Pierre Garnier – Heureux les oiseaux, ils vont avec la lumière

ce sont orthographes nouvelles :
abeille s’écrit abeil
soleil s’écrit soleille
les abeils habitent les abbayes
les soleilles sont désormais des sources
le féminin s’empare du soleille
le masculin s’empare de l’abeil
pendant cet instant la route de la mort
est barrée
l’abeil, la soleille
c’est la meilleure orthographe
apesant
le poète modifie le monde
la pomme devient poème
l’abeille courte devient abeil
les abeils et les soleilles se rapprochent
du presbytère
on y voit plus clair quand le poète
fait son orthographe
les abeils semblables à la lumière
et aux dentels –
les abeils, les abbés, les abbayes
proches maintenant
de la soleille
l’enfant regard’ le mur de l’écol’
par où passent triangles, losanges et sphères –
ainsi les papillons, les abeil’, les libellules –
le Vieil homme ne perd rien en perdant la vie
– il a atteint la cielle et l’abeil
origine : editions des Vanneaux
Miroslav Florian – les cheveux de l’amoureuse
Violon, violon, ouvre la danse

Mon amoureuse est là
Elle penche sa tête vers moi
ses cheveux sentent la camomille
elle les a rincés dans la prairie.
Ses cheveux sentent bon le pré
Son corps embaume le miel
mais dans ses yeux un essaim veille
ce sont des abeilles en colère
prêtes à fondre sur le voleur
extrait de « la maison ouverte » – nouvelle poésie tchèque –
René de Obaldia – J’ai trempé mon doigt dans la confiture
peinture: Qamar Siddiqui
J’ai trempé mon doigt dans la confiture
J’ai trempé mon doigt dans la confiture Turelure.
Ça sentait les abeilles
Ça sentait les groseilles
Ça sentait le soleil.
J’ai trempé mon doigt dans la confiture
Puis je l’ai sucé,
Comme on suce les joues de bonne grand-maman
Qui n’a plus mal aux dents
Et qui parle de fées…
Puis je l’ai sucé Sucé
Mais tellement sucé
Que je l’ai avalé I
René de OBALDIA « Innocentines »
Colette Fournier – Apprends-moi à danser
Photo : Emmanuelle Gabory
Apprends-moi à danser
Je veux retrouver le soleil
Flirter sur un rayon de miel
Brûler la pointe de mon cœur
Sur des épines d’arc-en ciel
J’ai besoin du velours de la voix
Feutrant ses frissons de soie
J’ai besoin de la couleur du vin
Fleuve de rubis où tout chavire
J’ai besoin du nectar des abeilles
Des parfums du paradis
Des ailes de tous les anges
J’ai besoin de devenir archange
De me transmuter, de m’alchimiser
J’ai eu si mal dans mon corps
Irradié et somesthesique
Que ce soir je veux danser
Libre, nue, échevelée
Ivre comme une bacchante
Et quelque part folle à délier
Avant que ne descende sur moi
La lente douceur du soir…
Jean Sénac- les belles apparences
Le cœur à l’étroit
mes amis sommeillent
ils ont froid et les abeilles
feront un miel amer
Mon pays sourit aux touristes
Alger la Blanche dort en paix
vont et viennent les cars de police
la lèpre au cœur est bien gardée
Qui donc ira dénoncer
la grande amertume des ruches
le corps à l’étroit
les pauvres trichent avec le froid
Belle peau de douce orange
et ces dents de matin frais
la misère donne le change
ne vous fiez pas à tant de beauté
Ici on meurt en silence
sans trace au soleil épais
mais demain le soleil amer
qui voudra le goûter
Sous les jasmins le mur chante
la mosquée est calme et blanche
ô flâneur des longs dimanches
il y a grande merci
À la surface de la nuit
tas d’ordures sac et pluie
In Œuvres poétiques, Actes Sud, 1999
Jean Soldini – Locus Solus
Je me tenais immobile
dans un minuscule pré ovale
locus solus bordé de fleurs.
Les abeilles vibraient
tout près de mon corps,
comme si je n’existais pas,
enveloppé du parfum chaud de l’herbe et des fleurs
du bourdonnement qui les couvrait,
les découvrait puis les recouvrait.
Je me tenais
ostensiblement introuvable :
les yeux fermés
le dos collé au sol
les jambes croisant des trajectoires champêtres.
- de » Tenere il passo, LietoColle 2014″
( » Locus solus » peut être trouvé, avec d’autres du même auteur, sur le site d’ une autre poésie italienne » )
L’alphabet des métaphores – ( RC )
–
Ecoute le tressage des abeilles
Le bourdonnement de la ruche,
L’alphabet des métaphores…
Je dois contempler la lumière ,
M’agenouiller pour regarder
Les gouttes d’étoiles prisonnières d’une toile d’araignée,
Après avoir suivi des cours d’eau
Leur course étalée comme les doigts
Ou les nervures d’une feuille sur le sol,
La palette du ciel abrite toutes les nuances du vent
C’est un haut clocher,
On ne peut pas l’atteindre sans s’arracher au sol
Et les strates empilées des terres et rochers
Une colline est une voix à l’intérieur ,
Les arbres essaient d’en saisir les mystères,
En creusant plus profond encore,
Et dialoguent avec l’appel des saisons.
Peut-être y a-t-il beaucoup à lire,
Sous l’écorce de la matière,
Les nuances de l’écriture qui y est cachée,
Passent de l’anthracite à l’ivoire,
En ne négligeant aucune couleur de l’arc-en-ciel.
–
RC- mars 2015
Natha Boucheré – ombres
–
Deviner le sens des ombres
Tourbillon de poussière
Et de choses avalées
Recrachées
Quand elles tournent comme des abeilles
Se cognent aux persiennes
Et s’allongent en griffant le sol…
L’essence de l’ombre
Elle…qui sait, tout
Puisqu’elle saigne la lumière
D’un seul trait,
Devenue le contour,
La connivence de la forme
Avec son contenu .
Flaques jaunes, flèches solaires ( RC )
champ de colza en Toscane – photo ricsen
–
C’est comme au don de la vie
si résistante au bleu
Que claquent les draps dans le vent,
Les oriflammes où se découpe ton ombre
Je suis venu emprunter
le fil suspendu
d’une balade, au soleil , nu.
Les flaques jaunes éparses au milieu des dolines,
Le causse comme ventre du jour, et
J’ai mêlé champ et corps
Sous le regard d’amour
Comme s’étend la terre
Aux flèches solaires
Que fécondent les abeilles.
–
RC
–
en parallèle au texte de Suzâme – champs de pissenlit »
–
Balade suspendue
au jaune étendu.
Surprendre cette lumière
comme don de la vie
si résistante au bleu
changeant du ciel. Envie
de garder cette beauté première
la Terre, déesse des yeux.
Balade suspendue
au soleil nu.
Contempler ce champ d’or
comme ventre du jour
Ô vaste rêve, champ et corps
Bel astre de l’amour.
–
Suzâme
(29/07/12)
–
Cathy Garcia – Sweet Alice
SWEET ALICE
Peuples champignons
Chuchotent tout bas
Porteurs de visions
Conseillers des bois.
Fillette ingénue
Beaux yeux de biche
Ses petits pieds nus
Galopent sur la friche.
Les esprits te veillent
Enfant de la terre
Regarde, les abeilles
Te dessinent la mer!
Les pavots sont sages,
La mer est calme,
Sens, sur ton visage
Le sel de mes larmes.
Respire, Sweet Alice,
Les vents d’Orient,
Et toutes leurs épices,
Vifs poisons ardents !
Vois, la lune qui pleure
Des poissons d’argent,
D’argent et de beurre,
En flots de diamants.
Et tu dors encore
D’un profond sommeil
Et tu rêves encore
Mon enfant de miel
–
Ce qui résiste et pique ( RC)

photo: olivier en feu. Conflit Israelo-palestinien provenance info-palestine.net
Ainsi , contre les plantes domestiques Rebelles , résistent et piquent, Orties, pierres de chemin, aubépines insolentes Nous attendent, comme une plaisanterie ironique Font de leur domaine une forteresse lente Qui dérange l'aimable... Et s'incruste , en années durables Diluées de l'abandon. On ne sait rien, d'un détour de chemin Et puis, on progresse par étapes Encore sains et saufs, pour dire, En miroirs de limpides - flaques Des orages qui bourgeonnent, Et les fleurs combattant , corolles Force boutons, au bal des abeilles Les orties se liguent, et sont barrière Ronces s'enchevêtrent, en habillant La carcasse d'une vieille auto, Qui a arrêté, ici même son parcours Au bord ce qui fut cultures, Et vallées riantes, De blés, bordés d'oliviers Incendiés - C'était un été, naguère Avant la guerre... RC - 24 septembre 2012 -
Aimé Césaire – Prophétie
là où l’aventure garde les yeux clairs
là où les femmes rayonnent de langage
là où la mort est belle dans la main comme un oiseau saison de lait
là ou le souterrain cueille de sa propre génuflexion un luxe de prunelles plus violent que des chenilles
là où la merveille agile fait flèche et feu de tout bois
là où la nuit vigoureuse saigne une merveille de purs végétaux
là où les abeilles des étoiles piquent le ciel d’une ruche plus ardente que la nuit
là où le bruit de mes talons remplit l’espace et lève à rebours la face du temps
là où l’arc-en-ciel de ma parole est chargé d’unir demain à l’espoir et l’infant à la reine,
d’avoir injurié mes maîtres mordu les soldats du sultan
d’avoir gémi dans le désert
d’avoir crié vers mes gardiens
d’avoir supplié les chacals et les hyènes pasteurs de caravanes
je regarde
la fumée se précipite en cheval sauvage sur le devant de la scène ourle un instant la lave de sa fragile queue de paon puis se déchirant la chemise s’ouvre d’un coup la poitrine et je la regarde en îles britanniques en îlots en rochers déchiquetés se fondre peu à peu dans la mer lucide de l’air
où baignent prophétiques
ma gueule
ma révolte
mon nom.
Les armes miraculeuses. – Gallimard, 1979.
Ecriture paysagère, plume voyageuse ( RC )

photo: Yann Arthus Bertrand – îles d’Aran – Inishmore
–
J’ai écrit sur les causses et les montagnes
L’aube sur les étangs gelés, en rase campagne
Les déplacements minuscules, qui font sans doute
La différence, aux zébrures de parcours d’autoroute…
J’ai aimé la nef affleurant des îles d’Aran
Les nuages empilés, de ces îles sous le vent
Les champs qui ondulent, et contournent les collines,
Les pins sylvestres attentifs, au bord des dolines,
En attendant que l’orage cesse, sous un abri de roc,
Ma tête convoquait les ogives d’une cantate baroque
Les toits dansants d’un village provençal,
Un marché, fruits et légumes, jonglant de couleurs sur les étals.
Avec mes croquis des maisons d’Amsterdam,
Sous un ciel si bas, que les nuées condamnent,
Je me suis donné l’espace d’un défi,
Sans transcrire en photos, architectures, et géographies…
La plaine est immobile, et la plume voyageuse,
Et caresse aussi bien les bords de la Meuse,
Que le bourdonnement têtu des abeilles
Dans les calanques, près de Marseille.
RC – 29 juin 2012