voir l'art autrement – en relation avec les textes

Articles tagués “amour

Photographie – (Susanne Derève) –


Robert Doisneau – Portraits de famille

.

Photographie qui était nous,

que je ranime d’un regard,

d’un regret,

du battement d’un cœur qui n’est pas chair,

sang, mais le nœud lancinant de l’amour.

.

Désormais perdus pour l’enfance,

voués aux éclatantes couleurs du monde

et du voyage, ils sont.

Ainsi, l’oiseleur rend l’oiselet au vent,

surpris de son aisance à gagner les couloirs

du ciel, et de la vigueur de ses ailes.

.

Ce temps passé fut nuée de jours heureux,

– cirrus, ouate, tendresse,

pluie bienfaisante des orages d’été –

Ce que nous avons consumé d’amour :

inépuisable mue de printemps, fruits rouges,

feux de Saint-Jean.

.

Nous reste la chaleur des voix, l’élan d’un corps

qui reconnaît les siens – baisers-

et l’absence palpable, pareille à ces formes de glaise 

qui prennent vie et puis s’effondrent, rebelles,

entre les doigts.   

  


Rabindranath Tagore – les yeux m’interrogent


photo – détail de fresque murale Malacca Malaisie

Tes yeux m’interrogent, tristes, cherchant à pénétrer ma pensée;
de même la lune voudrait connaître l’intérieur de l’océan.
J’ai mis à nu devant toi ma vie tout entière, sans en rien omettre ou dissimuler.
C’est pourquoi tu ne me connais pas.
 Si ma vie était une simple pierre colorée, je pourrais la briser en cent morceaux
 et t’en faire un collier que lu porterais autour du cou.
 Si elle était simple fleur, ronde, et petite, et parfumée, je pourrais l’arracher  de sa tige et la mettre sur tes cheveux.

Mais ce n’est qu’un cœur, bien-aimée.
 Où sont ses rives, où ses racines ?
Tu ignores les limites de ce royaume sur lequel tu règnes.
 Si ma vie n’était qu’un instant de plaisir, elle fleurirait en un tranquille sourire
que tu pourrais déchiffrer en un moment.

  Tes yeux m’interrogent, tristes, cherchant à pénétrer ma pensée;
  de même la lune voudrait connaître l’intérieur de l’océan.
  J’ai mis à nu devant toi ma vie tout entière, sans en rien omettre ou dissimuler.
  C’est pourquoi tu ne me connais pas.

  Si ma vie était une simple pierre colorée, je pourrais la briser en cent morceaux
  et t’en faire un collier que tu porterais autour du cou.
  Si elle était simple fleur, ronde, et petite, et parfumée, je pourrais l’arracher de sa tige et la mettre sur tes cheveux.

 Mais ma vie n’est qu’amour, bien-aimée.
 Mon plaisir et ma peine sont sans fin, ma pauvreté
 et ma richesse éternelles.
 Mon cœur est près de toi comme ta vie même,
  mais jamais tu ne pourras le connaître tout entier.


Sierra de Mulder – comme une fenêtre ouverte


One day you’ll learn

how to give and receive love

like an open window

and it will feel like summer

every day.

Sierra DeMulder receive love open window

Un jour tu apprendras

comment donner et recevoir  l’amour

comme une fenêtre ouverte

et cela sentira comme l’été

tous les jours.

Sierra DeMulder


Marceline Desbordes-Valmore – Le beau jour


J’eus en ma vie un si beau jour,
Qu’il éclaire encore mon âme.
Sur mes nuits il répand sa flamme ;
Il était tout brillant d’amour,
Ce jour plus beau qu’un autre jour ;
Partout, je lui donne un sourire,
Mêlé de joie et de langueur ;
C’est encor lui que je respire,
C’est l’air pur qui nourrit mon coeur.

Ah ! que je vis dans ses rayons,
Une image riante et claire ?
Qu’elle était faite pour me plaire !
Qu’elle apporta d’illusions,
Au milieu de ses doux rayons !
L’instinct, plus prompt que la pensée,
Me dit : « Le voilà ton vainqueur. »
Et la vive image empressée,
Passa de mes yeux à mon cœur.

Quand je l’emporte au fond des bois,
Hélas ! qu’elle m’y trouble encore :
Que je l’aime ! que je l’adore !
Comme elle fait trembler ma voix
Quand je l’emporte au fond des bois !
J’entends son nom, je vois ses charmes,
Dans l’eau qui roule avec lenteur ;
Et j’y laisse tomber les larmes,
Dont l’amour a baigné mon cœur.


Lien

Maurice Chappaz – bêtes sauvages


« Elle (la beauté) me saisit tellement quand je surprends les bêtes sauvages
– biches, cerfs, chamois ici même, qui traversent
avec un tel incognito les pentes, s’effacent toujours.
Elles ont un abîme devant les yeux
dès qu’elles nous aperçoivent et se sauvent.

Se sauvent, oui. Qu’est-ce qu’elles emportent ?
Un autre monde et la beauté introuvable
dont elles nous ont laissé l’impression par cette allure où s’est profilée la peur…
et une si inviolable indifférence.

Dès qu’elles s’apprivoisent, c’est fini.
Il leur manque le grand frisson du paradis antérieur.
Où on ne mourait pas car on ne savait pas qu’on mourrait. ..
Nous, c’est cette connaissance que nous leur apportons.
On a perdu le miracle de vivre, d’être toujours dans l’éternel.
Et ainsi la beauté, comme l’amour, est liée à la mort.

Et tout est lié à la mort nous masquant quelque chose qui a eu lieu avant elle.


Maurice Chappaz « de tout ce que je déteste » in  La pipe qui prie et fume ( mars 2009, ed. de la revue Conférence)


Charles Bukowski – le génie de la foule


Il y a assez de traîtrise, de haine, de violence,
d’absurdité dans l’être humain moyen
Pour approvisionner à tout moment n’importe quelle armée

Et les plus doués pour le meurtre sont ceux qui prêchent contre
Et les plus doués pour la haine sont ceux qui prêchent l’amour
Et les plus doués pour la guerre – finalement – sont ceux qui prêchent la paix

Ceux Qui Prêchent Dieu ont besoin de Dieu
Ceux Qui Prêchent La Paix n’ont pas la paix.
Ceux qui Prêchent l’amour n’ont pas l’amour.

Attention aux prêcheurs
attention a ceux qui savent.
Attention a ceux qui lisent toujours des livres.

Attention a ceux qui soit détestent la pauvreté soit sont fiers d’elle
Attention a ceux qui sont prompts a glorifier
Car Ils ont besoin d’Être Glorifiés en retour

Attention a ceux qui sont prompts a censurer:
Ils ont peur de ce qu’Ils ne connaissent pas

Attention a ceux qui recherchent la foule:
Ils ne sont rien seuls

Méfiez-vous de l’homme moyen, de la femme moyenne
méfiez-vous de leur amour
Leur amour est moyen,
recherche la médiocrité

Mais il y a du génie dans leur haine
Il y a assez de génie dans leur haine pour vous tuer,
pour tuer n’importe qui

Ne voulant pas de la solitude
Ne comprenant pas la solitude

Ils essaient de détruire
Tout ce qui diffère d’eux

Etant incapables de créer de l’art
Ils ne comprennent pas l’art

Ils ne voient dans leur échec en tant que créateurs
Qu’un échec du monde

Etant incapables d’aimer pleinement
Ils croient votre amour incomplet

Du coup, ils vous détestent
Et leur haine est parfaite

Comme un diamant qui brille
Comme un couteau
Comme une montagne
Comme un tigre
Comme la ciguë

Leur plus grand art.


Le canal Saint-Martin – ( Susanne Derève – René Chabrière)


Le canal Saint-Martin – Willy Ronis –

.

extrait de :  Le calendrier de l’avAnt et de l’Après (écritures communes ou en écho)


Nelly Sachs – champs de silence


Anselm Kiefer – peinture & collage de paille Nüremberg 1982

Ces champs de silence
impénétrables
Les prières doivent faire des détours
laissent déjà des traces
comme des pattes d’oiseaux
ancrées encore dans la chair
Néant néant
Le souffle savait encore quelque chose de I’amour
La mort habite trop près
Ici le monde dit : Que cela soit – Amen –


Pablo Neruda – Le potier –


Pablo Picasso ( céramique , étude pour pichet à tête de femme)
Ton corps entier possède
la coupe ou la douceur qui me sont destinées.

Quand je lève la main
je trouve en chaque endroit une colombe 
qui me cherchait,
comme si, mon amour, d'argile on t’avait faite 
pour mes mains de potier.

Tes genoux, tes seins
et tes hanches
me manquent comme au creux
d une terre assoiffée
d’où l’on a détaché
une forme,
et ensemble
nous sommes un tout comme l’est un fleuve 
ou comme le sable.


El alfarero

Todo tu cuerpo tiene 
copa o dulzura destinada a mí.

Cuando subo la mano 
encuentro en cada sitio una paloma 
que me buscaba, como
si te hubieran, amor, hecho de arcilla 
para mis propias manos de alfarero.

Tus rodillas, tus senos, 
tu cintura
faltan en mí como en el hueco
de una tierra sedienta
de la que desprendieron
una forma, 
y juntos
somos completos como un solo río, 
como una sola arena.



Vingt poèmes d’amour

et une chanson desespérée

nrf Poésie/Gallimard


Michèle Finck – Le dit de la cathédrale de Strasbourg –


František Kupka – Madame Kupka parmi les verticales
Quatrième vitrail
Labyrinthe
Qui n’a pas regardé
L’autre pleurer
Ne le connaît pas.

Aimer un être
Pour la façon
Unique
Qu’il a de pleurer.

Le reconnaître
À l’odeur
De ses larmes

Toucher les traces
Que tes larmes laissent
Sur mon visage.
Cartographie étrange
Dont nul n’a la clé.

Dans le labyrinthe
De tes larmes
Avancer
À tâtons :
Éblouie.

Tes larmes
Nous élèvent
Au-dessus
De la poussière.

Tu pleures je ferme les yeux
Pour t’écouter pleurer
À nos pieds la cathédrale
De grès rose
Lentement tournoie.

L’essentiel est invisible
Aux sans-larmes.

Visage contre visage
Savons-nous encore
Qui de nous deux pleure ?

Mes larmes
Coulent
De tes yeux.

Connaissance par les larmes, Arfuyen, 2017,

voir également : la pierre et le sel (actualité et histoire de la poésie)

.


Catherine Pozzi – Lotus


peinture Sharon Freeman

Sur le lac pâle inondé de lueurs,
Sur le lac triste où l’eau froide frissonne,
Bien loin des bords où le chant monotone
Des grillons noirs, égrène sa douceur,

Seul et divin, planant sur l’eau dormante,
Eblouissant, pur, et mystérieux,
Un lotus blanc, magique , radieux,
Etale au ciel brumeux sa splendeur languissante.

Tu t’ouvriras peut-être ainsi, une nuit sombre,
Ô Fleur de mon amour suprême et désolé !
Et tu endormiras mon coeur désespéré
Dans un rêve alangui de volupté et d’ombre.


Emily Dickinson – poème 566


Poème 566//

graph sur les murs d’Arles lors des rencontres photographiques

Son visage n’a que peu de Carmin
Sa Robe – manque d’Emeraude –
Ce qui la rend Belle – l’amour qui est en elle –
Et cet amour – rend visible – le mien


Caroline Dufour – Saturation


peinture RC

et l’arbre se tient béant
devant tant d’yeux
sur le vide
et tant de vide
à vendre

d’autant béant
qu’autour de lui,
la blanche tombe cristalline
comme une grande
chanson d’amour

des milliards de
diamants cosmiques
projetés
d’une bouche céleste
sur un monde

gorgé

mais que
sais-je, se dit-il,
de l’instable
peut-être, dans
sa parfaite élégance, sa
courbure patiente

· du site de Caroline D  » Si j’étais un arbre »


Antoine Jean-Baptiste Roger – Sonnet romantique


regard intense – oeuvre du musée de Prague

J’attends l’amour, le grand amour que ne déparent
Ni les doutes, ni les dégoûts, l’amour tardif
Dont le flux submerge le cœur, ce vieux récif,
L’amour, mer d’Orient suit la côte barbare !

Aussi pardonne-moi si ma bouche est avare,
Tu n’es pour moi qu’un rayon de soleil furtif.
Je rêve par-delà notre baiser passif
Un roman beau comme un poème… et m’y prépare.

Cependant si déçu, je ne le vivais pas,
Pour te frôler encore je hâterais le pas
Dans ce brouillard d’hiver où la lumière est jaune…

Et malgré cet orgueil qui me ronge en secret,
Ton sourire est si doux qu’il me consolerait…
…Dieux ! L’amour serait-il si triste comme une aumône ?

Antoine Jean-Baptiste Roger – ( plus connu sous le nom de Saint-Exupéry )


Rupi Kaur – celui qui viendra après toi


sculpture tôle découpée: Roland Roure

celui qui viendra après toi
me rappellera que l’amour doit
être doux
il aura le goût
de la poésie que je voudrais
écrire

extrait de « lait et miel »


Pablo Neruda – Aujourd’hui –


Henri Lebasque – (1865-1937) –

Nous sommes aujourd’hui : hier, doucement, a chu
entre des doigts de jour et des yeux de sommeil,
demain arrivera de sa verte démarche,
et nul n’arrêtera le fleuve de l’aurore.

Et nul n’arrêtera le fleuve de tes mains,
pas plus que de tes yeux le sommeil, bien-aimée,
tu es le tremblement des heures qui s’écoulent
de la lumière abrupte au soleil de ténèbres,

et sur toi c’est le ciel qui referme ses ailes
et il t’emporte et il t’apporte dans mes bras
ponctuel, avec sa courtoisie mystérieuse.

C’est pour cela que je chante au jour, à la lune,
à la mer et au temps, à toutes les planètes,
à tes mots de clarté, comme à ta chair nocturne.

*

.

Es hoy : todo el ayer se fue cayendo
entre dedos de luz y ojos de sueño,
mañana llegará con pasos verdes :
nadie detiene el río de la aurora.

Nadie detiene el río de tus manos,
los ojos de tu sueño, bienamada,
eres temblor del tiempo que transcurre
entre luz vertical y sol sombrío,

y el cielo cierra sobre ti sus alas
llevándote y trayéndote a mis brazos
con puntual, misteriosa cortesía :

por eso canto al día y a la luna,
al mar, al tiempo, a todos los planetas,
a tu voz diurna y a tu piel nocturna.

*

La centaine d’amour

nrf

Poésie Gallimard


P.P.Pasolini – De poésie, une vie était close


peinture – Geneviève Asse

« J’avais vingt ans, même pas –dix-huit,

dix-neuf…et déjà un siècle était passé

depuis que je vivais une vie entière

consumée à la douleur de penser

que je ne pourrais jamais donner mon amour,

sinon à ma main, ou à l’herbe des fossés,

au terreau d’une tombe sans surveillance…

Vingt ans et, avec son histoire humaine, avec son cycle

De poésie, une vie était close. »


Père, Mère – (Susanne Derève)


Maurice Denis – Malon et les hortensias (Musée des Beaux-Arts de Brest)
Père, mère, 
on vous abrite toute une vie,                                                                         
oiseau fragile nous portant d’un coup d’aile 
au-delà de nos rêves,
ou  talisman de pierre nous plombant de regrets 

Tes rêves, père, 
comme un livre entr’ouvert dans mon regard d’enfant, 
de jeunesse guerrière,d’eaux neuves,  
de poissons glorieux entre tes mains agiles                                 

Tes rêves, mère aux pantoufles de vair, 
façonnés de tendresse et de rires                                                         
d’étoles de velours et de tables dressées    

Dans vos sourires flottait la tranquille certitude                                                               
de l’amour,  
et je le cueille encore,orchidée sauvage  
dans les prairies fécondes du destin, 
je le dessine au-delà de la perte et de l’oubli
en  palimpseste du souvenir 
pour récrire l’histoire de vos vies, 
plus fervente et plus douce,telle qu’en vos rêves                                              
juvéniles avant la pluie, 

avant le naufrage de la mémoire,des paroles, 
des non-dits,
avant que le dernier train qui s’éloigne 
ne me laisse seule 
et dépourvue au bord du quai, 
serrant mon blanc mouchoir d’adieu,
Père, Mère aimés,
sans bien comprendre encore  
que je vous ai perdus



Jean-Pierre Siméon – L’avalanche des larmes (extrait)


Salvador Dali – Alice au Pays des Merveilles –

 

mais il y a le pas de ceux qu’on aime

dont on sent

exactement quel poids de souffrance pèse

dans le talon

il y a leur poitrine où nous allongeons

notre sommeil

qui se soulève comme les grandes feuilles

sous la brise

là où nous entendons l’oiseau

déchirer ses ailes

.

il y a notre amour qui est un rythme

entre la terre sa terreur et le ciel

car notre coeur est une branche

qui a soif

et qui cherche son fruit par le soleil

et par la pluie

cependant à mesure que la douceur du fruit

s’engendre

une mort transparente monte

dans la sève

.

l’amour serait le vide qu’une clarté

emplit

et l’emplissant terriblement

elle l’agrandit

qui ne sait que l’amour est vaste

et la solitude infinie ?

la poésie commence

où l’amour cogne au vide

là où tout manque se rue l’avalanche silencieuse

des larmes

.

elles ne sont pas ces larmes

larmes de paupière

et le poème n’est pas une élégie

d’eau et de sel

larmes pour elles sans doute

n’est qu’un nom de théâtre

elles sourdent en nous

d’une immortelle absence

comme ce rien pesant qu’exsudent les murs

dans la nuit

.

c’est en chérissant si fort

une main étrangère

et après la main la volonté qui la fait l’épousée

de l’âme

qu’on devient l’obligé malheureux

de la joie

une joie tourmentée chaque jour

à repousser sa mort

une joie au combat sous la ruée silencieuse

des larmes

 

Traité des sentiments contraires
CHEYNE Editeur 

Pierre Cressant – Incendies


la mémoire a incendié le passé ; table rase de ses terres sans lendemain ;

à découvert, sous les cendres, un présent pur et clair, horizon sans fin où brillent une à une mille et une joies anciennes ;

l’image de notre amour qui tremble encore.

voir d’autres textes de Pierre Cressant sur tumblr 


Nuno Judice – Libation tardive –


Barque de pêche sur la plage – Joaquin Sorolla

 

Libation tardive 

 

Je verse sur ma tête

l’or absurde des couchants.

Un pot de terre tombe de mes mains :

il se brise sur le sol de pierre.

 

Ton corps est un navire

qui rouille dans le port.

Cependant, je le pousse vers le large

et il prend le chemin du soleil.

 

La main qui dessine ne sait pas

où finit la page : derrière elle,

se soulèvent les collines, les arbres

agitent leurs frondaisons sous le vent,

un aigle reste immobile

plus longtemps que d’habitude.

 

Les lignes se croisent dans

les yeux. Je vois leur profondeur :

le bleu se confond avec le vert,

les cendres de l’âme teignent

d’automne l’amour.

 

J’entends le chant nocturne des pierres

tachées par le vol de ton désir 

Je  t’entends –  tu es loin, comme  si tu

me parlais entre les nuages et

les ombres.

 

Entre ce chant et tes paroles

tombe le silence qui annonce

les premières pluies

 

Anabase 

Je remonte le fleuve de ton corps sur une carte ancienne,
avec le papier qui se déchire et les inscriptions effacées
par les pluies de la nuit. Un navire de mots
m’emporte dans cette expédition ; et les rameurs
ont tu leur rythme monotone, en entendant
le battement de la coque dans les eaux profondes.

Jadis, j’ai rêvé d’un débarquement matinal
sur ces sables inaccessibles ; entendu les oiseaux
indiquer le chemin des montagnes ; su
que les nuages étaient à ma portée, comme
si la source n’était juste qu’un point abstrait
au centre de la page.

J’éloigne tes doigts, comme des algues, à la recherche
de poissons oubliés par l’hiver. Derrière eux,
un troupeau immergé suit les pas du berger
sous-marin : Neptune aveugle dont le trident se
confond aux racines fluviales. Je traverse les limites
du songe que tu m’offres : et je trouve le lac
stagnant de tes yeux ouverts
avec l’avidité des ténèbres.

 

 

LE MOUVEMENT  DU MONDE

Ed. Le Taillis Pré

Poèmes traduits du portugais par Michel Chandeigne

 


Courbes – (Susanne Derève) –


Salvador Dali – Lune et oiseau

 

 

Le mot aussi rond qu’une bouche

naquit pour dire l’amour,

et le premier son fut amour,

rondeur de la lèvre charnue,

œil limpide,

prunelle palpitante où chutaient tour à tour

la lune pleine,  le globe incandescent

du jour

Fille, fils , enfantement  

et l’œuf diaphane  de l’oiseau                                         

sur l’arête du monde  où le tenait ma main ,                                  

ombrageuse prunelle, qui taisait l’effusion                                  

des couleurs  au seuil clair du matin,

la courbe douce du fruit  sur la branche ,

sa pure circonférence

d’or et de feu – orange , chair étoilée  du pitaya  –                                                       

Le mot disait la joue charnue de l’ange

et le lait blanc des femmes , poitrines rondes ,

hanches grenues ,

disait tout ce qui fut  et  serait  

que j’ai tu

de peur de m’en saisir ou de le profaner                              

 L’aurai-je assez  vécu   pour le nommer ?

 

 

 


Nâzim Hikmet -Un étrange sentiment-


Vincent Van Gogh – Verger de pruniers à fleurs –

 

«Le prunier de Damas est en fleurs,

 

– C’est l’abricotier qui fleurit le premier

– le prunier de Damas le dernier –

 

Mon amour,

sur le gazon

agenouillons-nous

face à face.

L’air est clair et savoureux

– mais il ne fait pas encore très chaud –

l’écorce de l’amande

                verte et couverte de duvet

                               n’a pas encore durci…

Nous sommes heureux

parce que nous sommes encore en vie.

Nous serions morts depuis belle lurette

si tu te trouvais à Londres

et moi à Tobrouk ou sur un cargo anglais…

Mon amour,

pose tes mains sur tes genoux

– tes poignets sont épais et blancs

la paume gauche ouverte.

La lumière du soleil est dans ta paume

pareille à un abricot…

Parmi les morts de l’attaque aérienne d’hier

cent avaient moins de cinq ans,

et vingt-quatre tétaient encore…

 

Mon amour,

j’adore la couleur du grain de grenade

– grain de grenade, grain de lumière –

du melon j’aime le parfum de la prune l’aigre-doux…»

…..un jour de pluie

loin des fruits loin de toi

– pas un arbre fleuri

il est même possible qu’il neige –

dans la prison de Bursa

 

en proie à un étrange sentiment

et à une terrible colère,

ces vers, je les écris envers et contre tout

pour me narguer moi-même

et ceux que j’aime.

                                                                              7 février 1941

 

Nostalgie 

éditions Fata Morgana


Pentti Holappa – Sacrement


paysage rocailleux… probablement Israël

Le pain de chaque jour et l’amour
sont notre chagrin. Notre soleil
ne féconde pas l’asphalte de nos champs,
goulet carrossable. Facile est difficile,
l’éternel s’oublie vite.

Et l’amour: jouissance le premier jour,
douleur le second, au troisième la solitude.
Le regard d’un passant qui brûle l’âme
répète ceci: l’amour passe sur la route,
goulet carrossable.

Aussi longtemps que la sueur sera salée,
les larmes cuisantes,
la faim de notre
corps sera vraie chaque jour
et sa peine comme sa jouissance s’égareront,
dévorées par les mites, et souillées
par la rouille.


Thomas Vinau – Nos cheveux blanchiront avec nos yeux


photo et montage RC

Qu’est-ce que j’en fais moi de tout çà ?

Des fils de laine dans sa petite main. Des murmures
quand tu t’endors. De la chaleur sur les crépis.
Du givre blanc sur les pare-brise. Du brouillard qui
monte doucement. De la montagne de linge sale. Du trou
d’argent de la pleine lune. Du pigeon déchiqueté
par le chien. Du panache de l’écureuil. Des brindilles
fraîches dans mes mains. De trois roses jaunes
dans le jardin. De la prestance des bêtes dans les champs
glacés le matin. Des vignes oranges. Qu’est-ce que
j’en fais moi de tout çà ? Du miel qui colle sur la table.
De ta voix brisée par le froid. De ses mimiques quand
il s’endort. Des cheveux qui lui manquent derrière
la tête. Des grands projets de grands bonheurs.
Des petits rêves sur l’épaule. De l’avenue froide et trempée.
Qu’est-ce que j’en fais moi de tout çà ? De toute
cette boue, de tout cet or. De cette impression qui m’étreint
lorsque je me déshabille dans le couloir avant de vous
rejoindre dans le noir. De cette façon de marcher
sur la pointe des pieds. De mes gestes gauches.
De mon amour maladroit. De la roulette russe du temps.
De la fatigue et la colère. La joie béate et l’impuissance.
La peur de gâcher ou de perdre. Qu’est-ce que j’en fais
moi de tout çà ?


Gabriela Mistral – l’amour muet


trad Nicole Laurent-Catrice
( variante dans Biblioteca Premio Nobel, éd. Aruilar : Amor, Amor.)

montage RC

Si je te haïssais, je te jetterais ma haine dans des mots, ronde et sûre; mais je t’aime et mon amour ne se fie pas à ce parler des hommes, trop obscur.
Tu voudrais qu’il s’exprime en cri déchirant, mais il vient de si profond qu’il a, défaillant, répandu son flot brûlant bien avant la gorge, bien avant la poitrine.
Je suis comme un étang gorgé et tu me crois un jet d’eau inerte.
Tout cela à cause de mon silence tourmenté qui est plus atroce que d’entrer dans la mort !


Ainsi ne me touche pas. Je mentirais si je te disais que je te livre mon amour dans ces bras tendus, dans ma bouche, dans mon cou, et toi, croyant que tu l’as bu tout entier, tu t’abuserais comme un enfant aveugle.
Car mon amour n’est pas seulement cette gerbe rebelle et fatiguée de mon corps, qui tremble toute au frôlement du cilice et qui s’attarde dans son vol.
Il est ce qui est dans le baiser et ce n’est pas la lèvre; ce qui brise la voix, et ce n’est pas la poitrine; c’est un vent de Dieu qui passe en déchirant la branche de ma chair, immatériel!
.

El amor que calla


Leliana Stancu – berçeuse


Petrov-Vodkin, Kuzma détail de la peinture « l’alarme »

Mon enfant, mon ange,
C’est un rêve étrange,
Chaque soir quand je veille
Ton profond sommeil,
Quand le crépuscule
Emporte tous les jours
Vers d’autres soleils
Attendant l’éveil,
Signe que les Dieux
Avec leurs aveux
Embrassent d’autres mondes,
Et l’amour inonde
Tour à tour, les terres,
Même si celles d’hier,
Vivant en caresse,
Demain, ils les blessent…

Mon enfant, mon rêve,
Chaque jour qui s’achève,
Je murmure un doux
Chant, sur tes chères joues,
Comme une belle corolle
De merveille étole,
Tu m’entends, je sais,
Dans ton monde de fées,
Sans avoir l’orgueil
De donner conseils,
Que même dans ma vie
Je n’ai pas suivis,
Juste quelques légendes,
Ensuite je défends
Tes éternels rêves,
Mon enfant, ma sève…

Mon enfant déesse,
Reçois ma tendresse,
Un jour viendra
Quand on partira
Sur des terres de conte,
Sur des anodontes,
Dans des lointains,
Au-delà des humains,
Quand les beaux voyages
Finiront d’ancrage,
Mais je te promets
Ma bienfaisante fée,
Que tu ne perdras
A jamais mes bras,
Tu vivras toujours
L’infini amour…

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