Julian Tuwim – Le bossu

Belles cravates,
Jolis tissus,
Mais inutiles, puisque je suis bossu !
Celle-ci, rayée d’argent,
M’irait très bien…
A quoi bon ; n’importe comment
On n’en verrait rien.
Qu’elle soit en’arc-en-ciel,
En soie de Lyon, en laine d’Ecosse,
Vous ne direz pas : — Vise la cravate !
Vous direz tous : — Vise la bosse !
Il me faut une écharpe longue,
La plus belle des écharpes !
Je la nouerai si bien,
Personne ne me reconnaîtra,
Tous, vous direz :
— Quelle bosse…
Mais — pourquoi s’est-il pendu à sa cravate ?
1922
Philippe Delaveau – la pluie ( II )
Maintenant dans les flaques se dilue
le dur monde ancien comme aux poils des pinceaux
la peinture collée qui se détache sous l’essence.
Debout, enfin lavé de mes refus, je m’apprête à la tâche.
Debout sur la terre lavée, Seigneur, je veux chanter
Ta gloire dans la force du vent, composer
nos hymnes parmi les pluies et la mesure, maître enfin
de mon chant dans l’assemblée des arbres et des hommes,
la fraîcheur nouvelle et l’odeur neuve du jardin,
sous l’arc dans le ciel neuf comme un luth de couleurs.
Colette Fournier – Apprends-moi à danser
Photo : Emmanuelle Gabory
Apprends-moi à danser
Je veux retrouver le soleil
Flirter sur un rayon de miel
Brûler la pointe de mon cœur
Sur des épines d’arc-en ciel
J’ai besoin du velours de la voix
Feutrant ses frissons de soie
J’ai besoin de la couleur du vin
Fleuve de rubis où tout chavire
J’ai besoin du nectar des abeilles
Des parfums du paradis
Des ailes de tous les anges
J’ai besoin de devenir archange
De me transmuter, de m’alchimiser
J’ai eu si mal dans mon corps
Irradié et somesthesique
Que ce soir je veux danser
Libre, nue, échevelée
Ivre comme une bacchante
Et quelque part folle à délier
Avant que ne descende sur moi
La lente douceur du soir…
L’improbable côtoie le réel – ( RC )
–
Si la nature à l’automne,
Pousse un dernier chant de couleurs,
Une mosaïque d’ors et de bruns,
Qu’elle brasse à longueur de vents,
En couronnant la terre de ses saveurs ,
–
Elle conduit peut-être –
La plume du poète,
Quand il assemble,
Ligne après ligne,
La musique de ses mots,
–
Arcqueboutés, comme arc-en-ciels,
A travers une nuit qu’il invente,
Des rêves qu’il traverse,
Tissant aux fils de l’écrit,
Des images, qui se disent,
–
Et s’entrelacent comme brindilles,
Et qu’on entend avec les yeux,
L’improbable cotoyant le réel,
La joie,
Le saignement du cœur,
–
Traçant son chemin,
Toujours plus loin,
Oscillant entre les saisons
Des paroles non dites,
Mais comprises par chacun .
–
RC décembre 2013
Passage de l’ange ( RC )

peinture P Gauguin, – détail – » D’où venons-nous, que sommes nous, où allons nous ? »
peinture – partie centrale » D’où venons-nous,que sommes nous, où allons nous ? » 1897
–
Comme on dit, sur terre,
– Au creux d’un silence,
passe l’ange ( un mystère),
Lui, sans bruit, danse..
On ne le voit pas,
Seuls ses cheveux ( d’ange ),
S’agitent ici-bas,
Si ma tête penche,
Je sens, assis sur le vent,
Ses ailes qui me dépassent,
Et l’ange, ( ou ce revenant ),
– Grand bien me fasse –
Semblait chercher son chemin,
> Ce qui me fait marrer…
Que ces êtres de lieux lointains,
Puissent ainsi s’égarer —–
Si loin des dieux et déesses,
Au terme d’un long voyage,
Seul ( panne de GPS ) ,
descendu de son nuage.
C’est parce que c’était dimanche,
Et, que, poursuivant un diable fourchu,
Au long cours d’une météo peu étanche,
Vit aussi cette sorcière aux doigts crochus,
Perforant d’un coup de roulette russe,
A cheval sur son vieux balai,
Un vieux cumulo-nimbus
Ce qui ne fut pas sans effets…
Perdant l’appui de l’arc-en-ciel,
… pour le pique-nique ( c’était fichu),
Notre ange en oublie de fixer ses ailes,
Et se trouve à errer parmi nous, ainsi déchu…
Ou, peut-être objet d’un malaise,
> C’est une supposition,
Une possibilité, une hypothèse…
Mais , qui pose question…
Ou alors, c’est mon ange gardien,
< Qui veut mieux me connaître,
Me parler, dialogue ouvert, établir des liens,
Lui, qui m’a vu naître…
Ou encore, ange égaré, peut-être
Cherches tu la bonne adresse,
La bonne porte, la bonne fenêtre,
D’une âme en détresse ?
> Quelqu’un d’un peu fou,
lui demandant « D’où venons-nous ?
– Qui sommes-nous ?
– Où allons-nous ? »
Mais – que prend-t-il donc aux humains,
De poser des questions embarrassantes,
S’il ne leur suffit pas de lire les lignes de la main ?
Et , sans réponse satisfaisante…
Peut-être la raison de sa présence,
Ici, dans les odeurs de poisson frit,
Dans ce bas monde, le don de sa confiance,
Apparaît , aussi, sous un ciel chargé ,et gris…
Déposant sur la terre,
Un parfum subtil qui l’entoure
D’une traînée d’étoiles, de lumières
Et de l’ombre, redit un peu le jour.
–
RC – 24 juin 2013
–

peinture: Paul Gauguin: lutte de Jacob avec l’ange 1888