Robert Ganzo – Orénoque (extraits)

Jean Fautrier – Paysage
Orénoque, fleuve qui roule
parfums et clameurs, à travers
des paradis et des enfers,
avec ton nom de femme soûle
et tes couleurs de mascarade,
mais pur encore, et loin de vous,
Indes, théâtre pour les fous,
Europe triste, Orient fade !
Déversoir scintillant des Andes
pour le chaotique troupeau
des monts qui, blessés sous leur peau,
saignent en toi comme des viandes.
Mais quand la nuit souffle tes bords,
un éventail glisse, s’allume,
soudain se ferme et c’est alors
la mort sous des baisers de plume.
***
Je ne sais pas jusqu’où je plonge
et ne sais plus où tu finis
lorsque le chaud sommeil allonge
nos corps étroitement unis.
Tu t’éloignes vers quelle rive,
oiseau que je retiens encor,
et qu’un envol étrange rive
à moi, vivant et déjà mort ?
La nuit organise ton rêve,
où de grands arbres tout vidés
dressent leur tronc, sans chair ni sève,
comme des squelettes fardés.
Dans l’ombre, autour de nous, sans doute,
flotte le vampire géant,
tandis que sur ta peau j’écoute
ton cœur me sauver du néant.

Jean Fautrier – Planche pour Orénoque