Xavier Bordes – Enluminure noire et or

Avec le soleil du soir une étoile est tombée dans le vase en cristal où s’ennuient sur la table de la terrasse des fleurs apportées le jour de Noël par des visiteurs amis
.
La table elle-même est recouverte d’un plexiglas qui reflète à la manière d’une flaque d’eau le feston inversé des frondaisons serties dans l’ambre doré du ciel au ras des monts bleus
.
Des étages de longs cirrus clairsemés s’étirent de l’est à l’ouest minces et clairs eux reçoivent encore la rougeur du soleil disparu Un alphabet noir de tourterelles ou de corbeaux
.
s’envole vers le sud vers la mer indigo en emportant, me dis-je, les derniers espoirs de la journée Il est à peine cinq heures et déjà le crépuscule assombrit la chambre où je m’active
.
L’étoile s’est éteinte dissoute dans l’eau du vase C’est à peine si je devine mes mains qui travaillent au noir Peut-être la nuit qui se densifie dehors entrera-t-elle flairer mon encre
.
Reconnaîtra-t-elle dans ce bâton chinois orné d’un dragon d’or la matière qui frottée au creux de la pierre reï avec quelques gouttes du ruisseau voisin parfume d’ambre gris toute l’atmosphère de la pièce ?
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Denise Le Dantec – sept étoiles à la Grande Ourse

Les Hyperboréens ont compté sept étoiles à la Grande Ourse
Lié l’amour à l’adieu dans le champ des pommiers
Nos têtes sont devenues sourdes
Batailleuses nos mains dans l’eau des rocs
Le long de la côte
L’ombre enroule les fils du soleil
Et tire les images de la lumière dans l’herbe
la cendre et la fumée
Face au Nord sur la roche l’Ange s’assied
Et comme un oiseau qui prend son vol,
couleur de soleil, il s’élève
Sourds et nus sont le sable et le poisson sur le rivage
Et comme l’aiguille entraîne le fil le vent
entraîne les nuages
Sous l’archivolte du porche orné de fleurs-paratonnerre
L’Ange pénètre ma chair
Au fond des nuits il y a d’autres nuits
Sous l’ombre des feuilles d’akènes pourries
d’autres ombres
O les repaires insaisissables des bêtes
Dans les tourelles du givre et les rouelles du froid
Les mûres de mes seins sont devenues noires
Plus loin il y a un bois d’hiver noir et profond
qu’on nomme Bois des Loups
Les sentiers sont coupés de branchages si hauts
qu’on les dirait prêts aux bûchers
En novembre les fileuses d’étoupe filent leurs
manteaux de brindilles et de cheveux,
sur les troncs équarriés
Leurs yeux épèlent l’alphabet des étoiles,
Leur écheveau est une torche d’où s’échappent
les mèches de leurs crânes tondus
De leurs bouches s’égoutte le sang de leurs
engelures
L’Ange apaise ma blessure et me porte
Jusqu’à cette église, ô la Sainte,
Aux portes de digitales et de poison
Pour te battre
Comme la mer sur les côtes
Aux portes de misère et de foudre
Où, pour plus de mal encore, tous mes sens m’abandonnent
Jean-Michel Sananès – je courais
Quand j’étais jeune
je ne savais où aller
je courais
après mon père
après ce chat qu’il me fallait apprivoiser
après cet alphabet qu’il me fallait dompter
je courais
après mon âge
et les grands qui partaient à vélo.
Seul, en attente d’être grand
à l’âge du duvet sur les joues
laissant mes mots au vestiaire
je courais après filles
dans l’infortune des timides
je courais les échecs et le spleen
je courais la rime
voulais être Rimbaud
sac au dos, je courais des rêves d’aventure
je courais après la vie
les amis, le travail, une raison de vivre.
Je courais, courais, dans l’odeur des casernes
courais après le temps
après les larmes, l’exil et le chagrin
dans les rayonnages du mot
à frontière de raison
de l’imparfait au futur je courais le verbe être
je courais après le temps
je courais je courais je courais
jusqu’à ce que s’ouvre ce chemin intérieur
où j’ai couru de mois en mois en mois
où j’ai couru de moi à moi
Je ne cours plus
j’ai trouvé de l’encre et du papier
des yeux d’enfants, des yeux de chats
si grands que j’y lis le monde
je ne cours plus
j’ai trouvé des êtres à aimer
plus grands, plus vastes que le champ des étoiles
et toutes les mappemondes du monde
je ne cours plus
je suis enfin arrivé chez moi
pour être, jusqu’à ne plus être.
Maintenant je sais
pour aller à soi
courir est inutile.
Susanne Derève – l’alphabet du regard
peinture: Giovanni Segantini
Il me semble voir ta main
Attirer doucement l’objet dans la lumière
Le tenir à portée
Dans le reflet tamisé de la lampe
Faire pivoter l’objet lentement
Afin que la lumière l’épouse
Et le révèle
Dans l’alphabet du regard
Prendre une à une les images
Et les toucher comme on ferait
Du front des yeux et de la bouche
D’un visage aimé
Et puis les reposer dans le cadre
A leur place
Et reculer de quelques pas
Pour juger de l’effet produit
Sur celui qui n’a pas les clés
Et qui découvre médusé
Comme on tire un rideau de théâtre
Le don que tu lui fais
De la beauté .
Giuseppe Penone – Déchiffrant la culture du toucher
Sur le bout de la langue, sur le bout des doigts, qui, rassemblés sont les pattes de la bête qui m’entraîne dans l’univers de l’alphabet, en déchiffrant la culture du toucher contenue dans la forêt des images, présente dans la réalité des arbres qui jalonnent le temps de l’histoire dans l’espoir de mettre de l’ordre dans la vie des hommes.
Giuseppe Penone, est l’artiste italien connu pour ses installations, souvent prenant l’arbre comme « motif » réel, dans lequel il sculpte et révèle le départ des branches anciennes…
Un jupon d’un buisson de ronces – ( RC )
Pripiat – Ukraine – provenance photo: http://machbio.blogspot.fr
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J’ai fait un jupon d’un buisson de ronces,
Pour aller avec la robe de plomb,
Habillant si bien les bois morts,
Et la langue affligée ( celle qu’on ne peut plus traduire ).
Une cérémonie où les statues sont de sortie,
Alignées, immobiles,
Conformément au protocole ,
Attendant un signe qui ne viendra pas.
Un premier plan de givre, un alphabet en désordre,
Et les arbres, libérés des contraintes ordinaires
ont commencé à crever le ciment de la place du Champ de Mars .
Tous les habitants ont fui une menace qui ne dit pas son nom .
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RC- juin 2015
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En rapport avec la ville Pripiat ( à 3km de la centrale de Tchernobyl ).
A voir au sujet des conséquences de l’explosion
de la centrale nucléaire, sur la ville de Pripiat,
le film » la terre outragée »
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Petit commentaire perso: Daugavpils, est une ville de Lettonie, proche de la frontière de la Russie . Elle comporte une citadelle militaire qui a été laissée complètement à l’abandon, et dont l’enceinte abritait en 2004 également une série de hlm vétustes.
L’abandon n’a pas ici de cause consécutive à un accident nucléaire, mais on observe le même phénomène, à savoir que les places d’armes ( où trônent encore des canons) sont envahies progressivement par la végétation: par exemple des arbres qui masquent presque totalement de hauts lampadaires destinés à éclairer la place.
A noter qu’au côté sinistre de l’abandon, se joint le côté historique, puisque cette ville a servi de ghetto concentrationnaire pour les juifs… lire cet article corrrespondant…..
Emily Dickinson – Nous avons tout appris de l’Amour
Nous avons Tout appris de l’Amour
L’Alphabet – les Mots –
Un Chapitre – tout le Livre grandiose –
Puis – la Révélation s’est refermée –
Mais dans les yeux de l’Autre
Chacun contemplait une Ignorance –
Plus Divine que celle de l’Enfance
Et chacun redevenu Enfant, pour l’autre –
A tenté d’exposer ce que
Ni l’un ni l’autre – ne comprenait –
Quel dommage, que la Sagesse soit si vaste –
Et la Vérité – si variée !
-(poème 531)
extrait du site de ladySil: « passionément , Emilie D. » où ceux qui cherchent de la « matière », pour lire cette poétesse, n’auront que l’embarras du choix…
-En voici le texte original
We learned the Whole of Love —
The Alphabet — the Words —
A Chapter — then the mighty Book —
Then — Revelation closed —But in Each Other’s eyes
An Ignorance beheld —
Diviner than the Childhood’s —
And each to each, a Child —Attempted to expound
What neither — understood —
Alas, that Wisdom is so large —
And Truth — so manifold!
Armand Robin- Poème pour adultes – II
Colonnes torses, Hôtel Dieu Tournus – 71
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Les places ont des bras de cobras,
Les maisons des gorges de paons.
Donnez-moi quelque antique pierre,
Que je me retrouve en Varsovie!
Je me tiens en stylite absurde
Sur la place, sous le candélabre ;
Je louange, admire et maudis
Le cobra, l’abracadabra.
Tel un paladin je m’enfonce
Sous les pathétiques colonnes.
Que me font le « Hall de Luxe » et ses mannequins
Peinturlurés pour le sarcophage ?
Ici les jeunes courent acheter des glaces !
Ha! tous ici sont très jeunes,
Leurs souvenirs confinent à des ruines,
La gamine va bientôt enfanter.
Ce qui a poussé en pierre restera!
Le pathos avec la camelote!
Ici tu apprendras ton alphabet,
Futur poète de Varsovie!
Aime cela en coutumière ornière.
Moi, j’ai chéri d’autres pierres,
Grises, véritablement grandes,
En leur cœur le bruissement des souvenirs.
Les places ont des bras de cobras,
Les maisons des gorges de paons.
Donnez-moi quelque antique pierre,
Que je me retrouve en Varsovie!
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Laura – Prélude, comme une attente

dessin: Aloïse, musée de Lausanne
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J’ai entendu le mot prélude,
c’est comme une attente,
un prélude à la nuit,
un prélude à l’aurore,
mais comme je ne suis pas sûr,
je préfère m’arrêter là.
Un alphabet de saveurs,
il faudrait donc les classer et pourquoi ?
Toutes les saveurs, comme tous
les malheurs et tous les bonheurs
n’ont pas d’alphabet.
Tout est mélangé, une larme de cannelle,
un piment de douleur.
On goûte à tout, café torréfié pour
se réveiller et pièces montées
pour les mariés.
Ne vous embêtez pas surtout
pour faire cet alphabet de saveurs,
elles viennent à notre bouche
et vous les reconnaissez sans erreur.
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Laura
La personne qui a écrit ceci l’a fait à travers un atelier d’écriture organisé dans un hôpital psychiatrique, et publié dans « mots de passe » ( ville de Martigues)
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