Dominique Fourcade – témoin

J’ai été témoin elle a lâché toutes ses charges tous les sons d’un
coup loin avant que la cible soit en vue c’est bien le type
fire and forget décrit dans les catalogues c’est guidé çà
trouve une autre rose filmait les effets pareil absolument
hors de vue je ne m’étonnais pas entendons-nous voyons-nos
ce que nous enregistrons toujours les images ont été
aspirées par des caméras qui ne les voyaient pas démentes
succions les déserts
Celle qui actionnait ce poème avait un petit prolétariat d’amants
auquel je m’étais agrégé avec ferveur et j’attendais les ordres
Elle a viré très dur vers sa base elle n’est pas en fuite elle n’est
pas en fuite elle est partie sous l’urgence de refaire les pleins
elle est désireuse
Désireuse de dévaster
Elle est désireuse de dévaster à nouveau peut-être
Passagers de la nuit – (Susanne Dereve)

La nuit dérivait lentement
pas une nuit d’argile ni de mousse
ni de la froide clarté des constellations de Juillet
ni de l’ombre des pins , noire , où balançait le vent
ni du roulement des vagues ou de celui du temps
perdu , éperdu , amassé
– telles ces piécettes d’or miroitant
sous l’eau des fontaines –
Une nuit d’étreintes et de baisers
du lourd parfum des pluies d’été
saturé d’humus et de braise
– sait-on jamais ce que pèse
le poids des mots et des regrets –
La lune s’était levée ,
paupières closes , lèvres scellées ,
et ses lançons d’argent vibraient sur l’eau
épousant le flot incertain du courant ,
la gravant en nous comme un sceau
Passagers de la nuit arpentant les étoiles ,
nous étions deux amants …
Le couple de pierre a perdu son ombrelle – ( RC )

Je ne sais depuis combien de temps
patientent ces gens
au sommet de la colline .
Ont-ils perdu leurs habits d’hermine
ainsi que leur ombrelle ?
Les voila changés en statues de sel,
ces deux amants
exposés au vent,
mais toujours aussi proches.
Leur visage de roche
par un sculpteur, immortalisé
en prolongeant leur baiser
en aplomb du précipice.
On pense à Philémon et Baucis
dont l’existence réelle
ne s’embarrasse pas d’ailes :
leurs branches enlacées ,
un face à face rapproché ,
où l’amour peut affronter
le passage des années, pour l’éternité.
Alda Merini – vide d’amour
détail de peinture Sainte Ursule, c. 1650 Zurbaran
de Vuoto d’amore,
J’ai aimé tendrement de très doux amants
sans que jamais ils n’en sachent rien.
Et sur eux j’ai tissé des toiles d’araignée
et je fus la proie de ma propre matière.
Il y avait en moi l’âme de la catin
de la sainte de la sanguinaire et de l’hypocrite.
Beaucoup ont donné un nom à ma façon de vivre
et je fus seulement une hystérique.
Marcel Olscamp – Amants perdus
Amants perdus
Ils vont
marchant contre leur cœur
cherchant l’épaule
qui reprendra leur main
Ils veulent
serrer contre leur corps
la paume d’une étoile
le rouge de la nuit
Mais il faut
écraser nos regards
sous l’ongle de la lune
sous l’ombre de leur lit
Marcel Olscamp, Les grands dimanches
La nuit a juste oublié la lumière – ( RC )
–
Tu ignores tout de la nuit .
Elle a juste oublié la lumière,
Les belles saisons s’enfuient
Sous des manteaux de poussière,
Qui s’étendent en rideaux,
De latérite
Sur les routes d’Afrique :
Ces fils tendus entre des pays,
Dont beaucoup mordent la misère,
A pleines dents .
Car la nuit s’étale en plein jour,
La population ne connait d’amants,
Que les dieux de l’enfer .
Ce sont eux que l’on prie :
On dirait que le passé d’esclavage,
N’a pas suffi,
Toujours on se décide,
Pour le choix du fer,
Le goût du sang ,
Et ses ravages.
Ce ne sont pas les luttes fratricides,
Qui résoudront les choses :
Les groupes de fanatiques,
En répandant la terreur ,
Augmentent encore la dose,
Avec le rideau de la nuit .
Malgré la chaleur,
Le soleil reste extérieur
Bien loin de la terre ,
Et des démons de la guerre .
–
RC – mai 2015
Frédéric Angot – Lune sang amour
–
–
–
LUNE SANG AMOUR
-Cette nuit là, un râle d’Amour, tel un châle,
s’envola si haut et si bien qu’à la lune il
parvint. En ce si beau ici-bas, dans
d’érotiques ébats, s’aimaient deux êtres.
L’Idéal semblait paraître, quand, la lune d’or
esseulée, délaissée du soleil récemment,
plongea, comme pour se venger, les jeunes et
purs amants dans une ténébreuse obscurité en
s’éclipsant…
Dès lors, les caresses cessèrent, le doux vent
d’été, les arbres fruitiers, les grillons
s’enfuyèrent, les halètements et souffles
ardents firent place aux cris de terreur.
La lune, jalouse et outragée, ainsi les tint
toute la nuit dans le chaos et la noirceur
jusqu’à ce qu’apparaisse dans sa splendeur le
beau Rê lumineux de chaleur.
Seulement, pour les deux amants, le lever fut
absent.
Leurs corps, jadis pleins de vigueur s’étaient
figés dans une éternelle torpeur… la peur,
trop forte, avait soufflé la lueur de leurs coeurs.
Ainsi, je vous le conte, la lune maligne
retourna l’écho de leurs râles!
Seul demeurait de cette nuit, un léger châle
de lin, de lune doré, de mort taché.
–
Jorge de Sena – Je sais le sel …
–
Je sais le sel de ta peau sèche
Depuis que l’été s’est fait hiver
De la chair au repos dans la sueur nocturne.
Je sais le sel du lait que nous avons bu
Quand nous bouches les lèvres se resserraient
Et que notre cœur battait dans notre sexe.
–
Je sais le sel de tes cheveux noirs
Ou blonds ou gris qui s’enroulent
Dans ce sommeil aux reflets bleutés.
Je sais le sel qui reste dans mes mains
Comme sur les plages reste le parfum
Quand la marée descendue se retire.
Je sais le sel de ta bouche, le sel
De ta langue, les sel de tes seins,
Et celui de ta taille quand elle se fait hanche.
Tout ce sel je sais qu’il n’est que de toi,
Ou de moi en toi ou de toi en moi,
Poudre cristalline d’amants enlacés.
–
Conheço o sal
Conheço o sal da tua pele seca
Depois que o estio se volveu inverno
De carne repousada em suor nocturno.
Conheço o sal do leite que bebemos
Quando das bocas se estreitavam lábios
E o coração no sexo palpitava.
Conheço o sal dos teus cabelos negros
Os louros ou cinzentos que se enrolam
Neste dormir de brilhos azulados.
Conheço o sal que resta em minhas mãos
Como nas praias o perfume fica
Quando a maré desceu e se retrai.
Conheço o sal da tua boca, o sal
Da tua língua, o sal de teus mamilos,
E o da cintura se encurvando de ancas.
A todo o sal conheço que é só teu,
Ou é de mim em ti, ou é de ti em mim,
Um cristalino pó de amantes enlaçados.
–
Jorge de Sena
– quelques uns de ses poèmes
–
Richard Brautigan – Il pleut en amour – Si tu meurs pour moi
Si tu meurs pour moi
je meurs pour toi
et nos tombes seront
comme deux amants nettoyant
leurs vêtements ensemble
dans une laverie automatique.
Si tu apportes la lessive
j’apporte l’eau de javel. »
Richard Brautigan, Il pleut en amour,
éditions Le Castor Astral.
–
Jean Daive – Le monde est maintenant visible .
Le monde est maintenant visible
entre mers et montagnes.
Je marche entre les transparences
parmi les années
les fantômes
et le matricule de chacun.
Les pierres
les herbes sont enchantées.
Tout se couvre
jusqu’au néant
de pétroglyphes.
Je compte les mâts
penchés près du rivage.
À perte de vue, la prairie des cormorans
car chaque maison est un navire
qui se balance.
Plutôt le crime ou plutôt
la mort des amants ou
plutôt l’inceste du frère
et de la sœur ou ―
je prends le temps
de manger une orange.
Dans ces moitiés d’assiettes et
autres fragments trouvés
avec pierres taillées, dessinées ou peintes
masse de cailloux, graviers avec sable
mesurent un site
une ville que j’explore
avec l’énergie d’un oiseau.
.
Jean Daive, L’Énonciateur des extrêmes, Nous, 2012, pp. 39-40.
–
Louis Aragon – tant que j’aurai le pouvoir de frémir
–
Tant que j’aurai le pouvoir de frémir
Et sentirai le souffle de la vie
Jusqu’en sa menace
Tant que le mal m’astreindra de gémir
Tant que j’aurai mon cœur et ma folie
Ma vieille carcasse
Tant que j’aurai le froid et la sueur
Tant que ma main l’essuiera sur mon front
Comme du salpêtre
Tant que mes yeux suivront une lueur
Tant que mes pieds meurtris ne porteront
Jusqu’à la fenêtre
Quand ma nuit serait un long cauchemar
L’angoisse du jour sans rémission
Même une seconde
Avec la douleur pour seul étendard
Sans rien espérer les désertions
Ni la fin du monde
Quand je ne pourrais veiller ni dormir
Ni battre les murs quand je ne pourrais
Plus être moi-même
Penser ni rêver ni me souvenir
Ni départager la peur du regret
Les mots du blasphème
Ni battre les murs ni rompre ma tête
Ni briser mes bras ni crever les cieux
Que cela finisse
Que l’homme triomphe enfin de la bête
Que l’âme à jamais survivre à ses yeux
Et le cri jaillisse
Je resterai le sujet du bonheur
Se consumer pour la flamme au brasier
C’est l’apothéose
Je resterai fidèle à mon seigneur
La rose naît du mal qu’a le rosier
Mais elle est la rose
Déchirez ma chair partagez mon corps
Qu’y verrez-vous sinon le paradis
Elsa ma lumière
Vous l’y trouverez comme un chant d’aurore
Comme un jeune monde encore au lundi
Sa douceur première
Fouillez fouillez bien le fond des blessures
Disséquez les nerfs et craquez les os
Comme des noix tendres
Une seule chose une seule chose est sûre
Comme l’eau profonde au pied des roseaux
Le feu sous la cendre
Vous y trouverez le bonheur du jour
Le parfum nouveau des premiers lilas
La source et la rive
Vous y trouverez Elsa mon amour
Vous y trouverez son air et sont pas
Elsa mon eau vive
Vous retrouverez dans mon sang ses pleurs
Vous retrouverez dans mon chant sa voix
Ses yeux dans mes veines
Et tout l’avenir de l’homme et des fleurs
Toute la tendresse et toute la joie
Et toutes les peines
Tout ce qui confond d’un même soupir
Plaisir et douleur aux doigts des amants
Comme dans leur bouche
Et qui fait pareil au tourment le pire
C’est chose en eux cet étonnement
Quand l’autre vous touche
Égrenez le fruit la grenade mûre
Égrenez ce cœur à la fin calmé
De toute ses plaintes
Il n’en restera qu’un nom sur le mur
Et sous le portrait de la bien-aimée
Mes paroles peintes
—
Le roman inachevé,
Poésie / Gallimard.
Edith de Cornulier – lovers are gone: les amants sont partis
dessin Léonard de Vinci
Lovers are gone
Les amants sont partis, par la porte arrière. Il n’y a plus ni deltaplanes ni montgolfières dans leur ciel si fier. Il n’y a plus que l’océan bleu et ses vagues de nuages au-dessus de notre ville sans chef et sans bagages.
Les amants sont partis sans emmener les enfants. Ceux-ci sont assis dans les écoles, sur les bancs. Seuls au monde et seuls à souffrir sans le savoir, ils existent encore, sans mots, sans jeux, dans leur doux brouillard.
Les amants sont partis sans prévenir personne. Les cuisines laissées en plan exhalent les casseroles qui frissonnent. Plus rien n’a lieu aux alentours. Si l’amour est une trahison, la ville a mis ses beaux atours pour subir le vide et l’abandon.
Les amants sont partis hier avant midi. Ils ont assassiné leurs époux et n’ont rien dit aux enfants. Enfuis sur des machines volantes, ils ne reviendront plus. Je reste mère adoptive, ange gardien, soeur nourricière, du peuple des enfants perdus.
Edith de CL