De gros traits noirs au feutre gras – ( RC )

Voyage au bord de l’écriture,
barre ce qui ne convient pas
au déroulement de l’histoire
de gros traits noirs
au feutre gras !
Exerce ton droit à la censure
tu répandras d’autres taches
héritées d’un autre âge
( quand la parole fâche ) :
C’est juste du maquillage,
une action anodine
qui s’exerce sans recours :
tu changes le discours
en paroles anonymes
( personne ne t’accusera d’un crime,
ne te traînera devant les tribunaux,
pour avoir coupé tant de mots )….!
à partir de « panique » ( poème express n°842 de Lucien Suel )
Aucune conclusion – ( RC )
Je ne tire aucune conclusion,
des lendemains qui s’annoncent .
Ils ont le côté gris des réveils après la cuite.
J’ai du mal à rassembler quelques idées,
à déceler le vrai du faux
dans ce qui passe à la radio .
Il y a un horizon bouché
par des barres d’immeubles .
Le corps semble peser plusieurs tonnes:
J’ai du mal à le rendre concret .
La matière s’oppose à moi, inerte
comme le grand réfrigérateur blanc
qui me barre la route .
Il va falloir que je le contourne .
Je pense à tous ceux
qui ont pris des chemins de traverse ,
les parfaits anonymes
convoqués à heure fixe au bureau
( et ceux qui ont sauté par la fenêtre … )
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RC – juin 2018
L’échappatoire – ( RC )
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Comment peser de son regard,
Au long des trottoirs d’une ville,
Que je ne reconnais pas.
Les vieux faubourgs nivelés,
Les rues formatées,
Le béton s’est démultiplié.
Des immeubles anonymes,
Se succédant sans trève,
Et des voitures blanches,
Comme une succession d’ossements,
Déposés là, blanchis au soleil blafard
Sur le bord de rues grises
Au ciel rayé de fils tendus,
De panneaux de signalisation,
Et de publicités clignotantes.
Parfois l’espace incongru,
D’un nouveau chantier,
Et le ballet de grues jaunes
Il y aurait aux palissades,
Des fentes de lumière entre les planches,
Des affiches à moitié décollées,
Et sur le mur d’en face
Un tag jouant avec les mots,
Accrochant la pensée
….Une échappatoire
Vers un ailleurs possible
Ouvrant des perspectives
Autres que celles des avenues,
Rectilignes et sans âme,
Où même les arbres ne semblent pas à leur place.
Je remplacerai ton désespoir,
Par un sourire dessiné sur le ciment,
Ou par un dessin d’enfant.
–
RC- février 2014
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Luis Cernuda – Cimetière dans la ville

photo: H Cartier-Bresson, 1934 – Mexique
Derrière la grille ouverte entre les murs,
la terre noire sans arbres, sans une herbe,
les bancs de bois où vers le soir
s’assoient quelques vieillards silencieux.
Autour sont les maisons, pas loin quelques boutiques,
des rues où jouent les enfants, et les trains
passent tout près des tombes. C’est un quartier pauvre.
Comme des raccommodages aux façades grises,
le linge humide de pluie pend aux fenêtres.
Les inscriptions sont déjà effacées
sur les dalles aux morts d’il y a deux siècles,
sans amis pour les oublier, aux morts
clandestins. Mais quand le soleil paraît,
car le soleil brille quelques jours vers le mois de juin,
dans leur trou les vieux os le sentent, peut-être.
Pas une feuille, pas un oiseau. La pierre seulement. La terre.
L’enfer est-il ainsi. La douleur y est sans oubli,
dans le bruit, la misère, le froid interminable et sans espoir.
Ici n’existe pas le sommeil silencieux
de la mort, car la vie encore
poursuit son commerce sous la nuit immobile.
Quand l’ombre descend du ciel nuageux
et que la fumée des usines s’apaise
en poussière grise, du bistrot sortent des voix,
puis un train qui passe
agite de longs échos tel un bronze en colère.
Ce n’est pas encore le jugement, morts anonymes.
Dormez en paix, dormez si vous le pouvez.
Peut-être Dieu lui-même vous a-t-il oubliés.
Tras la reja abierta entre los muros,
La tierra negra sin árboles ni hierba,
Con bancos de madera donde allá a la tarde
Se sientan silenciosos unos viejos.
En torno están las casas, cerca hay tiendas,
Calles por las que juegan niños, y los trenes
Pasan al lado de las tumbas. Es un barrio pobre.
Tal remiendosde las fachadas grises,
Cuelgan en las ventanas trapos húmedos de lluvia.
Borradas están ya las inscripciones
De las losas con muertos de dos siglos,
Sin amigos que les olviden, muertos
Clandestinos. Mas cuando el sol despierta,
Porque el sol brilla algunos dias hacia junio,
En lo hondo algo deben sentir los huesos viejos.
Ni una hoja ni un pájaro. La piedra nada más. La tierra.
Es el infierno así ? Hay dolor sin olvido,
Con ruido y miseria, frío largo y sin esperanza.
Aquí no existe el sueño silencioso
De la muerte, que todavia la vida
Se agita entre estas tumbas, como una prostituta
Prosigue su negocio bajo la noche inmóvil.
Cuando la sombra cae desde el cielo nublado
Y del humo de las fábricas se aquieta,
En polvo gris, vienen de la taberna voces,
Y luego un tren que pasa
Agita largos ecos como un bronce iracundo.
No es el juicio aún, muertos anónimos.
Sosegaos, dormid ; dormid si es que podéis.
Acaso Dios también se olvida de vosotros.
Luis Cernuda, La Réalité et le Désir (La Realidad y el Deseo)
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Le visage d’un autre ( RC )
Un autre visage vous regarde
C’est le sien, et c’est un autre
Un regard s’égare
Il erre sur un monde
Qu’il ne reconnaît pas,
Vaguement le souvenir de gens connus
Sous un autre nom,
Un autre masque,
Qui a prêté son visage.
Comme il pourrait le faire par centaines
A ceux qui n’en ont pas,
Des séries d’anonymes
Défileraient ainsi
Et leurs masques semblables
Aux regards qui s’égarent,
Des faces et pensées semblables;
ou peut-être parallèles,
Comme ils marchent, clones
Avec celles de l’autre
Ayant vendu ses pensées
Avec son image
C’est sa tête et c’est une autre
Reproduite en centaines
Ces visages, qui nous regardent
Ce sont les autres,
Qui vous prennent pour un autre
D’où l’homme s’en enfoui
Dans un passé commun.
RC – 30 octobre 2012
A partir du film japonais de Toshigahara « Tanin no kao » ( le visage d’un autre) – 1966
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photo: image tirée du film
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