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Chevalet triste – ( RC )


peinture: Alice Rotival – Chinghetti 2012

 

C’est cet endroit
suspendu dans le temps
qui semble se refermer dans le sommeil ,
où la poussière se dépose
lentement
et finit par tout recouvrir .

L’atelier est désert
depuis la mort du peintre.

Il y a encore des tubes
aux couleurs incertaines .
Ils voisinent une palette éteinte,
quelques pinceaux raides,
et une ébauche qui attend depuis longtemps
sur ce chevalet triste .

Les odeurs de térébenthine
ne sont qu’un lointain soupir .

Vernis fossilisés,
essences évaporées,
tout est déserté ,
sauf les toiles d’araignées
ayant occulté complètement
les fenêtres de l’atelier .

Le deuil se pare d’un voile épais,
juste propice à l’attente .

Le silence même
est à l’image de ces insectes ,
desséché,        vide de sa substance
prisonnier de l’immobilité .
Le sommeil de la peinture
aux gestes arrêtés, voué à l’éternité .


RC- juin 2019

 

voir aussi  une parmi les nombreuses  aquarelles de David Chauvin


Sirènes de Syrie – ( RC )


https://i0.wp.com/i.imgur.com/RqfVNwZ.jpgpeinture  S Dali

 

Plantés au sommet du toit
des oiseaux noirs
figés dans la cendre
interrogent les limites d’un monde
où le ciel manque aux  disparus

La télé bégaie
des programmes identiques,
que personne ne regarde plus,
et la belle  saison ne fleurit plus :
mutante, en   couleurs acides,
sur-saturées.
Les girafes sont  en feu,
coincées sur l’horizon,
encombré de flocons noirs,
du cri des sirènes métalliques.

Ce ne sont pas celles
qui charmaient les marins de l’Odyssée.
Ou bien la traversée du temps
a transformé la légende
en autant de paroles vénéneuses.

Malgré l’odeur persistante du chlore,
des araignées voraces
étirent leur toile,
et se nourrissent des corps brûlés
abandonnés dans les rues.


RC –  avr 2017


Ismaël Kadare – L’Antenne


L’ANTENNE (fragment)

120517 (350)r

Quand vient la nuit
Vous dormez, dormez.
Tandis que moi je veille
Sur le toit incliné.
Les courants d’air m’assaillent de tous les côtés,
La pluie souvent me trempe,
Parfois les vents me fouettent.

Je suis comme un bâton dressé vers les cieux,
Un morceau de fer,
Rien qu’un morceau de fer.
Mais chacun de mes millimètres
Connaît plus de langues
Que tous les linguistes,
Vivants ou morts.

Chacun de mes millimètres qui capte les émissions
Comprend à la musique
Plus que tous les musiciens.
Chacune de mes particules
Sait plus de nouvelles
Que n’en savent ensemble
Les reporters et les politiciens.

Je les saisis toutes
Je les récolte toutes
Moi,
Le bâton dressé haut dans le ciel.
Les speakers s’adressent à moi des quatre horizons.
Les uns parlent,
D’autres crient,
D’autres encore hurlent.
Au milieu d’orchestres et de bises hivernales

De la chronique du monde
J’entends la trompette.
Et moi je sais le langage des ondes
Le parler gris des horizons sans fin.
La lettre latine, la cyrillique, les hiéroglyphes
Descendent comme des araignées
Sur mon corps.

A travers mon corps elles passent
Toutes, toutes :
Les victoires des peuples,
Les manoeuvres des diplomates
Et, comme des griffes de tigres, les clauses des traités
Pour notre Albanie,
Calomnie, calomnie, calomnie.

 

Ismail KADARE in « La nouvelle poésie albanaise »         (P.-J. Oswald)

I Kadare  est  surtout connu pour  son oeuvre romancière…  mais  on peut  découvrir certaines  créations poétiques   sur le site  de Guess Who…


C’était une mazurka – ( RC )


photo NF

Je me souviens de la musique
Et ta tête penchée sur le clavier.

Les mains ont déserté les touches d’ivoire,
Elles se sont ternies au voyage des ans.

Les cordes fatiguées, sont une harpe
Assourdie de toiles d’araignées.

Les mélodies que tu jouais,
Ne renvoient plus de reflet

Elles sont été mangées,
Par l’ombre du piano noir.

Juste, le concert des étoiles,
Me chante encore tout bas,

Leurs volutes et les arabesques,
Naissant sous tes doigts.

Je me souviens de la musique
Et ta tête, penchée , au-dessus de moi …

RC – sept 2014


Esther Nirina – Parle du pays où il pleut des pierres de topaze


peinture:        Joan Miro. Constellation

 

 

 

Parle du pays
Où il pleut
Des pierres de topaze
Rosées suspendues
Sur toile d’araignée

La distance
N’est plus.

Le pont
Se situe

Entre révolte
Et la barque de prières

Il est temps
De tendre l’ouïe
Aux confidences
De la conscience
Sans s’écarter jamais
De l’œil locomotive
Qui glisse
Dans la nuit du sentier souterrain
Par où

La solitude n’est
Que terre liquide
Qui amasse la mémoire
Du futur

Poème tiré de la partie « De l’obscurité au soleil » du recueil Lente spirale d’Esther Nirina ( auteur Malgache)

 


Témoins discrets et obstinés ( RC )


objets abandonnés:           photo  images  d’Yci

Restés en patience dans les greniers,
Soustraits  au jour, et aux regards
Et tissés de toiles  d’araignées
Et qu’on retrouve un jour, par hasard.

Les objets désuets stockés dans un coin
Gardent quelque part un message,
De leur  voix venue de loin,
Leurs formes étranges, dont on ne sait plus l’usage.

Manches en bois et parties  en fer,
Et l’éclat rouge des cuivres
Ce dont nous parlent les livres,
L’encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

Les cabinets  de curiosité
Les outils anciens  du musée
Dont nous portons l’hérédité
A l’époque  des fusées.

Le passé n’est pas  éliminé
En traversant l’histoire
Les  témoins discrets, se sont obstinés
En nous le donnant à voir

Et portent  tout leur sens
Attendant que la mémoire nous revienne
Lorsque nous sommes  en présence
Des époques  anciennes…

Tout ce qu’on trouve enfoui
Au fond de nos tiroirs,
Petit à petit recouvert, du voile de l’oubli,
reste cependant en mémoire.

En dehors de la nôtre, pour agir ainsi
Elle voyage  au-delà de l’absence,
Ou plutôt reste déposée, dans le lit de l’ici,
Lorsque la vie accumule, ses sédiments denses

Si lentement, qu’on n’a pas l’esprit d’y penser,
Cachant peu à peu , ce qui fait sa magie
En strates  compactes  et compressées,
Révélées par les sondages d’archéologie .

Je  retrouve les traces,
De ce qui est resté tel quel
Et qui patientent,  tenaces
Attendant  l’action de la pelle…

Sous le manteau de la terre
On a caché ce qui fâche
Tout ce qui fallait taire
Que  soigneusement, on cache

Sous le côté lisse
Et les parterres  de fleurs
L’enquête têtue, peut trouver indices
Des drames et mal-heurts.

Sous les tombes muettes ,
Traces  révélées  de  l’ADN
Ou bien , dans les éprouvettes
A remonter le temps qui s’égrène.

 

 

RC  – 17 février 2013


François Corvol – Parfois il entre dans la maison


photo Beatrice Helg,      rencontres  photographiques  d’ Arles   2006

 

 

Parfois il entre dans la maison

Parfois il entre dans la maison, je l’entends
dans les combles gratter le bois déplacer les grains
est-ce un mulot un loir une pensée je vois
les araignées tisser les toiles pour le retenir
le chat lever un œil, la chambre se tiédir je l’entends
parfois cet air habité ce vent venu de loin
des calottes polaires des bouches inconnues
il veut faire partie de la demeure, il veut le couvert
la chaise le versant, il investit les lieux
puis repus retourne d’où il est venu, nous laissant
démunis les bras nus

 

 

 

 

29 février 2012