Renée Vivien – Ondine
Ton rire est clair, ta caresse est profonde,
Tes froids baisers aiment le mal qu’ils font ;
Tes yeux sont bleus comme un lotus sur l’onde,
Et les lys d’eau sont moins purs que ton front.
Ta forme fuit, ta démarche est fluide,
Et tes cheveux sont de légers roseaux ;
Ta voix ruisselle ainsi qu’un flot perfide ;
Tes souples bras sont pareils aux roseaux,
Aux longs roseaux des fleuves, dont l’étreinte
Enlace, étouffe, étrangle savamment,
Au fond des flots, une agonie éteint
Dans un nocturne évanouissement.
(Études et préludes, 1901)
Jacques Borel – la plaie
Pourquoi es-tu mort, père,
Après m’avoir craché,
Inutile noyau,
Dans cette longue plaie
Qui ne se ferme plus ?
J’ai grandi, arbre d’os,
Dans une combe humide,
Arrachant une à une
A leurs lèvres de soif
Mes ingrates racines,
Mais quel hoquet là-bas,
Quel caillot, quel appel,
Quel cri toujours ouvert !
De ce versant d’adieu,
Je l’entends, agonie
Jalouse sous la terre.
le prunier touchera bientôt terre – ( RC )
peinture : Piet Mondrian
Les nuages ruent
à la façon de chevaux se cabrant
sur le soir qui s’en va
et se brodent d’or.
Si c’est l’agonie du jour
et le vent debout
tout semble se confondre
dans des bribes d’histoire
comme des photos
virant au sépia
les oiseaux décrochés
d’un ciel en grumeaux.
L’herbe ici; venue en premier plan
importe plus que les murailles
de la ville et les néons
clignotant .
C’est une question de mise au point
le proche et le lointain
ne se mettent pas d’accord
— peut-être le photographe
a regardé au plus près
le jardin
qui se laisse aller .
Les buissons ont débordé
sur les allées
les lourds arrosoirs
ont cessé leur ballet
à la mort du grand-père
le prunier mal taillé
s’est penché pour soupirer
sous les premières pluies d’automne ;
il touchera bientôt terre.
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RC – août 2017
Miguel Hernandez – Même si tu n’es pas là
photo Francesco Borrelli
MÊME SI TU N’ES PAS LÀ Même si tu n’es pas là, mes yeux
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AUNQUE TU NO ESTAS Aunque tú no estás, mis ojos |
Cancionero y romancero de ausencias (1938-1942)
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Avec la citation de ce poète espagnol, dont on peut trouver d’autres textes et leur traduction sur le site « Fibrillations »...
je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec mon propre texte , qui a un titre, et un esprit très approchant. RC
Robert Marteau – La Sagrada Familia

photo Céline & Jeremy, de leur blog Paris-Bali: intérieur de la Sagrada Familia – Barcelone — A GAudi
C’est défaite d’abîme, étrange astrologie!
Les vagues prennent corps,coiffent, chaussent l’azur
Du feu le plus léger. Tout s’élève en un mur
Organique de plis, d’entrailles; vers la vie
Tout monte; d’elle tout s’éloigne; la mesure,
Que brise le ressac, que la flamme dévie
En solaire oriflamme, à la pointe surgit
Du métal affiné par la foudre, très pur,
Très saint,unique cri que la pierre répète;
(Sanctus! ) seul cygne ou prend sa forme la trompette,
Dans ce réseau de nerfs clamant son agonie,
Proclamant son triomphe;et sa note s’appuie
Sur la nervure et l’os, le moignon que l’esprit
Reconnaît pour sa voix, son trèfle en broderie
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ROBERT MARTEAU : extrait de « terres et Teintures »
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Trains sans retour (RC)
Il y a des trains
Dont jamais de marche arrière
ne fera de retour
Pour les déportés d’Auschwitz
Dans les wagons à bestiaux
aux planches lacérées d’ongles défaits
Le chemin de fer
est la porte de l’enfer
Et les corps meurtris
de kilomètres de désespérance
Dans les cris , l’agonie
et les excréments
L’avenir « terminal » des camps,
Miradors et baraquements,
Les coups , les soldats
Les nuages en fuite, peut-être
Mais l’horreur assurée
Et les trains toujours
Pour « remplacer » ceux
Partis en fumée.
RC 21 Mai 2012
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