Je repasse inlassablement le même air – ( RC )
Je repasse inlassablement le même air,
– comme pour vérifier que rien n’a changé.
Ainsi, faisant face à un paysage renouvelé :
je m’assure que les rochers sont bien à leur place.
Les accords se suivent, sans fausse note,
et même, on oublie qu’il y a une composition,
des musiciens, chacun à leur instrument,
l’oeil rivé sur la partition,
emportés par le flux de sons,
s’y fondant littéralement .
L’oreille s’est faite familière ,
moulée dans la forme du concerto,
les prestos , les andante ,
suspendue au défilé des mesures .
Il n’y a pas de surprise,
– pourtant on attend le thème,
sous les doigts du pianiste
comme s’il venait de fleurir à l’instant,
creusant son sillon
d’une fraîcheur renouvelée .
Les cordes se superposent,
s’entraînent l’une l’autre dans un entrelac,
où les archets caressent la mélodie,
ou lui répondent .
C’est un flux d’amour,
d’une alchimie savante,
qui parait pourtant spontanée ,
née du souffle des cuivres
et du rythme lancinant des basses,
comme un orgasme sonore qui enfle .
….enfle et finit par se déverser,
à la manière de la grande vague d’Hokusaï :
( on en vient même à regretter la progression de la musique,
lorsque le finale s’achève, et que le disque s’arrête ) .
–
RC – sept 2017
Stabat Mater – ( RC )
C’est une voix intérieure,
Dont je peine à dessiner la forme,
Puisqu’elle est cachée dans l’âme,
Et le regard de celui
Qui la fait vibrer ,
Trempée dans celle de la musique,
Et ses couleurs en contre-jour,
Inscrite en dentelles d’encre,
Sur une ancienne partition,
… Notre oreille en ignore,
les passages soulignés de crayon.
Une parenthèse ardente,
Celle de la Passion,
Où l’invisible des sons,
Se transmet de nuit aux jours,
En plusieurs siècles au fil,
Quand se donne le chant,
Jusqu’aujourd’hui,
Et bien plus encore,
D’une émotion palpable,
Partagée en frissons,
Et portée par les accords…
Une colonne s’élève ,
Se sépare en volutes,
Peut-être vers un plafond à fresques,
Dessiné par les voix,
Se détachant des portées,
Emplissant tout l’espace,
Puis fuyant sous les voûtes,
Pour que renaisse le souffle,
S’appuyant sur le silence,
Remplacé bientôt par
le tapis dense d’instruments anciens.
—
( en hommage à la restitution des musiques du passé,
et ici particulièrement dédié à Gérard Lesne,
dans son interprétaton du « Stabat Mater » de Pergolèse)
—
RC – 10 novembre 2013
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–
Grande sonate ( RC )
–
Au secret, imprimé de signes, sur la partition,
S’arrangent triolets, triples-croches et soupirs,
Complotant sur les portées…
Pour jaillir,
Sous les doigts du pianiste,
L’haleine des accords sauvages,
Martelés de la gauche
Tempérant la dentelle d’un thème
–
L’épopée fraîche,
Scintillante cascade,
Passant, fluide, d’une main à l’autre,
Se poursuivent sans relâche,
Semblant inventer l’instant d’après,
Comme aussi, à l’intérieur,
Les ondes visibles, les petits marteaux
de feutre qui ondulent,
–
Ainsi le vent dans les blés
Devient palpable,
La musique ici, on la voit
Elle s’échappe,
D’un grand piano noir,
A l’arrondi d’une oreille,
Son couvercle est ouvert
L’intérieur est de feu,
–
Vers la flamme,
Ses cordes frémissent.
Se succèdent les mesures,
Les tempos se détendent ,
puis accélèrent,
Comme s’ouvrent les bras du pianiste,
Et survolent le clavier.
– Deux ailes d’un oiseau de proie -,
–
Puis se referment sur les touches d’ivoire,
Les notes s’envolent, se pressent et se cabrent,
Les cheveux saccadés au même rythme,
Balayant presque le pupitre…
Crescendo, lumières croisées sur nos folies,
Puis ombres de détente et retour du thème,
Indiquant , ré majeur,
La fin du premier mouvement.
–
La caresse dansée, au royaume sonore *
De la sonate.
–
* » Vers la Flamme », et « Caresse dansée », sont le nom de pièces pour piano d’ Alexandre Scriabine
RC – 9 septembre 2013
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La Sainte-Victoire d’une blancheur plissée ( RC )

peinture: Jan Jansz van de Velde III – nature morte avec verre de bière
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Le parfum,
confident de la lumière,
S’attache aux volumes des objets,
Et ceux-ci résonnent d’accords particuliers,
Posés de touches de couleur,
Frottées et qui se recouvrent,
Selon l’aube de nos regards,
Et d’abord celui du peintre.
…. une présence extraite à leur mystère,
Par un rayon de lumière,
Posée sur les cuivres,
Et les transparences des verres,
Jouant discrètement leurs feux d’artifice,
Parmi les fruits disposés là,
Presque par hasard,
Offerts au sanctuaire de leur fraîcheur,
L’écho des pommes et des oranges,
Juxtaposant leurs courbes,
A la Sainte-Victoire d’une blancheur plissée,
Crayeuse et silencieuse,
Nappe soumise
Aux ombres ovales du compotier.
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RC – 28 juin 2013

peinture: P Cezanne , nature morte aux pommes et compotier 1899. Musée du Jeu de Paume Paris
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Librellule – la contrebasse
J’aimerais apprendre à jouer de la contrebasse
Pouvoir jouer des accords
Ouvrir ma porte sur un chant léger
M’envoler sur la traîne d’un arc-en-ciel
Me laver sous une pluie d’étoiles
J’aimerais voir de l’autre beauté
Comme un reflet de ma tendresse enfouie
Et je veux croire au sourire des hommes
à celui qui se lie aux vagues de mes lèvres
Bientôt
J’habiterai une demeure sans murs ni loquets
Sans bure ni hoquets
Je deviendrai une vallée verte et fleurie
Qui ne connaitra plus ni faux ni sécheresse
Une vallée fertile aux méandres joyeux
Qui accueillera le faucon émerillon
Et s’élargira face à l’horizon ouvert
J’aimerais apprendre à jouer de la contrebasse
Mais je marche sur des cordes tangibles
Soutenue par des canopées de lettres
Et des aurores mordorées
De celles que savent écrire les poètes.
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