Anna Jouy – Parfois le monde me plait

photo RC – Finistère
Parfois le monde me plait. Je n’éprouve que la vibration. Ma tête bourdonne doux.
Elle a sa plage de liberté, elle pense ailleurs
Nomade, vacancière
Le sable est meilleur au soleil
Ma maison est vide, déserte
Les fantômes se baignent à la mer
Les domestiques de l’hiver
Ont fait leurs bagages
Ils ont pris des passeports de nuages
Alors la maison évidée de ses bruits,
Suit aux fenêtres les traces de la lumière
Essuyant les colliers des moucherons
Sous le son immobile d’aujourd’hui
Anna Jouy – Je n’oublie pas

Je n’oublie pas. Pourquoi le ferais-je. Le souvenir est le petit oratoire de la mélancolie.
J’entasse le passé, les fanes d’hiers bien secs. Une odeur de soleil en fleur
Et parfois glisse sur l’image du jour, ce voile qui tombe sur les berceaux.
Je n’oublie pas comme on a bâti ma robe de mots, comme il a fallu y faire entrer le corps et l’âme engoncée.
Je n’oublie pas non plus la nudité des mains, le frêle tirage des rêves dans les cartes du futur. Tout ce qu’on a dit que j’allais devenir. Le pire, l’ordinaire et la sorcellerie.
Je suis sortie de vos dires et de vos mutismes, je suis issue de ces chemins ronceux qui jalonnaient vos vies, de vos bras implorant misère, de votre dernière larme.
J’ai traversé chacune de vos paroles, je les ai décousues de ma chair
parfois terribles parfois maudites et celles que vous avez prononcées de lumière comme une lampe torche remise en mes doigts pour poursuivre.
Je n’oublie pas que c’est des autres souffles que j’ai volé et que ce vent toujours fut l’ombre transparente de ma ligne de vie.
Anna Jouy – Notre premier lit sera une nuit de pluie

Notre premier lit sera une nuit de pluie. Ta main et la mienne larmes semblables. Je goûterai ce que font les rivières aux corps de sable. Je profiterai des vertus de l’eau pour envahir ton monde, là où la main ignore, là où le nez, la langue et les cheveux ne savent rien. Je t’engloutirai, du secret de ton sexe à la tempe sourde. Il faudra. Tu ne sauras rien de ce baptême, je serai transparente, liquide averse. Tu ne sentiras qu’un frisson, le froid délicieux qui embrasse l’être et le pousse à chercher des épousailles.
Un corps à l’épreuve – ( RC )
Montage perso 2016
Il y a quelque chose du désert,
là où tout s’arrête,
et même la mer,
coupée en deux,
se dresse, immobilisée.
Passé par le chas des ténèbres,
le corps reste extérieur,
une paroi invisible se tend
entre les espaces ;
Je n’arrive pas à les franchir .
Est-ce un astre noir,
qui absorbe la nuit entière,
et la défait ?
Le monde s’est échoué
à portée de main .
Mais c’est encore trop loin :
mes bras ont beau s’étendre ,
ils ne touchent rien.
Comme la parole dite : elle
se fige sur place, même avec un porte-voix .
–
RC – juin 2017
incitation: une création d’ Anna Jouy
Anna Jouy – J’écoute le point du jour
montage perso – 2014
je me suis couchée dans le bleu , je me lève aux oranges. ma jupe est rayée d’avions mon corsage est nu, il y a un coeur qui s’y lave
la nuit est un sucre à la fonte, la mienne fait des gouttes d’oiseaux. il faut une fenêtre pour avancer et tu fabriques de si belles trouées
tu délivres les gens de ma sorte, tu m’affranchis
c’est l’heure de laisser couler les mites du rêve
j’écoute le point du jour comme un doigt au milieu du thorax
c’est de lui que je m’habille, comme un ongle qui saigne et me désigne.
Anna Jouy – Prendre le cahier dans le sens de la largeur….
Prendre le cahier dans le sens de la largeur. Prendre le large. Évaser. S’évader par les marges. Glisser dans les coulisses de la page. Repousser les bords pour qu’ils dévoilent plus de blancheur pour la nuit, plus de drap propre pour l’amour, plus de crâne pour la mémoire, plus de pâleur pour l’émoi.
Faucher mon building. Le laisser s’étendre, s’étaler, s’empétaler comme une odalisque sur le flanc, le divan freudien de ma cosse de fesses.
Prendre une coudée supplémentaire de lignes. Au moins 4 mots de plus à chaque fois, ça me fait un rab de papelard et une fuite vaste dans les makimonos de ma pensée.
Dérouler une coudée de poème et d’une grande paire de ciseaux trancher au mètre courant le texte, à l’endroit même où je veux que s’arrêtent mes horizons. J’abats le totem du carnet et le voici dolmen sur trois cachous de nuit.
–
Anna Jouy – Journal sous étreinte 13

art: Ben Vautier; J’ai des trous de mémoire 1985
–
rendez-vous devant le miroir. me rappelle plus qui je suis. comme un trou de mémoire. et devant personne. période amnésique, comme j’ai eu ma glacière, mes réchauffements de climat… une strate de sables de plus sur le tumulus.
il y avait quelqu’un là dessous? une enfant peut-être ou alors une vieille âme, que sais-je? on m’annonce des temps très solitaires. faire un diamant dans le cercueil, chier de la nacre autour des blessures, sceller d’ambre la mouche charognarde. tout cela demande de pratiquer la reptation intense, l’enroulement en coquille, le ratatinement quoi.
c’est pour cela sans doute que mes facultés mnésiques se font la malle. et que percevant cette image dans la glace, je me demande inquiète d’où viennent ou reviennent ces traits ?
la souffrance appartient à d’autres. ils la vivent. moi je me dépouille de mes sens, je les jette par- dessus bord ou les concasse jusqu’à l’obtention du caillou. me reste juste l’esprit. comme une manivelle qui tourne. tu penses trop.
Anna Jouy – Lève-toi
–
Un texte issu de l’abondant site d‘Anna Jouy, de sa section « prosaïque« –
( une écriture très originale)
—-
la nuit vient de finir au siphon, je l’ai vue tournoyer comme un doigt dans l’eau, dans le sens du temps.
une lune de chrome, visière passoire, brillante, électrique, minuscule lampadaire sur les chutes de mon bain
la nuit silencieuse qui s’en va avec la clochette du chat encenser la lumière, à la fraîche
et moi dedans, corps et rêves à retenir ses fanes.
…cette aube toujours entre nous
la nuit des filles au nombril de diam’s et le reste en deuil
la nuit dont on dit tant de biens et panse tant de maux
composition de mystères, ses potions, ses homélies
la nuit qui voile la terre pour mieux ouvrir le ciel
lever la tête, tendre vers ses étoiles
oh! oui la nuit des femmes, quand tout traîne à la semelle de jour en jour
…c’est bien l’aube
je change de bain et revêts l’étole esclave des messes journalières .
—