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Mokhtar El Amraoui – J’écris avec le râle de ma valise


photo Edw Steichen- Isadora Duncan à l’Erechteion Grèce 1920

J’écris avec le râle de ma valise
Remplie d’algues et de corail.
J’écris avec l’encre de mon ombre,
Affiche de mes nuits.
J’écris une langue comète
Aux rides assoiffées.
J’écris les nymphes
Caressant mes pieds d’étranger,
La spirale verte
De ma titubante amnésie.
J’écris avec les baves de l’éclair,
Cette déchirure du texte sans étoiles,
L’envol mousseux du triangle,
Le rat aux griffes de chat
Qui interroge les égouts,
Ruisseaux coulant des masques
De nos morts inavouées,
Peaux froides de cadavres froissés
Comme ces paquets de frileuses raisons
Que tu inocules à ton enfant, en toutes saisons
Comme ces chimères que tu caresses
Dans tes ronflements de cube tamisé,
Quand tes oreilles de cire
Fondent dans la cire noire
Des phonos de la peur,
Perte d’extension,
Tubes aux arômes de plastique
Puant dans la crème
De ce four ébouriffé
Où tu éjacules ta peur cravatée !
J’écris avec ce rat qui mâche des étoiles
Et téléphone aux muses
Avec ce croissant-gondole !
J’écris avec ses numéros épileptiques,
Ecumes rouges
Léchant la flamme du bateau
Qui ne reviendra plus !
J’écris, sans ancre,
Avec ma valise qui vole
Comme cette symphonie nerveuse des mouettes !
Poisson d’eau douce,
Sirote ta mort !
Le rat et moi,
Nous peignons,
Sur les écailles jaunes du trottoir,
Des transes d’éclairs
Trop chauds pour les gorges des fourmis !
Dors, mort inavouée !
Le rat et moi,
On a bu le poème !


Natasha Kanapé Fontaine – Réserve II


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peinture: T C Cannon

 

Ecoutez le monde
s’effondrer
ponts de béton
routes d’asphalte

Aho pour la joie
Aho pour l’amour

Surgit la femme
poings serrés
vers la lumière

Voici que migrent
les peuples sans terres
nous récrirons la guerre
fable unique

Qui peut gagner sur le mensonge
construire un empire de vainqueurs
et le croire sans limites

Ce qui empoisonne
ne méritera pas de vivre
ce qui blesse ne méritera pas le clan
cinq cents ans plus tard
sept générations après

Tous ces châssis pour barrer les routes
tous ces murs érigés entre les nations
tous ces bateaux d’esclaves
ces bourreaux n’auront eu raison de rien

Si j’étais ce pigeon qui vomit
sur les hommes de bronze
fausses idoles carnassiers ivres
se tâtant le pectoral gauche
avec la main droite
lavée par les colombes

Qui d’autre est capable
de provoquer l’amnésie
octroyer la carence
à ceux qu’il gouverne

Qui d’autre sait appeler union
ce qui est discorde
pour s’arracher le premier
pour s’arracher le meilleur
des confins de toutes les colonies
qui d’autre sait appeler croissance
ce qui est régression
construction
ce qui est destruction
les peuplades pillées à bon escient
au nom du roi et de la reine
au nom du peuple qui meurt de faim
à Paris
à Londres
à Rome
à New York
à Dubaï
à Los Angeles
à Dakar
au nom du peuple
qui se bâtit par douzaine
à Fort-de-France
à Port-au-Prince
à La Havane
à Caracas
à Santiago
à Buenos Aires

Aho pour la joie
Aho pour l’amour

Qui d’autre sait nommer le mensonge
pour le voiler

La ville persiste en moi
assise sur l’avenue des Charognards
je guette l’allégresse
la haine qui me pousse à hurler

Je guette le nom des ruelles
de la grande mer
qui laisse passer les pauvres
à l’abri des vautours

La guerre est en moi comme partout.

Pour  écouter les poèmes de NKF sur  lyrikline  rendez-vous ici…


Véronique Olmi – l’impossibilité de l’amnésie


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sculpture : idole cycladique

C’est pareil pour un amour. Un jour on ne connaît pas un homme. Et le lendemain, subitement, on le connaît.

Subitement, en une seconde on le voit et on apprend son prénom, on découvre son visage et après il est trop tard pour oublier cela que l’on nomme « faire connaissance » de quelqu’un.

« Défaire la connaissance » est impossible.

Et c’est là qu’elle prend toute sa place.                 La douleur.

Elle s’installe sans qu’on s’en doute, au premier regard, et simplement elle attend son tour, elle a l’habitude. Elle est toujours l’invitée de la dernière heure. La souffrance liée à l’impossibilité de l’amnésie, la souffrance, main géante qui vous tient et hésite. Vous asphyxier lentement ou vous broyer d’un seul geste.

 

ce passage  est extrait  du roman de Véronique Olmi :  » C’était mieux  quand  c’était toi « 


Amnésie volontaire ( RC )


 

jeu  moral à moins 0  gélule   fd vert

 

 

 

 

 

Si tu perds la mémoire,

Et que ton passé soit un trou noir,

Il y a                    des médicaments,

>             Pour réparer l’accident   ;

Et de plus,            en couleurs …

Tout le contenu du bonheur,

Est                   en gélules,

Et petites pilules,

 

On en a tout un stock

( C’est ce qu’a dit le doc )

Qui permettent de mieux aimer,

Quand on se sent paumé…

C’est par là,          c’est par ici…

(           Oh la jolie pharmacie !     ),

C’est quand même une belle   chose,

De voir la vie                         en rose ,

 

De franchir le mur du son,

Comme     les avions le font !

De sauter      par-dessus les toits,

En croyant toujours          en soi.

De garder son équilibre,

En                    croyant être libre …

…Bien sûr, toute chose a son prix,

Et aussi le paradis,

 

Qu’il soit artificiel,

Et             multiplie les ciels,

Pour perdre de vue,

Le lointain       des avenues.

Juste    un peu de monnaie,

Pour ce petit sachet,

Ne pas dépasser les doses,

Sauf          si tu te sens morose,

 

Cà, on ne sait jamais,

Mon petit poulet,

Le numéro d’équilibriste,

Je l’ajoute à la liste

Le grand saut                    dans l’espace,

Impair                            et puis passent   ,

Des bonbons comme   s’il en pleuvait,

Et                            du chocolat au lait,

 

C’est comme dans Candy Crush

Si tu as dans ta poche ,

Tout ce qu’il faut pour oublier,

L’esprit et les mains liées,

C’est quand même bien pratique …

Ne cède pas à la panique

Pour        retrouver ta mémoire,

>           Et celle du désespoir.

 

 

RC – avril 2014

 

 


On efface tout, et on recommence ( RC )


peinture :            Ludolf Bakhuizen :           bateaux en détresse           1667

Il y a le ressac, et toujours la mer
Qui se lance à l’assaut des îles
El le monde qui tangue,
Puis cède, des pans entiers  de falaises,

Et, à marcher, ce pas, et le suivant, puis un encore
Un temps, une heure, une  semaine, puis toute une vie
C’est aller plus loin, et peut-être errer
Dans nos heures minuscules,

Que les vagues basculent,
Comme  elles sont poussé les navires,
Vers les dangers des cotes,
Lorsque le serein cédait à la tempête.

A notre échelle, c’est un regard
Qui voyait la fureur, et les horizons se mélanger
Au delà des repères,       au delà des lignes
Qui marquent ces évènements marquants

Que l’on reporte consciencieusement dans les carnets
Pour témoigner, de tout ce qui fut,
Mais qui fuit
Comme  gouttes d’eau entraînées vers la pente.

Et se fondent , alors indiscernables – en ruisseau
Qui suit son cours, comme l’histoire la sienne
Au point  d’en perdre l’origine,
Comme une mémoire  d’amnésie.

L’histoire , la grande, – enfin celle que l’on croit –
N’existe pas, au regard des ères géologiques…
Les plateaux  se soulèvent sans fracas
Du moins,         on ne peut pas les entendre

Fleuves et rivières empruntent d’autres chemins,
Les profondeurs toussent lave et basaltes,
Avec pour seuls témoins, ceux dont la mémoire s’est éteinte
Et enfouie, tels fossiles, au creux de la pierre.

La mer s’est déplacée, a glissé plus loin
Quelques étages plus bas,…. – on dirait cette  expérience
Des vases communicants,            assaut de lenteurs…
Et toujours le ressac, se lançant à l’assaut des îles.

RC  26 août 2012