Petite mère (3) – ( Susanne Derève) –

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Petite Mère qui fredonnes,
tu tiens entre tes bras une poupée de chiffons
et tu fredonnes
Vieille, si vieille tu es,
tu en oublies que tes bras m’ont bercée,
tu en oublies jusqu’à mon nom,
comme ces fleurs de givre
que la nuit a semées et que le jour défait,
tu en oublies les mots de la chanson
et le chant lui-même s’efface, petite Mère,
t’abandonne,
et c’est moi , à présent , qui doucement fredonne
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Petite mère (2) – (Susanne Derève) –

Le Chariot d’Alberto Giacometti – photo retouchée –
Petite mère,
tu t’es promenée si longtemps dans le siècle
passé,
dans celui-ci tu erres,
mince fantôme aux os de verre,
aux yeux clos,
vide comme l’hostie
que petite fille transie sous ta robe légère
tu portais à ta bouche
dans la pénombre froide des églises,
rêvant à la lumière des chemins buissonniers,
aux routes blondes de l’enfance.
Toi qui n’es plus qu’un murmure ténu,
le siècle à peine né te rend à l’innocence.
Cees Nooteboom – Soir –

en mémoire de Hugo Claus*
La chaise bleue sur la terrasse, café, soir, l'euphorbe tendue vers des dieux absents, nostalgique de la côte, tout n'est qu’alphabet de désirs secrets, ceci est son dernier visage avant le noir, le voile dans sa tête. Il le sait, elles disparaîtront, les formes des mots, dans son calice ne laissant plus que lie, les lignes désormais sans lien qui jadis étaient des pensées, ici ne viendra plus un mot de vrai. Gravats de grammaire, images bougées, sans pont, du vent le bruit encore mais plus le nom, quelqu’un l'a dit et la mort était sur la table, valet lambin en attente dans le couloir, au rire bête, feuilletant son journal aux échos de sens perdu. Tout cela il le sait, l’euphorbe, la chaise bleue, le café sur la terrasse, le jour qui l’enveloppe avec lenteur et puis l’emporte à la nage, animal débonnaire avec sa proie.
* Hugo Claus (5/04/1929-19/03/2008) , écrivain, poète, dramaturge, scénariste et réalisateur belge d’expression néerlandaise était atteint d’une maladie d’Alzheimer.
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Le visage de l’œil
poèmes traduits du néerlandais par Philippe Noble
Actes sud
Petite mère – (Susanne Derève) –

Petite Mère Les étourneaux pépient dans le coeur du feuillage mais tu ne les vois pas Plus légers qu’une plume, que l’aile d’un moineau tes souvenirs s’envolent C’est un dimanche nu que ta mémoire une plaine déserte un arbre silencieux que n’égaie plus nul chant d’oiseau