Discrète à ses côtés – ( RC )
photo Loïe Fuller – 1921
C’est elle qui suit notre personnage.
Elle en a les gestes, mais pas la consistance,
elle est attachée aux pas,
fidèle et obstinée
s’adapte aux circonstances, se déforme à loisir.
Rien ne peut la soumettre, si ce n’est
l’extinction des lumières.
Elle demeure anonyme, et n’a pas d’autre nom
qu’ombre.
Discrète elle demeure à ses côtés,
jamais elle ne prend d’initiatives.
Est-ce un personnage secondaire,
qui s’en détachera, lorsque la vie
brusquement, le quittera ,
comme on mouche une chandelle… ?
Garous Abdolmalekian – Anonyme

L’abandon des cuirasses – ( RC )
Des décombres et poutres fumantes,
les restes des samouraïs
que l’on voit après la bataille
et, contre toute attente
perdus au milieu de champs magnétiques .
Le masque de quelqu’un a occupé la place,
et se cache derrière leur face
– un sourire énigmatique – .
De quelle espèce, de quelle famille … ?
une trace que l’existence imprime,
le regard indécis de l’anonyme,
comme dans la roche, un fossile .
Ainsi, des tenues de protection
les mineurs au corps absent …
Il en reste l’habit pesant,
devenu, au musée, pièce à conviction .
L’activité est suspendue ,
faute de rentabilité ;
les mines ont périclité,
des fantômes d’ouvriers, semblables à des pendus .
Des êtres vidés de leur substance
ont abandonné leurs cuirasses :
le passé est voué à la casse ,
à mesure que l’on avance….
–
RC – juin 2017
- cet écrit a rapport à un précédent » musée de la mine »… qui évoque celui de St Etienne.
Anonyme ( RC )
peinture: oeuvre de Peter Philipps 1963
–
Anonyme –
L’anonyme se confond avec les murs
Une brume flottante envahit la scène
Tout est opaque, les sons de portent pas
A plus de cinq mètres, et les tentatives
de distinguer , du brouillard, au-delà du rideau
Se heurtent à un voile dense et ouaté
C’est l’instant où la lumière est bue
Où, même la cloche de Big-Ben est « tue »
Où se tourne le film de toutes les terreurs
Et qui peut surgir alors ? C’est Jack the Ripper…
Je suis un anonyme, que rien ne distingue
Dans la foule, je suis gris,
et porte peut-être , un parapluie
Je suis en kaki, au milieu de la soldatesque
Matricule numéroté, élément casqué
Se fondant dans la masse, je suis l’automate
Sans sentiments, lisse et hors de l’ âge
Pas besoin de tenue de camouflage
Sans aucun avis, et rien ne dépasse
Je suis mon destin, celui de ma race
Ne maîtrisant rien, – et l’avenir m’embrasse
Flottant dans un fleuve, des petits points, des faces
Ne choisissant pas , la courbe , les trajectoires
Au p’tit bonheur la chance, et gardez bon espoir
De revoir un jour, un peu de lumière
Devenir quelqu’un , sortir de l’hier
–
RC – 24-mai -2012
–
Comme dans un tableau d’Edward Hopper ( RC )
–
Des chaises en plastique blanches, aux pieds chromés,
Banquettes rouges plaquées le long du mur,
Lumières froides suspendues
Et un personnage à table, lisant le journal
Caché en partie par un pilier de béton
Enveloppé malgré lui, du décor anonyme
Au bar de l’aéroport, … – comme dans un tableau
D’Edward Hopper
RC – 22 décembre 2012
–
Mohammed Fatha – Je m’en vais la tête haute
Je m’en vais la tête haute
Absorber la misère
Moi l’ami des exilés
Mes dessins animés
Pour maintes évasions
Millénaires
Les regards assassinés
La veille des morts
A toi l’honneur
Monsieur l’Ermite
Dépuceler la sagesse
Les pistes dépeuplées
Nos vierges se complaisent
Dans les couleurs nocturnes
Nos sentiers n’ont jamais été
Impasses
Jamais indiscrets
De minables camarades
Les caravanes anonymes
Les poisons qui se crispent
En dehors des malaises
A long terme l’Exil
Tant de cimetières
Déjà au feu des croisades
AILLEURS
Offre-moi des strapontins
Je suis l’Exil
Et j’ai honte
Car j’ai vécu
Le désarroi des douars
L’enterrement des mille et une nuits
La chasse aux kasbahs
A plat-ventre
Dans mon pays
Il y a des régions oubliées
Dans les bas-fonds des mémoires
Ecartelés sans musique
Sans lecture
Des coupoles de thé
Vert. Non des fraîcheurs
Comme a dit l’Autre
Toute la ville a souffert
De lagunes par toi
Et les miettes à fond noir
Les tombeaux tuberculeux
A même le sol. Hélas
Le ciel pour une fois
S’est effondré dans ma coupe
Je suis sec
Car c’est moi ce prisonnier
Des fantômes à venir
Et non cet homme nu
Là-bas
Qui se cramponne à la foudre
Qui ne sait que pleuvoir
Sur la mer
Une pluie mordue de châtaignes
Et de figues sèches
Moi l’ami des Exilés
Millénaires
Parmi tous ces regards
Assassinés
La veille des morts
J’ai maintes fois dépassé
Les abreuvoirs à tortures
Et je viens vous offrir
Maintenant
Mon cadavre
Non ma pitié
Jamais inerte
Une charogne dérobée
A l’heure sacrilège
Voici les vautours.
–
Nabokov, —- la chambre ( 1950)
Grâce au blog de schabrieres ( beauty will save the world ), je me fais l’écho d’un beau texte de V Nabokov
Vladimir Nabokov – La chambre (The Room, 1950)
La chambre que prit un poète
mourant, un soir, dans un hôtel mort
figurait dans les deux annuaires:
celui du Ciel, celui de Perséphone.
Elle avait un miroir, une chaise,
et une fenêtre et un lit,
ses côtes laissaient entrer l’ombre
où la pluie luisait et saignait une enseigne.
Ni larmes, ni terreurs, un mélange
d’anonymat et de malédiction,
elle paraissait, cette chambre,
être l’imitation d’une chambre.
Chaque fois que, subliminale,
une auto déchirait la nuit,
aux murs, au plafond tournoyait
tout un squelette de lumière.
Peu après la chambre m’échut.
Bagnard rayé, cherchant la lampe,
sur le mur je trouvai ce vers:
« Je meurs sans amour, solitaire, anonyme »
au crayon au-dessus du lit.
On eût dit une citation.
Etait-ce une femme affolée de lecture,
Ou un gros homme au cheveu rare?
J’interrogeai l’aimable bonne noire.
J’interrogeai le capitaine et ses marins.
J’interrogeai le gardien de nuit. Obstiné,
j’interrogeai un ivrogne. Nul ne savait.
Peut-être, ayant trouvé l’interrupteur
avait-il vu le tableau sur le mur
et maudit l’éruption rougeoyante
se voulant « érables en automne »?
Dans le meilleur style artistique
de Winston Churchill à son faîte,
ils avancaient en double file
de Glen Lake à Restricted Rest.
Mon texte est peut-être incomplet.
Pour finir, la mort d’un poète,
c’est de la technique: un rejet
parfait, une chute harmonieuse.
Une vie s’était brisée là,
dans le noir, et la chambre était comme
un thorax de fantôme, avec un coeur
mal aimé, anonyme, mais point solitaire.
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