Pierre Seghers – le bon vin

Ah le bon vin ! de la bouteille rousse
On y buvait le repentir doré
On y buvait la ciguë des forêts
Le vent d’Avril et le diable à ses trousses
Ah le bon vin ! que sa chair était douce
Enlevait-il ses habits de velours
Qu’on l’embrassait comme soleil le jour
Il vous glissait comme un que le vent pousse
Ah le bon vin ! de-ci de-là chantant
Le souvenir des amours impossibles
Le devenir des amours pris pour cibles
Il en riait ou pleurait plus souvent
Ah le bon vin ! mais c’est Yseult la blonde
Avec Tristan qui le boit tout à coup,
Sa main de feu qui leur brûle le cou
Leur incendie qui dévore leur monde !
Ah le bon vin ! c’est la torche et la flamme
Si haut montées que la peur les saisit,
Si haut domptées que la mort les choisit,
Folie se meurt et se meurent leurs âmes…
Ah le bon vin ! que dit le fossoyeur,
Ces deux roussis n’avaient qu’à le point boire…
Et l’oiseleur qui met des ailes à l’histoire
Avec elle s’envole ailleurs
texte extrait du recueil des poètes d’aujourd’hui ( ed seghers)
Gustave Roud – frontière du temps

Chaque nuit,
chaque jour
j’atteins vivant cette frontière du temps
que nul pourtant ne passe
avant son dernier battement de cœur,
nappe de neige trouée à chaque pas,
toujours plus mince,
sa frange extrême enfin fondue
à ce banc de brume ou d’absence
qui est Ailleurs.
Jean Vasca – les lointains
En nous sont les lointains nos îles nos ailleurs
Patrouilleurs dans l’opaque à chercher l’entrouvert
Nous sillonnons sans fin les ténèbres intérieures
Pour déchiffrer l’énigme aux portes des mystères
En nous sont les lointains de brume et d’inconnu
Lorsque les horizons entonnent leur complainte
Tenter l’appareillage à voile que veux-tu
Vers une rive d’or encore jamais atteinte
En nous sont les lointains nos traces nos sillages
Les naufrages du cœur les songes en carène
Cathédrales englouties et palais des mirages
Là-bas vers les abysses ou la nuit nous entraîne
En nous sont les lointains dessous les cicatrices
Les plaies qui se referment et qui suintent encore
Des souvenirs perdus dans tous les interstices
Des ombres d’amours mortes à l’envers du décor
En nous sont les lointains c’est là notre impatience
A vouloir l’au-delà de tous nos quotidiens
C’est l’écho d’un accord majeur qui nous fiance
A cette terre humaine ses troubles lendemains
Ces lointains qui rougeoient sous la cendre de l’âge
Braises encore des révoltes en nous comme un regain
Et sous le poids du temps lourd de tous ses outrages
La rage encore de vivre et son feu mal éteint
Jean Vasca
Variation d’ombre 01 – ( RC )

photo Phil Carlson
–
Ce sont des lignes qui se forment,
On ne peut décider,
Desquelles ont prise sur la réalité,
Elles invoquent la lumière traversière.
De la branche et de l’ombre,
Même posée, sur la course d’une rivière,
Et suivant ses remous,
Elle reste impalpable,
Du mur liquide,
Au mur vertical, pierres jointoyées,
Ne pouvant capter
La course solaire.
Oui, le jour toujours invoqué,
Et l’image projetée,
Le corps léger d’un oiseau,
Ployant les tiges.
Son ombre,
Notre regard,
Reconstruit une vie,
Se passant ailleurs.
–
RC- janvier 2014
–
En « réponse » à Jean-Yves Fick « variation#1 »

photo Mary Soyez
After the gold rush ( RC )

photo jrs de son site
Au survol du printemps
Finalement, l’aile ouverte,
S’appuyant sur l’atmosphère,
Endolorie,
Ira se fondre
Et saigner dans d’été,
Une halte et un autre virage
peut être conduit au repos
Une ville abandonnée
Aux insignes blanchis ,
Le bois torturé
Au soleil ardent,
Les voitures,aux modèles lourds,
Fantômes rouillés,
immobilisés,
Dans les herbes hautes,
Elles vont à la reconquête
des prairies vides.
Peut-être pour l’oiseau migrateur,
L’occasion de se poser,
Quand le vent agite
Et secoue de vieilles tôles,
De vieilles enseignes,
– grincements –
Et ce qu’il reste de rues,
Poussiéreuses,
Menant plus loin à l’Ouest.
Suivre ainsi ,très loin,
Les routes rectilignes,
sous la course des nuages.
L’or du Far-West,
A filé entre les doigts,
De migrants de tout ordre,
Repartis d’ici, comme ils sont venus,
Incongrus
Poursuivant une richesse improbable,
Toujours ailleurs.
________________________
Flyover spring
Finally, the wing open
Relying on the atmosphere,
sore,
Will go blend
And bleed into summer
A stop and another turn
may be conducted for a relaxing break
An abandoned city
To the bleached insignias
The tortured wood
Under burning sun,
Cars, heavy models
Rusty ghosts
immobilized
In the tall grasses,
They go to the reconquest
Of empty grasslands.
Perhaps for migratory birds,
The opportunity to arise,
When the wind moves
And shakes oldmetal sheets ,
Old signs,
– Grinding –
And what remains of streets,
Dusty,
Leading further to the west.
Follow thus them far,
The straight roads
Under the course of the clouds.
The gold of the Far West
Passing between the fingers,
Of all kinds of migrants,
Left from here, as they came,
Incongruous
Continuing with an unlikely wealth
Elsewhere ,Always .
–
RC – 3 septembre 2013
–
Irène Assiba d’Almeida – Ici et les ailleurs du monde ( africulture )
Ici et les ailleurs du monde
Lorsque tu auras parcouru
Tous les ailleurs du monde
Tu découvriras que le meilleur ailleurs
Est encore ici
A la fois appauvri
Et plein de richesses
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où naissent les Bouts de bois de Dieu
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où poussent les augustes baobabs
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où reposent les ancêtres protecteurs
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Où bat ton cœur-soleil
Où vit ton âme-ébène
Où tes pieds connaissent les sentiers
Le meilleur des ailleurs
Est encore ici
A la fois appauvri
Et plein de richesses
Ta terre, latérite rouge
Toujours en grossesse
Et tu songeras
Qu’au fil du temps
On devient plus profondément
Ce que l’on est
Au fil du temps
On devient plus profondément
Ce que l’on est
Et tu comprendras enfin
Que le mot « racines »
Est loin très loin
D’être un *canari percé.
*canari : Afrique : récipient en terre cuite dans lequel on conserve ou transporte des liquides.
–
visible sur le site africultures.com
–
Cathy Garcia – Luciole

photo Paige de Ponte, extraite de Gaia
–
Tu es
beau
de cette beauté brute
encore un peu gauche
bougonne
farouche
tes pommettes tes yeux
me parlent d’un ailleurs
que j’ai déjà connu
comment pourquoi
résister
tendre esquisse de vol
les gestes en équilibre
étonnés d’eux-mêmes
comment pourquoi
oublier
cette lumière
au dedans
au-dehors
le vent qui berce
sur nos têtes
les arbres en partance
imaginaire
le parfum du bois
le grognement de la chienne
et la nuit soûle
d’étoiles
qui se roule à terre
comment pourquoi
s’arracher des lèvres
ce goût d’effraction ?
tu es
vois-tu
de ceux qui me voient
comme je me rêve
l’illusion
est si belle
vaut bien la blessure
que tu ne manqueras pas
de me faire
–
Dis-moi, de l’existence … ( RC )
Dis moi, de l’existence, la réalité.
Hors de nous , pays habités,
L’écharpe de l’horizon, ceinte de brume
Continue, mer , océan, écumes
La poignée de mondes, qui restreint
Que tire d’ailes, les atteint
Et que les vies pressent
Sous le soleil ardent, paressent..
Si la sphère habitée est transparence
Où faut-il que mon regard s’élance ?
Vois -tu de l’autre côté de la terre
Les chemins et routes de poussière ?
Les grandes étendues et la course
des étoiles… disparue la Grande Ourse
L’au delà d’une vision, sans pourtant qu’elle ne se voile
Un quart de cercle, porté vers l’australe.
Vois, la planète , d’un autre costume
Autres peuples, autres coutumes
Les nôtres, en pays lointain n’ont plus cours
Aujourd’hui est un autre jour
Qu’une aube nouvelle fusionne
les espaces d’une vie, et résonne
en nous, autant les vaisseaux s’enchevêtrent
Et bat, au coeur, le sang de notre être
Il se voit circuler d’autre façon, étourdi
Sans forcer l’envers, sans interdit…
Le continent des ailleurs, ailleurs improbables,
Modèle le visage des hommes — en terre arable.
RC – 8 janvier 2013
–
Mohammed Fatha – Je m’en vais la tête haute
Je m’en vais la tête haute
Absorber la misère
Moi l’ami des exilés
Mes dessins animés
Pour maintes évasions
Millénaires
Les regards assassinés
La veille des morts
A toi l’honneur
Monsieur l’Ermite
Dépuceler la sagesse
Les pistes dépeuplées
Nos vierges se complaisent
Dans les couleurs nocturnes
Nos sentiers n’ont jamais été
Impasses
Jamais indiscrets
De minables camarades
Les caravanes anonymes
Les poisons qui se crispent
En dehors des malaises
A long terme l’Exil
Tant de cimetières
Déjà au feu des croisades
AILLEURS
Offre-moi des strapontins
Je suis l’Exil
Et j’ai honte
Car j’ai vécu
Le désarroi des douars
L’enterrement des mille et une nuits
La chasse aux kasbahs
A plat-ventre
Dans mon pays
Il y a des régions oubliées
Dans les bas-fonds des mémoires
Ecartelés sans musique
Sans lecture
Des coupoles de thé
Vert. Non des fraîcheurs
Comme a dit l’Autre
Toute la ville a souffert
De lagunes par toi
Et les miettes à fond noir
Les tombeaux tuberculeux
A même le sol. Hélas
Le ciel pour une fois
S’est effondré dans ma coupe
Je suis sec
Car c’est moi ce prisonnier
Des fantômes à venir
Et non cet homme nu
Là-bas
Qui se cramponne à la foudre
Qui ne sait que pleuvoir
Sur la mer
Une pluie mordue de châtaignes
Et de figues sèches
Moi l’ami des Exilés
Millénaires
Parmi tous ces regards
Assassinés
La veille des morts
J’ai maintes fois dépassé
Les abreuvoirs à tortures
Et je viens vous offrir
Maintenant
Mon cadavre
Non ma pitié
Jamais inerte
Une charogne dérobée
A l’heure sacrilège
Voici les vautours.
–
Autres usages d’un temps ( RC)
–
( impressions d’un cheminement dans le temps décalé : en Afrique Noire )
Suivant l’âne et Charles avec sa carriole
Le chemin se serpente à travers la brousse
Et l’après-midi file à l’ombre épaisse des manguiers
Jusqu’aux portes des concessions
Eparses dans les champs craquelés de sec
Les histoires de la vie quotidienne
Les échos d’une fête lointaine
Dans la matière palpable de la nuit
Se sentir ailleurs – et sentir l’ici
D’autres usages d’un temps
Sans électricité et artifices
Sous les étoiles si pures
Qu’on pourrait relier en touchant du doigt
Par quelques années lumières
En rencontres possibles des mondes et galaxies
Sentir ailleurs – l’ existence dans le hasard.
Sentir l’ailleurs ici, à cheval sur un présent
Et des traditions millénaires
Ouvertes aux végétaux de majesté
Et l’occident – improbable
D’abstraction , à capturer la fatalité
Et la poussière d’espaces
En espoir de pluie nourricière.
Destin de saisons et d’inéluctable
Sous la voûte des tropiques
Et l’arbre à palabres.
–
RC 20-mai 2012
–
Destination – Afrique -exotique (RC)
Image; Th Sankara – ( ex président du Burkina-Faso, – assassiné)
–
Un ptit tour en Afrique ?
Des pays en devenir
Le rêve ou l’avenir,
Je vais en touristique
Ne parlant que de moi
Du côté bien-heureux
De ces gens chaleureux
Je vous jure, de toute bonne foi
Ici, point on ne gèle
C’est déjà un avantage
Du fait de mon grand age
D’ailleurs je vais dans les hôtels
–
Les quatre étoiles me vont bien
Le tapis rouge est là
Sous mes gestes las
On ne manque de rien
A mon service on s’précipite
Et c’est si sympathique
Ces pays , de noms exotiques
Que les gens noirs habitent
Surchargés de peaux d’ombres
C’est un beau camouflage
J’avoue, avec l’usage
J’apprécie le sombre
Au coin du restaurant
Y en a qui tendent la main
———-A chacun son destin …
Partout y a des mendiants
Toujours prêts à profiter
Des touristes de passage
Encombrés de bagages
Au soleil de l’été !!
Ils ont pourtant dla chance
D’écouter dla musique
En mouvements diaboliques
Favorisant la danse !
Ici c’est l’beau temps
Et pas b’soin d’parapluie
La pluie, çà, c’est d’un ennui !
Qui fait fuir les gens…
—J’ai entendu aux infos
Que l’on parlait de guerre
De faim et de misère
Mais tout cela est faux
Ou , c’est un peu plus au nord
Y a toujours des gens
Qui sont jamais contents
Et qui comptent les morts
De défilés en parades
Y a eu d’l’animation
Des soldats en mission
Qui montaient la garde
Au bout de l’avenue
Et ils jouaient les durs
Mais avaient de l’allure
Avec leur belle tenue
La casquette à visière
Des gradés arrogants
Avec leurs gants blancs
– ce qu’ils étaient fiers ! –
Enfin ici, c’est cool
D’abord je m’en balance
Je suis là, en vacances
J’ai même joué aux boules
Avec le cuisinier
Il était très aimable
Sur la plage, sur le sable
Et sous les palmiers
Puis sieste en transat
Le cocktail en main
Cà vaut pas le vin
A l’abri des nattes
Il fait très chaud ici
Mais sans faire de frime
Y a aussi la clim’
Qui fonctionne aussi
J’aurais pu aller ailleurs
Mais quelle importance
Pour être en vacances
—–Y a toujours meilleur
Le décor original
Pour un court séjour
Vaut ce petit tour
Bamako,, et Dakar, au Sénégal
Vivant à l’occidental
Le quartier d’la plage
Est un gros village
Faut qu’j’envoie mes cartes postales.
—
pour souligner un certain contraste entre mon texte « touristique », au second degré,
et certains ressentis poétiques concernant le même pays,
ou l’actualité de certains pays d’Afrique: récemment la Côte d’Ivoire, aujourd’hui le Mali.., rendez-vous sur cette page de la poésie-actuelle… qui a pour mot clef,justement, Bamako…
–
–
Marguerite Duras – L’écrit vient d’ailleurs
L’écrit vient d’ailleurs, d’une autre région que celle de la parole orale. C’est une parole d’une autre personne qui elle ne parle pas ».
–
Marguerite Duras.
Wislawa Szymborska – La gare

Gare Hamburger de Berlin: installation lumineuse de Dan Flavin
La gare
Ma non-arrivée dans la ville N
s’est passée à l’heure ponctuelle
Je te l’avais annoncé
par une lettre non envoyée.
Tu as eu tout le temps
de ne pas arriver à l’heure
Le train est arrivé quai trois
un flot de gens est descendu.
La foule en sortant emporta
l’absence de ma personne
Quelques femmes s’empressèrent
de prendre ma place dans la foule
Quelqu’un que je ne connaissais pas
courut vers une d’entre elles
qui la reconnut immédiatement.
Ils échangèrent un baiser
qui n’était pas pour nos lèvres.
Entre temps une valise disparut
qui n’était pas la mienne
La gare de la ville N a passé
son examen d’existence objective
Tout était parfaitement en place
et chaque détail avançait
sur des rails infiniment bien tracés.
Même le rendez-vous a eu lieu.
Mais sans notre présence.
Au paradis perdu
de la probabilité
Ailleurs
ailleurs.
Combien résonnent ces mots.
—–Pour découvrir cette poétesse, vous pouvez aller sur cette page, qui en publie de nombreux:voir aussi ce recueil
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