Louis Guillaume – Gentille abeille

Une abeille sur la main
Qui vient apporter du miel,
Une abeille du matin
Qui remplit son escarcelle,
Une abeille bien gentille
Qui pique mieux qu’une aiguille,
Une abeille qui travaille
Pour les garçons et les filles,
Une abeille cueille au ciel
Une goutte de soleil !
Louis GUILLAUME
« Au Jardin de la Licorne » (Delachaux et Niestlé)
Hugues Labrusse – L’indésirable
( – à Gaston Puel )
sculptures – Aulnay de Saintonge
Jour indivisé
Des pierres arrondissaient les angles.
Le soleil s’en allait.
Deux poutres reliées par une traverse.
Un chien hagard plonge dans les broussailles.
On n’arrache pas un sourire à l’écorce.
Lendemain
Dans la continuité de la masse, en guise de visage.
Le feu âpre transit le cône de marbre.
Tard, dans l’été, la figure roule dans ta paume.
Son oubli fut le dernier souvenir qu’elle te laissa.
Surlendemain
Notre sœur à tête d’animal, notre peur encore muette et ses fleurs de terre
ses onguents de serpents, la saveur de sa lumière et de sa fatigue.
Ses mains ne remuaient pas encore.
Toujours plus tard
L’atrocité rêve à son écuelle en bois.
Du sommet de la montagne dévalent des étoiles épineuses.
Ton œil est de glace. Tu crains l’aiguille de métal qui te sert à coudre le ciel.
Laisse battre les volets.
Pierre Louys – Les yeux
Larges yeux de Mnasidika, combien vous me rendez heureuse quand l’amour noircit vos paupières
et vous anime et vous noie sous les larmes.
Mais combien folle, quand vous vous détournez ailleurs, distraits par une femme qui passe
ou par un souvenir qui n’est pas le mien.
Alors mes joues se creusent, mes mains tremblent et je souffre…
Il me semble que, de toutes parts, et devant vous, ma vie s’en va.
Larges yeux de Mnasidika, ne cessez pas de me regarder !
ou je vous trouerai avec mon aiguille et vous ne verrez plus que la nuit terrible.
Pierre LOUYS « Les Chansons de Bilitis » (Arthème Fayard)
Jacques Dupin – Romance aveugle
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–
Je suis perdu dans le bois
dans la voix d’une étrangère
scabreuse et cassée comme si
une aiguille perçant la langue
habitait le cri perdu
coupe claire des images
musique en dessous déchirée
dans un emmêlement de sources
et de ronces tronçonnées
comme si j’étais sans voix
c’en est fait de la rivière
c’en est fini du sous-bois
les images sont recluses
sur le point de se détruire
avant de regagner sans hâte
la sauvagerie de la gorge
et les précipices du ciel
le caméléon nuptial
se détache de la question
c’en est fini de la rivière
c’en est fait de la chanson
l’écriture se désagrège
éclipse des feuilles d’angle
le rapt et le creusement
dont s’allège sur la langue
la profanation circulaire
d’un bout de bête blessée
la romance aveugle crie loin
que saisir d’elle à fleur et cendre
et dans l’approche de la peau
et qui le pourrait au bord
de l’horreur indifférenciée
[…]
mince ( RC )
Oui, on en veut à mon aspect
Peu de ventre, peu de fesses
C’est que je ne suis pas bien épais
Même que je manquerais de graisse
Ce serait peut-être plus confortable
Mais, même pour un homme
Aux coussinets adorables
Je me vois mal être un bibendum
C’est peut-être un fantasme
Ce qu’on voudrait que je sois
Je ne déchaîne pas les sarcasmes
N’ayant toujours pas pris de poids…
Ma maîtresse qui est maligne
M’interroge, et me tance
Et voudrait que ma fine ligne
Provoque la balance
Que je sois plus costaud
Et donc aussi plus large
Du ventre et des abdos
Mais y a encore d’la marge
C’est sûr qu’à la pesée
De la balance, l’aiguille
Je ne vais pas l’exploser
Quand je me déshabille
– Tu verras à quarante ans !
( c’était une prévision)
– A cet âge, grossissent les gens !
Disait mon père ( prédiction)…
Or, en lecture d’avenir
Je peux le contester
Pas de soupirs, mais sourires
Car mince, je suis resté.
—
RC 17 avril 2012
–
Ezra Pound – l’aiguille
THE NEEDLE
come, or the stellar tide will slip
away. Eastward avoid the hour of its
Now! for the needle trembles in my soul!
Here have we had our vantage, the good
hour. Here we have had our day, your day and mine.
Come now, before this power
That bears us up, shall turn against the
Mock not the flood of stars, the things to be.
O Love, come now, this land turns evil
The waves bore in, soon will they bear away.
The treasure is ours, make we fast land with it.
Move we and take the tide, with its next flavour,
Abide Under some neutral force
Until this course turneth aside.
L’AIGUILLE
Viens, ou la marée stellaire s’évanouira.
A l’est, fuis l’heure de son déclin,
Dès maintenant, car l’aiguille tremble dans mon âme!
N’avons-nous pas vécu de bons moments ici?
N’avons-nous pas eu notre jour, le tien et le mien?
Viens dès maintenant, avant que le pouvoir
Qui nous a portés ne se détourne de nous.
Ne ris pas de l’influence des étoiles,
Les choses. doivent être ainsi.
Mon amour, viens dès maintenant, cette terre
devient funeste.
Les vagues approchent avant de fuir à nouveau.
Ce trésor est le nôtre, emportons-le.
Vite, profitons des saveurs de la marée,
Restons comme tels,
Sous quelque force neutre
Jusqu’à ce que le cours des choses tourne autrement..
(Ezra Pound)
Ce texte est proposé par arbrealettres, dans une traduction que j’ai légèrement modifiée, en fonction du texte d’origine.