voir l'art autrement – en relation avec les textes

Susanne Derève

Photographie – (Susanne Derève) –


Robert Doisneau – Portraits de famille

.

Photographie qui était nous,

que je ranime d’un regard,

d’un regret,

du battement d’un cœur qui n’est pas chair,

sang, mais le nœud lancinant de l’amour.

.

Désormais perdus pour l’enfance,

voués aux éclatantes couleurs du monde

et du voyage, ils sont.

Ainsi, l’oiseleur rend l’oiselet au vent,

surpris de son aisance à gagner les couloirs

du ciel, et de la vigueur de ses ailes.

.

Ce temps passé fut nuée de jours heureux,

– cirrus, ouate, tendresse,

pluie bienfaisante des orages d’été –

Ce que nous avons consumé d’amour :

inépuisable mue de printemps, fruits rouges,

feux de Saint-Jean.

.

Nous reste la chaleur des voix, l’élan d’un corps

qui reconnaît les siens – baisers-

et l’absence palpable, pareille à ces formes de glaise 

qui prennent vie et puis s’effondrent, rebelles,

entre les doigts.   

  


L’angoisse des saules – (Susanne Derève) –


Claude Monet, saule pleureur (Paris, musée d’Orsay).

.

Etait-ce l’angoisse impérissable qui ployait

les branches des saules,

– l’éternelle frayeur de vivre –

ou bien la mienne, nomade,

cherchant à poser quelque part

l’encombrant bagage des mots ?

.

Car les mots vaguaient sans ambages,

sans nul autre chemin que celui du souvenir,

et le souvenir en d’étranges contrées

cherchait sa route, gréait de vieux rêves

au passage, rapiéçait de laine son costume élimé

et de ses bras trop courts, pierre à pierre,

montait le fabliau.

.

Tandis que vous … crédules comme des bois d’église,

n’aviez rien vu, rien entendu que la volée stridente

des cloches à midi,

quand il fallait prêter l’oreille au vent lugubre

des sanglots que versait tristement le feuillage

des saules, à fleur d’eau.

.


Un lumineux avril – (Susanne Derève)-


photomontage RC

.

Ce dont je m’émerveille, en ce lumineux Avril ,

c’est de m’émerveiller encore,

 

des papillons juvéniles du feuillage

et de la profusion des tulipes, une traîne vivace

dans l’herbe du jardin, brodée de rouges et d’ors

par une main ancienne.

 

Main inconnue, qui agenças habilement les formes

et les couleurs de ce jardin champêtre,

nous voici liées, à travers les années,   

par l’éphémère miracle du printemps.                                                                                                              

.


Prémices – (Susanne Derève) –


Hanoï – 2016

.

Ce qui importait était le voyage

ventre du futur

autre temps autre lieu

qui nous réunirait

              **

Les noms des villes empreints

de douceur

claquaient parfois

la langue la nôtre était impuissante

à en reproduire les inflexions

alors que sa musique d’autrefois

chantait encore à nos oreilles

             **

Retrouver les bruits les voix                                 

les klaxons le vacarme

et le ton de ce verbe inconnu qui résonne

navigue doucement dans l’aigu du rire

.


Autre printemps – ( Susanne Derève) –


Philippe Cognée – Champs de colza vus du train-

.

Autre printemps.
Les couleurs claquent, violentes, comme une toile
au vent,
le jaune racoleur du colza et le vert pimpant
des prairies : pas besoin de soleil.

Sous le bleu implacable du ciel, seul un fin nuage
de poussière, dans le sillage des engins,
vient troubler le parfait agencement des cultures :
la puante odeur du lisier.

Les pâles fleurs des églantiers portent déjà leur fin.
Les fruits rouges leur feront bientôt de sanglants haillons
dans les bosquets.

.


Petite mère (4) , fantômes (Susanne Derève)


Jean Fautrier – Femme dans la nuit

.

Je n’ai nul besoin de fantômes.

Petite Mère arpente pour moi les couloirs

du temps à pas menus,

frôlant d’autres spectres aux mains vides.

Les rives du Léthé sont des jardins

d’ombres arides, d’épaves chancelantes,

essarts de blanche hermine ensemencés

d’oubli.

.

.


Poème champêtre – Susanne Derève –


Ernest QUOST – Fleurs de Pâques (1890)

Porte qui grince,
les gonds rouillés et le bois mort,
le bois vert du printemps,
cet onguent de la solitude.

La nature n’aime rien moins
que les âmes esseulées.

Au fil des ans dans la prairie,
les fleurs rendues à la nature essaiment
en légers troupeaux de corolles,
en cavalcade agreste dans l’herbe
du jardin – primevères, violettes
et les clairons d’or des jonquilles –

Telle opulence, est-ce fausse innocence ?
Bonheur, l’instant où nous pénètre à ce point la beauté
qu’elle nous possède tout entier ?

Sous-bois de l’éphémère, veille jalouse, en robe pâle
les jacinthes, que trahit leur parfum, dressent
sur leur hampe fragile une pure fleur étoilée.

Ce monde nous oblige, dans son intime perfection,
à lui rendre des comptes, de ce que nous avons trahi
de lui et de nous-mêmes.


Anniversaire – (Susanne Derève)


Robert Mapplethorpe – Tulip

.

à ma fille ,

*

Grand galop de printemps,

la course des jonquilles s’épuise

dans la prairie. 

Les jaunes passent,

et les rouges entrent en scène,

fragile passacaille qu’entament les tulipes

au vent d’Avril,

le pur ovale de leur globe m’évoque  

ton visage, 

Fleur  de 25 années ce matin. 

*


L’obscur bruit des armes – (Susanne Derève) –


Georges Seurat – L’arc en ciel – étude pour ‘ Les baigneurs à Asnières ‘ 1883 –

;

Arc-en-ciel
qu’estompe peu à peu le retour de l’averse,
tel un visage enseveli.

Le tien, pas un jour n’a terni sous la brisure
des tombes,
attentif et paisible ,
un paysage aimé dans sa livrée d’automne,
sa douce peau de printemps,

où chaque chose chèrement conquise
avait trouvé sa place :
le mimosa d’hiver et les lilas de Mai,
l’arche du pont enjambant la rivière,
et la rivière dans ses méandres
léchant le flanc gris des hameaux.

Mais du souffle du vent
naissait parfois un douloureux écho,
le souvenir d’anciens printemps ruinés de cendres
et de sanglots, ce crève-coeur,
ce que la liberté avait coûté de chagrin et de larmes,
brisé de vies, tu le taisais,

et voici que résonne l’obscur bruit des armes.

;


Porte-bonheur – (Susanne Derève) –


Jean-Paul Riopelle, L’Isle heureuse, 1992

.

Un éclat fauve entre les branches : rouge-queue porte bonheur. 
Le couple est de retour; du faîte du tilleul jaillit le chant
mélodieux du mâle.

Telle frénésie ce soir, rossignol des murailles,
l’amour est-il un doux rêve d’oiseau ?

Bientôt viendront les hirondelles, attardées dans les roselières,
mais la mienne est si loin,
dans un pays de mousson et d’orages qui ne connaît pas
de printemps.

Quel pays portera la poussière de leurs ailes ?
Non pas celui de mon oiselle, dont l’aile était si douce
et la voix chantait clair, je m’en souviens.

.


Lot – (Susanne Derève)


John Singer Sargent – Brook and meadow –

.

Le pépiement désenchanté d’un moineau

couvert par le joyeux fracas

de la rivière.

.

Lot impétueux des lendemains de pluie,

les pierres sous la surface, plus larges

que ma paume, brillent

comme de grandes pièces d’or au soleil,

.

et dans ma paume deux violettes

cueillies près du vieil arbre

où s’éreinte l’oiseau.

.


Petite mère (3) – ( Susanne Derève) –


Anna Ancher – Mère de l’artiste –

.

Petite Mère qui fredonnes,
tu tiens entre tes bras une poupée de chiffons
et tu fredonnes

Vieille, si vieille tu es,
tu en oublies que tes bras m’ont bercée,
tu en oublies jusqu’à mon nom,

comme ces fleurs de givre
que la nuit a semées et que le jour défait,
tu en oublies les mots de la chanson

et le chant lui-même s’efface, petite Mère,
t’abandonne,

et c’est moi , à présent , qui doucement fredonne

.

.


« Pas le temps » – ( Susanne Derève) –


Femme à la cigarette – Laurent Delhourme –

.

Ça crie, ça crie dans la rue

« Pas le temps, pas le temps ! » .

.

Silencieuse et grise,

tu tires frileusement une dernière bouffée de ta clope

dans l’encoignure d’une porte silencieuse et grise,

avant de rejoindre d’un pas traînant celui

qui de ses bras trop courts

mouline impatiemment le vide

et crie vers toi :

« Pas le temps , pas le temps ! ».

.


Promenade – (Susanne Derève) –


Les Salelles (Lozère)

.

Il chemine

Le chemin le précède, bondit à flanc de roche,

enjambe la rivière

et c’est un pont soudain, dont les pierres disjointes

sont envahies de mousses,

puis le village, enfoui dans un repli doré du Causse

où le soleil s’attarde au milieu des vergers.

Il se rappelle avoir observé tout le long du sentier

qui longe le Lot de jeunes arbres fruitiers

fraîchement plantés.

.

Il s’imagine,

loin de l’hiver, reprendre ce chemin

pour en grappiller les fruits mûrs

– poires, coings, cerises –

cerises surtout, en mémoire des bigarreaux volés

de l’enfance,

des mains, des genoux éraflés aux grillages,

des cris, du cœur affolé de la fuite, 

– pour finir , ce n’étaient jamais plus de quelques

cerises échappées à la débandade,

écrasées, aigres, doucereuses –

.

Le Lot, fringant des soubresauts de l’hiver,

le sol clair et sonore du sentier.

Au dessus de Changefège, le ciel lui semble

d’un bleu trop pur de photographie truquée,

une fraîcheur nouvelle monte de la rivière

et le fait frissonner,

Il sent le chemin docile sous son pas,

uni, dompté, cueille

dans l’ombre qui s’avance une violette hâtive,

se résout à rentrer.

.

.


Miettes – (Susanne Derève) –


Francesco del Cossa – « Le regard de l’escargot » (détail)

.

.

Des brisures du rêve, voilà  ce qu’il nous reste,

la sueur des baisers,

le ruban argenté d’une bave d’escargot

après la pluie …

Un seul rayon de lune n’a jamais fait pâlir la nuit.

.

.


Vague à l’âme – Susanne Derève –


Photo RC – Brest , port de commerce

Vague à l’âme, baguenaude,
le frisson d’une flaque au milieu du pavé :

se peut-il que le grand vent rugissant
de la mer agonise à mes pieds
comme un marin à quai
qui tournerait le dos au vieux rêve du large ?


Le canal Saint-Martin – ( Susanne Derève – René Chabrière)


Le canal Saint-Martin – Willy Ronis –

.

extrait de :  Le calendrier de l’avAnt et de l’Après (écritures communes ou en écho)


Encore – (Susanne Derève) –


(photo perso )

Encore dit la pluie, encore me dit le vent
et leur plainte
dans les rameaux de cendre de l’hiver,
dans le lit assoiffé du torrent sonne
comme un long cri où s’éboulent les pierres.
 
Roses fanées de Décembre : les doigts du givre
ce matin façonnaient leurs corolles sèches
de délicates enluminures.
C’est ainsi le temps s’emploie à nous duper.

La main d’où volait la semence des blés,
le geste auguste : ensevelis, abandonnés
aux strates de l’oubli, à leur sceau blanc
de neige ensommeillée.
 
Au long des prés, les passereaux volages
désertent les sentiers.
Mais les miens, mes moineaux égayés,
je leur tiens au chaud un nid de paille
sous la grange.
Pour peu qu’ils y reviennent, je chanterai
leur louange, encore. 

 


Ors – (Susanne Derève) –


Vilhelm Hammershøi, Intérieur, rayon de soleil sur le sol , 1906

.

.

Dans l’obscur je suis,

de la petite main jamais satisfaite

qui triture le mot de la nuit

pour un matin d’enfance

.

où l’illumination du bonheur

me vint d’un boisseau d’or

que versait la fenêtre à mes pieds

.

Et j’en fus prisonnière

tout un jour d’été

.


Petite mère (2) – (Susanne Derève) –



Le Chariot d’Alberto Giacometti photo retouchée –

 

 

Petite mère,

tu t’es promenée si longtemps dans le siècle

passé,  

dans celui-ci tu erres,

mince fantôme aux os de verre,

aux yeux clos,

vide comme l’hostie

que petite fille transie sous ta robe légère

 tu portais à ta bouche

dans la pénombre froide des églises,

rêvant à la lumière des chemins buissonniers,

aux routes blondes de l’enfance.

 

Toi qui n’es plus qu’un murmure ténu,

le siècle à peine né te rend à l’innocence.


Blanche est ma voix – ( Susanne Derève) –


Miklos Bokor – Chapelle Maradène , fresque (Détail)

 

Mes illusions perdues,

plus pauvre qu’en ma jeunesse, je suis,

et mes cheveux coupés.

 

Pour vêtir un roi nu, n’ai qu’un maigre édredon                                   

que chacun tire à soi

et quand sur vous, mes frères,

les mâchoires d’acier des frontières se ferment,   

j’appelle, j’appelle encore,

 

blanche est ma voix, 

 

noyée dans le grondement du flot,

blanche,  

la supplique qui monte des radeaux                  

accrochés à nos flancs, au bout de leur errance,

 

blanche la plainte,

qui fuse des barbelés, le cri du sang

épandu sur la neige,

 

et sous les bombes, les gravats,                          

les villes qu’on assiège,

blanches d’horreur les pupilles,                                         

blancs les membres brisés.                                                                                                            

 

Mes illusions perdues …

à  Kaboul      Ispahan        Téhéran ,                                                                                               

blanc le cahier d’écolière,  

blancs le niqab et le linceul,

la corde et le nœud coulant,

 

et quand sur vous mes sœurs,

les mâchoires d’acier des prisons se referment,   

j’appelle, j’appelle encore

 

au delà des frontières , blanche est ma voix …

 

                     ***

sur la Chapelle Maradène ( commune de Martel, Lot) , acquise par Miklos Bokor ,

dont il a entièrement recouvert les murs intérieurs de fresques monumentales

qu’il a voulues comme « sa mémoire » de la Shoah, voir  :

Chapelle Maradène, journée du patrimoine – Martel 2020

 

 

 


Flocons – (Susanne Derève) –


 

 

Parfois, les flocons de neige n’atteignent pas le sol,

le vent les entraîne  dans sa fougue

et je les imagine voguer éternellement entre ciel et terre

sans jamais se résoudre à mourir.

Mémoire ,

ainsi je te voudrais légère, inlassable vigie

pour conjurer l’absence.

 

 

 


Cerises noires – (Susanne Derève) –


Nature morte aux cerises – Léon Marie BENOIT (vers 1865 – 1917)

 

Le morceau de ciel blanc d’une aube.                                                     

Sous les persiennes un reste de sommeil.

Dans le jardin des simples

de minuscules cerises noires,

dont le goût panse les tourments

plus sûrement  que la nuit.

 

Il faut se réfugier très loin dans l’ombre :

 à se laisser gagner par le sommeil,

on oublie que la nuit se doit d’être profonde,

tendue vers la douceur,

pour émonder le froid couperet du jour,

son trouble, sa fièvre, l’éclat des voix,   

l’entame des aurores,

de cette pulpe noire des cerises aux branches

des vergers,

que les merles dévorent.

 

                *

Interprété par Laurent Steed Chapelon :


Nous écoutons cette cantate (RC ) – Que le monde soit ( SD )


retable Chartreuse de la Sainte-Trinité de Champmol  ( Dijon )

Je t’ai vue à travers la musique .
Tu dansais comme dans toi-même
au son de ces voix,
habillées de pourpre,
et qui s’élevaient
jusqu’aux voûtes,
donnant un peu de chaleur
aux âmes qui ont froid,
dans le parcours des leçons de Ténèbres,
où l’on mouche les chandelles
une à une, jusqu’à ce que
l’obscurité pèse
son poids de silence .

Je t’ai vue à travers la musique ,
tu étais loin, mais proche pourtant ,
tu avais tracé mon nom sur le carreau de la vitre,
et nous écoutions la même cantate,
comme si je te tenais la main
et, les yeux fermés,
les harmonies se croisant ,
offraient au jour naissant ,
la lumière vibrant ,
avec l’avènement d’un monde,
celui que l’on ne peut décrire
ni en images ni à l’aide de mots .

René C – septembre 2018

variation sur " que le monde soit ( SD )

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Que le monde soit…
comme je le veux
comme je l’ai pris    enfanté  au matin
les  yeux ouverts
 
La lumière s’y déployait si blanche
avant que la couleur l’inonde,
 

ainsi l’orgue  conduit la voix  -                                                                                       
la liturgie du jour à venir  était blonde
et me parlait de toi.
 
J’ai effacé un peu de buée à la fenêtre
et sur le carreau froid tracé ton nom
dessiné un peut-être
 
Le jour venait de naitre
limpide et pur, oratorio vibrant
une césure    avant que le ciel ne bascule
vers son avènement
dans une orgie d’ors et de cuivres                                                                        
 
Je ne sais  s’il était d’une étoffe
dont on peut se vêtir
comme l’aube de lin des retables                         
ou la pourpre ardente des rois                                                                             
 
s’il fallait  le poursuivre dans sa marche solaire
au-delà du beffroi  qui claironnait les  heures
 
et l’aurais-je cherché dans le sel ou le sable                                              
comme le vent façonne la dune instable                                        
quand il glissait vers toi  en éclaireur
 
 
Le  monde s’offrait à moi
par un matin de fin d’été
et je m’en suis saisie les yeux fermés.

SD

Moisson du jour – (Susanne Derève) –


Giovanni Giacometti – L’alouette –

Les hélices du jour sur la montagne.
Si près du ciel nous sommes,du bleu sans faille
de la lumière
où plongent les ailes du moulin,
et j'en suis le meunier,
j'en mouds le grain en farine d'azur,

j'en pétris la mie tiède,du rouge et de l'or
des forêts de sureaux et de hêtres où la route
serpente,nonchalante,
au flanc ensoleillé du Causse.

A nos pieds la toile étincelante                                  
des prairies d’hiver,                                                              
le vaste amphithéâtre des sapins,
en sentinelle ardente,                                   
le fil ténu de la rivière …                                        

Déjà le jour chancelle,un fin quartier de lune
fauche les blés du ciel,
dans le vase étroit de la combe,  
le vin noir de la nuit s'enracine …
Meunier déchu,j'y noie mes rêves 
d’éternel.




Voyage d’hiver – (Susanne Derève) –


Empreintes de corbeaux dans la neige (photo web)
Un lent voyage d’hiver enfoui dans la grisaille,
au fil des routes, quelques enseignes : 
gites, miel, potier, 
le lourd panache des fumées, 
un givre d’ombres sur les branches 
basses des sapins.
Dans les clairières, poudrant les coupes claires 
du bois,                                                
le fin linceul du gel marqué d’empreintes, 
pas, ornières - les roues profondes des engins - 
et la griffe étoilée d’un merle  
silencieux
traçant son chemin sur la neige, 
calligraphie légère d’un fugitif adieu.




Grisaille – (Susanne Derève) –


Max Ernst – Europe après la pluie –
Pluie,
l’aboiement d’un chien invisible dans la grisaille                                            
(autrefois l’éclair roux d’un grand setter
à travers champs enluminait l’automne).

Là-bas, au creux des îles, 
la pluie de mousson est à elle seule 
pays et paysage, néant où sombre le désir,                                                               

quand elle ne fait ici que ternir 
l’horizon comme une vitre sale, une photo brouillée. 
La mer, au loin semble si  sage.