voir l'art autrement – en relation avec les textes

Susanne Dereve

Le canal Saint-Martin – ( Susanne Derève – René Chabrière)


Le canal Saint-Martin – Willy Ronis –

.

extrait de :  Le calendrier de l’avAnt et de l’Après (écritures communes ou en écho)


Ballade – Susanne Derève –


David Hockney -Pearblossom Highway

.

Un quartier de lune à la traîne

une rose qui fane au fond d’un encrier

et la mer, et la mer indolente

aux blancs reflets d’opale

aux reflets d’amarante

la mer étale

.

Nos rêves étaient pareils à ces moissons du ciel

qu’engrangent les nuages

chimériques

Traversent-ils les âges ?

.

Je ne sais pas

Je n’en sais rien

Je ne sais plus

.

Nos souvenirs étaient   verts    neufs

à peine imprimés dans la chair

et la chair imprimait en nous

le désir

le désir animal

et  de le satisfaire 

était le principal     

L’était-ce ?

.

Je ne sais pas

Je n’en sais rien

Je ne sais plus

.

Toujours est-il

qu’aujourd’hui est ailleurs

sur la page

page blanche

Nul besoin de crayon

De toi à moi lecteur

un fil plus ténu qu’un nylon

.

Bas nylon aux coutures lascives

talons aux aiguilles cursives

Etait-ce   utile   banal ?

.

Je ne sais pas

Je n’en sais rien

Je ne sais plus

.

J’allais naviguer sur les crêtes

nu-pieds

dans le vent sidéral

la barrière de corail était notre Saint-Graal

.

Apres avoir défait le socle des statues

avions-nous désappris

– sans doute-

qu’on ne s’écarte pas aussi loin de la route

sans dévier ?

.

66 un motel oublié                                       

Harley Davidson au  hasard

vers nulle part

Marilyn de carton-pâte

sourire  d’albâtre

asphalte défoncé

Etait-ce encore l’été ?

.

Je ne sais pas

Je n’en sais rien

Je ne sais plus

.

Reprendre la route

coûte que coûte   vaille que vaille

j’ai fini par rentrer au bercail

Le rêve n’avait plus sa place

– gagner sa croute –

Je t’ai aimé par contumace

Comme tout s’efface…

.

Reste un quartier de lune à la traine

et les roses ont fané

J’ai jeté l’encrier

Inutile ?

.

Je ne sais pas

Je n’en sais rien

Je ne sais plus

.

La mer est  là

aux reflets d’amarante

Le soleil a l’éclat

de ce mica qu’on plante

dans les yeux qui cherchaient

le sens qu’on donne aux choses

.

Y semer des chimères

L’ai-je fait ?

.

Je ne sais pas

Je n’en sais rien

Je le suppose

.

2018


Strass – (Susanne Derève) –


Pierre Soulages – Etude 04 B

.

Ce ne sont que petits éclats

de verre de strass  de mica *

que recouvrent les pas

que ternissent les ombres

qu’engloutissent les nuits

.

Est-ce un rayon de lune

un diamant désuni  ?

Un soulier sonore  

claque sur le bitume  …

.

Qu’a t il trahi  de rêves

celui qui foule aux pieds

et passe sans les voir 

ces étoiles pâlies,

ces perles égarées,

.

petits éclats de verre

de strass ou de mica *

qu’enserre  le granit

et qu’étreignent  les pas

.

* emprunt à  Jean Claude Pirotte


La mer – ( Susanne Derève) –


Arkhip Kuindzhi – Pêche sur la mer noire

.

Tapie , retranchée dans la nuit
je la devine à son long battement
de métronome ,
à la fulgurance de ses phares ,
à leur éclat – deux rouges un vert –
marquant l’entrée du port

Je la devine mordant la plage 
où la vague prend son essor
tutoie le ciel ,
dérobe un éclat de silence ,
et se saborde sur le sable ,
le sable froid des nuits d’été

La mer …
Je la devine essuyant les rochers
d’un blanc suaire d’écume
sous le vol lourd des goélands,
à son chant de cloche brisée
lorsque forcit le vent .


Ode aux jeunes filles – (Susanne Derève) –


Photomontage RC – Palais Royal –

Les dahlias s’épanouissent dans les jardins

du Palais Royal,

rouge pavois parmi les mauves.

.

Ainsi fleurissez-vous,   jeunes filles,

dans les allées de sable,  tendres appâts,

 papillonnant de l’ombre à la lumière

dans une nuée de rires, de selfies, de dentelles,

d’épaules nues …

.

Vous êtes belles ; sous les tilleuls valsent les confettis

du ciel, la cambrure légère d’une danseuse

à trottinette, le galbe d’un mollet, 

saut , pirouette ,

d’une robe où s’encanaille le vent.

.

Faites la nique aux passants, aux voyeurs

affalés dessus les bancs de bois parmi les fleurs :

vous lorgnent les yeux brillants des hommes.

Ils vous regardent et se déhanchent,

font jouer leurs muscles sous la peau,

de leurs dents blanches, vous dérobent un baiser,

.

 tandis que  le soleil balance son carrousel

de gueules d’amour et de cornets glacés ,

poisse les doigts enlacés des jeunes filles,  

et des garçons en débardeurs ,

.

qui  s’éloignent en chœur, main dans la main,

vers les abords du grand bassin

 et les jardins des Tuileries où leur fantôme

s’évanouit   …  

Photomontage RC


Plus fine que la dentelle des cathédrales – (Susanne Derève )


photo RC

Tout près si près

plus proche que le silence

plus pure que la fine dentelle

des cathédrales

plus chatoyante que le jade ,

l’aigue-marine,

palpite dans un souffle ,

juste au dessus de l’eau ,

une aile immense

de libellule…


Je n’ai plus de barque où naviguer – (Susanne Derève) –


Photomontage – RC

Je n’ai plus de barque où naviguer
ni de voile pour prendre la mer

La mer habite mon passé
et mon présent est fait de landes
et de tourbières,
de bois, de chants de blés,
et de l’eau glacée des ruisseaux
où le pied heurte les galets

La mer habite mon passé
que noie le chant des cascades

L’écume y est plus blanche
qu’une coiffe empesée,
que la frange des vagues,
ou que les blancs nuages à la dérive
des vents d’Ouest
voguant mollement vers la mer

Elle bat furieusement les terres
du passé et les sables déserts
mais je n’ai plus de barque où naviguer
plus de voiles, ni d’amers


Chemins dérobés- ( Susanne Derève)


Léon Spilliaert – Sur la plage

.

Qu’advient-il à prendre les chemins dérobés
du poème  ?
Un égarement sans doute, une fugue entre les mains
ardentes du pianiste – l’ivoire sous les doigts – ,
une eau qui se referme,
un pas foulant le sable des étés

Semelles d’or que révèle la fuite
je ne retiens de l’absence
qu’une empreinte à demi effacée , tienne ,
qu’arase le vent des dunes,

le vent qui me jette en pâture ses averses de sel,
ses grumeaux d’écume ,
et les mots du poème qu’effaceront les brumes


Mouettes- ( Susanne Derève) –


Milton Avery – Birds

Elles volent de concert
les mouettes
volent et volent

dans un concert de cris
un seul son guttural
qui plombe le silence

Et minéral
seul lui répond
celui des pierres

sous l’aile du ressac
dernier coup de cymbale
avant la haute mer


Digitales – (Susanne Derève)


Emile Nolde – Jardin de fleurs

Vénéneuses ,
étrangement mortelles
comme il se doit des fleurs
dans le long cortège du soir,

elles font face à la nuit ,
les rouges digitales
au bazar des étoiles – Orion ,
Chariot de feu , Beltégeuse –

et Minuit tend sa toile d’araignée
songeuse sous le plafond du bal
où le vent les épuise
comme un feu de Bengale


Cacophonie – (Susanne Derève)


Causse de Sauveterre – Photo RC

Cacophonie de chants d’oiseaux :

ce matin comme chaque matin ils occupent tout l’espace sonore

se répondant d’arbre en arbre , de gouttière en gouttière :

rougequeue, mésange, fauvette

et le vol affairé des hirondelles  picorant miettes et rameaux

Le va et vient obstiné des fourmis sous la fenêtre que je déjoue

d’une brindille comme on dévie le cours d’un ruisseau

Vient l’heure où le lézard furtif , pointant son oeil inquiet

rejoint les pierres chaudes , se risque à laper d’une langue hâtive

une flaque déposée par la nuit.

Tandis que le concert des oiseaux s’apaise ,

c’est un long bourdonnement qui monte dans la chaleur :

le chant de basson des insectes saturant le silence.

Au sol l’ombre chemine . Heures indolentes ,

les jours ne passent pas ici , ils nous charrient

comme un long fleuve érodant monts et vallées,

à l’échelle d’un temps démesuré

qui polit doucement causses et dolines ,

croque le calcaire d’une dent gargantuesque

sous nos yeux de petits poucets .


Averses – ( Susanne Derève)


Utagawa Hiroshige – Shôno , pluie d’orage Musée Guimet – Paris

.

Je leur laisserai le soin de brouiller les pistes :

bruines , crachins, averses , rideaux de nuées légères …

.

Rien des pluies écrasantes du Sud ,

de simples rumeurs d’étoiles,

un tendre flou de photographie,

le grisé d’une estampe, la fine ondée du jour.

.

Ainsi naissent les larmes aux pétales des roses,

la sueur aux cils fins des trembles.

.

Voiles de printemps, ombelles soyeuses chargées de sève

vouant leurs chevelures au vent,

lâchant des perles de pluie qui glissent au cou nu

des passants . frêles silhouettes taciturnes

qui s’évanouissent dans la brume

en frissonnant.

.


Le pont d’Avignon – ( Susanne Derève)


Man RAY – Le pont brisé

Cette eau qui baigne le contour 
des rives 
Eau vive des chansons

Sous le pont d'Avignon 
dans la chaleur écrasante de midi
les reflets ocres de la pierre versaient 
leur or tremblant

Le courant y jetait des écailles 
d'argent   et moi mes derniers rêves
à l'aune d'une chanson

Sur les arches de pierre abandonnées 
au  Rhône 
mes fantômes menaient en rond 
une étrange farandole
dont j'ai effacé le nom 


la fuite éperdue du langage – ( RC )


photo Susanne Derève

Ici ce sont des mots
accrochés aux poteaux.
Ils balbutient,
aux orgues du couchant,
et peut-être que le concertiste
a pris les devants
avec mille et une variations,
du cor nu
qui délaisse les bois
pour résonner, ingénu
sous d’autres climats
d’autres lois .

Et ce sont celles de la ville
qui indiquent au passage
la fuite éperdue du langage
emporté par la symphonie urbaine.
Lire ce récit comme une partition
serait bien chose vaine :
Jusqu’aujourd’hui on n’a jamais pu
en faire un poème
à portée de rue :
un cor nu
n’est pas ce corps nu
allongé sur un piano
qui tenterait de lire les mots
accrochés aux poteaux.


Ophélie de pierre- (Susanne Derève) –


                                                      Paul KLEE – House on the water 

 

Je ne convoque pas les images     

 je les laisse

insensiblement m’envahir                                                                                                     

dériver lentement

comme les voiles gris  d’une Ophélie  

de pierre                                                                              

 

et son visage  est celui des murs

de ma maison 

d’un pot de grès

des fleurs séchées que j’y dépose

de la nappe usée sous le doigt

 

de la lumière que verse à flots par la  fenêtre           

un trop rare soleil

 –  les arbres du jardin  en ployant sous le vent

 y   jettent de grands papillons d’ombre :

l’érable,  ses samares  blondes,

et le charme, obstinément adossé aux embruns –

 

Son visage est pareil aux murs de ma maison

emplie de rires d’enfants et de  nuits

sans sommeil,

de bonheurs et de larmes,

de rêves adolescents,

de veilles inquiètes dans l’ombre mauve des  matins ,

– à  l’horizon luisent encore les phares

dans le  jour incertain  –

 

 

Alors je laisse doucement refluer  les images

Je referme les murs de ma maison

 

Ophélie grise,

elle vogue vêtue des voiles du silence

au gré du hasard et du temps  

et  j’en suis longtemps le sillage

jusqu’à perdre sa trace  

insensiblement

 


Je vous regarde sans vous voir – (Susanne Derève)-


                                                          Euan Uglow  – Nude – 

   

 

Je vous regarde sans vous voir

Je vous regarde sans désir

Sur la toile je veux saisir 

le galbe nu de votre dos    

et la pâleur de votre peau  

  

Je ne suis pas de ceux

dont le pinceau caresse

Je voudrais vous peindre au couteau

traquer vos failles   vos faiblesses

cette intime fêlure  que d’autres 

habillent de tendresse

.

Je vous veux immobile

immortelle prêtresse  

et coudée comme l’arc

pour débusquer l’instant

où la corde se tend

stopper la course de la flèche

dans son élan


Passagers de la nuit – (Susanne Dereve)


Camille COROT – Clair de lune au bord de la mer

 

 

La nuit dérivait lentement

pas une nuit d’argile ni de mousse

ni de la froide clarté des constellations de Juillet

ni de l’ombre des pins , noire , où balançait le vent

ni du roulement des vagues ou de celui du temps

perdu , éperdu , amassé 

– telles ces piécettes d’or miroitant

sous l’eau des fontaines –

 

 

Une nuit d’étreintes et de baisers

du lourd parfum des pluies d’été

saturé d’humus et de braise 

– sait-on jamais ce que pèse

le poids des mots et des regrets –

 

 

La lune s’était levée ,

paupières closes , lèvres scellées ,

et ses lançons d’argent vibraient sur l’eau 

épousant le flot incertain du courant ,

la gravant en nous comme un sceau

 

 

Passagers de la nuit arpentant les étoiles ,

nous étions deux amants …  

 

 

 

 


Le silence est sommeil – (Susanne Derève)


Henri Edmond CROSS – Bord de mer

Le sommeil est silence
rêve de chevaux fous nasse légère
entre deux eaux
Le silence est sommeil
parenthèse d’été
sur les pierres chaudes où se couler
lézard furtif
dans les interstices des roches
éclair fuite argentée rouge aveugle
sous les paupières

Au printemps les genêts y jettent des touches
de lumière les giroflées
leur feu cuivré le sable des grèves
miroite doucement sous l’eau un mica
une étoile oubliée et les longs filaments mauves
des méduses dansent dans le ressac
horloger de la mer égrenant le silence
un havresac entre veille et sommeil
où vient se blottir la conscience


C’est la nuit que je cherche – (Susanne Derève)


Photomontage RC sur Black Snowman (D Shrigley)

Un train traverse la nuit
C’est la nuit que je cherche
dans son manteau de neige
ses éclisses de gel ses quartiers d’ombre
et de lumière
à la lueur des réverbères tremblant
sous les assauts du vent

et toi bonhomme de neige
qui fanfaronne dans les jardins
blanchis de givre
bénis ma bonne fortune :
demain flottera ton chapeau
avec ton frac entre deux eaux

Je n’aurais plus qu’à les pêcher
dans une flaque
Coiffé de mon chapeau claque
j’attraperai le dernier train
pour rejoindre la nuit en habit de satin
et l’épouser sous la lune


Instant – (Susanne Derève )


Edward Hopper – Automat 1927

Au lever d’un  jour  incertain,

la vitre me renvoie une  image figée 

que noient   les verts humides du  matin,       

la ligne bleue des toits sagement alignés,

un paysage urbain

On croirait entrevoir un tableau  de Hopper : 

silhouette oisive  accotée au  comptoir

d’un bar ou d’une chambre vide

un mannequin de cire aux prunelles livides

au  regard  orphelin  …

Ce n’est  que mon reflet traquant mes rêves

souterrains,

la table de cuisine  et le pain

une tasse jaunie  où tiédit le café :       

                le même néant  sans objet.

À  tasse vide  coupe pleine,

trinquons aux  instants  qu’on égrène

… comme des pans  d’éternité


Purgatoire – ( Susanne Derève)


Photo RC – Cathédrale de Dol de Bretagne –

Aimais les dernières feuilles rousses

aux arbres

de celles qui s’accrochent

aux branches nues comme un adieu  

tandis que l’hiver facétieux fait table rase

des feuillées,

 

 

s’étiolent  dans un souffle 

que  la lune  ranime

d’un pâle éclat de givre dans la nuit

de Janvier

Aimais les froids  matins d’hiver, 

ensommeillés de gel, 

le tintement grêle de la  cloche  à midi

zébrant  le ciel à la volée,

d’un bleu de porcelaine

plus pur qu’au plein d’été

 

 

Et sur le parvis glacé  dessous

la flèche du clocher les messieurs

à  bedaine et les dames serrées

dans leurs manteaux de laine 

                                                 noirs        

les enfants  lorgnant

les flaques du trottoir

avant d’aller docilement s’asseoir

près du bedeau

(en purgatoire)

 

 

Aimais par-dessus tout

pendant ce temps

– étais-tu suspendu à l’instant ? –

paresser au lit avec toi

guetter le froissement  silencieux

du dégel 

 le floc  des paquets  de  neige

chutant  mollement des toits

 

 

Aimais le désordre des draps  

et  le va et vient de tes doigts

sur ma peau

là où nait le désir qui vous emporte

sur son aile comme un oiseau

 

 

l’ aile du désir est  si pure

je la confisque   

 

 

aux anges en robe de bure

veillant le carré des fidèles

tandis qu’aux cantiques se mêle

de nos ébats le doux murmure

 

 

 


Carènes – (Susanne Derève )


Gustave COURBET – Plage d’Etretat par temps de neige

Sous les bâches tendues

la  lumière prend des reflets d’aurore.

Voiles blancs que portent  les flancs

des navires à quai   

carènes sèches  dont la peinture s’écaille. 

  

Œuvres vives     œuvres mortes 

aux relents d’huile et de goudron.

Sans roue ni  gouvernail, nulle route à tracer .  

Pour  tout sillage,  celui qu’impriment  à la boue

leurs étraves.

Ainsi   s’achève le voyage.


Bécasseaux- (Susanne Derève)


PHOTO RC – Landéda

Surtout ne pas marcher trop vite
sur la plage Sainte Marguerite
les bécasseaux sont revenus
fouillant d’un bec ingénu
là où la vague leur abandonne
sur le goémon le sable blanc
son menu fretin, ses gravettes
à la lisière de l’estran

Un nuage de plumes palpite
sur la plage Sainte Marguerite
en épousant le flot ,
petit peuple d’oiseaux si peu farouche
qui s’égaie à notre approche
d’une aile rase à fleur d’eau
dans un pépiement bref que noie le vent
un vent du Nord qui arase les dunes

Quand le soleil de Mars chassera les frimas
seront-ils encore là
à picorer de-ci de-là le sable blanc
ou prendront-ils leur vol ,
nuée mouvante dans le ciel
que l’on suivra longtemps des yeux,
vers l’ Alaska ?


Départ – ( Susanne Derève)


BREST – PHOTOMONTAGE RC

 

 

Un ciel de nuit

mais les nuages à l’horizon blanchissent déjà

Tu pars

les lanternes des grues rougissent comme des phares

 

silence   ensommeillé

qui sonne doucement de l’ébranlement des trains

du chuintement régulier des essieux  

de leur halètement sourd 

 

du chant atone des sirènes 

– voix de basse des cornes de brume

émergeant du brouillard

du claquement des toiles   au  vent

 

sonne d’un au revoir  et   d’un baiser mouillé

d’une écharpe qu’on noue

et d’un bonnet serré autour des yeux

 

Sous la  pluie qui noie les lumières de l’aube

Tu pars

 

 


La patience des pierres – (Susanne Derève)


Paul-Emile BORDUAS – Translucidité

S’il demeurait des cendres fertiles sous la glace

qui donc pouvait le dire 

nul ne savait ce qu’ourdissaient les pierres

dans le silence

 J’imaginais  des causses arides sous le manteau

des neiges,

 leurs sinuosités translucides et bleutées

leurs boues fossilisées 

et  côté ombre

réfractant le soleil en lisière des chemins

de blanches cheminées de gel

des éboulis de roches  et d’herbes sèches

gainés de givre

Ce qu’ourdissaient  les pierres dans le silence

qui le savait ?  

est-il un sens à l’éternel recommencement

des rêves et des saisons –

Sans doute attendaient-elles armées d’une infinie patience

qu’œuvre lentement le dégel  

pour éprouver enfin le vertige du vide

répondre à son appel


Tristesse – ( Susanne Derève)


zoran Music personnage

                                             Zoran Mušič – personnage 

 

 

Il fait ce soir un temps d’une affreuse tristesse

Les nids sont vides

et le gui a fini d’étrangler les pommiers

Le temps est aussi gris qu’un mur de Dubuffet

ou bien qu’un chien tenu en laisse

Que reste-t-il

de ces années de liesse

de mes jeunes années

 

De Muzic à Kiefer,

le temps a dévoilé peu à peu ses charniers 

de  brouillards et de  cendres  

de  carcasses froissées

 

Je les  souligne d’encre noire

aux  angles aigus  de la mémoire

sans trembler 

 

Il fait ce soir un temps d’une amère tristesse

La nuit est claire. 

Pourtant,  

comment la voir encore  avec un cœur d’enfant

 

alors qu’elle court  avec son œil de chat huant

comme un long corbillard     

à corps perdu 

                                        vers le néant

 


Ne compte pas ce qu’il reste d’étés (Susanne Derève)


Albert MARQUET – Alger

 

 

Ne compte pas ce qu’il reste d’étés

N’en resterait qu’un seul, nous saurions l’épuiser

comme le condamné convoite l’aube recluse,

l’égaré la première étoile

 

N’en reste qu’une trace furtive au creux des blés

un pépiement d’oiseau

la lueur du couchant sur les pierres

un ricochet sur l’eau

et pour peu que le vent le ramène au rivage

le sillage blanc d’un bateau

regagnant lentement le port ,

blanc et sonore du vol agglutiné des mouettes   

 

Le croirait-il, celui qui tient la barre,

qu’il croise pour la dernière fois le phare

et la bouée du  dernier  corps-mort

 

Il pense juste à demain

et demain est plein de l’ombre du vent

sur la mer

et de la fraicheur des risées

du parfum d’iode

et des soubresauts de la pêche

brillante en ses filets      

 

Demain est dans ses rets ,

et dans nos mains peut-être   le dernier été