L’homme qui marche file : en interprétant la sculpture, on ne se fie qu’à son allure traversant la terre aride. Il distribue les heures vides en allongeant le pas.
Il l’allonge tant, que les pieds ont leur poids de présence. Il faut marcher, marcher toujours et peut-être ne pas laisser de traces…
Ailé comme la victoire de Samothrace, l’homme s’est fixé une destination, but ultime de son parcours, mais on ne la connaît pas…
Le corps paraît porté par son déplacement régulier. Les bras sont plus légers, ils pourraient tomber ou devenir des ailes. ( poids superflu de métal, même de bronze patiné) on ne va pas s’encombrer, une vie entière à porter ces bras de pierre …
Ainsi la flèche de l’archer une fois décochée, prend plus d’importance que la cible, malgré la distance.
Le corps en déplacement est toujours LE mouvement .
Janus est là, qui nous regarde de ses yeux ronds. On ne saura jamais si le double de son visage apparaît derrière son dos. Son corps de rectangle a plutôt l’aspect d’une planche à découper. Incrustées à la verticale deux coquilles Saint-Jacques pour le voyage initiatique qui l’emmènera plus loin qu’on ne le pense, ( amulettes précieuses nous rappelant que la mer n’est jamais loin ).
Une petite tortue, qui lui sert de bourse, est aussi du voyage. Elle évolue au rythme éternellement lent du marcheur .
En effet Janus semble être immobilisé, les deux pieds soudés sur une plaque de bronze. Mais comme la tortue, l’espérance est le guide le rapprochant du terme de son pèlerinage. L’important n’est pas d’arriver, mais de partir à point….
Si je savais écrire je saurais dessiner Si j’avais un verre d’eau je le ferais geler et je le conserverais sous verre Si on me donnait une motte de beurre je la ferais couler en bronze Si j’avais trois mains je ne saurais où donner de la tête Si les plumes s’envolaient si la neige fondait si les regards se perdaient, je leur mettrais du plomb dans l’aile Si je marchais toujours tout droit devant moi, au lieu de faire le tour du globe j’irais jusqu’à Sirius et au-delà Si je mangeais trop de pommes de terre je les ferais germer sur mon cadavre Si je sortais par la porte je rentrerais par la fenêtre Si j’avalais un sabre je demanderais un grand bol de Rouge Si j’avais une poignée de clous je les enfoncerais dans ma main gauche avec ma main droite et vice versa.
Si je partais sans me retourner, je me perdrais bientôt de vue.
Le rhinocéros est morne et il louche vers sa corne. Que veut le rhinocéros ? Il veut une boule en os. Ce n’est pas qu’il soit coquet : c’est pour jouer au bilboquet. Car l’ennui le rend féroce, le pauvre rhinocéros.
Sois partout, où je ne suis pas : j’aime l’embrasement des anges dans le bleu, quand la nuit s’éteint et que le jour pointe…
Comme si, derrière tes yeux, je devinais ces matins, où la pluie tombe, continue. Ce sont des fléchettes qui se plantent dans le sol, et hachent ce qu’il reste de blanc.
La neige se dissout en pâte molle. L’épaisseur blanche se rétrécit, telle une peau de chagrin et on voit à travers les herbes qui réapparaissent, têtues .
Derrière tes yeux, les saisons s’apprivoisent.
J’ai beau essayer, je ne verrai jamais ce que tu vois, ni le jour, ni la nuit qui se morcelle…
Un magicien ne pourrait échanger nos regards, et dans l’aube aucune empreinte de morsure ne demeure: l’air ne garde pas trace de ce que tu as vu.
oeuvre de G Penone ( empreinte de corps dans la glaise – grandeur nature )
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S’il faut s’extraire de bourbiers, en soulevant des plaques de ciment, tu préfères leur densité cernant les plaques de fonte, en tenant ta joie du bout des doigts. Le ciel est si pesant, et les pierres obtuses, qu’un orage probable te colle au regard, pendant que tu glisses sur ton reflet.
Changeant, il se disperse aux premières gouttes, plus loin la terre soupire, de joie aussi, et c’est cette saveur amère qui promet de nouvelles floraisons. C’est là ton berceau, cet habit spongieux qui te ramène à tes origines, lorsque tes yeux n’étaient pas ouverts. Ton corps sans froidure portait ce vêtement de glaise, et tu engloutissais les nuits,
Maintenant que tu marches, tu connais le poids exagéré du temps. Tu récoltes sur le chemin de petits cailloux, avant que le vent recouvre de sable ton ombre, et que du bourbier, scintillent des éclats de strass et de mica,
C’est un endroit curieux ( généralement le cas des musées que l’on fréquente encore habillé ) où l’on voit des demi-dieux interrompant leur mouvement , bien conscients du danger, avant d’aller plonger avec leur accoutrement dans la piscine évoquant de très loin la mer qui se souvient des marées ( et ici, piétine ).
C’est une eau stagnante où personne ne se risque car la vie se confisque dans une mort lente . Quelques émanations perfides auxquelles on ne s’attendait guère ont changé ces héros en pierre, ( à tout jamais rigides semblerait-il, pour l’éternité ): on ne s’attend pas à les voir courir ou les voir s’enfuir , condamnés à l’immobilité .
Peut-être est-ce préférable à un autre destin tragique: ces personnages de l’antique retournant en sable ou bien des anges à qui on aurait coupé les ailes, transformés en statues de sel… le Moïse de Michel-Ange souffrant d’insomnies soumis à rude épreuve retrouvé au fond d’un fleuve ou au large d’Alexandrie…
Alors, mieux vaut patienter ( contre mauvaise fortune, bon coeur ) sous l’oeil des connaisseurs fréquentant le musée…
L’éternité est pour eux, rien ne presse : ils attendront que le charme disparaisse: il faut voir le côté avantageux, d’être quand même à l’abri, rassemblés ici dans cet endroit incongru plutôt que d’errer dans les rues .
Je ne vois qu’une solution :
c’est ce que je pense et estime – Pour que ces statues s’animent,
proposons l’absolution, et que des génies changent l’eau en vin ( ou plutôt en eau de vie…) il faut aider son prochain, faire que le sang de nouveau circule, que les dieux fassent des bulles,
When I am down I breathe in and out as deeply and widely as I can, centering myself in the clarity of her light, the intuition of eternity.
Quand je n’ai pas le moral Je respire et souffle Aussi profondément que possible , En me centrant Dans la clarté de sa lumière, L’intuition de l’éternité.
mon pas s’éloigne de moi comme une cloche sourde l’air va l’absorber et ma voix ma propre voix qui crie de loin gèle en une pelote de vapeur mes mains retombent encerclant la bouche qui crie
le toucher animal aveugle se retirera au fond de cavernes sombres et humides subsistera l’odeur du corps la cire qui se consume
alors grandit en moi non la peur ou l’amour mais une pierre blanche
c’est donc ainsi que s’accomplit le destin qui nous dessine au miroir d’un bas-relief je vois le visage concave la poitrine saillante et les coques sourdes des genoux les pieds dressés une gerbe de doigts secs
plus profonde que la terre le sang plus touffue que l’arbre la pierre blanche plénitude indifférente
mais les yeux crient à nouveau la pierre recule c’est à nouveau un grain de sable noyé sous le cœur
nous absorbons des images nous remplissons le vide notre voix se mesure avec l’espace oreilles mains bouche tremblent sous les cascades dans la coquille des narines vogue un navire transportant les arômes des Indes et des arcs-en-ciel fleurissent du ciel aux yeux
attends pierre blanche il suffit de fermer les yeux
Je ne crois pas que pour écrire, il soit nécessaire d’aller courir l’aventure.
La vie, notre vie, est la seule, la plus grande aventure.
La tapisserie d’un mur vue dans notre enfance, un arbre à la tombée du jour,
le vol d’un oiseau , un visage qui nous a surpris dans le tramway,
peuvent être plus important pour nous que les grands événements du monde.
Peut-être que lorsque nous aurons oublié une révolution, une épidémie
ou nos pires avatars, il restera en nous le souvenir du mur, de l’arbre, de l’oiseau, du visage.
Et s’ils y restent, c’est parce que quelque chose les rendait mémorables,
qu’il y avait en eux quelque chose d’impérissable et que l’art ne s’alimente
que de ce qui continue à vibrer dans notre mémoire.
La main est l’un des animaux de l’homme ; souvent le dernier qui remue. Blessée parfois, traînant sur le papier comme un membre raidi quelque stylo bagué qui y laisse sa trace. A bout de forces, elle s’arrête. Fronçant alors le drap ou froissant le papier, comme un oiseau qui meurt crispé dans la poussière, — et s’y relâche enfin.
photos perso montage – musée archéologique de Lisbonne
Connais-tu la fin de l’histoire,
puisqu’il en manque de grands morceaux ?
On peut toujours combler les manques, en déduire des trajectoires, en tout ce qui s’est perdu dans la grande fosse de l’oubli .
Pour ceux qui vivent ici, c’est au présent, qu’ils cultivent leur jardin. Leur origine s’est diluée dans les générations.
Les racines de l’arbre vont si loin, et se ramifient tellement, que les suivre se fait en pure perte. Ce qu’il en émerge est la partie visible de l’iceberg des siècles.
Pour en revenir à celui qui cultive son arpent, le voila qui remonte au jour des fragments de marbre. Un voisin en a trouvé d’autres.
Ce sont des mains finement sculptées, qui tiennent entre leurs doigts de drôles d’objets, mais il manque le corps auxquel elles correspondent.
Sauras-tu me dire ce que signifient ces lambeaux d’une mémoire à jamais enfouie sous une épaisseur de terre ?
Nous en avions oublié, même l’existence dans le désastre de l’abandon des aubes . Celles-ci ne nous ont pas vu naître. Peut-être que le vieux faune endormi s’en souvient .
S’il n’était pas de marbre, > il nous répondrait peut-être…
sculpture – bronze nuragique ( Sardaigne ) musée de Sassari
Il s’est approché lentement Avec son grand poignard en peau de nuit Il a pris, il a pris tout son temps Avec son grand poignard en peau d’ennui Il a reniflé dans le vent Avec son grand sourire de trop de nuit Il a souri de toutes ses dents Pour laisser t’approcher lentement Il a pris tout, tout son temps De son flanc a délogé une lame de fer Avec son grand couteau en peau de fer Il s’est mis à tuer le temps Il avait froid dans ses grands vents Il avait de la poule à chair Il était nu, nu comme un ver Avec sa lame en peau de fer Avec son grand couteau de nuit Il ne savait vraiment pas quoi faire Il faisait froid, il est parti.
« On peut comparer le monde à un bloc de cristal aux facettes innombrables.
Selon sa structure et sa position, chacun de nous voit certaines facettes, certaines parties de facettes et son tableau poème objet etc. n’est qu’un témoignage de ce qu’il aperçoit.
–
C’est bien évident que toutes les facettes vues par un groupe de gens à une certaine époque doivent être très près l’une de l’autre, à peine des petites différences d’angle, d’inclinaison, et vue de loin elles ne forment qu’une seule masse claire par rapport à toutes les innombrables qui trempent dans le noir de l’espace.
–
La production de chacun de nous est le reflet exact de cette différence d’angle et de position. »
—
— Alberto Giacometti, Écrits, Éditions Hermann, 2007
Si tu te penches par les jours intelligents
regarde comment se forme la soie en eux, comme
le vêtement se forme sur le corps.
La soie et la chair fondues dans l’outre de sang.
Le nom : pulsation de la mémoire.
Et tu danses à quelques encablures des flammes
la zone ouverte, mais fermée,
spasmodique ; l’air retourné
autour des pierres en feu.
Le regard est pensée
Tout se fond en tout, et je suis l’image de ce tout
La roue du jour de dos montre ses blessures
la lumière trébuche
la beauté est menace –
– Je ne peux plus écrire plus haut
les formes se transmettent, intérieures.
Du passé affaibli par l’éphémère Où sous le pont du temps le vent efface Machinalement toutes les traces
Des instants d’aimer qui hélas en ombres Se sont métamorphosés comme l’état du monde Aux yeux de l’homme rêvant de paix de tolérance Tandis que l’on se noie dans l’indifférence
A l’égard des victimes à l’égard des misères A l’égard des rancunes qui puisent dans les guerres Ses armes écrasant le repos des gens Horrifiés par des morts enterrés tout vivants
Alors c’est elle qui peut consoler mon âme Confusément perdue un batelier qui rame Vers un îlot sans nom pour l’évasion du cœur Habillé d’ennui vis-à-vis des malheurs