Guy Goffette – Premier rendez-vous avec la lumière
Il aime cette attente et ce geste de verser l’eau bouillante,
tandis que l’eau du temps coule sur les toits où seuls encore,
tels des cris de coqs, percent les cous rouges des cheminées.
Le café passe lentement, noir comme un coup de poing :
la nuit est morte.
Pierre, qu’il soit ou non amoureux, se lève tôt.
De peur de manquer ce premier rendez-vous avec la lumière, quand l’œil,
encore mal débarbouillé des songes,
n’est qu’un œuf sous la paille des cils.
Ted Hughes – la rêveuse
photographe non identifié
–
J’ai vu
La rêveuse en elle qui était tombée
amoureuse de moi et elle ne le savait pas.
A ce moment le rêveur en moi
est tombé amoureux d’ elle, et je le savais.
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I saw ‘
The dreamer in her
Had fallen in love with me
and she did not know it.
That moment the dreamer in me
Fell in love with her, and I knew it.
Ted Hughes
Tristan Klingsor – La flûte ,cette jolie bergère à paniers
La flûte est cette jolie bergère à paniers,
qui s’avance par un pas de menuet
et lance de sa petite voix fine un:
air impertinent
Aussitôt le cor, en soupirant langoureux et docile,
reprend la phrase charmante
et la répète
ainsi qu’un perroquet apprivoisé.
Mais le basson, ce vieillard comique
à perruque poudrée, toussote,
et à son tour commence un compliment
embrouillé en faisant des révérences
de droite et de gauche.
Alors se met de la partie,
comme un docteur bavard
habitué surtout à jouer de la seringue
dans des derrières rosés et joufflus,
le trombone aux éclats grossiers et bruyants.
Et cependant, le fifre, petit arlequin coquet,
prend à ton bras la jolie bergère émue,
et tous deux se content fleurette
sur une rapide suite de tierces,
s’enfuient en laissant là
les trois amoureux bernés
qui se chamaillent furieusement,
jusqu’à ce que le cymbalier réveillé
leur envoie brusquement ses casseroles à la tête,
pour rétablir enfin le silence troublé.
Tristan Klingsor
Dylan Thomas – Et la mort n’aura pas d’empire
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peinture: Mark Rothko
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Les morts nus feront foule
- Avec l’homme dans le vent et la lune rousse ;
- Quand leurs os blanchiront et leurs os blancs partiront,
- Ils auront des étoiles au coude et au pied ;
- Même s’ils sont fous, ils seront sains d’esprit,
- Même s’ils sont perdus en mer, ils reviendront ;
- Les amoureux seront égarés mais l’amour restera;
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Sous les rouleaux de la mer
- Ils demeureront à l’abri de la tourmente ;
- Torturés pour que lâchent leurs nerfs,
- Attachés à une roue, ils ne cèderont pas ;
- La foi en leurs mains éclatera,
- Et les diables cornus les piétineront ;
- Écartelés de toute éternité, ils ne céderont pas ;
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Et la mort n’aura pas d’empire.
- Plus aucun cri de mouette à leurs oreilles
- Ou le déferlement des vagues sur les rivages ;
- Où la fleur s’épanouit peut-être qu’aucune fleur
- Ne lèvera son front aux coups de la pluie ;
- Bien qu’ils soient fous et raides comme des clous,
- Leurs têtes laboureront les champs de marguerites ;
- Brisés par le soleil jusqu’à ce que le soleil se brise,
- Et la mort n’aura pas d’empire.
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