Le temps languit, étiré en toute liberté, croit-on…
Il n’y a pas de barreaux à nos fenêtres, le cœur profane de la ville est encore vide et la pensée ne s’encombre plus d’une pluie battante
les voix du monde se sont arrêtées sur une muraille de verre car même l’orage est confiné derrière une grande barrière :
il ne reste plus qu’à compter les jours, détacher les brins de laine pris dans la peine et les barbelés de nos chemins.
Eux s’en vont bien quelque part, retrouver les sommets, les cheveux des fougères : ( peut-être qu’ailleurs coulent les rivières,
comme se rassemblent les larmes d’une multitude de ruisseaux à la suite d’un crime métaphorique ) emportant avec lui l’espoir et les désirs avec le temps.
Le temps est toujours innocent. Il ne connaît pas l’enfermement, les murs de l’appartement. Puisque tu es immobilisé… tu peux toujours sortir de ta tanière par la voie de l’imaginaire…
Les rois ne touchent pas aux portes. Ils ne connaissent pas ce bonheur : pousser devant soi avec douceur ou rudesse l’un de ces grands panneaux familiers, se retourner vers lui pour le remettre en place, — tenir dans ses bras une porte. … Le bonheur d’empoigner au ventre par son nœud de porcelaine l’un de ces hauts obstacles d’une pièce ; ce corps à corps rapide par lequel un instant la marche retenue, l’œil s’ouvre et le corps tout entier s’accommode à son nouvel appartement. D’une main amicale il la retient encore, avant de la repousser décidément et s’enclore, — ce dont le déclic du ressort puissant mais bien huilé agréablement l’assure.
Francis PONGE « Le Parti-pris des Choses > (Gallimard, 1942)