Rainer Maria Rilke – C’est presque l’invisible qui luit

C’est presque l’invisible qui luit
au-dessus de la pente ailée ;
il reste un peu d’une claire nuit
à ce jour en argent mêlée.
Vois, la lumière ne pèse point
sur ces obéissants contours
et, là-bas, ces hameaux, d’être loin,
quelqu’un les console toujours.
( extrait des quatrains valaisans )
Enrico Testa – tenir à distance le peuple envahissant des merles

image transfo RC
sur le terre-plein de la voie ferrée
longeant le bois
les troncs des acacias
sont noirs après la pluie
comme des traits d’encre qui s’écartent.
Pâques est désormais le papier d’argent,
poussiéreux et pâli,
des œufs, suspendus
aux branches des cerisiers.
Rubans qui miroitent dans le vent
et devraient tenir à distance
le peuple envahissant des merles
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . .(Pasqua di neve, Einaudi, 2008)
Robert Piccamiglio – Ensemble, Jésus et moi

extrait de « Chemin sans croix » ed Encres et lumières 2005
Mon corps lourd de la nuit – ( RC )

J’ai le corps lourd de la nuit
qui pèse à plat sur moi,
– ma doublure effacée par le sommeil-.
Un nuage m’entoure
me coupe le souffle.
Il est de plomb.
Entraîné par son poids
je décroche de mes rêves
pour chuter d’un coup
dans le présent,
éteignant
mes étoiles d’argent.
Alda Merini – j’ai besoin de poésie
photo: Julie Blackmon ( hommage à Balthus : Olive & Market street )
Je n’ai pas besoin d’argent.
J’ai besoin de sentiments,
de mots, de mots choisis avec soin,
de fleurs comme des pensées,
de roses comme des présences,
de rêves perchés dans les arbres,
de chansons qui fassent danser les statues,
d’étoiles qui murmurent à l’oreille des amants.
J’ai besoin de poésie,
cette magie qui allège le poids des mots,
qui réveille les émotions et donne des couleurs nouvelles.
Alda Merini
Balthus: le passage du commerce St André
Marina Tsvetaieva – A Alia
À Alia*
Un jour, ô ma gracieuse créature,
Je deviendrai pour toi un souvenir,
Perdu dans tes yeux bleus, au loin
De ta mémoire, dans le lointain.
Tu oublieras : et mon profil au nez busqué,
Et mon front couronné de fumée,
Mon rire importun et fréquent
Ma main calleuse aux bagues d’argent,
Notre logis d’amant, notre grenier cabine,
De mes papiers la confusion divine,
L’année terrible : malheurs et liesse
De ton enfance, de ma jeunesse.
(Moscou 1919, sa fille Ariadna allait avoir huit ans.)
Théo Léger – Beauté des temps révolus
Peinture: Giovanni Boldini
Elles traversaient les profondeurs de l’argent des miroirs.
D’une fragrance de chevelure aux parfums érotiques,
d’une jaillissante malice de dentelles couvrant leur chair
où luisaient les globes fragiles soumis aux caresses de l’homme,
de leur murmure d’éventails, de leur secret de bagues
dont les fourmis laborieuses ont mémoire au musée
sous les racines d’un monde vert
qu’est-il resté ? Rien. Ton seul sourire :
un papillon de cils battant contre une lèvre d’amant
la crispation de doigts malhabiles.
Sur les draps de la nuit était-ce
cris de naissance ou de mort? Cela, les horloges l’ignorent.
Théo Léger (1960)
Paul Gravillon – un feu d’artifice suspendu
Un feu d’artifice suspendu
s’enfonce dans le passé de la nuit
et l’illumine
Il jette des pièces d’argent
qui ont toutes les couleurs de la nacre
tous les mariages de la nuit et du jour
auxquels font contrepoint les basses
des mains entr’ouvertes
aux gris diaphanes
et des doigts demi joints
aux velours mauve
les bois s’estompent
à la lisière du soir
et tu t’avances
derrière ton masque de dentelles
froissées
ton œil pervenche
ta joue ambrée
ta moiteur crépusculaire
deux gouttes blanches
jaillissent de ton bouquet de plumes
des chauves-souris aux cris orange
fixées dans le vol
par le cerf-volant mordoré de leur beauté
déchirent un duvet rosé
leur élan vert
zigzague derrière elles
comme les veines du ciel
et de ton ventre
un doux tourbillon de papillons
saumon et pourpre
palpite
dans la transparence marine
où je m’enfonce
–
P G
Rêves d’Amérique – ( RC )
–
C’est une image que colporte le rêve :
C’est toujours mieux ailleurs,
Alors…
Tu as rêvé de l’Amérique,
Comme tant d’autres ,
parcourant les mythes,
et celui, bien entretenu,
de la géante de cuivre,
portant haut la flamme, et ceinte,
Comme pourraient l’être ceux qui s’en réclament,
D’une bannière aux multiples étoiles,
Etoiles blanches sur un bleu profond,
parfaitement alignées,
comme les tombes, dans les cimetières de la liberté,
des soldats ( américains, justement).
« America, America » d’Elia Kazan,
révèle le parcours de l’immigrant,
prêt à affronter tous les obstacles,
pour réaliser son rêve, qui coïncide aussi
à la perte de son identité,
parti pour un voyage sans retour.
Vivant de l’intérieur la sensation de déracinement
malgré son désir d’appartenance .
Les hommes qu’on croise,
n’ont plus le visage des conquérants.
Seul le commerce porte à le croire :
Ils ont les paupières lourdes ;
Ils ont englouti leur passé,
Et n’ignorent plus que ,
sur la bannière,
Les bandes rouges peuvent être aussi,
Un chemin de sang,
Comme l’a été celui de millions d’hommes,
Importés comme esclaves,
Il n’y a pas si longtemps.
Tu as rêvé d’Amérique,
Mais les étoiles ont pâli,
Et le ciel est sale.
La liberté tant vantée,
( surtout celle de faire de l’argent, )
Se mesure à leur poids de dollars
Où rivalisent ceux qui ont réussi.
C’est une partie de l’Amérique qui fanfaronne,
qui joue de sa sur-puissance,
et va guerroyer au Viet-Nam, ou ailleurs.
Mais il y a l’autre côté, qui étend ses bras de pieuvre
Le côté plus obscur, celui
des « raisins de la colère »,
Celui des hommes meurtris,
Dont on ne parle pas .
Eux connaissent l’Amérique de l’intérieur,
Et leur destin empêché les enfonce
dans la catégorie des « loosers » :
Leurs songes ne sont pas les mêmes… ;
Les étoiles se sont changées en pluie de larmes…
—
Ainsi , tu ne rêves plus d’Amérique ?
–
RC – juill 2015
Proverbe indien – Quand le dernier arbre aura été abattu ….
Une parmi les 27 images marquantes de ce site
–
Quand le dernier arbre aura été abattu,
la dernière rivière empoisonnée
et le dernier poisson péché,
alors l’ homme s’apercevra que l’argent ne se mange pas.
Mangés par la nuit ( RC )
photographe non identifié
Soixante-neuf nuits au moins à l’étage,
Au-dessus du night-club,
Le rouge des néons,
Perforant les persiennes…
Comment pouvoir dormir,
Quand se jouent les abysses de la peau,
Le trafic d’une faune interlope
Juste en bas de la rue ?
S’agglomèrent comme des mouches,
Pour de petits sachets blancs
Des hommes furtifs, achetant des rêves
Avec l’odeur de l’argent.
On en trouve, certains matins,
Mangés par la nuit,
Derrière les poubelles,
Une seringue à la main.
–
RC- 6 octobre 2013
Le noisetier – (RC)
Pour faire suite au post – « enfances », de B Douvre
–
A mon enfance, mon rire monte au ciel
Le vent d’ouest démontre ses risées brutales
Et froisse le feuillage du noisetier
A parcourir les portes de l’avenir
J’égrène, l’aube des nuages d’argent
Et cours ramasser au sol,
La moisson des graines de bois
Complétant le travail d’automne
En m’insérant dans le réseau des branches;
Je m’en remets, à un monde secret
Dissimulé au yeux du monde,
Dans la main végétale,
La saveur un peu acre,
Maintenant un peu lointaine,
Mais je me souviens
Du goût de l’enfance
Accroché aux tiges souples,
A quelques mètres du sol.
–
RC
–
que j’aurais tendance à rapprocher d’un écrit de Jean-Jacques Dorio,
visible sur son site:
LE PUITS LE FIGUIER
le puits le figuier
près d’enfance
la naïveté et le cri du merle
dans les platanes verts
les bouches unanimes
à saluer le jour et la nuit
les princes et les fées
les principes et les fins
et le long soupir
d’années clouées
dans un village des merveilles
et des mythes envolés
Voyage en New Orleans (RC )
Photo: qmannola
C’est un groupe qui chuchote,
En suivant de marche lente
Une voiture noire aux ornements d’argent
Et chacun a son voile, ou chapeau noir
Le prêtre et ses assistants
les porteurs de gerbe
Et la fanfare
A la marche funèbre
Accompagnant
Un dernier voyage
A la Nouvelle Orleans
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RC – 20 décembre 2012
–
Pinceau de la ville ( RC )
- peinture: Nicolas de Staël: toits de Paris – 1952
–
Faire que le tout s’étale
à grands coups de spatule
et que la peinture s’écrase
poussant de petits monticules
La matière de surfaces agitées;
—————– la couleur décalée
sous le gris se profile le rouge,
Nicolas , et les toits de Paris
Cliquetant des éclats d’argent
lorsque filtre un pinceau de lumière
au gré du vent, sur la ville
ses écailles y brillent
une nasse fragmentée d’envers,
…. Immobile d’hivers
–
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RC – 24 novembre 2012
–
voir aussi l’article précédent intitulé simplement Nicolas de Staël
Journée immobile ( RC )
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La muse est malade
Conduit un astre ,pâle
Couleur de fiel
En coulures de miel
Une vague d’argent déferle
En un éclair, pareil
Confisque un soleil
D’or et de perles
La lune reste fade,
Une journée lointaine, râle
Laissée en rade
Aux couleurs sales
Les navires sont immobiles,
Se découpent en nombre
De coques sombres
Tout près de l’île.
Ma terre est encore si lointaine
Quand je revois son éclat
Malgré le soleil là;
Si las – et la route qui y mène.
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RC – 30 septembre 2012
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Salomé aux mains douces (RC)

peinture: Lukas Cranach : Salomé & la tête de St Jean Baptiste
–
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Salomé aux mains douces
En chevelure rousse
Joue peut-être les vautours
En habits de velours
Son visage est bien rose
Le tout, sans ecchymoses
Rose sans pétales
Et St Jean est pâle
Enfin, juste sa tête…
C’est après la fête
On s’est rempli la panse
Et la Salomé danse
Presque en transes, danse
Et…… mérite récompense
Afin que rien ne prive
Du spectacle , les convives
Et contribue à la fête
On amène le prophète…
Elle obtient la tête de Jean
Sur un plateau d’argent
Posée délicatement
Et presque joliment
A la manière d’un saucisson
( c’est la décollation)
L’opération est simple, elle consiste à séparer
Le corps de la partie supérieure, qui permet de penser
Bien sûr il y a quelques éclaboussures ,et c’est assez
Impressionnant, mais plus propre que de scalper…
—
Le peintre nous rapporte avec délices
Des instants inscrits en histoire– ce supplice…
Qui sont toujours délicats
Mais rendus en couleurs, en habits d’apparat
….. Aurait-elle tué le prisonnier
S’il n’avait eu les mains liées ?
Sa veste matelassée
En aurait été froissée !!
Ce qui serait dommage pour l’aventure
Et aussi, pour la peinture
Cà aurait fait un couac
…Même chez Cranach
St Jean est une « chose »
De celles qu’on dépose
Avec les gâteaux
Le tout sur un plateau…
Salomé en tailleur
A le regard ailleurs
Et semble bien encombrée
Par la lourde épée
Comme marteau et enclume
(avec son chapeau à plumes)
Calée dans son cadre
Comme à la parade
Un peu dégrisée
Son regard rusé
Qu’on voit au musée
N’a rien d’aiguisé..
Au jeu des horreurs
On y voit la mort
Venir rôder par ici
Et suivre les prophéties
…
Mais la peinture fascine
La foule jubile et assassine
Pâmoison, sensations, et adoration
En grandes files,pour voir l’exposition.
—
RC 2 avril 2012
–
Jean-Claude Pirotte – nourrir l’autre humain
extrait – comme toutes mes autres parutions de J Cl Pirotte, du recueil » le promenoir magique » editions de la Table Ronde
- peinture – :la fille aux cerises – attribué à Giovanni Ambrogio de Predis – Metropolitan Museum of Art – N Y C
une côte de porc un soupçon de romarin (souviens-toi des hautaines garrigues grises) il faut de l’argent pour la soupe
oui dans le cochon tout est bon dans les cochons sur les trottoirs est-ce que vraiment tout est bon ? il faut goûter à la cravate
et lécher le pan de chemise avale en te pinçant le nez les avanies de l’avenue tiens tes tripes à pleines mains
et quel argent pour le libraire si tu veux nourrir l’autre humain qui se dandine dans ton corps et trébuche dans ton chemin ?
Arthémisia…… L’image

Tu marches lentement, poussant du pied le sable
En gerbes fleurissant des paillettes effaçables.
Je te revois encore, riant avec les mouettes,
En écartant les bras pour cueillir le vent,
Laissant sur ta peau nue courir imparfaite
La pensée d’un amour avec moi estivant.
Je te revois encore courbé vers la marre
Scrutant le coquillage, des marées, survivant,
Et cherchant à point d’heure, accroché sous le phare,
La lumière d’argent venue de mon levant.
Je te revois géant haranguant les dieux mêmes,
Tourné vers l’horizon, et vomissant tes flancs,
Hurlant au ciel, aux flots, les mots de ton poème,
Toujours lourd et tendu…époustouflant.
Je te revois ce soir, au seuil de mon rêve.
Où seras tu demain ? Peut être encore ici ?
Tu vis et tu dessines en mon ventre un lacis
Que la mer sans détours ramène sur ma grève.
Je te revois jamais et toujours et encore,
Construisant la demeure où j’habite à plein temps,
Je cours après les jours arrogants de la mort,
Et je cours après toi, l’image de mon néant.
Copyright © Arthémisia – Juin 2008
Avec : Nicolas de STAËL – Tempête