Car c’est ta voix que j’ai reconnue – ( RC )

Dessin Victor Brauner
Le temps se dénoue
quand s’élance
le chant de l’oiseau .
Il m’est revenu,
chante pour moi
une mélodie neuve
qui , pourtant ,
ne m’est pas inconnue ;
c’est par ta voix
dans un arbre lointain
que s’effacent les doutes
pour la clarté la plus sereine.
Cet arbre est en moi
il étire ses branches
jusqu’à peut-être
te frôler.
Alors point n’aurai chagrin,
de ton corps disparu,
car c’est ta voix
que j’ai reconnue.
( variation » réponse » sur le poème 4 de 1854 d’Emily Dickinson )
Antonio Gamoneda – Cecilia

Tu dors sous la peau de ta mère et ses rêves pénètrent dans tes rêves. Vous allez vous éveiller dans la même confusion lumineuse.
Tu ne sais pas encore qui tu es ; tu demeures indécise entre ta mère et un frémissement vivant….
…Entre en ta mère et ouvre en elle tes paupières,
entre doucement dans son cœur ;
Redeviens fruit dans le silence.
Soyez comme un arbre qui enveloppe la palpitation des oiseaux
et il s’incline, et en descendent le parfum et l’ombre….
plusieurs textes de cet auteur sont visibles, en traduction française sur le blog d’Ahmed Bengriche
La petite robe rose – (Susanne Derève) –

Brest, Siam, et le pavé nu à présent, souviens-toi, comme on suivait les rails du tram par tous les temps, nos pas mêlés, épaule contre épaule, toi et ta moue boudeuse, le tintement des rames, les passants frileux qui se pressaient sans un regard pour les fontaines vides de Marta Pan et les devantures mornes. Soudain, ton visage s'éclairait pour une petite robe rose nichée dans un coin de vitrine qui t’allait comme un gant, et te faisait au retour un sourire triomphant de madone. * C'était toujours « scènes de la vie ordinaire » : ta chambre, le soleil à flots par la fenêtre, et sur le mur les ombres serpentines du feuillage le grand corps vivant de l'érable sous le vent ses frondaisons légères On tutoyait le ciel, et toi, dans ta robe d'un rose à faire pâlir les roses du jardin, ta moue boudeuse encore, tournant obstinément le dos à la lumière.
Váno Krueger – témoin de trop d’ombres
pour Paulina Lavrova

montage RC
le champagne et les cerises je comprends
mais pourquoi y a-t-il un candélabre dans ta chambre ?
ce témoin de trop d’ombres déjà…
les flammes des bougies sont ongles sur les doigts—
hommes ardents dans les yeux
.
un zèbre dans la nuit c’est les rayons du soleil qui se lovent
rayures noir sur blanc
un zèbre le jour est l’obscurité de la nuit qui se love
rayures de soleil sur fond noir
.
Je me souviens
du cerisier au verger des Hetman
qu’un ami et moi dépouillions
il a été abattu
mais
l’arbre de celui qui a pris l’écorce pour sa peau
pousse toujours vert
trad. Marilyne Bertoncini
Váno Krueger est un poète ukrainien, – ce texte est issu du site » jeudi des mots »
Paul Eluard – Air vif

J’ai regardé devant moi
Dans la foule je t’ai vue
Parmi les blés je t’ai vue
Sous un arbre je t’ai vue
Au bout de tous mes voyages
Au fond de tous mes tourments
Au tournant de tous les rires
Sortant de l’eau et du feu
L’été l’hiver je t’ai vue
Dans ma maison je t’ai vue
Entre mes bras je t’ai vue
Dans mes rêves je t’ai vue
Je ne te quitterai plus.
Caroline Dufour – Saturation

et l’arbre se tient béant
devant tant d’yeux
sur le vide
et tant de vide
à vendre
d’autant béant
qu’autour de lui,
la blanche tombe cristalline
comme une grande
chanson d’amour
des milliards de
diamants cosmiques
projetés
d’une bouche céleste
sur un monde
gorgé
mais que
sais-je, se dit-il,
de l’instable
peut-être, dans
sa parfaite élégance, sa
courbure patiente
Octavio Paz – l’amphore brisée

Le regard intérieur se déploie, un monde de vertige et de flamme
naît sous le front qui rêve :
soleils bleus, tourbillons verts, pics de lumière
qui ouvrent des astres comme des grenades,
solitaire tournesol, œil d’or tournoyant
au centre d’une esplanade calcinée,
forêts de cristal et de son, forêts d’échos et de réponses et d’ondes,
dialogues de transparences,
vent, galop d’eau entre les murs interminables
d’une gorge de jais,
cheval, comète, fusée pointée sur le cœur de la nuit,
plumes, jets d’eau,
plumes, soudaine éclosion de torches, voiles, ailes,
invasion de blancheur,
oiseaux des îles chantant sous le front qui songe !
J’ai ouvert les yeux, je les ai levés au ciel et j’ai vu
comment la nuit se couvrait d’étoiles.
Iles vives, bracelets d’îles flamboyantes, pierres ardentes respirantes,
grappes de pierres vives, combien de fontaines,
combien de clartés, de chevelures sur une épaule obscure,
combien de fleuves là-haut, et ce lointain crépitement de l’eau
sur le feu de la lumière sur l’ombre.
Harpes, jardins de harpes.
Mais à mon côté, personne.
La plaine, seule : cactus, avocatiers,
pierres énormes éclatant au soleil.
Le grillon ne chantait pas,
il régnait une vague odeur de chaux et de semences brûlées,
les rues des villages étaient ruisseaux à sec,
L’ air se serait pulvérisé si quelqu’un avait crié : « Qui vive ! ».
Coteaux pelés, volcan froid, pierre et halètement sous tant de splendeur,
sécheresse, saveur de poussière,
rumeur de pieds nus dans la poussière, et au milieu de la plaine,
comme un jet d’eau pétrifié, l’arbre piru.
Dis-moi, sécheresse, dis-moi, terre brûlée, terre d’ossements moulus,
dis-moi, lune d’agonie, n’y a-t-il pas d’eau,
seulement du sang, seulement de la poussière,
seulement des foulées de pieds nus sur les épines
seulement des guenilles, un repas d’insectes et la torpeur à midi
sous le soleil impie d’un cacique d’or ?
Pas de hennissements de chevaux sur les rives du fleuve,
entre les grandes pierres rondes et luisantes,
dans l’eau dormante, sous la verte lumière des feuilles
et les cris des hommes et des femmes qui se baignent à l’aube ?
Le dieu-maïs, le dieu-fleur, le dieu-eau, le dieu-sang, la Vierge,
ont-ils fui, sont-ils morts, amphores brisées au bord de la source tarie ?
Voici la rage verte et froide et sa queue de lames et de verre taillé,
voici le chien et son hurlement de galeux, l’agave taciturne,
le nopal et le candélabre dressés, voici la fleur qui saigne et fait saigner,
la fleur, inexorable et tranchante géométrie, délicat instrument de torture,
voici la nuit aux dents longues, au regard effilé,
l’invisible silex de la nuit écorchante,
écoute s’entre-choquer les dents,
écoute s’entre-broyer les os,
le fémur frapper le tambour de peau humaine,
le talon rageur frapper le tambour du cœur,
le soleil délirant frapper le tam-tam des tympans,
voici la poussière qui se lève comme un roi fauve
et tout se disloque et tangue dans la solitude et s’écroule
comme un arbre déraciné, comme une tour qui s’éboule,
voici l’homme qui tombe et se relève et mange de la poussière et se traîne,
l’insecte humain qui perfore la pierre et perfore les siècles et ronge la lumière
voici la pierre brisée, l’homme brisé, la lumière brisée.
Ouvrir ou fermer les yeux, peu importe ?
Châteaux intérieurs qu’incendie la pensée pour qu’un autre plus pur se dresse, flamme fulgurante,
semence de l’image qui croît telle un arbre et fait éclater le crâne,
parole en quête de lèvres,
sur l’antique source humaine tombèrent de grandes pierres,
des siècles de pierres, des années de dalles, des minutes d’épaisseurs sur la source humaine.
Dis-moi, sécheresse, pierre polie par le temps sans dents, par la faim sans dents,
poussière moulue par les dents des siècles, par des siècles de faims,
dis-moi, amphore brisée dans la poussière, dis-moi,
la lumière surgit-elle en frottant un os contre un os, un homme contre un homme, une faim contre une faim,
jusqu’à ce que jaillisse l’étincelle, le cri, la parole,
jusqu’à ce que sourde l’eau et croisse l’arbre aux larges feuilles turquoise ?
Il faut dormir les yeux ouverts, il faut rêver avec les mains,
nous rêvons de vivants rêves de fleuve cherchant sa voie, des rêves de soleil rêvant ses mondes,
il faut rêver à haute voix, chanter jusqu’à ce que le chant prenne racine, tronc, feuillage, oiseaux, astres,
chanter jusqu’à ce que le songe engendre et fasse jaillir de notre flanc l’épine rouge de la résurrection,
Veau de la femme, la source où boire, se regarder, se reconnaître et se reconquérir,
la source qui nous parle seule à seule dans la nuit, nous appelle par notre nom, nous donne conscience d’homme,
la source des paroles pour dire moi, toi, lui, nous, sous le grand arbre, vivante statue de la pluie,
pour dire les beaux pronoms et nous reconnaître et être fidèles à nos noms,
il faut rêver au-delà, vers la source, il faut ramer des siècles en arrière,
au-delà de l’enfance, au-delà du commencement, au-delà du baptême,
abattre les parois entre l’homme et l’homme, rassembler ce qui fut séparé,
la vie et la mort ne sont pas deux mondes, nous sommes une seule tige à deux fleurs jumelles,
il faut déterrer la parole perdue, rêver vers l’intérieur et vers l’extérieur,
déchiffrer le tatouage de la nuit, regarder midi
face à face et lui arracher son masque,
se baigner dans la lumière solaire, manger des fruits nocturnes,
déchiffrer l’écriture de l’astre et celle du fleuve,
se souvenir de ce que disent le sang et la mer,
la terre et le corps, revenir au point de départ,
ni dedans, ni dehors, ni en dessus ni en dessous,
à la croisée des chemins, où commencent les chemins,
parce que la lumière chante avec une rumeur d’eau,
et l’eau avec une rumeur de feuillage,
parce que l’aube est chargée de fruits,
le jour et la nuit réconciliés coulent avec la douceur d’un fleuve,
le jour et la nuit se caressent longuement comme un homme et une femme,
comme un seul fleuve immense sous l’arche des siècles
coulent les saisons et les hommes,
là-bas, vers le centre vivant de l’origine,
au delà de la fin et du commencement.
Octavio PAZ.
Hannah Arendt – Heureux celui qui n’a pas de patrie

La tristesse est comme une lumière dans le coeur allumée,
L’obscurité est comme une lueur qui sonde notre nuit.
Nous n’avons qu’à allumer la petite lumière du deuil
Pour, traversant la longue et vaste nuit, comme des ombres nous retrouver chez nous.
La forêt est éclairée, la ville, la route et l’arbre.
Heureux celui qui n’a pas de patrie ; il la voit encore dans ses rêves.
Die Traurigkeit ist wie ein Licht im Herzen angezündet,
Die Dunkelheit ist wie ein Schein, der unsere Nacht ergründet.
Wir brauchen nur das kleine Licht der Trauer zu entzünden,
Um durch die lange weite Nacht wie Schatten heimzufinden.
Beleuchtet ist der Wald, die Stadt, die Strasse und der Baum.
Wohl dem, der keine Heimat hat; er sieht sie noch im Traum.
La maison où le cœur chante – ( RC )

La maison s’est blottie
au creux des collines
à côté de l’étang.
L’ombre est rare
sous le soleil de midi.
Un arbre penche
vers son ombre douce.
De ses branches
s’épanchent des gouttes de résine.
L’été étend sa main
parmi les champs.
Je reprendrai le chemin
qui s’écarte des grandes voies
et j’irai vers toi
retrouver la maison accueillante
où tu m’attends
depuis bien longtemps,
là, où toujours le cœur chante….
Elégie – (Susanne Derève)

Arbre dressé vers le ciel élégie de bourgeons tremblants dans la lumière du soir Chez nous tout arrive tard la promesse de vie est si longue à venir qu'on la croirait perdue à la dérive dans les glacis de l'hiver comme ces longs nuages à la remorque des oiseaux de passage Soubresauts L'hiver chez nous est si long à mourir grêle pluie vent pâles brouillards de givre et de lune froissée Mais un arbre dressé vers le ciel élégie de bourgeons tremblants d'un vert si tendre un arbre annonce le printemps
Paroles – (Susanne Derève)

Une romance aux doigts de fée Paroles celles que tu me soufflais ce matin au réveil sitôt enfouies pour aller les semer à midi dans un jardin de roses en sommeil Soleil Peut-être faut-il l’hiver pour éprouver ce qu’est un arbre sa grande ossature endormie ses plaies ses lézardes ses mains pâles et la tienne au poinçon gravant le bois tendre du tronc
Giuseppe Penone – Verde del bosco –

Capturer Le vert de la forêt.
Parcourir d’un geste le vert de la forêt.
Frotter le vert du bois.
Superposer le vert de la forêt à la forêt.
Imaginer l’épaisseur du vert de la forêt.
Travailler avec la splendeur, la consistance du vert de la forêt.
Consumer le vert de la forêt contre la forêt.
Refaire la forêt avec les verts de la forêt.
Giuseppe Penone, 1986 (Writings 1968-2008)
***
voir sur l’exposition Sève et pensée – BnF Oct 2021/Janv 2022 :
https://blog.kermorvan.fr/2021/11/04/__trashed/


L’oeuvre Sève et pensée ,déployée au centre de l’Exposition ( BnF Oct 2021/Janv 2022) , comprend un texte continu, sans ponctuation, que Giuseppe Penone a écrit en 2018 (suite de réflexions sur son art, la sculpture, la peinture, le dessin ... le cycle de la vie et de la mort).
et
Ingeborg Bachmann – Le monde est vaste et nombreux sont les chemins –

Le monde est vaste et nombreux sont les chemins de
pays en pays,
je les ai tous connus, ainsi que les lieux-dits,
de toutes les tours j’ai vu des villes,
les êtres qui viendront et qui déjà s’en vont.
Vastes étaient les champs de soleil et de neige,
entre rails et rues, entre montagne et mer.
Et la bouche du monde était vaste et pleine de voix à
mon oreille
elle prescrivait, de nuit encore, les chants de la diversité.
D’un trait je bus le vin de cinq gobelets,
quatre vents dans leur maison changeante sèchent mes
cheveux mouillés.
Le voyage est fini,
pourtant je n’en ai fini de rien,
chaque lieu m’a pris un fragment de mon amour,
chaque lumière m’a consumé un œil,
à chaque ombre se sont déchirés mes atours.
Le voyage est fini.
À chaque lointain je suis encore enchaînée,
pourtant aucun oiseau ne m’a fait franchir les frontières
pour me sauver, aucune eau, coulant vers l’estuaire,
n’entraîne mon visage, qui regarde vers le bas,
n’entraîne mon sommeil, qui ne veut pas voyager…
Je sais le monde plus proche et silencieux.
Derrière le monde il y aura un arbre
aux feuilles de nuages
et à la cime d’azur.
Dans son écorce en ruban rouge de soleil
le vent taille notre cœur
et le rafraîchit de rosée.
Derrière le monde il y aura un arbre,
à sa cime un fruit
dans une peau en or.
Regardons de l’autre côté
quand à l’automne du temps,
dans les mains de Dieu il roulera !
Die Welt ist weit und die Wege von Land zu Land,
und der Orte sind viele, ich habe alle gekannt,
ich habe von allen Türmen Stadte gesehen,
die Menschen, die kommen werden und die schon gehen.
Weit waren die Felder von Sonne und Schnee,
zwischen Schienen und Straβen, zwischen Berg und See.
Und der Mund der Welt war weit und voll Stimmen an
meinem Ohr
und schrieb, noch des Nachts, die Gesänge der Vielfalt
vor.
Den Wein aus fünf Bechern trank ich in einem Zuge aus,
mein nasses Haar trocknen vier Winde in ihrem
wechselnden Haus.
Die Fahrt ist zu Ende,
doch ich bin mit nichts zu Ende gekommen,
jeder Ort hat ein Stück von meinem Lieben genommen,
jedes Licht hat mir ein Aug verbrannt,
in jedem Schatten zerriβ mein Gewand.
Die Fahrt ist zu Ende.
Noch bin ich mit jeder Ferne verkettet,
doch kein Vogel hat mich über die Grenzen gerettet,
kein Wasser, das in die Mündung zieht,
treibt mein Gesicht, das nach unten sieht,
treibt meinen Schlaf, der nicht wandern will…
Ich weiβ die Welt näher und still.
Hinter der Welt wird ein Baum stehen
mit Blättern aus Wolken
und einer Krone aus Blau.
In seine Rinde aus rotem Sonnenband
schneidet der Wind unser Herz
und kühlt es mit Tau.
Hinter der Welt wird ein Baum stehen,
eine Frucht in den Wipfeln,
mit einer Schale aus Gold.
Laβ uns hinübersehen,
wenn sie im Herbst der Zeit
in Gottes Hände rollt !
Toute personne qui tombe
a des ailes
Poèmes 1942-1967
Traduction de l’allemand (Autriche)
par Françoise Rétif
Nrf Poésie /Gallimard
Romane Della Gaspera – l’arbre

L’arbre
Il reste tant à faire encore pour devenir humain
Trouver en soi le tronc, la racine et la branche
Jusqu’à la souche la plus enfouie et la racine la plus épouse du ciel
Comment rendre l’écorce souple, la salive amoureuse
Comment être canal de toutes les sèves du monde
Celles qui montent aux lèvres et celles qu’on vomit
Celles qui brûlent au ventre et toutes celles qui saignent
Tant de vents vont passer trembler dans mes narines
Tant de mes feuilles sanglotent dans leur papier d’automne
Je ne suis que, ployante, un bambou de grand vent
Tout à la fois la brise et la branche brisée
Tout à la fois l’orage et la fleur d’oranger
Le regard des planches – ( RC )

C’est cet arbre qui penche
et se courbe de vieillesse:
la pluie n’est plus une caresse
pour le poids de ses branches.
Le vent le déshabille
puis le couche sur le flanc
au milieu des brindilles :
il a fait son temps…
D’une coupe franche,
on a débité son tronc
pour du bois de construction,
et des tas de planches.
As-tu vu ce que je vois ?
une empreinte indélébile:
un regard immobile
incrusté dans le bois
– et ce sont ces noeuds
au milieu des échardes
qui me regardent
comme des yeux .
L’arbre défunt ,
des jeunes pousses, se souvient ,
du sol couvert de mousse,
et des feuilles rousses ….
Encadrant mon bois de lit
il m’arrive de penser à lui
quand son regard me suit :
C’est comme cela qu’il survit.
Cathy Garcia – arbre

–
j’aime la grâce du vent
dans tes branches
j’aime ton silence et le battement
de mon cœur contre le tien
Le platane dans la cour – ( RC )
_
Je me souviens de l’arbre
dans la cour de récréation ;
c’était un de ces platanes
dont on rognait les grosses branches.
Au roulement des nuages d’automne,
le platane abandonnait ses feuilles
avec des nuances , où il restait
du vert et du jaune , parmi la rouille .
A sa base, une rondelle de béton
comportait un multitude de stries en creux
où les enfants se groupaient
pour jouer aux billes
avec le but d’en faire le tour
le plus rapidement,
tout en évitant les creux.
Je me souviens y avoir joué aussi,
les doigts tachés d’encre violette.
C’était celle qu’on utilisait encore
dans ces récipients en porcelaine blanche
incrustés à droite dans le trou du bureau .
Je me souviens…
( comme dirait Pérec )
aussi , de l’odeur âcre des feuilles,
que l’agent d’entretien faisait brûler,
odeur qui marquait définitivement
la fin de l’été.
Théo Léger – les dieux

Les beaux, les nobles, ce sont eux sans nul doute
qui nous donnèrent le feu et la rapide roue au caisson du char.
Le globe qui traverse en volant la Neige et l’Avril,
à l’Homme et à l’Abeille ils l’ont donné.
Sur le rivage de la mer des Ténèbres où. la Terre se noie
ils édifièrent leur palais. La demeure, ils la bâtirent
dans la flamme et le sifflement des vipères
pour que dansent la danse des masques, les sauvages.
Ils donnent mesure au Temps aérien, ils font rouler les soleils
mais ils ne savent rien des puissants ateliers
enclos dans la goutte de rosée aux ramures de l’Arbre de Mai
qui forgent sans répit la création du Monde.
(Théo Léger- 1960)
Armand Bernier – le corps de l’arbre
L’arbre est puissant et doux.
Il porte des étoiles.
Un jour, sauvagement, j’ai pris l’arbre en mes bras.
J’ai baisé son feuillage
En prononçant tout bas
Des mots que l’azur seul m’autorise à redire
Des mots qui n’ont de sens qu’au moment du délire
Puis, nous nous sommes tus, longuement, tous les deux
Et j’ai senti sous moi trembler le corps d’un dieu.
Je me souviens du vent dans mes feuilles – ( RC )
Je reprends quelques paroles,
d’une chanson engloutie
par des années d’oubli,
mais moi je me souviens
du vent dans mes feuilles,
car l’arbre que je suis
a davantage de mémoire
que celle des hommes:
celles arrachées par l’automne .
même si elles sont ocrées,
recroquevillées, desséchées
puis tombées en poussière
me rappellent les hiers.
Mais il n’y a pas de deuil
puisque malgré l’hiver
le gel sévère
est encore teinté d’éphémère;
les feuilles, je les renouvelle,
de manière providentielle
car tu sais que mon bois
toujours verdoie
aux futurs printemps
et reste vigilant
pour ne pas laisser périr
les souvenirs.
- RC – août 2019
Zbigniew Herbert – la pierre blanche

Il suffit de fermer les yeux –
mon pas s’éloigne de moi
comme une cloche sourde l’air va l’absorber
et ma voix ma propre voix qui crie de loin
gèle en une pelote de vapeur
mes mains retombent
encerclant la bouche qui crie
le toucher animal aveugle
se retirera au fond
de cavernes sombres et humides
subsistera l’odeur du corps
la cire qui se consume
alors grandit en moi
non la peur ou l’amour
mais une pierre blanche
c’est donc ainsi que s’accomplit
le destin qui nous dessine au miroir d’un bas-relief
je vois le visage concave la poitrine saillante et les coques sourdes des genoux
les pieds dressés une gerbe de doigts secs
plus profonde que la terre le sang
plus touffue que l’arbre
la pierre blanche
plénitude indifférente
mais les yeux crient à nouveau
la pierre recule
c’est à nouveau un grain de sable
noyé sous le cœur
nous absorbons des images nous remplissons le vide
notre voix se mesure avec l’espace
oreilles mains bouche tremblent sous les cascades
dans la coquille des narines vogue
un navire transportant les arômes des Indes
et des arcs-en-ciel fleurissent du ciel aux yeux
attends pierre blanche
il suffit de fermer les yeux
Julio Ramon Ribeyro – quelque chose d’impérissable dans la mémoire
Je ne crois pas que pour écrire, il soit nécessaire d’aller courir l’aventure.
La vie, notre vie, est la seule, la plus grande aventure.
La tapisserie d’un mur vue dans notre enfance, un arbre à la tombée du jour,
le vol d’un oiseau , un visage qui nous a surpris dans le tramway,
peuvent être plus important pour nous que les grands événements du monde.
Peut-être que lorsque nous aurons oublié une révolution, une épidémie
ou nos pires avatars, il restera en nous le souvenir du mur, de l’arbre, de l’oiseau, du visage.
Et s’ils y restent, c’est parce que quelque chose les rendait mémorables,
qu’il y avait en eux quelque chose d’impérissable et que l’art ne s’alimente
que de ce qui continue à vibrer dans notre mémoire.
Sonia Branglido – Une étrange lumière jaune
Une étrange lumière jaune
Surgie de la page froissée
D’un très vieux livre
Dessine sur le mur aux oiseaux
L’ombre d’un chant mystérieux
Rêve éveillé sous un bel arbre
L’écorce d’un jeu de mots dits
Le silence se fait mélodie
Pour donner des couleurs aux voyelles
Écrire la musique des larmes de l’automne
Entre mémoire et des espoirs
La poésie au cœur des arts
Quine Chevalier – ensorcelées sous le soleil
Ensorcelées sous le soleil
les ombres sont féroces
l’aube sans voix décline ses miroirs
et le vent dans tout ça
qui palabre
violente.
Ensemble nous marchons
dans nos creux
soulevant
l’herbe des secrets
que nous buvons le soir
dans la lampe qui brûle.
Quel hameau a quitté
l’enfant de nos désirs
sur quel arbre d’oubli
a-t-il planté ses rêves ?
La main n’est plus qu’un nid
l’ombre se repose
les yeux ardent la plaine
où passe le gerfaut.
Cristina Alziati – mon arbre
photo LPC
–
Je suis venue vers toi cette nuit.
Mais j’avais été déjà dans la pleine
lumière sur les champs où tu es endormi,
déjà j’étais le corps immense
sous ton ombre, inter ligna silvarum,
des herbes immobiles tremblées, mon arbre …
–
texte tiré du site » une autre poésie italienne »
Rues d’anciens habitants – ( RC )
On se demandera quelle carte consulter,
ou plutôt, à quelle époque,
et si on peut retourner dans la géographie intime
des rues de la ville .
Il y a d’anciennes inscriptions,
qui cohabitent avec les plaques émaillées
et qui disent d’anciens lieux,
des noms qui n’évoquent pas ceux d’hommes célèbres,
mais l’activité pratiquée, ou ce qui marquait
visuellement l’endroit .
La ville est un continent , dont une part est englouutie
dans les épaisseurs de l’histoire .
On peut revoir des cartes anciennes ,
l’écriture penchée, et appliquée pour les noms,
toucher les vieux papiers ,
ignorant l’aspect plastifié d’aujourd’hui
mais rien ne vaut autant,
que pénétrer plus avant dans son ventre,
là où il serait impossible de se repérer ,
dans le sous-sol , où l’ombre règne.
Ce sont des gouffres qui ont englouti les rues,
dirait-on,
un double du quadrillage aérien,
qui court, à la manière d’une autre ville,
cachée dessous, à l’instar d’un arbre,
où les racines se développent dans l’ombre,
comme les branches, dans l’air.
Ou bien la partie cachée de l’iceberg ,
dévoilant , pour qui en a entrepris l’exploration,
la face inconnue des choses.
Une partie ignorée, et qui peut le demeurer :
tout un dédale de souterrains se développe,
juste sous nos pieds .
Il y a des artères principales ,
des croisements , bifurcations ,
impasses, et cavités,
qu’on prendrait presque pour des boutiques,
( comme celles situées au-dessus de la surface ),
des chapelles, le tout rempli jusqu’à ras-bord,
des ossements d’anciens habitants.
L’imagination aidant, les catacombes
sont le continent du sous-sol .
Il revit peut-être avec ses spectres:
les squelettes se réveillent, et se promènent :
Ils n’ont pas besoin de leurs yeux défunts,
de toute façon inutiles dans l’obscurité totale .
Mais pour ceux qui n’y voient pas ,
on a privilégié le sens du toucher,
et c’est peut-être pour cela , que le nom des rues
reste indiqué, à chaque carrefour,
Avec ces lettres profondément creusées dans la pierre .
–
RC – dec 2017
Quine Chevalier – Neige conçue 4
Neige conçue
dans la trace dévoilée
l’arbre l’air l’ardent
trois prières
un feu vers lequel
tendre les mains
et l’oiseau me tire
d’un rêve
je blottis ma joue
sous le ventre des nuits
Au hasard du chemin
la prairie démêle
oublié sous la glace
le tison chantant
d’un fruit venu