L’eau et le corps des âmes vives – ( RC )

Le corps des âmes vives
s’écoule sans discontinuer,
de la source , des cascades
jusqu’aux rivières,
pour atteindre le grand fleuve étale.
Tu y entendras
le bruissement de soie
des eaux qui parlent
de leur voyage tracé
au flanc des collines ,
des rochers , des courants
et des galets qu’elles ont porté.
Jusqu’à l’océan, elles accompagnent les vents changeants,
qui dialoguent avec les nuages
et parfois les bousculent .
Ne cherche pas à les comprendre :
leur direction est fantasque,
on ne sait jamais à quoi s’attendre ;
mais les âmes arrivent toujours
un jour ou un autre
à revenir à leur point de départ
pour continuer à chuchoter
dans le cycle de la vie
recommencée.
Marina Tsvetaïeva – Mon siècle

Je donne ma démission.
Je ne conviens pas et j’en suis fîère !
Même seule parmi tous les vivants,
Je dirai non ! Non au siècle.
Mais je ne suis pas seule, derrière moi
Ils sont des milliers, des myriades
D’âmes, comme moi, solitaires.
Pas de souci pour le poète,
Le siècle
Va-t-en, bruit !
Ouste, va au diable, – tonnerre !
De ce siècle, moi, je n’ai cure, ,
Ni d’un temps qui n’est pas le mien !
Sans souci pour les ancêtres,
Le siècle !
Ouste, allez, descendants – des troupeaux.
Siècle honni, mon malheur, mon poison
Siècle – diable, siècle ennemi, mon enfer.
1934
texte extrait de « écrits de Vanves »
Nicolas Rouzet – le cercle et la parole
photo: Ernst Haas
Il y a le cercle et la parole
et l’heure où chaque naissance
annonce l’aube rageuse
l’attente du regard
Une main aveugle
dure à tâtons
devance le jour
dessine comme par jeu
la frontière qui sépare
le silence de la parole
le geste du murmure
De son pouce
se traverse la brèche
s’effleure le néant
d’où l’on sauve
la braise
et la brindille
Et que l’oreille
se tende
vers ce soupirail
qu’elle entende
que nos fantômes
n’ont pas changé de nom
que tous se croient encore vivants
dans l’espace ouvert
par l’éclat
le mirage
de nos âmes !
Marina Tsvetaieva – La maison
Maison – épaisse verdure,
Vigne vierge et chèvrefeuille,
Maison peu familière.
Maison si peu mienne !
Maison – au regard sombre
Aux âmes lourdes,
Le dos tourné à la cité,
Les yeux fixés sur la forêt,
Gaie, aux cornes de cerf,
Joyeuse, comme une ourse,
Chaque fenêtre – un regard,
Et dans toutes – une personne !
Le fronton dans la glaise
Chaque fenêtre – une icône
Chaque regard – une fenêtre,
Les visages, des ruines,
Les arènes de l’histoire,
Marronniers du passé
Moi j’y chante et j’y vis.
Les chemises aux bras longs
Se lamentent dans le vent,
Liberté du passé,
D’un combat dans ces murs.
Lutte pour vivre et survivre,
Chaque instant, chaque volée,
Lutte à mort de ses bras,
Mort pour vivre et chanter !
Sans odeur de richesse,
Sans confort de fauteuil,
Le méchant, la pauvresse
S’y retrouvent à plaisir.
Le bonheur des oiseaux,
Dans les niches et recoins,
Temps pour nous – de nos comptes,
Des vengeances populaires,
Une maison dont je n’aurai pas honte.
(Entre juillet et septembre 1935.)
Rassasié d’une vie – ( RC )
-art – enluminure médiévale: La Hague, MMW, 10 A 11, detail of fol. 320r (‘Souls ascending to Janus and Terminus, who are holding the world; souls descending to hell’). , La Cité de Dieu Translation from the Latin by Raoul de Presles. Paris; c. 1475
La tête est venue
La première…
Et l’extérieur tout d’un coup
Se projette au -dedans
Envahit les poumons ,
Le premier jour d’un cri,
C’était naissance,
Ce jour là ,
Et la tête la première,
Arrivée au monde, – lourde.
> Les corps usés, inversement ,
Le dernier jour, de cri,
Voient les âmes s’échapper,
Du monde, …. légères .
– On ne sait où,
Personne ne peut les suivre,
Ni ici, ni sur terre
Ou ailleurs, si elles se rassemblent ,
Ou reviennent,
Redistribuées à d’autres,
Si leur souffle se transmet,
Par les ondes,
Ou les racines,
Et sous d’autres formes.
Figures passagères,
Locataires des corps,
Rassasiés d’une vie,
Qui peut recommencer ,
Au sortir de la nuit.
–
RC – avril 2014
Inconstance, jongleuse de lune (RC)

peinture: Abraham Janssens:
Allégorie de l’inconstance vers 1617. — Madeleine renonçant aux richesses de ce monde, Palais des Beaux-Arts de Lille
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L’art, dans l’imaginaire, nous transporte toujours
Et même crée devant nos yeux l’image de la pensée
C’est un paradis, un enfer, ou , des âmes , la pesée
Les dieux en combat, les allégories et amours
Au pays de muses, j’aime voyager, en bonne fortune
Dans les peintures, d’espaces translucides
A sortir de son mouchoir, lapin, ou bien lune
Jouer avec les symboles, homard et autres arachnides
D’un espace noir, et peut-être sans atmosphère
Mais agité de courants, fréquenté par les bêtes de la nuit
Et mouvements, tordant les voilages, , qui prolifèrent
Tandis qu’en bas, sous l’oeil des déesses, les hommes s’enfuient.
C’est le caprice de ces dames, la fantaisie des dieux
Qui fait le pluie et le beau temps, et notre destin
Notre sort , notre vie se joue, pour ici, en d’autres lieux
La conduite de ces affaires, n’est pas pour nous, à portée de main.
RC 12 mai 2012
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