Robert Vigneau – la vigne
Au blé, accordez les plaines,
Il vous apporte le pain.
Offrez l’ombre des fontaines
Aux légumes des jardins.
À moi, la part indigente
Dont personne ne voudra :
Le gravier brûlé des pentes,
Le roc sec, le sable ingrat.
Je m’y nourrirai du ciel.
Mes vins garderont vivants
Le rouge, l’or des soleils
Et les ivresses du vent.
J’élèverai dans ma sève
L’alcool aveugle : il conduit
Les extases — et vos rêves
Vers enfer ou paradis.
Qu’ai-je besoin de la terre?
Racinée dans le divin,
Je fleuris par la prière
À la bouche du devin.
Noé s’endort en famille
Dans mes berceaux de sarments
Et Dionysos dans mes vrilles
S’enroule éternellement.
Mon raisin, Messie des anges,
Vous verse à boire les cieux
Par le jus de ma vendange
Devenu le sang de Dieu.
Franck Venaille – Face tragique, corps menacé, rebelle à jamais
A jamais différent de ceux pourvus de tout.
Croyant pourtant à semblables chimères en d’
identiques rêveries conservées de l’enfance.
Il fredonne et cela donne ce léger clapotis
dans sa pensée, bleuté toutefois, pareil à cet
alcool trop amer que, frissonnant, l’on boit.
Tout juste un homme fait de sa propre mort
qui apprivoise les moineaux ceux-là gris de
douleur compagnons modestes de chambrée.
L’égal des grands soleils, du midi formidable,
de cette lame à vif qui perce le couchant.
Face tragique, corps menacé, rebelle à jamais.
Jean Creuze – écorces (1 )
Écorces
Lier les mots qui se fabriquent dans la forge de notre
tête.
En faire vivre certains
commettre le meurtre d’autres.
Chauffer, taper, tordre au rouge le fer.
Chuchoter enfin ce qui nous habite
pour l’ultime tentative de la parole.
Des paroles données.
Silencieusement pointe la respiration.
Pulsation qui donne la vie.
Le soufflet active le feu
le mot juste jaillit
transforme nos corps et nos âmes
comme le travail acharné du forgeron
sur l’enclume transforme le métal.
Allongé sur le sol
sous le ciel bleu azur
beauté de l’oiseau dans les airs,
herbes folles dans le vent,
souveraineté des arbres.
Danse de l’univers présent
dans les vibrations lentes du jour qui passe.
Vols d’insectes éphémères,
parfums de fleurs,
odeurs d’humus,
chants de grillons,
craquements d’écorces.
Des forces de l’intérieur s’énervent.
Chasser les ombres du visage
pour s’enluminer-
Nouvelle peau.
La vague passe, se calme, s’anéantit.
Temps suspendu,
le corps flotte.
Soleil rouge,
sensation d’inachèvement
et caresse des ombres :
sa majesté la nuit approche.
Cortège d’étoiles,
respiration douce,
j’affronte l’inconnu,
clignements de cils,
goutte d’éther.
La figue éclate a force de mûrissement au soleil de l’été.
La terre grasse s »enfonce
sous les pas .l’automne est là, avec son humeur faite de rosée
de rafales de vent, de pluie froide.
Des hommes harassés, avinés, burinés, dépités, rendus sont là au coin de la rue,
attendent, rejetés du monde, comme de vieilles eaux usées auxquelles on aurait retiré toutes forces.
Dans ma tête un grand silence.
Tombés par terre, abandonnés,
résignés, abattus, esclaves.
Quels bourreaux? Comment faire?
L’alcool comme seul compagnon.
Idées vagues, brouillées,
délire, obsession, mensonges,
mal de tête,
perte de mémoire.
Oublier son histoire,
nier sa vie,
sacrifier son être.
Que faire avant l’hiver,
avant que le froid ne vous emporte?
Compagnon misère.
Le ciel est clair aujourd’hui, un vent frais se lève et fait
Frissonner les feuilles dans les arbres.
Quelques pensées me tapent le front, et s’évanouissent aussitôt.
Pour laisser le vide.
Le trou noir.
Ce noir si plein que l’on n’attend jamais.
Et pourtant, c’est le rien que l’on redoutait tant.
Il est là, accompagné de son malaise.
On ferme les yeux pour regarder à l’intérieur.
Dans un ultime effort encore.
Le noir toujours.
ça se dissipe.
Le rouge apparaît,
puis le jaune lumière
des éclats de blanc dans le rouge,
du bleu chartreuse,
du vert émeraude. qui coule de mes yeux ?
Serait-ce de la peinture
Les feuilles se remettent à tinter dans le vent et cette
musique douce emporte mes pensées.
Arnaud Duchemin – Fragments
–
Fragments
Le désir crée
l’éclat
premier sang.
Désir des lèvres
brûlées d’alcool
au long souffle.
Nuits intérieures
où le froid arpente
le secret des os.
Arnaud Duchemin ( publié aux éditions des Vanneaux )
–
Sans choisir forcément la couleur – ( en évoquant Bukowski ) – ( RC )

photo: Guillaume Gaudet voir son site
–
Sans choisir forcément la couleur,
Tu serais là, au volant d’une vieille Chevy,
Avançant – comme il se doit –
Sur l’asphalte, qui n’en finit pas.
Sans choisir forcément la couleur,
Il se trouve que tu es né blanc,
C’est un bon choix aux ZétatsZunis,
> En dehors des imprévus.
Ainsi va la vie, ça roule,
Ca cahote aussi, la route,
Elle a ses trous, la carrosserie aussi,
Elle tient la distance – jusqu’à quand ? –
Toi aussi, dans ta vieille Chevy.
> Il s’avère que t’es poète,
La poésie l’a signé, toi, désigné,
– Charles Bukowski.
Bon, ok, tu vas comme tu picoles,
Dans la caisse dont tu ignores la couleur,
( la Chevy, plusieurs packs de bière ),et seul
– Tout ce qu’il faut d’alcool
Pour tenir la route,—- qui n’en finit pas,
Enumérer les états: Ohio, Idaho, Oklahoma
> Tous ces noms rappelant
Ceux des peaux-rouges
– Y en a plus beaucoup d’ailleurs,
Très gênants pour la ruée vers l’or
Sans avoir là, la bonne couleur,
Mais , leurs noms marquant le décor,
Tandis que se déroule,
Sur l’horizon, le ruban des heures,
Eteignant progressivement ses couleurs,
Des bouteilles, on distingue à peine … les étiquettes.
–
RC – 10 août 2013
–
Laissés pour compte ( RC )

peinture: R Magritte – pluie de personnages ( le généreux donateur)
–
Il pleut des personnages, en habit de ville
Raides comme des soldats de plomb
En contre-jour de lampes d’un destin immobile
Ne traçant que vers le plus long
Les hommes s’étalent dans l’alcool
Et ne cessent de revenir en arrière
A même la dure surface de béton, du sol
Tatouages bleutés de leur mémoire de chair.
L’humanité a la gueule de bois,
La parole creuse, mais prolifique
… elle nous revient de guingois,
Au lent bal des années pathétiques.
Il pleut des personnages, clones de camarades
Egalité, éternité, fraternité
Et fête en marmelade
C’est ce qui fait la liberté
De tous les laissés pour compte
Ceux aux habits raidis
Au rendez-vous de la honte
De leur vie, le taudis
Au bal de la soupe populaire
Qui n’ a , au goût de paradis
Que l’amer de l’en- terre
Cercle de misère, et des maudits.
RC 10 juin 2012
–
Edith de Cornulier – Atone
Almasoror ( l’âme soeur) si j’ai bien lu... est un site que je qualifierai de « multi-disciplinaire », … il y a une foule de liens, et d’articles , et en patience il va me falloir, du temps pour en avoir une petite idée…
mais je me suis dirigé de suite vers la section « poésie », où des photographies sont « accompagnées », ici de textes de Edith de Cornulier-Lucinère, – voir son blog perso –
qu’elle abrège sous E CL…
j’ai navigué sur quelques uns et tout ce que j’ai lu a capté mon attention, voici d’un d’entre eux:
ATONE
–
Ma voix coule dans le soir
Mais mon cœur demeure aphone
Je respire dans ce bar
Des vapeurs d’alcool atone
Nous traversons les saisons
Main dans la main bien trop sages
Je n’observe à l’horizon
Aucun feu, aucun mirage
La vie et ses expériences,
Je les traverse en apnée
Puisque aucune délivrance
Ne nous est jamais donnée
Mais ce soir, dans la lumière
Du bar où flotte un suspense,
Ce soir je veux le salaire
Des années d’obéissance.
Que les lois et la morale
S’effacent de mon karma ;
De se courber sous leur pâle
Mensonge, mon crâne est las.
Dans ce corps où tout s’éteint
Pour jamais n’être fécond,
Que la passion prenne enfin,
S’il reste des braises au fond.
Que le désir se rallume,
Qu’il fasse briller mes yeux,
Pour qu’ils se désaccoutument
De leur rideau vertueux.
J’en appelle aux dieux païens
Ceux qui boivent et ceux qui chantent,
Qu’ils déchargent mon destin
De la ration, de l’attente.
J’en appelle même au stupre,
Si lui seul peut délivrer
Du convenable sans sucre
Un cadavre articulé.
Et toi, frère et faux-amour,
Co-victime et co-coupable,
Vas-tu taire pour toujours
L’hypocrisie impalpable ?
Nous traversons les saisons
Main dans la main bien trop sages
Et rien dans notre prison
Ne présage un grand orage.
Mais ma voix coule ce soir,
Et mon cœur te téléphone,
Je respire dans le bar
Des instances qui frissonnent.
Et si tu ne réponds pas,
Si rien en toi ne s’éveille,
Parce que mon cœur est las
Des jours aux autres pareils,
Tu prendras tout seul le train,
Et dans la nuit qui appelle,
Coupable de ton chagrin,
Je chercherai l’étincelle.
–