Photographie – (Susanne Derève) –

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Photographie qui était nous,
que je ranime d’un regard,
d’un regret,
du battement d’un cœur qui n’est pas chair,
sang, mais le nœud lancinant de l’amour.
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Désormais perdus pour l’enfance,
voués aux éclatantes couleurs du monde
et du voyage, ils sont.
Ainsi, l’oiseleur rend l’oiselet au vent,
surpris de son aisance à gagner les couloirs
du ciel, et de la vigueur de ses ailes.
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Ce temps passé fut nuée de jours heureux,
– cirrus, ouate, tendresse,
pluie bienfaisante des orages d’été –
Ce que nous avons consumé d’amour :
inépuisable mue de printemps, fruits rouges,
feux de Saint-Jean.
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Nous reste la chaleur des voix, l’élan d’un corps
qui reconnaît les siens – baisers-
et l’absence palpable, pareille à ces formes de glaise
qui prennent vie et puis s’effondrent, rebelles,
entre les doigts.
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L’angoisse des saules – (Susanne Derève) –

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Etait-ce l’angoisse impérissable qui ployait
les branches des saules,
– l’éternelle frayeur de vivre –
ou bien la mienne, nomade,
cherchant à poser quelque part
l’encombrant bagage des mots ?
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Car les mots vaguaient sans ambages,
sans nul autre chemin que celui du souvenir,
et le souvenir en d’étranges contrées
cherchait sa route, gréait de vieux rêves
au passage, rapiéçait de laine son costume élimé
et de ses bras trop courts, pierre à pierre,
montait le fabliau.
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Tandis que vous … crédules comme des bois d’église,
n’aviez rien vu, rien entendu que la volée stridente
des cloches à midi,
quand il fallait prêter l’oreille au vent lugubre
des sanglots que versait tristement le feuillage
des saules, à fleur d’eau.
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Un lumineux avril – (Susanne Derève)-

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Ce dont je m’émerveille, en ce lumineux Avril ,
c’est de m’émerveiller encore,
des papillons juvéniles du feuillage
et de la profusion des tulipes, une traîne vivace
dans l’herbe du jardin, brodée de rouges et d’ors
par une main ancienne.
Main inconnue, qui agenças habilement les formes
et les couleurs de ce jardin champêtre,
nous voici liées, à travers les années,
par l’éphémère miracle du printemps.
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Prémices – (Susanne Derève) –

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Ce qui importait était le voyage
ventre du futur
autre temps autre lieu
qui nous réunirait
**
Les noms des villes empreints
de douceur
claquaient parfois
la langue la nôtre était impuissante
à en reproduire les inflexions
alors que sa musique d’autrefois
chantait encore à nos oreilles
**
Retrouver les bruits les voix
les klaxons le vacarme
et le ton de ce verbe inconnu qui résonne
navigue doucement dans l’aigu du rire
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Autre printemps – ( Susanne Derève) –

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Autre printemps.
Les couleurs claquent, violentes, comme une toile
au vent,
le jaune racoleur du colza et le vert pimpant
des prairies : pas besoin de soleil.
Sous le bleu implacable du ciel, seul un fin nuage
de poussière, dans le sillage des engins,
vient troubler le parfait agencement des cultures :
la puante odeur du lisier.
Les pâles fleurs des églantiers portent déjà leur fin.
Les fruits rouges leur feront bientôt de sanglants haillons
dans les bosquets.
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Petite mère (4) , fantômes (Susanne Derève)

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Je n’ai nul besoin de fantômes.
Petite Mère arpente pour moi les couloirs
du temps à pas menus,
frôlant d’autres spectres aux mains vides.
Les rives du Léthé sont des jardins
d’ombres arides, d’épaves chancelantes,
essarts de blanche hermine ensemencés
d’oubli.
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Poème champêtre – Susanne Derève –

Porte qui grince,
les gonds rouillés et le bois mort,
le bois vert du printemps,
cet onguent de la solitude.
La nature n’aime rien moins
que les âmes esseulées.
Au fil des ans dans la prairie,
les fleurs rendues à la nature essaiment
en légers troupeaux de corolles,
en cavalcade agreste dans l’herbe
du jardin – primevères, violettes
et les clairons d’or des jonquilles –
Telle opulence, est-ce fausse innocence ?
Bonheur, l’instant où nous pénètre à ce point la beauté
qu’elle nous possède tout entier ?
Sous-bois de l’éphémère, veille jalouse, en robe pâle
les jacinthes, que trahit leur parfum, dressent
sur leur hampe fragile une pure fleur étoilée.
Ce monde nous oblige, dans son intime perfection,
à lui rendre des comptes, de ce que nous avons trahi
de lui et de nous-mêmes.
Anniversaire – (Susanne Derève)

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à ma fille ,
*
Grand galop de printemps,
la course des jonquilles s’épuise
dans la prairie.
Les jaunes passent,
et les rouges entrent en scène,
fragile passacaille qu’entament les tulipes
au vent d’Avril,
le pur ovale de leur globe m’évoque
ton visage,
Fleur de 25 années ce matin.
*
L’obscur bruit des armes – (Susanne Derève) –

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Arc-en-ciel
qu’estompe peu à peu le retour de l’averse,
tel un visage enseveli.
Le tien, pas un jour n’a terni sous la brisure
des tombes,
attentif et paisible ,
un paysage aimé dans sa livrée d’automne,
sa douce peau de printemps,
où chaque chose chèrement conquise
avait trouvé sa place :
le mimosa d’hiver et les lilas de Mai,
l’arche du pont enjambant la rivière,
et la rivière dans ses méandres
léchant le flanc gris des hameaux.
Mais du souffle du vent
naissait parfois un douloureux écho,
le souvenir d’anciens printemps ruinés de cendres
et de sanglots, ce crève-coeur,
ce que la liberté avait coûté de chagrin et de larmes,
brisé de vies, tu le taisais,
et voici que résonne l’obscur bruit des armes.
;
Porte-bonheur – (Susanne Derève) –

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Un éclat fauve entre les branches : rouge-queue porte bonheur.
Le couple est de retour; du faîte du tilleul jaillit le chant
mélodieux du mâle.
Telle frénésie ce soir, rossignol des murailles,
l’amour est-il un doux rêve d’oiseau ?
Bientôt viendront les hirondelles, attardées dans les roselières,
mais la mienne est si loin,
dans un pays de mousson et d’orages qui ne connaît pas
de printemps.
Quel pays portera la poussière de leurs ailes ?
Non pas celui de mon oiselle, dont l’aile était si douce
et la voix chantait clair, je m’en souviens.
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Lot – (Susanne Derève)

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Le pépiement désenchanté d’un moineau
couvert par le joyeux fracas
de la rivière.
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Lot impétueux des lendemains de pluie,
les pierres sous la surface, plus larges
que ma paume, brillent
comme de grandes pièces d’or au soleil,
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et dans ma paume deux violettes
cueillies près du vieil arbre
où s’éreinte l’oiseau.
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Petite mère (3) – ( Susanne Derève) –

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Petite Mère qui fredonnes,
tu tiens entre tes bras une poupée de chiffons
et tu fredonnes
Vieille, si vieille tu es,
tu en oublies que tes bras m’ont bercée,
tu en oublies jusqu’à mon nom,
comme ces fleurs de givre
que la nuit a semées et que le jour défait,
tu en oublies les mots de la chanson
et le chant lui-même s’efface, petite Mère,
t’abandonne,
et c’est moi , à présent , qui doucement fredonne
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« Pas le temps » – ( Susanne Derève) –

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Ça crie, ça crie dans la rue
« Pas le temps, pas le temps ! » .
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Silencieuse et grise,
tu tires frileusement une dernière bouffée de ta clope
dans l’encoignure d’une porte silencieuse et grise,
avant de rejoindre d’un pas traînant celui
qui de ses bras trop courts
mouline impatiemment le vide
et crie vers toi :
« Pas le temps , pas le temps ! ».
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Promenade – (Susanne Derève) –

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Il chemine
Le chemin le précède, bondit à flanc de roche,
enjambe la rivière
et c’est un pont soudain, dont les pierres disjointes
sont envahies de mousses,
puis le village, enfoui dans un repli doré du Causse
où le soleil s’attarde au milieu des vergers.
Il se rappelle avoir observé tout le long du sentier
qui longe le Lot de jeunes arbres fruitiers
fraîchement plantés.
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Il s’imagine,
loin de l’hiver, reprendre ce chemin
pour en grappiller les fruits mûrs
– poires, coings, cerises –
cerises surtout, en mémoire des bigarreaux volés
de l’enfance,
des mains, des genoux éraflés aux grillages,
des cris, du cœur affolé de la fuite,
– pour finir , ce n’étaient jamais plus de quelques
cerises échappées à la débandade,
écrasées, aigres, doucereuses –
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Le Lot, fringant des soubresauts de l’hiver,
le sol clair et sonore du sentier.
Au dessus de Changefège, le ciel lui semble
d’un bleu trop pur de photographie truquée,
une fraîcheur nouvelle monte de la rivière
et le fait frissonner,
Il sent le chemin docile sous son pas,
uni, dompté, cueille
dans l’ombre qui s’avance une violette hâtive,
se résout à rentrer.
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Miettes – (Susanne Derève) –

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Des brisures du rêve, voilà ce qu’il nous reste,
la sueur des baisers,
le ruban argenté d’une bave d’escargot
après la pluie …
Un seul rayon de lune n’a jamais fait pâlir la nuit.
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Vague à l’âme – Susanne Derève –

Vague à l’âme, baguenaude,
le frisson d’une flaque au milieu du pavé :
se peut-il que le grand vent rugissant
de la mer agonise à mes pieds
comme un marin à quai
qui tournerait le dos au vieux rêve du large ?
Le canal Saint-Martin – ( Susanne Derève – René Chabrière)


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extrait de : Le calendrier de l’avAnt et de l’Après (écritures communes ou en écho)
Encore – (Susanne Derève) –

Encore dit la pluie, encore me dit le vent
et leur plainte
dans les rameaux de cendre de l’hiver,
dans le lit assoiffé du torrent sonne
comme un long cri où s’éboulent les pierres.
Roses fanées de Décembre : les doigts du givre
ce matin façonnaient leurs corolles sèches
de délicates enluminures.
C’est ainsi le temps s’emploie à nous duper.
La main d’où volait la semence des blés,
le geste auguste : ensevelis, abandonnés
aux strates de l’oubli, à leur sceau blanc
de neige ensommeillée.
Au long des prés, les passereaux volages
désertent les sentiers.
Mais les miens, mes moineaux égayés,
je leur tiens au chaud un nid de paille
sous la grange.
Pour peu qu’ils y reviennent, je chanterai
leur louange, encore.
Ors – (Susanne Derève) –

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Dans l’obscur je suis,
de la petite main jamais satisfaite
qui triture le mot de la nuit
pour un matin d’enfance
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où l’illumination du bonheur
me vint d’un boisseau d’or
que versait la fenêtre à mes pieds
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Et j’en fus prisonnière
tout un jour d’été
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Petite mère (2) – (Susanne Derève) –

Le Chariot d’Alberto Giacometti – photo retouchée –
Petite mère,
tu t’es promenée si longtemps dans le siècle
passé,
dans celui-ci tu erres,
mince fantôme aux os de verre,
aux yeux clos,
vide comme l’hostie
que petite fille transie sous ta robe légère
tu portais à ta bouche
dans la pénombre froide des églises,
rêvant à la lumière des chemins buissonniers,
aux routes blondes de l’enfance.
Toi qui n’es plus qu’un murmure ténu,
le siècle à peine né te rend à l’innocence.
Blanche est ma voix – ( Susanne Derève) –

Mes illusions perdues,
plus pauvre qu’en ma jeunesse, je suis,
et mes cheveux coupés.
Pour vêtir un roi nu, n’ai qu’un maigre édredon
que chacun tire à soi
et quand sur vous, mes frères,
les mâchoires d’acier des frontières se ferment,
j’appelle, j’appelle encore,
blanche est ma voix,
noyée dans le grondement du flot,
blanche,
la supplique qui monte des radeaux
accrochés à nos flancs, au bout de leur errance,
blanche la plainte,
qui fuse des barbelés, le cri du sang
épandu sur la neige,
et sous les bombes, les gravats,
les villes qu’on assiège,
blanches d’horreur les pupilles,
blancs les membres brisés.
Mes illusions perdues …
à Kaboul Ispahan Téhéran ,
blanc le cahier d’écolière,
blancs le niqab et le linceul,
la corde et le nœud coulant,
et quand sur vous mes sœurs,
les mâchoires d’acier des prisons se referment,
j’appelle, j’appelle encore
au delà des frontières , blanche est ma voix …
***
sur la Chapelle Maradène ( commune de Martel, Lot) , acquise par Miklos Bokor ,
dont il a entièrement recouvert les murs intérieurs de fresques monumentales
qu’il a voulues comme « sa mémoire » de la Shoah, voir :
Chapelle Maradène, journée du patrimoine – Martel 2020
Flocons – (Susanne Derève) –
Parfois, les flocons de neige n’atteignent pas le sol,
le vent les entraîne dans sa fougue
et je les imagine voguer éternellement entre ciel et terre
sans jamais se résoudre à mourir.
Mémoire ,
ainsi je te voudrais légère, inlassable vigie
pour conjurer l’absence.
Cerises noires – (Susanne Derève) –

Le morceau de ciel blanc d’une aube.
Sous les persiennes un reste de sommeil.
Dans le jardin des simples
de minuscules cerises noires,
dont le goût panse les tourments
plus sûrement que la nuit.
Il faut se réfugier très loin dans l’ombre :
à se laisser gagner par le sommeil,
on oublie que la nuit se doit d’être profonde,
tendue vers la douceur,
pour émonder le froid couperet du jour,
son trouble, sa fièvre, l’éclat des voix,
l’entame des aurores,
de cette pulpe noire des cerises aux branches
des vergers,
que les merles dévorent.
*
Interprété par Laurent Steed Chapelon :
Nous écoutons cette cantate (RC ) – Que le monde soit ( SD )

retable Chartreuse de la Sainte-Trinité de Champmol ( Dijon )
Je t’ai vue à travers la musique . Tu dansais comme dans toi-même au son de ces voix, habillées de pourpre, et qui s’élevaient jusqu’aux voûtes, donnant un peu de chaleur aux âmes qui ont froid, dans le parcours des leçons de Ténèbres, où l’on mouche les chandelles une à une, jusqu’à ce que l’obscurité pèse son poids de silence . Je t’ai vue à travers la musique , tu étais loin, mais proche pourtant , tu avais tracé mon nom sur le carreau de la vitre, et nous écoutions la même cantate, comme si je te tenais la main et, les yeux fermés, les harmonies se croisant , offraient au jour naissant , la lumière vibrant , avec l’avènement d’un monde, celui que l’on ne peut décrire ni en images ni à l’aide de mots . René C – septembre 2018 variation sur " que le monde soit ( SD ) ------- Que le monde soit… comme je le veux comme je l’ai pris enfanté au matin les yeux ouverts La lumière s’y déployait si blanche avant que la couleur l’inonde, ainsi l’orgue conduit la voix - la liturgie du jour à venir était blonde et me parlait de toi. J’ai effacé un peu de buée à la fenêtre et sur le carreau froid tracé ton nom dessiné un peut-être Le jour venait de naitre limpide et pur, oratorio vibrant une césure avant que le ciel ne bascule vers son avènement dans une orgie d’ors et de cuivres Je ne sais s’il était d’une étoffe dont on peut se vêtir comme l’aube de lin des retables ou la pourpre ardente des rois s’il fallait le poursuivre dans sa marche solaire au-delà du beffroi qui claironnait les heures et l’aurais-je cherché dans le sel ou le sable comme le vent façonne la dune instable quand il glissait vers toi en éclaireur Le monde s’offrait à moi par un matin de fin d’été et je m’en suis saisie les yeux fermés. SD
Moisson du jour – (Susanne Derève) –

Les hélices du jour sur la montagne. Si près du ciel nous sommes,du bleu sans faille de la lumière où plongent les ailes du moulin, et j'en suis le meunier, j'en mouds le grain en farine d'azur, j'en pétris la mie tiède,du rouge et de l'or des forêts de sureaux et de hêtres où la route serpente,nonchalante, au flanc ensoleillé du Causse. A nos pieds la toile étincelante des prairies d’hiver, le vaste amphithéâtre des sapins, en sentinelle ardente, le fil ténu de la rivière … Déjà le jour chancelle,un fin quartier de lune fauche les blés du ciel, dans le vase étroit de la combe, le vin noir de la nuit s'enracine … Meunier déchu,j'y noie mes rêves d’éternel.
Voyage d’hiver – (Susanne Derève) –

Un lent voyage d’hiver enfoui dans la grisaille, au fil des routes, quelques enseignes : gites, miel, potier, le lourd panache des fumées, un givre d’ombres sur les branches basses des sapins. Dans les clairières, poudrant les coupes claires du bois, le fin linceul du gel marqué d’empreintes, pas, ornières - les roues profondes des engins - et la griffe étoilée d’un merle silencieux traçant son chemin sur la neige, calligraphie légère d’un fugitif adieu.
Grisaille – (Susanne Derève) –

Pluie, l’aboiement d’un chien invisible dans la grisaille (autrefois l’éclair roux d’un grand setter à travers champs enluminait l’automne). Là-bas, au creux des îles, la pluie de mousson est à elle seule pays et paysage, néant où sombre le désir, quand elle ne fait ici que ternir l’horizon comme une vitre sale, une photo brouillée. La mer, au loin semble si sage.