Le silence à travers les âges – ( RC )

peinture: Max Ernst » le silence à travers les âges » – 1968
Le silence à travers les âges
ne tourne pas sur lui même
à la manière d’une roue dentée:
personne ne l’enferme dans une cage.
On ne sait pas ce qu’il cache :
des oublis, les âmes des damnés,
des soleils éteints
au cœur même de la terre…
Le sol inconscient
recèle dans le charbon noir
des fragments de mémoire
qui parfois s’y attachent:
des insectes, une fleur de renoncule,
une branche de fougère
qui a connu d’autres instants
avant le carbonifère…
Le silence est l’absence de bruit
– ce que nous suggère à notre oreille
les limites de notre ouïe –
On ne perçoit pas des frottements minuscules :
…quelques instants de repos et la vie
reprend son souffle dans le sommeil
après une éclipse partielle :
l’ombre tourmentée de Sybille
n’est que la révélation
d’un langage énigmatique
des instruments de divination
enfermés dans des feuilles fossiles :
il échappe aux données synthétiques
consignées dans le sanctuaire
où on conserve à l’abri
l’encyclopédie sans paroles :
le silence somnole
mais se dissout par lui-même
sans avoir besoin d’un poème
qui le circonscrit…
–
Le ménage au palais – ( RC )

On a fait le ménage dans le palais,
remisé les figures de cire
dans le placard à balais,
même celui qu’on appelait Sire,
et qui , en restant discret
regardait sa progéniture
déformée par les reflets
dans le cadre à moulures.
La porte s’est refermée
sur l’escalier d’honneur
apparaissant dans la seule ouverture:
on pourrait jouer,
si ça vous rassure,
aux sept erreurs ,
en reproduisant la peinture :
mais — on la connaît par cœur.
On a fait place nette,
arrêté la valse lente
des servantes et les courbettes
pour célébrer l’infante,
On pourra faire du patin à roulettes
dans la grande salle,
car même Vélasquez
s’est fait la malle :
on ne voit plus aucune chaise
mais seulement le grand tableau
toujours vu de dos
au geste artistique énigmatique.
Quelques uns demeurent,
mais ce sont les plus moches…
il faudra bien qu’on les décroche,
car les spectateurs
comme les acteurs, se font des plus rares :
on va vendre l’hôtel particulier
ou plutôt le transformer
en centre d’art
Mais enlevez moi ces œuvres baroques !
il est temps qu’on les range
( nous avons changé d’époque
et maintenant— ils dérangent )
Je verrais bien, à la place des tableaux,
d’autres formes d’expression
> de l’art vidéo
> des installations,
enfin … quelque chose de branché,
de la fantaisie, de la nouveauté
des couleurs joyeuses pour ce musée,
sans glisser sur le parquet ciré !
Ce qui renaîtra sous mes doigts – ( RC )

RC aquarelle 2022
Tout ce qui n’est pas
ne signifie pas la mort :
ce qui renaîtra sous mes doigts,
je ne le sais pas encore
– ce qu’il adviendra
est encore incolore
et me surprendra
comme une métaphore
de mon ignorance .
– Du devenir
je fêterai la naissance
des choses sans souvenirs -,
où circule de nouveau
le sang figé
à la pointe de mes pinceaux :
un être pas encore né ,
se fiera à ma bonne étoile :
traversera mon inconscient
pour apparaître sur la toile
d’abord vaguement …
… sans que j’y pense
pétri de son mystère,
affirmant sa présence
venu d’une autre sphère.
( Je n’y suis pour rien :
pour ce genre de choses,
je ne suis qu’un témoin
de la métempsychose ) :
– ce qui sommeille encore,
renaît sous mes doigts
il aura ce corps
que je ne pouvais décrire
un instant plus tôt
encore maladroit
– comme ce sourire
qui se dessine et éclot
dans ce visage
de l’inconnu qui vient vers moi
traversant l’image
depuis l’au-delà .
décrire l’impalpable – ( RC )

Volume de poussières et de cheveux par Lionel Sabatté –
Qui pourra me décrire l’impalpable ?
Tout ce qui règne sur l’absence,
brûle les après-midis
dans l’immobilité d’un sommeil,
les poussières occupant des rayons de soleil.
Elles pratiquent le jeu
de l’extinction des feux.
Si légères soient-elles, elles dansent
avec le moindre courant d’air,
captent une partie de la lumière
mais finissent toujours par recouvrir
de leurs cendres,
les surfaces qu’elles grisent
et mes membres
qui s’exercent à la patience.
Car jamais on ne pense
au centre du silence
où la poussière ira embellir
par son entremise, les objets
à défaut de neige blanche.
Personne ne pourra dire
qu’elle conspire ;
mais elle occulte tout l’éclat des reflets
de la demeure
et la transparence oubliée, des heures….
nota: l’artiste Lionel Sabatté et l’auteur de tableaux de poussière et de cheveux ( portraits ), dont un certain nombre sont visibles au musée du Gévaudan, à Mende-

marcher sur l’ombre – ( RC )

peinture : GHYVES
Tu prends trop d’avance,
sur le fil du soir…
Que dit ton ombre quand tu marches dessus ?
Va-t-elle te peindre en noir,
effacer tes traits de lumière
comme par inadvertance,
te laisser seul derrière,
histoire d’un malentendu
où ton vertige de façade
part en capilotade,
faire un tour
vers d’autres contre-jours ?
Une habitation vivante – une énigme pour l’architecte – ( RC )

L’habitation est ce corps creux,
qui, à l’instar des coquilles,
se développe et s’agrandit
sans que l’on s’en aperçoive
de façon très consciente.
La nuit, les cloisons se déplient
pour correspondre au vide
qui se modèle sous le support des roches
lui servant de fondations.
Le matin, on a du mal à faire coïncider
son parcours avec celui de la veille,
car les escaliers ne sont pas à la même place,
les étages se sont inversés,
des pièces sont venues s’encastrer
ou sont en surplomb sur la falaise.
Des décalages sont inévitables,
des meubles sont hors d’atteinte,
sauf avec un échafaudage
ou des planches clouées
de façon à prolonger une mezzanine.
Les arrivées d’eau sont fantasques,
même si la tuyauterie suit, en souplesse.
On préférera pour cette raison, le puits dans la cave.
Mais, comme il fallait s’y attendre,
il n’est jamais à la même place,
d’autre part, il ouvre sur d’autres galeries souterraines
qui communiquent avec le fleuve.
De l’extérieur la maison
dont on trouve à l’occasion des photographies,
change d’aspect, varie selon les saisons,
s’élève ou se rabaisse, rétrécit à vue d’œil
ou s’enfonce dans ses soubassements.
Rien n’y est définitif.
Elle respire comme un corps vivant.
On ne sait même pas s’il lui prendra fantaisie
de s’allonger au gré des circonstances
comme un lézard, sur les roches voisines,
ou si la terrasse sera son tremplin
pour qu’elle s’établisse
au-dessus d’une base plus propice
à son développement.
Lespugue – une Vénus parmi nous – ( RC )

Fragile et endormie,
peau d’ivoire lisse,
à quelle magie as tu présidé,
toi la veilleuse d’ambre
aux amples formes ,
qui a confié tes secrets
aux ombres des visages
qui t’ont vénérée ?
Dix mille ans ou davantage
nous séparent
du destin de ceux qui t’ont tenue,
de ceux qui t’ont sculptée:
tu as la patience
de ceux qu’on aime
au-delà de l’épiderme
et garde silence…
Jusqu’où ira- t-on chercher
la nuit infinie
qui se dépose en strates
dans l’obscur abri de roche
où les hommes t’ont enfouie ?
Fétiche de fécondité
te voilà révélée par ceux
qui avaient oublié ta puissance…
Vulnérable comme la trace des années
qui s’enfuient de la mémoire.
l’expression « veilleuse d’ambre » est empruntée à Robert Ganzo
Tout semble immobilisé – ( RC )

photo : netfolk.blog.hu
Sur un chemin banal
encombré de flaques
déjà tourbillonnent
les feuilles veinées d’automne.
Sous le miroir des nuées
je devine les graviers.
Le dialogue du gel
étire ses filaments
sous les rafales de vent.
Un insecte traverse prudemment
quittant les herbes folles
pour un abri incertain.
Les oiseaux ont disparu du ciel
pour des régions plus clémentes.
Il s’est perdu
parmi les branches nues ;
les arbres sont dans l’attente
et ne sont plus que bois.
Soudain, il fait si froid .
Viendras-tu me retrouver,
si loin de la maison de l’été ?
Tout semble s’être immobilisé,
le défilé des heures,
comme le sourire du bonheur.
Ce qu’il reste derrière l’image – ( RC )

C’est en progressant dans une pente grise,
où les ombres se confondent,
que l’on devine une présence invisible,
image subliminale derrière l’image.
Nos pas soulèvent la cendre :
elle s’accroche aux rochers,
et aux troncs d’arbres que l’on distingue à peine.
C’est un brouillard aux formes diffuses ,
tel un buvard de poussières,
qui recouvre inexorablement toute surface.
C’est une chose étrange, ….on la suppose liée à la photographie.
Tout ce qui entoure le lieu semble appelé à disparaître.
Il sera inutile de gratter la surface.
L’Eden originel ne se situe pas dessous,
le regretter ne sert qu’à éveiller l’inquiétude :
un rapace aux ailes grises,
qui ne secoue que l’ombre.
Je reviendrai – ( RC )

Effacé dans la nuit fugitive du théâtre,
personne n’ira chercher des indices de mon passé.
Car je ne suis plus d’ici.
Certains diront que je ne suis
qu’un tigre de papier…
Les archéologues pourront mettre à jour
ceux qui prétendent tenir de moi,
je ne les contredirai pas.
Nul ne sait que la vénération
dont s’entoure mon souvenir
n’a pour objet qu’une tombe vide.
Je suis toujours ailleurs
là où on m’attend pas.
On se consolera devant un cénotaphe
qui tend à matérialiser
ce qui n’est qu’une absence.
Ne vous inquiétez pas :
Je reviendrai.
Aujourd’hui, j’ai repeint les rideaux – ( RC )

Aujourd’hui j’ai repeint les rideaux,
de bleu et de vert d’eau:
les murs ont les mains ouvertes,
les fenêtres sont des tableaux de maître,
les volets se sont ouverts sur l’été,
ils ont délaissé leur gris
changés en vert anis
ennemis de l’obscurité.
C’est un nouveau paysage
envahissant la maison :
que dirais-tu d’un vert céladon
pour laisser passer les nuages ?
L’ombre accrochée aux branches,
la mer, verticale sous un petit bateau
avec sa voile blanche,
ce serait encore plus beau…
Imagine qu’il bouge,
que les portes se déplacent,
dans une lumière fugace
d’orange et de rouge,
des couleurs porteuses d’audace,
sorties de ma palette
où se déplace ta silhouette
juste avant qu’elle s’efface ..
.
Gérants de la fortune du roi – ( RC )

peinture G Rouault – Ubu Roi.
Le roi chantait nos louanges
en négociant notre chair contre notre salut
car tout l’or du monde affluait,
se convertissait en papier monnaie.
Nous étions gérants d’une fortune
qui se compte en places réservées
pour être au premier rang au paradis,
plus près de l’arc-en-ciel.
Froides banquises et coffres-forts,
nous comptions les liasses,
et l’argent se figeait entre nos doigts,
graissant la patte à Saint-Pierre.
Nous nous sommes battus pour le conserver,
mais les financiers en voulaient toujours plus,
et le roi nous a fait embastiller.
Nous n’avons vu du ciel que la découpe.
à travers la lucarne étroite de notre cachot.
Alors nous avons su que les prières
n’arrivent pas jusqu’à l’ombre,
et qu’en fait c’était l’enfer qui nous était promis.
Raie Manta – ( RC )

–
Les abîmes d’eau portent l’éventail du rêve
où les étoiles rencontrent les profondeurs.
Le miroir de la surface, a cessé d’être
au-dessus de la brousse des vagues.
Les coraux aux mille couleurs
s’emparent d’oriflammes de soleil,
et mes ailes battent la mesure
comme si elles allaient vers le ciel.
Elles ont l’envergure de celles d’un aigle
mais leurs ombres demeurent .
Elles effraient les bancs de poissons,
qui furtifs contournent les rochers :
( autant de boucliers pour les crustacés
et coquillages ).
Je n’ai pu déposer un baiser
sur les lèvres bleues des bénitiers,
qui priaient , dans leur coquille,
solitaires aux vents de mer,
alors j’ai fini par m’envoler,
luisante et noire,
vers d’autres contrées.
RC
Se contenter de voir l’herbe pousser – ( RC )
( écho à un écrit de Clément Bollenot , – qui suit )

photo – le Figaro
On recherche toujours
l’origine du monde .
La cicatrice du temps
a beaucoup plus de cheveux d’argent
qu’un modèle de Courbet,
on peut la comparer
en quelques vers,
à la courbure de l’univers,
et le sillon éphémère
que la terre a tracé dans la nuit
en décrivant des ellipses
autour de l’astre aimable
qui l’apprivoise.
L’origine du monde
est bien au-delà.
Même les hypothèses les plus fécondes
n’arrivent pas à l’imaginer.
alors je me contente d’un bout de terre,
et de regarder l’herbe pousser.
RC
–
j’ignore où se trouve l’origine
du sillon qui traverse ce front
des reflets argentés striant ces cheveux
de ces yeux pochés de soucis
peut-être
est-ce la vie qui fait naufrage
à moins qu’elle ne trouve
refuge
dans le lit accueillant des cicatrices du temps
Clément Bollenot
Le géant aux grandes dents – ( RC )

dessin Brad Holland
–
Connais-tu le géant qui a de grandes dents ?
Il porte des défenses, comme un éléphant:
bien sûr, le rencontrer à l’époque des semailles
n’a rien d’un évènement banal…:
c’est comme s’il sortait d’un conte pour enfants.
On a dû lui jeter un sort :
c’est la faute de l’auteur
qui l’a transformé par erreur
l’entourant d’un cercle sur le grimoire.
Voilà justement des enfants qui portent avec effort
une brosse à dent à sa taille
pour nettoyer ses dents d’ivoire :
– bien heureux qu’il en ait une paire
à l’inverse de la corne de rhinocéros -.
Il a l’apparence plus féroce
qu’il n’en a l’air
car notre géant
restera herbivore.
Les enfants peuvent aller tranquillement
appeler le centaure
pour le conduire paisiblement
dans le pré aux fleurs
où il aidera les agriculteurs
à labourer leur champ
( de l’avantage des grandes dents
pour tracer des sillons,
à même la terre
avec toute l’application
qui sera nécessaire
-ce qui devrait leur plaire – ).
Mais pour les nettoyer, évidemment
notre géant a besoin de sa brosse à dents ;
pour cette raison le dessinateur
a omis de prévoir le camion
du déménageur
pour faciliter l’opération…
Pierre Lieutaghi – dans les moments du monde

photo steppe de l’Ouzbekistan
Avant les mots,j’étais ce blanc effiloché
incapable de rien à cause des alphabets d’oiseaux
et la nuit claire à bords perdus où tranquille on apprend
les règles bleutées du silence.
Dire ce qui n’appelle pas les mots tente souvent le plomb
l’innocence.
—
Toute pierre console de l’impatience
et plus encore celle qui s’est fait un front
contre cinq cent mille ans de pluie.
J’appuie mon front sur la leçon de temps
je reconnais mes parentés d’avant le bruit
d’avant la muséographie des sables.
Au-dedans est un nid de cristaux
pour le jour qui brisera.
Tant d’acquis à l’argile à la pierraille
poing serré sur le pommeau la crosse
qui sait ce qu’ils voulaient défendre ou conquérir
qui sait leur cri leur face sous le dernier ciel
peut-être à la clémence d’un milan
montrant le chemin d’oubli.
Depuis longtemps octobre a dispersé
qu’ils avaient nourri de feuilles on a brûlé
le bois suceur d’os les pies se sont lassées
des boutons des sous bientôt noircis.
La roche cependant demeure ici
lavée du sang mais pleine de mémoire
à son abri l’éternité aux yeux de poulpe
guette le passant sans passé.
Les arbres savent qu’il s’ouvre
pour chaque feuille un poing de pierre
dans le noir entre deux règnes
où les fourmis du dernier jour prêchent
au grès l’espoir sableux.
Si peu retourne à la terre
des impatientes passions
la saison s’en défait en pollen en samares
pas d’obsèques pour l’hirondelle
mais l’encre a traversé le faire-part
en filigrane on voit la mer
des larmes en tenue d’abeilles
passent vers les yeux à éclore.
Que doit-on à la peur de jour
règne au fond des falaises.
J’acquiesce à l’usure merveilleuse du monde.
Absolu bonheur incertain ligne visible
d’horizon entre accord et refus
on n’ose pas coucher sa tête
sur le billot du soir là
où ce qui se lève tranchant
délivre dépouille sépare.
Estampe d’un moment du monde
défaut des haches sous le soir
sans haine ni clémence simple moment
dans l’indifférence du temps
cela n’attend rien des mots mais va
guider plus loin leur passage.
Nul ne sait le projet des atomes d’instants
sinon franchir l’indifférence épaisse
jusqu’au cœur parfois tranquille.
Oublie les yeux plein d’alouettes
brise le sceau d’adieu
bouche empreinte sur la paume
fil du sourire
ne provoque pas l’ombre aux dés de mémoire
tient la main de l’alisier au bord du gouffre
le clair qui vient dans l’encre
dans le soir brûlé d’attente jusqu’à toi.
Tout ceci deviendra langue morte.
Mais l’image qui consigne les moments du monde
passe en sa jeunesse à l’inintelligible futur.
L’autre temps voit le même, comprend le nouveau.
Les mots encore tus s’y reconnaissent.
Ainsi va la grâce accordée à qui ose
encore offrir un silence propre
à la sainte face des jours.
–extrait de propos de campagne n°14 « correspondances »
José le Moigne – et ces torrents
Et ces torrents
qui creusent et creusent encore
dans le gras de l’argile
Et ces prairies profondes
qui cherchent dans l’âme des nuages
l’ivresse des reflets
Et ces forêts
drapées comme des robes d’indienne
sur les falaises décharnées
Et ce printemps
tendu comme un rideau de deuil
sur un monde fermé
©José Le Moigne
Colère – ( RC )

Approche ton visage de la flamme,
embarque le cœur bleu
qui traverse le feu ,
que ma chanson boive
l’écho de sa lumière ,
que je voie l’été brûlant
de trop brefs éclairs ,
orages en reflets sur tes yeux ,
de colère comme le tranchant
des lames froides
sur mon corps dépouillé !
Pentti Holappa – Oui ou non

sculpture esquisse de plâtre exposition Palais Fortuny Venise
Pour l’essentiel, chaque phénomène a une forme simple ;
le bois brûle, l’eau gèle, toute matière se dissout,
soit tu m’aimes soit tu ne m’aimes pas.
Tes torches de résine brillent même à travers la pierre,
je me réfugie dans le rêve, pourtant j’entends ta voix
quand je sais que tu n’es que songe, chimère.
Je souffre comme tout homme souffrirait
de ton absence,
telle une brûlure dans ma chair,
elle aigrit mon vin,
elle ensable mes poèmes.
Enfin quand tu reviens,
tu descends d’une autre étoile,
je m’aperçois que tu n’es pas tout entier en ce lieu,
derrière toi
devant toi quelque chose erre encore.
Pourtant s’il y avait un destin je lui rendrais grâce
car dès après ma chute tu es venu, tu as brûlé mes yeux,
aveugles à moi-même désormais comme à toute vérité.
Mais tu ne m’aimes pas encore, tu n’oses pas sans doute,
assez pour que la mort ne soit pas, et que je ne
sois jamais poussière.
Je ne te demande rien qui dépasse tes forces.
Vers l’îlot de silence – ( RC )
C’était comme une carte à peine visible,
comme une espèce de dessin relié par des points,
tel qu’on le voit sur les albums d’enfants.
Des nymphes et des cygnes étaient les figures à relier
( d’une certaine manière, comme les étoiles d’une constellation ).
Alors qu’il faisait presque noir, le plafond semblait s’être éloigné,
les piliers effacés, presque engloutis par l’ombre.
Je progressais à tâtons vers la seule fenêtre ouverte,
où pénétrait un rayon de lune.
Mes pas soulevaient une épaisse poussière,
semblant prisonnière de cette portion de ciel,
coupée de grands faisceaux lumineux.
La demeure était isolée dans un îlot de silence
contrastant avec l’extérieur.
Une foule immense ondoyait à la vision d’un film aux reflets changeants,
selon l’intensité de la projection et du mouvement de ses images .
les nymphes en étaient absentes.
RC – août 2020 – à partir de deux extraits d’Eugenio Montale
Car c’est ta voix que j’ai reconnue – ( RC )

Dessin Victor Brauner
Le temps se dénoue
quand s’élance
le chant de l’oiseau .
Il m’est revenu,
chante pour moi
une mélodie neuve
qui , pourtant ,
ne m’est pas inconnue ;
c’est par ta voix
dans un arbre lointain
que s’effacent les doutes
pour la clarté la plus sereine.
Cet arbre est en moi
il étire ses branches
jusqu’à peut-être
te frôler.
Alors point n’aurai chagrin,
de ton corps disparu,
car c’est ta voix
que j’ai reconnue.
( variation » réponse » sur le poème 4 de 1854 d’Emily Dickinson )
Des dessins à la conquête du monde – ( RC )

dessin Sophie C
C’est sur cette page
qu’un enfant a compris
quel pouvoir il pouvait exercer,
par le seul fait du geste,
en train de poser
quelques traits sur le papier.
D’abord perdu dans la surface blanche,
il a bien fallu commencer,
d’abord, une trace hésitannte,
et puis promener son pinceau,
répandre des étoiles :
des taches d’encre violette
qu’il s’est mis à contourner,
comme si c’étaient
des rochers dans le sable .
On ne sait pas où l’art a commencé ,
comment il a fallu ordonner
rajouter, effacer
pour qu’il se passe quelque chose
qui relie la main à l’esprit
où les intentions du créateur
s’inscrivent, inimitables…
Personne ne peut expliquer,
vraiment, la création
On sait seulement qu’elle surgit
comme une évidence ,
unique et
indissociable de la personne ,
projetée entièrement en elle ,
au point de se confondre avec .
–
RC – sept 2018
Un intérieur à la Vuillard – ( RC )

peinture E Vuillard – Misa au piano 1898
Je vois encore un intérieur,
où les couleurs papillonnent,
d’ocres et de gris,
j’imagine le parfum des lilas
parmi les ors
du soir qui se fane
auprès de la fenêtre.
La musique qui l’accompagne,
comme une traverse embaumée :
c’est « la Pavane pour une infante défunte »
à laquelle je pense .
Des sourires flottent
parmi les silences,
alors que s’égrènent
les dernières mesures au clavier.
J’ai le souvenir des mains qui dansent,
s’envolent, puis se posent
après que la mélodie se soit achevée,
puis la lumière, doucement s’éteint
comme dans un tableau de Vuillard.
Son chemin s’égare
dans les motifs de la tapisserie.
Je me rappelle de la lampe à pétrole,
qu’on allume en fin de soirée,
posée sur le guéridon,
à côté du piano…