Mokhtar El Amraoui – J’écris avec le râle de ma valise

J’écris avec le râle de ma valise
Remplie d’algues et de corail.
J’écris avec l’encre de mon ombre,
Affiche de mes nuits.
J’écris une langue comète
Aux rides assoiffées.
J’écris les nymphes
Caressant mes pieds d’étranger,
La spirale verte
De ma titubante amnésie.
J’écris avec les baves de l’éclair,
Cette déchirure du texte sans étoiles,
L’envol mousseux du triangle,
Le rat aux griffes de chat
Qui interroge les égouts,
Ruisseaux coulant des masques
De nos morts inavouées,
Peaux froides de cadavres froissés
Comme ces paquets de frileuses raisons
Que tu inocules à ton enfant, en toutes saisons
Comme ces chimères que tu caresses
Dans tes ronflements de cube tamisé,
Quand tes oreilles de cire
Fondent dans la cire noire
Des phonos de la peur,
Perte d’extension,
Tubes aux arômes de plastique
Puant dans la crème
De ce four ébouriffé
Où tu éjacules ta peur cravatée !
J’écris avec ce rat qui mâche des étoiles
Et téléphone aux muses
Avec ce croissant-gondole !
J’écris avec ses numéros épileptiques,
Ecumes rouges
Léchant la flamme du bateau
Qui ne reviendra plus !
J’écris, sans ancre,
Avec ma valise qui vole
Comme cette symphonie nerveuse des mouettes !
Poisson d’eau douce,
Sirote ta mort !
Le rat et moi,
Nous peignons,
Sur les écailles jaunes du trottoir,
Des transes d’éclairs
Trop chauds pour les gorges des fourmis !
Dors, mort inavouée !
Le rat et moi,
On a bu le poème !
Le coeur funambule – Ecchymoses

Sur les ecchymoses du jour
Perlent quelques gouttes de ciel
L’onguent du crépuscule
Brode un ourlet pourpre
Aux jupes élimées des vagues
Brindilles de mer
Le souffle du courant
Efface les taches de l’oubli
Sur les visages de l’eau
Toutes les teintes du vent
Accrochées aux ailes des mots
En friselis d’écume
Dansent aux marges des rochers
Le bavardage des algues
En strophes d’ombre et de lumière
Sème les graines des phrases
Au chant muet de nos lèvres
Face aux festins des couleurs
Nous habitons tout à la fois
Le paysage et son reflet
Le brasier montant aux joues de la lune
Dans le silence aiguisé du jusant
Les rouges gorges des braises du couchant
En rayons brûlants pénètrent lentement
Le ventre humide de l’océan
avec l’autorisation d’Olivier ( voir son site )
Jacques Borel – les images
peinture: Arnold BÖcklin avec la mort violoniste
Je ne peux pas grand’chose lorsque s’abat sur moi
La grande faulx noire et dorée de la mélancolie,
Seulement ployer un peu plus bas l’échine, ou supplier
De se taire dans la combe la plus obscure du cœur où ils se sont réfugiés
Ce groupe d’aïeux qui se retournent et chuchotent
Comme des soldats frissonnants sous une couverture
Et dont je n’ose pas surprendre les secrets conciliabules;
Retenir un instant cette main, et c’est celle de mon père,
Qui voudrait approcher de la table de jeu
Et poser encore un peu d’or sur le tapis;
Convaincre doucement ma mère de rentrer,
Qu’il n’y a plus de messe à l’église des fous
Et qu’aucun noyé ne l’appelle du fond de cette eau où elle se penche.
Peut-être pourrais-je refuser de reconnaître
Ce sourire d’amer plaisir que j’ai déjà vu sur d’autres bouches,
Ou ce geste de l’épaule qui tremble et ploie
Quand la vague d’un autre corps va la recouvrir de son ombre
Et la rouler sur un lit d’algues où elle retrouvera soudain
La même face confondue de la mémoire et de la solitude.
Dire non, mais puis-je aussi
Dire non à cet enfant dans son lit
Qui murmure à la mort des mots de fiançailles
Et il me semble qu’il ne s’est pas endormi depuis,
Qu’il est là depuis toujours, à tenter d’apprivoiser
Le sommeil aux mains de sable
Les larmes de Peau-d’Ane encore sur son visage
Et la lune sur la vitre qui survit à ses songes.
— Ô images, plus indestructibles que les choses !
Grandes banderoles à jamais accrochées aux façades !
Vous me cacherez jusqu’au bout les profondeurs des fenêtres,
Les gestes, les colères et le tendre recul
Des êtres qui respirent à leur tour dans les chambres;
Le vent qui vous arrachera me balaiera avec vous,
Je vous sentirai encore collées à mes paupières,
Et, dans la déchirure,
La même lampe continuera d’éclairer pour moi
La même marge obscure et infranchissable du monde
Découpée une fois par les ciseaux du temps,
La maison refermée sur les terreurs du jour,
Ce salon vide, cette porte, et sur le mur
Cette figure lentement qui se confond avec sa robe
Et qui en a fini désormais de ressembler à personne.
Echappée belle – I (Susanne Derève)
Edward Henry Potthast Looking out to Sea
Echappée belle vers la solitude
Echappée belle et je ferme le banc
Entre les bras tendus du ciel
Eaux mortes traître courant des profondeurs
d’un jour sans vent
On ne lutte pas on ne peut que
s’abandonner et laisser dériver le temps
jusqu’à la marée basse
Rejoindre les pierres plates mêlées de vase
Mériter le silence
Pierres chaudes des matins d’absence
avec cette légère nausée des jours de grande chaleur
ce vertige au sortir de la vague
un vacillement
Noir blanc damier éblouissement
Le sol est-il si ferme qu’on puisse s’y abattre sans broncher
la roche usée douce avec un grain ponctué de lichen
et de mousses d’algues séchées
Il y a des feuilles des ombrages où la mer
abandonne ses cordages de sel ses bois flottés
brindilles ombelles grises
comme un au revoir d’été
Échappée belle insoumise
Attendre que l’estran épouse la marée
redonne vie aux vies qui sommeillaient
Et soi s’endormir au soleil voile rouge
au travers des paupières rêver d’anciens bonheurs
d’un vallon égaré et sous le grain des cils
si rien ne les disperse les retrouver
Edward Henry Potthast The Maine Coast
Bivalve – ( RC )
–
De la paire symétrique,
L’habit rigide du coquillage,
Désormais s’écarte,
Pour laisser les éléments le traverser,
Comme l’encre des chagrins :
Sables et algues,
Un tapis imbriqué,
Où des pieds malhabiles, la brisent .
L’animal marin,
Ne laisse de sa présence,
Qu’un crépuscule calcaire,
Où se réfugient les ombres :
Peu de mémoire ;
Peu de poids,
Sous la poussée du ressac,
Et la caresse du vent.
–
RC – avr 2015
Max Pons – Eve
– Bas-relief , Autun , art roman – tentation d’Eve
–
ÈVE
Toi la première et la dernière
Je te recommence patiemment
Toi perdue et retrouvée
Détruite et reformée
Toujours la même
Me voici
Lucide et heureux
Devant cette glèbe
Cette argile fertile
Te pétrir
Te lisser
Te polir
Te reconnaître enfin
Te finir
Me voici
Devant ce val délicatement veiné
À la naissance d’un fleuve d’ombre et de feu
Estuaire au limon de vie
Devant ces meules lourdes de louanges
Cette fête de courbes
Ce langoureux
ballet
Paysage pour la grande faim
Du dehors et du dedans
Me voici
Après une longue errance
Aux confins de toute une flore
D’algues et de mousses
Depuis toujours je te connais
Inventée avant de te toucher
Faite pour que je te révèle
Ce que tu es
Apnée des attentes – (RC )

photo: Andreas Franke
–
–
Je ne vois plus qu’un vert uniforme
Ces créatures éloignées du soleil
Suspendues, sans d’autre lumière halo,
Que celle qu’elles émettent,
–
Les danseurs de l’immobile,
Ludions
Portant leurs ampoules vacillantes,
Quelque part au-dessus,
–
Si aucune brillance,
Ne vient indiquer,
L’extrémité close,
Le mur de verre,
–
Tout un monde flottant,
Apnée des attentes,
Caresse molle des algues,
Et peu à peu s’incrustent,
–
Au bastingage métallique,
Ancre, cordage enroulés,
L’épopée coquillages
D’embuscade sédimentaire.
–
Elle vient sceller le destin,
Quand se referme le piège,
– Silence liquide.
Du gîte de l’épave,
–
Déposée de biais,
Sur le sable trouble,
S’échappent encore des bulles,
Qui vont suivre, verticales
–
L’histoire de l’air,
Pesant de son couvercle,
> D’atmosphères,
Loin , bien loin, au-dessus.
–
RC – 15 septembre 2013
–
Luis Mizon – Caresse-moi de tes doigts
Caresse-moi de tes doigts
Toi qui récoltes les algues
Approche tes mains
Je veux respirer ton rêve
(Poèmes d’eau et de lumière)
Du fond de la grande mer, je m’envolerai ( RC )
Du fond de la grande mer je m’envolerai,
je serai
Dauphine, je sortirai de l’ombre.
Au long cours,
les courants glacés,
les algues
rapides,
des vaisseaux
lointains
des notes d’écume sur le vert mouvant,
je serai rapide, je serai glissante
En Antarctique, de mon voyage
et rejoindre
Celui d’entre les Ices,
celui qui glisse sur les glaces
celui qui déserta
Le monde d’en bas, l’étroit
mon phoque, à qui l’on a dit
Tu feras rire les enfants ,
tourner des ballons sur ton nez.
Nous reviendrons ensemble
portés de lit
Traversant des poissons
les bancs serrés
Dialogues en notes d’éclair
Princes du liquide
Nous rejoindrons la grande mer,
Et son infini
RC- 04 2011
( inspiré par les vagues scélérates ), d’Arthemisia
–
Corne de brume ( RC )
–
A l’écoute indécise,
Tu entends les vagues,
En tendant l’oreille
A la conque de soleil
Et la vie s’enroule,
Se love sur elle-même,
Aux ressacs, sur les rochers,
Elle donne son écume…
Ainsi mes doigts joints
Autour de ton attente
Qui forment la coquille
Portée dans ta main.
Tu es sur le sable
Etendu sous la lune
Les algues enroulées sur tes pieds
Intensément, tu m’écoutes
En corne de brume
–
RC – 1er nov 2012
Claude Roy – Petit matin
Petit matin
Je te reconnaîtrai aux algues de la mer
Au sel de tes cheveux, aux herbes de tes mains
Je te reconnaîtrai au profond des paupières
Je fermerai les yeux, tu me prendras la main.
Je te reconnaîtrai quand tu viendras pieds nus
Sur les sentiers brûlants d’odeurs et de soleil
Les cheveux ruisselants sur tes épaules nues
Et les seins ombragés des palmes du soleil.
Je laisserai alors s’envoler les oiseaux
Les oiseaux longs-courriers qui traversent les mers
Les étoiles aux vents courberont leurs fuseaux
Les oiseaux très pressés fuiront dans le ciel clair.
Je t’attendrai en haut de la plus haute tour
Où pleurent nuit et jour les absents dans le vent
Quand les oiseaux fuiront je saurai que le jour
Est là marqué des pas de celle que j’attends.
Complices du soleil je sens mon corps mûrir
De la patience aveugle et laiteuse des fruits
Ses froides mains de sel lentement refleurir
Dans le matin léger qui jaillit de la nuit.
Claude Roy
–
La mer ne parle plus, elle se tait. (RC)

Affiche objet d’une plainte de la région Bretagne
–
La mer ne parle plus, elle se tait.
–
Et si la mer parlait dessous son tapis d’écume et de vagues,
Au silence de la mer celle réduite au silence,
Et aux arbres qu’on élague
Encombrée de sables
Et de débris innommables
La voilà immobile, et presque entièrement recouverte
D’une épaisse confiture
De toutes ces algues vertes
Et d’un semis d’ordures
D’où s’échappent gaz, par bulles
Autour des rochers las
Qu’une lasse marée dissimule
Dernier geste de décence
D’une eau qui n’a pas d’age
Mais qui sent l’essence
A travers les coquillages
Désertés des mollusques
Que goudrons écrasent
Et collent même, jusque
Au cœur de la vase .
Si la mer parlait dessous son tapis d’écume
Qu’elle ôtait son bâillon
Et qu’avec les vents revenus, elle s’enrhume
Elle chasserait ces haillons
D’un seul coup de tempête
Son parfum de dégoût
De fracas et de pertes
Rejetant les égouts
Bien loin sur la terre
Ces rejets de l’ingrate
De toxique amère
Saturés de nitrate.
Retraits d’hier en dignité
C’est d’un autre visage de Bretagne
Tournant dos à la fatalité
Qui ferait, que la nature gagne,
Que la mer épaisse revienne en liquide
Que l’on puisse, voir le sable
Au travers d’une écume limpide
Et d’un pays respectable…
–
RC 11 juin 2012
–
voir notamment ce site avec ces affiches choc, qui dénoncent l’hypocrisie ambiante.
et pour avoir une idée du problème, plusieurs sites en parlent, mais les mesures concrètes se font attendre…, en effet il y aurait une collusion entre les autorités et les sociétés financières qui possèdent une partie des élevages intensifs bretons … ceci expliquant en grande partie cette inertie, pour un problème connu depuis longtemps.
–
Pendant que je m’enlise ( RC)
Pendant que je m’enlise, les autres s’éloignent doucement.
Si discret est le bruit de leurs pas qu’on les oublie autant qu’ils m’oublient au sable, aux vents.
Mes cris n’atteignent jamais ceux qu’ils voudraient joindre. et se croient plus errants et se figurent sans un geste.
Je serai bientôt aboli, inconnu, immobile, dans ma solitude humide et, bientôt enseveli, très doucement… les algues déposées effaceront le soupçon de ma présence..
Présence éphémère, et bientôt le sable lisse…
et plus de bruit.
—
— variation « aimable »,
à partir de la « durée » ( un des poèmes de « la citerne » de Louis Scutenaire ) – auteur surréaliste belge