Je me déclare vaincu. Les années qu’il me reste Je les vivrai dans un sourd malaise. Chaque matin J’effeuillerai une rose – la même – Et avec une encre évanescente, j’écrirai un vers Décadent et nostalgique à chaque pétale. Je vous lègue mon ombre pour testament : C’est ce que j’ai de plus durable et solide, Et les quatre bouts de monde sans angoisse Que j’invente chaque jour avec le regard. Quand je mourrai, creusez un trou profond Et enterrez-moi debout, face au midi, Que le soleil, en sortant, allume le fond de mes yeux. Ainsi les gens en me voyant exclameront: – Regardez, un mort au regard vivant.
Ecoute-moi, simplement
sans cesser tes gestes quotidiens : écrire une lettre, faire chauffer la soupe, mettre le couvert, que sais-je
l’eau qui coule les bruits ne me gêneront pas : le tintement des cuillers, le froissement bleu des flammes du gaz, l’eau qui coule du robinet, et
même si tu ne comprends pas tout, si tu oublies de m’écouter, tant pis, tu seras là, encore un peu
je saurai qu’il me suffit presque de tendre la main pour sentir ta chaleur.
Mais les mots me suffisent l’espace de ta présence que je sens, même si je ne te vois pas avec la nuit
tout ce qui fait cet instant si différent des autres malgré l’angoisse – ou peut-être à cause d’elle transparence noire où brillerait chaque éclat de la vie
Laisse-moi m’approcher un peu plus, avec ces mots que je cherche
de longues heures nous séparent du matin. Traversons-les ensemble
Un peu de concentré d’amour
pour aromatiser votre vie ?
eh bien, je ne dis pas non ; la chicorée, voyez-vous,
c’est délicieux mais son usage reste limité…
cependant, je désirerais en choisir le parfum !
Rien de plus facile : consultez votre cœur
puis traduisez-m’en le vœu, car vous savez,
je ne suis que vendeur !..
…D’une part, outre-océan d’une autre :
coloré à l’angoisse (it’s my favorite flavour !)
Parfait, cela vous sera livré au début de la semaine prochaine,
accompagné d’un mode d’emploi
dont vous devrez respecter les dosages sévères
et la consigne stricte.
Je suis morte il y a deux jours.
Je rentre à la maison je suis seul et je l’attends l’attente est généralement ce qui m’angoisse le plus elle est avec un ami elle s’amuse elle ne me trompera jamais c’est elle qui me l’a dit elle m’a abandonné ça y est je suis habitué à sa présence, drogue sans effets secondaires ou si peu les êtres défilent les choses défilent et le soir je la retrouve elle m’aime
On retrouvera des lettres entre les draps, dans une armoire normande au bois vermoulu. Dans la chambre où la poussière a figé le temps, on traversera en quelques pas des années de silence. Contre le mur, calé par des livres de papier jaune, le grand bahut nous craquera sa vérité enfouie. Il faudra de la patience pour ouvrir l’armoire à la serrure grippée. On insistera. La clef en laiton fera des tours perdus à l’angoisse de la découverte. Les battants finiront par céder dans un frémissement. Sur les étagères, des piles de linge viendront sous nos yeux disperser les lunes, dévoiler des années d’intimité au jour neuf.
On retrouvera des lettres entre les draps de lin pliés au carré. Avant le brin sec de lavande, le flacon d’huile essentielle de cèdre, un reste d’odeur humaine. Des lettres oubliées dans les plis du passé, à l’abri du regard de l’autre. Cet autre à qui on a caché les mots. Sur les enveloppes, on admirera la calligraphie, les hautes jambes des lettrines, les vieux timbres et les dates évoquées feront passer le siècle pour une respiration.
Voila le choeur des réjouissances, où tout bascule, d’une autre planète. – Elle frôlerait celle-ci, et c’est un échange des mondes, celle où l’attraction aurait raison du poids des péchés.
Les hommes attirés comme des mouches, engluées sur leur spirale collante. Et de petits monstres – un rien préhistoriques – comme nés d’entre les roches, enfantés par l’imaginaire débridé, s’en donnent à coeur joie, échangent les corps blafards, dans une folle farandole.
C’est sans doute la ration quotidienne, les sortant de l’ennui, – la grande roue, que l’on aperçoit, ne suffirait-elle pas ? – de quoi aiguiser l’appétit, et quelques canines, – mais jamais rassasiés – leurs petits yeux stupides, tout à leur tâche, éternellement recommencée : ( quelles nouveautés nous sont donc données, avec les derniers damnés ? )
C’est un parc d’attractions . On viendrait presque, muni d’un ticket, y réserver une place, pour se faire une frayeur, comme en empruntant le train fantôme, se faire balayer le visage, avec des toiles d’araignées : – Il y en a bien qui réservent des places, pour fréquenter sans risque, les geôles communistes… bientôt quelque camp de concentration, pour le touriste de l’histoire , spécialement aménagé.
Indispensables : uniforme et matraque, pour » consommer » quelques émotions fortes . On demanderait presque, si c’était possible : – « aux vrais « à ceux qui n’en sont pas revenus , de participer à une reconstitution, Télé-réalité oblige : la cote de l’angoisse et du frisson monte avec l’audimat .
Autour des reins te cambre, essaie d’amplifier les angles mais tu sens bien que quelque chose se perd, se dérègle.
Tes cheveux retombent en pluie sur ses épaules, tu aimerais rester là, à respirer son odeur, mélange de craie, de sécrétions poivrées comme des fougères humides.
Tu aimerais vraiment rester là. Pour ancrer, arrimer quelque part, ici plutôt qu’ailleurs, ce qui s’échappe imperceptiblement mais un peu plus chaque jour.
La pesanteur, le poids des choses sur toi et en toi. Pourtant l’ovale de ton sein droit dans sa main gauche te paraît lourd, tout comme le reste du corps, n’oublie pas que tu as cessé de fumer.
Tu manquais d’oxygène, ne supportais plus cette odeur de tabac froid et puis ce flou, cette poussière de cendres grises et morbides qui asphyxiait ta peau.
Il disait tu verras, tu retrouveras des sensations qui elles-mêmes vont se décupler mais tu ne remarques rien de particulier, si ce n’est que depuis quelques jours, dehors, dans la rue, tu sembles flotter, à peine effleurer la surface du sol.
L’impression est curieuse, il y a là quelque chose d’agréable, d’euphorisant par brèves bouffées, mais de vertigineux aussi, à la limite de l’angoisse. Un appel d’air qui se tient juste au bord du gouffre. Besoin de temps pour t’ajuster sans doute, retrouver le sens de la marche et du rythme. Tu trouves que les hommes te regardent moins, en fait les hommes, les femmes, les enfants, même le chat se désintéresse.
Tu imagines que tu disparais progressivement, que bientôt on ne te verra pratiquement plus, qu’il y a une perte de contact. Bien sûr c’est une image mais elle te saisit violemment à la gorge, te coupe un moment le souffle. Te vient l’envie de faire de grands signes, d’agiter les mains pour voir si tu peux revenir dans la scène comme ça, d’un claquement de doigts.
Puis aussitôt tu prends conscience que c’est toi qui a abandonné la première, toi qui a laissé tomber et traversé la vie sans réellement y prendre part. On te parle, on te touche mais ça glisse et tu décroches vite.
Les émotions sont tièdes, le coeur bat de manière trop régulière, tu donnes plus ou moins le change mais refuses de participer à ce qui pour toi, de manière invisible mais globalement efficace, se noie.
Tes proches l’ont-ils seulement remarqué, tu ne penses pas, d’ailleurs ça n’a pas vraiment d’importance.
Combien de temps pourras-tu tenir et résister ainsi. Combien de temps disposes-tu encore avant d’allumer des feux là où la nuit ne cesse de grignoter le jour, avant d’opposer le désir, le vivant à cette colère qui enfle et brûle. Soudain ta langue me désarme et nos bouches s’abreuvent du sel de mes larmes.
Le rêve se lève souvent et marche sur ma tête comme un elfe,
un tout petit elfe qui me dérange mais m’amuse aussi.
Combien de rêves ai-je faits ! J’y ai vu quelquefois une lueur magique, il s’agissait parfois de rêves lourds comme des pierres posées dans le centre du cœur.
Moi ces rêves je les ai tous acceptés : les formes me plaisent, qu’elles viennent ou non de l’inconscient.
Si elles venaient de l’inconscient, j’en recherchais l’origine.
Il s’agissait de toute façon de rêves magnifiques, pleins de couleurs, de rêves qui disaient “allez lève-toi ! la vie est belle ; elle est comme nous l’enseigne la nature, elle est toujours au-delà de l’angoisse”.
Et alors je m’asseyais sur mon lit et les rêves disparaissaient et l’air pur du matin entrait et mon corps devenait une merveilleuse statue, la statue d’un guerrier prêt à combattre et à se battre pour sa propre journée.
et complété sur le thème du masque, par cet écrit de James Sacré:
Même à l’occasion des grands défilés fêtards Organisés tenus selon que c’est prévu, Bâle ou Rio, Nice et partout, tenus mais Quand même à des moments, ça s’en va comme à côté: Un fifre et deux tambours tournent Le coin de la rue (Tant pis t’auras pas ta photo!) ou fifre tout seul Avec son costume et sa façon têtue D’avancer dans la ville jusqu’à où on se demande, et ça sera Qu’un retour à sa maison, le masque ôté, plus rien. Si la fête au loin continue?
Si les felos traversent par le poème, page 13, ed.Jacques Brémond, 2012
« Il ne disait mot
Il approchait solitaire d’un corps qui interrogeait
Ignorant que le désir est une interrogation
Dont la réponse n’existe pas,
Une feuille dont la branche n’existe pas,
Un monde dont le ciel n’existe pas.
L’angoisse se fraye un passage entre les os
Remonte par les veines
Et vient éclore dans la peau,
Jaillissement de rêves faits chair
Interrogeant à nouveau les nuages.
Un frôlement qui passe,
Un regard fugace entre les ombres,
Suffisent pour que le corps s’ouvre en deux
Avide de recevoir en lui-même
Un autre corps qui rêve ;
Demi et demi, songe et songe, chair et chair,
Egales en forme, en amour, en désir.
Même si ce n’est qu’un espoir
Car le désir est une question dont nul ne sait la réponse. »
Une étoile dans mes mains grandes ouvertes
Un regard une étincelle une joie
Des millions d’années-lumière et une seconde
Comme si le temps était aboli
et que le monde entier se gonflait de silence
L’inconnu s’illuminait d’un seul coup
et cette lueur annonçait l’aurore
Tout était promis et clair et vrai
Un autre jour une autre nuit et l’aube
et que le monde était à portée de mes mains
Ne pas oublier ces angoisses ces vertiges
en écoutant ce qu’annonçait l’étoile
et en retrouvant ce chemin de feu
qui conduisait vers l’avenir et l’espoir
et vers ce que nul ni moi n’attendait plus
Que les nuages lourds comme le destin
s’étalent et menacent comme des monstres
et que l’horizon noir soit noir comme l’enfer
L’étoile brille pour moi seul
et tout devient lumière et clarté
Étoile qui me guide vers cet univers
où règnent la vérité et l’absolu.
Je ne me souviens pas d’un matin aussi obscur.
La brume est très dense
et pénètre glaciale parmi nous
dans l’atelier avec l’angoisse
de quelque oiseau qui crie en vain
aujourd’hui.
La voix de mes camarades ;
La voix la plus belle et la plus forte de l’âme
résonne vide
lointaine
comme la joie, la couleur de l’air.
Ferruccio BRUGNARO
Traduit de l’italien par Béatrice GAUDY
C’était quand même un peu disparaître
derrière quelque chose
derrière le mur physique des paroles
non pas une disparition — une déperdition
mot à mot lettre à lettre et tout le langage
dispersé dans ma tête
où je voulais j’espérais que la compréhension
naisse identique à l’amour
Fête de mai ni feuille ni théâtre
l’ombre noyée de mon angoisse
et la très haute lumière des chambres
froissée dans ce point de rêve endolori
d’où je m’éveillais enfant dans la coupure terrible
et noire d’un point diurne forcené d’irréalité
Que n’ai-je à espérer jour après jour
que la lente amère balancelle d’un présage
Ô signe physique d’un langage
des rythmes sacrilèges
une vitalité presque malade
Des portes un soir ou un matin
quand toute la douleur fêlée
des signes de dissociation
vanne un cri d’appel au creux du monde
du proche et du lointain qui souffrent encore
Ma terre de vision mes rêves de douleur
jamais nous ne sommes semblables
Déjà la masse noire confuse des corps auprès du lac
et l’ironie tragique des arbres sous la pluie
J’ai souffert te servir
j’ai ouvert des portes sans te trouver
je chérissais un principe d’espérance
je me suis retrouvé comme j’étais
triste, imbécile, marchant les deux pieds devant
ne voyant même pas l’âme d’un Dieu frôler mes yeux
Avril ne m’a compté que la cruelle étude apatride
et je n’ai pas vu le vent simple derrière l’ordre
ébloui du monde — Sans oracle
Je me suis mal protégé de ces roses mystérieuses
et fatidiques de l’aurore
qui élèvent en moi leur sentence
comme des temples ou des strophes puériles de la mort..
Patrick Laupin, extrait de La rumeur libre (Corps et âmes), Paroles d’Aube, 1993
F Venaille est un écrivain aux ambiances sombres, ( il est l’auteur entre autres du « bal du rat Mort »
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J’ai souffrance beaucoup,de cœur surtout
J’ai, très fort en moi, angoisse d’être vivant : j’ai !
Chaque naissance m’est blessure et la mienne gît
Quelque part dans une ville qui m’apparaît plus morte
Encore que ce rat dans l’égout – lui, au moins, n’atten-
Dant rien, n’espérant rien – (mais en est-on sûr ?) de
La vie. J’en ai grand angoisse ! J’ai angoisse de cela.
Il reste l’écriture, avec ses soldats, ses hommes par Mil-
Liers : nos libérateurs. Ressentent-ils eux-mêmes cet-
Te sensation ? Être des mots, blessés, qu’angoisse ronge !
–
Jean-Luc Parent, dont j’ai accompagné ce texte par une de ses créations, est aussi auteur et poète..
Enfants de la cupidité, héritiers du pillage,
ils touchent à la fin de leur voyage ‘.
c’est surprenant qu’ils y touchent sans s’étonner,
comme s’ils étaient eux-mêmes devenus
cette terre brûlée et profanée,
le buffle abattu, les tribus massacrées,
à l’infini la plaine vierge gorgée de sang,
la famine, le silence, le regard des enfants,
le meurtre maquillé en délivrance, aguichant
l’oeil démocratique,
et bouches de la vérité et de l’angoisse bâillonnée
l’ivresse du viol dans le parfum du magnolia,
le fruit de leurs entrailles haché menu,
hé ! fils et neveux noirauds, nièces cuivrées,
et la noire queue de Tom tranchée
pour froufrouter sous la crinoline,
pour pendre, le plus lourd des bijoux de famille,
entre les seins crayeux et rosés
de la femme du Grand Homme,
ou pour être cousue a la ceinture
de la chienne créole ou de la. nièce tel
un bout de satin noir et brillant,
lorgnant, lorgnant comme l’unique ceil de Dieu .’
l’espèce brûle de recréer un temps
où nous étions capables de reconnaître un crime.
Stagger Lee, ce mauvais garçon emblématique qui travaille souterrainement toute la culture noire américaine.
Noir, obsédé sexuel, violent, arrogant, hors-la-loi, Iceberg Slim/Stagger Lee incarne tout ce que la grande culture noire de l’époque exhibe, avec une fierté ostentatoire, en une sorte d’antipropagande militante : d’Iceberg Slim à Miles Davis, de Sly Stone à Ishmael Reed, tous les grands artistes noirs de cette époque sont les bâtards flamboyants du satanique Stagger Lee. Leur art violemment expressif, subversivement ironique, dénude et transcende tout ce que la société américaine ne veut pas voir : l’image inversée de ses valeurs son portrait dans la glace, réel et terriblement fascinant.
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A re-penser au moment où on s’interroge sur les causes du génocide au Rwanda…