
ce passage est extrait du roman de Véronique Olmi : » C’était mieux quand c’était toi «
Cette matinée ne place sur mon chemin que des bibelots de la mort.
Ce sont des objets futiles, des photographies fanées, des flacons vides,
des coquilles ramassées à la mer, un miroir qui reflétait la sérénité, la pureté, la gaieté calme, la clarté que l’inéluctable ombre a engloutie. Je suis envoûté par ces objets,
qui appartenaient à des personnes mortes depuis longtemps. Des gestes se détachent de ces objets comme des vapeurs mates, comme des couronnes d’haleine. Ils me traversent confusément. Les cloches sonnent des années dans chaque minute. Chaque minute produit une telle effusion de souvenirs qu’elle prend l’importance d’une année. Ces minutes ressemblent à des paniers sombres débordant de fruits noirs.
Des années passent qui ont un éventail de fourmis sur la tête, Tout en maintenant sa forme il grouille en soi et s’agite en même temps intensément pour éventer une vie stérile, un désert gris.