Effacé dans la nuit fugitive du théâtre, personne n’ira chercher des indices de mon passé. Car je ne suis plus d’ici. Certains diront que je ne suis qu’un tigre de papier…
Les archéologues pourront mettre à jour ceux qui prétendent tenir de moi, je ne les contredirai pas.
Nul ne sait que la vénération dont s’entoure mon souvenir n’a pour objet qu’une tombe vide.
Je suis toujours ailleurs là où on m’attend pas. On se consolera devant un cénotaphe qui tend à matérialiser ce qui n’est qu’une absence.
Au plus vert de la vie ma voix est sur ta voix et ta pensée double la mienne Tu es ma meilleure part le matin de mes yeux Ma plus pure émotion Et ton sourire est dans mon cœur un talisman contre la peur
Passe le temps sans toi plus lent si vide Pleuvent à tout instant les confettis du souvenir et l’écho de tes mimes se profile en silhouette sur le blanc de l’absence
Mon nénuphar ma fleur-soleil mon oiseau-mouche aux ailes vibrantes ton infini est ma limite car ta vie contredit la mort et je bénis le jour où nos yeux s’allumèrent •
Le poids de la vie en somme C’est l’absence Le silence La solitude Ce poids ne compte pas N’a pas de poids Et son symbole n’est pas le plomb Mais le flocon de neige.
« Toujours et jamais », 1982.
U pesu di a vita
U pesu di a vita in calchi manera
Hè a mancanza
U silenziu
A sulitùdina
Issu pesu ùn conta
Un hà micca pesu
È u so sìmbulu ùn hè piombu
Ma u fioccu di nevi
J’aménage des chambres dans l’encre. J’ouvre les armoires. Je dispose des fleurs dans les vases. Je fais pour la mémoire des lits bien propres. Plus personne n’y viendra dormir. Je reste un instant dans la pièce, puis je ferme la porte. II y a, la nuit , des étoiles et des anges. Au matin, j’ai le cœur défait. Qu’importe que les draps restent tirés et les persiennes closes : ces linges un peu rêches qui sentent la lavande au sortir de l’armoire sont ce qu’il me reste de chair. Les oreillers brodés de fleurs bleues et le gros édredon piqué composent sur le lit la silhouette d’un dormeur imaginaire qu’il serait vain de réveiller.
Et tu finis par ranger le livre, là-haut, à sa place exacte, ce petit creux d’ombre et d’oubli comme le coin de terre qui te revient. Tu reviens toi aussi
à ta place, devant la fenêtre, la table, ce carré de neige que nul encore n’a forcé et qui va dans tous les sens comme ta vie parmi les mots, les morts.
Tu sais bien qu’aucun signe ne guérit de l’absence, pas plus que le merle en tombant ne renverse l’axe de la terre, mais tu persiste, ô scribe, à soudoyer les anges :
un peu d’or dans la boue, dites, que la nuit reste ouverte.
C’est le vent d’été qui a couché les blés , un silence s’est fait parmi les bruits : c’est bientôt la pluie qui va nourrir la terre, celle qui désaltère, et que l’on attend depuis si longtemps : Pendant que le ciel oscille : l’orage plante ses faucilles concentre ses flèches rebondit sur la terre sèche.
Il éparpille les jours torrides, remplit les poitrines vides, gonfle les ruisseaux, cherche dans les rocs des échos, qu’il trouve jusque dans ta voix : cette soif insatiable que rien ne combat : la vie est revenue d’une longue absence Elle remercie la providence, envisage un nouvel avenir : je vois tes seins s’épanouir, l’herbe reverdir, et le désert refleurir…
J’ai beaucoup appris de tes paysages, de l’attente et des passages, des courbes de tendresse où le temps paresse de tes frissons secrets et des lits défaits où se courbe la rivière, où se love la lumière : Après l’orage et le calme revenu, au silence dévêtu, la chair embrasée, enfin apaisée…
Enfin vous m’avez laissé voir cet album qui, Une fois ouvert, m’affola. Tous vos âges En mat et en brillant sur les épaisses pages ! Trop riches, trop abondantes, ces sucreries Je me gave de si nourrissantes images.
Mon œil pivote et dévore pose après pose – Cheveux nattés, serrant un chat pas très content, Ou vêtue de fourrure, étudiante charmante, Ou soulevant un lourd bouton de rosé Sous un treillage, ou portant chapeau mou
(Un peu gênant, cela, pour diverses raisons) – De toutes parts, vous m’assaillez, les moindres coups Ne venant pas de ces types troublants qui sont Vautrés à l’aise autour de vos jours révolus :
Dans l’ensemble, ma chère, un peu indignes de vous.
Mais ô photographie semblable à nul autre art, Fidèle et décevante, toi qui nous fais voir Morne un jour morne et faux un sourire forcé, Qui ne censures pas les imperfections – Cordes à linge et panneaux de publicité –
Mais montres que le chat n’est pas content, soulignes Qu’un menton est double quand il l’est, quelle grâce Ta candeur confère ainsi à son visage , Comme tu me convaincs irrésistiblement Que cette jeune fille et ce lieu sont réels !
Dans tous les sens empiriquement vrais ! Ou bien N’est-ce que le passé ? Cette grille, ces fleurs, Ces parcs brumeux et ces autos sont déchirants Simplement parce qu’ils sont loin ;
En semblant démodée, vous me serrez le cœur,
C’est vrai ; mais à la fin, sans doute, nous pleurons D’être exclus, mais aussi parce que nous pouvons Pleurer à notre aise, sachant que ce qui fut Ne nous priera pas de justifier notre peine, Même si nous hurlons très fort en traversant
Ce vide entre l’œil et la page. Ainsi, je reste A regretter (sans nul risque de conséquences) Vous, appuyée contre une barrière, à vélo, A me demander si vous noteriez l’absence De celle-ci où vous vous baignez ; en un mot,
A condenser un passé que nul ne peut partager, A qui que ce soit votre avenir; au calme, au sec, II vous contient, paradis où vous reposez Belle invariablement, Plus petite et plus pâle année après année.
Philipp LARKIN
« The Less Deceived »
(The Marvel Press, 1955) Traduction in « Poésie 1 » n° » 69-70
( interprété librement à partir d’une traduction bancale du texte original en catalan ).
peinture: Dillon Samuelson
Il y a toujours quelque chose, un souffle, une parole, un mot qui remplit le manque de toi ; c’est cette armure qui me protège du cauchemar de la colère et de la tristesse.
Après, tu deviens présente dans chaque vers écrit, et quand je les redis , solitaire, il n’y a pas de distance entre ton corps et le mien, unis toujours davantage dans le poème .
– Suis une femme de papier De celui dont on fait les arbres Et j’ai puisé à leur aubier Et mangé leurs feuilles vivantes Arraché l’écorce du fût Pour tenir debout à ma table
L’hiver sur du papier glacé Je laisse mes traces effaçables La sève qui coule des doigts Trace des mots sans importance Je flotte au vent car mes racines Courent à peine sous le sable
Suis une femme de papier Qui se froisse à moindre risée Qui brûle à petite flambe Dans un foyer désaffecté
Mais si l’oiseau à ma fenêtre Vient poser une plume blanche Je sens mes folioles renaître Et la plante à mon encrier
Je partirai sur une branche Emportée par nuit sans étoile Et vous dirai dans mon absence Ce que j’ai laissé sur la toile.
Pas même d’épitaphe sur le mur, Juste une ombre incrustée dessus.
Aucun tracé à la craie Comme on le voit autour du corps, Les policiers en faisant le contour, préservant la disposition des membres, avant qu’on ne l’enlève.
Aucun effet autre que le témoignage de l’éclair gommant la présence des hommes
Le fossé est une arrière-pensée
pas même un paysage.
Dans ses fenêtres, des fleuves entiers,
des ravins
des couleurs
et lui-même, un lieu tourné
par la terre.
*
Autre talus
Autre chemin que la terre creuse
Buissons de l’autre
Sentiers d’ici
Prairie. Prairie. Prairie.
et encore…
Talus
Quel mot d’absence.
Sur la terre inclinée une amie suit le mouvement de l’air. Seul l’oiseau chante le retour du jasmin à l’horizon du Soleil sur la terre.
Absence senteur d’Orient
Au matin qui s’enfuit les fleurs fanées épousent le chagrin d’un jardin oublié. Le ciel ruisselle mais les perles de pluie ne valent pas la douceur d’une main.
« Je vois le monstre de préférence (et c’est toujours ici de préférence qu’il s’agit) dans l’objet, le légume, le résidu dont on a su d’abord tirer usage, le fruit pressuré et la montre écrasée, pour les rejeter ensuite dans un coin où l’objet, le fruit, la montre, etc., poursuivent leur existence inutilisable.
Prenons ce tas de pelures d’oignons roux laissé au milieu du fenil apparemment oublié de Dieu et des hommes, une humble toison à peine dorée d’un rayon et qui ne donne au préalable aucune impression de protestation ni même d’existence, qu’un distrait pourrait fouler aux pieds, une araignée traverser sans risque, un balai balayer sans remords. Je songe : trop facile de te passer de toi pour expliquer. Et c’est pourquoi je repasse. Je ne veux pas donner dans le panneau.
C’est au contraire avec un grand souci de sympathie que je me penche sur le tas de pelures. Je les fouille, les sens, des monceaux de vers doivent les travailler mais ici mon observation est courte. Je pourrais expliquer la larve plus l’éclosion sans aboutir à aucune satisfaction personnelle. Chercher une ressemblance n’est jamais le fait du hasard mais d’un besoin intérieur, d’un rassurement dirai-je.
Pour me rassurer quant à la destination de ces pelures prêtes à se dissoudre en poussière, il me faut une expérience neuve et définir pourquoi, pourquoi ? Chaque fois que je passais près du tas et quel que fût mon état d’absence une tristesse incompréhensible me prenait, pourquoi tout déchet, tout objet délaissé dans un coin ne me semblait jamais tout à fait fini ni inutile, et pourquoi en fin de compte mon utilité au jour ne me paraissait ni plus certaine ni plus étonnante que celle du moindre objet, pour peu que je descende aux sources de la création. »
Nous vivons ici-bas une main serrée sur la gorge. Que rien ne soit possible était chose connue de ceux qui inventaient des pluies et tissaient des mots avec la torture de l’absence.
C’est pourquoi il y avait dans leurs prières un son de mains éprises du brouillard.