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Articles tagués “Arkhip Kuindzhi

Nâzim Hikmet – ( A propos du Mont Uludag) –


Arkhip Kuindzhi – Cimes enneigées -1895
Voilà sept ans que nous nous fixons
les yeux dans les yeux
cette montagne et moi.
Et nul ne bouge       ni elle
				ni moi.
On se connaît pourtant de près.
Elle sait rire et se fâcher
comme tout ce qui vit pour de vrai.

Pourtant
	surtout en hiver
	surtout la nuit
	surtout quand le vent souffle du sud
avec ses pics neigeux
	ses forêts de pins
	ses alpages
	ses lacs gelés
elle remue légèrement dans son sommeil
et l’ermite qui habite tout là-haut
avec sa longue barbe en désordre
et sa robe volant au vent
dévale vers la plaine en hurlant
		en hurlant devant le vent
Et parfois
	surtout en mai, au point du jour
	toute bleue, sans bornes ni limites
	immense, heureuse et libre
elle s’élève, pareille à un monde nouveau.

Et il y a des jours, parfois
où elle ressemble à son image sur les bouteilles de
limonade...

Et je devine que dans l’hôtel que je n’ai jamais vu
mesdames les skieuses boivent du cognac
en prenant du bon temps avec messieurs les skieurs.

Et il y a des jours
où l’un de ces montagnards aux sourcils noirs
et au large pantalon bouffant de bure jaune
égorgeant son voisin sur l’autel de la sacro-sainte propriété
devient notre hôte
pour passer quinze ans à la chambrée numéro dix-sept...


1947

(Dominant sa prison, l’Uludag, Mont Olympe de Bithynie , a été pour Nâzim Hikmet une image obsédante.) . .

Nostalgie

dessins originaux d’Abidine

Editions fata morgana


Parfum d’iode – (Susanne Derève) –


Arkhip Kuindzhi – Nuit au clair de lune sur la mer

Parfum d’iode

saveur qui emplit les narines

et dilate l’espace

Vénus étincelante s’en est allée

et mon esquif vogue

loin des nuits étoilées

.


Herberto Helder – Les menstrues –


Arkhip Kuindzhi – Coucher de soleil sur la neige (1885-1890)
Les menstrues quand sur la ville soufflait
cet air. Les jeunes filles respirant,
mangeant des figues - et les menstrues quand sur la ville
filait le temps à travers les airs.
C’étaient des œillets dans la neige. Les jeunes filles
riaient, criaient - et les figuiers insufflaient
les figues, de leurs poumons d’éponge
blanche. Et les jeunes filles
mangeaient des œillets dans l’air.
Et elles riaient dans la neige et criaient : c’était
le temps des menstrues.
Les pommes roulaient dans la maison.
Quelqu’un disait : la neige. La nuit venait
briser la tête des statues, et les pommes
roulaient sur le toit - quelqu’un
disait : le sang.
Dans la maison, elles riaient - et les menstrues
ruisselaient par les cavernes blanches des éponges,
et les têtes des statues se brisaient.
Des œillets - quelqu’un disait cela.
Et les jeunes filles qui respiraient, mangeaient
des figues dans la neige.
Quelqu’un disait : des pommes. Et le temps était venu…
Le sang ruisselait des cous de granit,
l’enfant plaquait sa bouche noire
sur la neige dans les figues - alors elles criaient
dans l’ombre de la maison.
Quelqu’un disait : le sang, le temps.
Les figuiers soufflaient dans l’air
qui courait, les machines aimaient. Tandis qu’un poisson,
parole ancienne
et sensible, parcourait la page de cet amour.
Et quelqu’un disait : c’est la neige.
Les jeunes filles riaient dans leurs menstrues,
mangeant de la neige. Les têtes des
statues étaient pleines d’œillets,
et les enfants plaquaient leur bouche noire sur
les cris. La nuit approchait dans les airs,
dans l’ombre roulaient les pommes.
Et le temps était venu.
Et elles riaient dans l’air, mangeant
la nuit,
se nourrissant de figues et de neige.
Alors quelqu’un disait : les enfants.
Et les menstrues ruisselaient en silence -
dans la nuit, dans la neige -
pressées par les éponges blanches, là-bas dans la nuit
des jeunes filles
qui riaient dans l’ombre de leur maison,
roulant, mangeant des œillets. Alors quelqu’un disait
c’est un poisson qui parcourt la page d’un amour
ancien. Et les jeunes filles
criaient…
…Les jeunes filles, chantant leurs enfants,
mangeaient des figues.
La nuit mangeait du sable.
Et c’étaient des œillets dans les cavernes blanches.
Les menstrues - disait quelqu’un. L’air passait -
et à travers nuit, en silence,
les menstrues ruisselaient dans la neige.

.

Le Poème continu, somme anthologique,

traduction Magali Montagné et Max de Carvalho,

éditions Chandeigne

voir également : Esprits nomades


Ingeborg Bachmann – Le monde est vaste et nombreux sont les chemins –


ARKHIP KUINDZHI – Field-

Le monde est vaste et nombreux sont les chemins de

    pays en pays,

je les ai tous connus, ainsi que les lieux-dits,

de toutes les tours j’ai vu des villes,

les êtres qui viendront et qui déjà s’en vont.

Vastes étaient les champs de soleil et de neige,

entre rails et rues, entre montagne et mer.

Et la bouche du monde était vaste et pleine de voix à

    mon oreille

elle prescrivait, de nuit encore, les chants de la diversité.

D’un trait je bus le vin de cinq gobelets,

quatre vents dans leur maison changeante sèchent mes

   cheveux mouillés.

 

Le voyage est fini,

pourtant je n’en ai fini de rien,

chaque lieu m’a pris un fragment de mon amour,

chaque lumière m’a consumé un œil,

à chaque ombre se sont déchirés mes atours.

 

Le voyage est fini.

À chaque lointain je suis encore enchaînée,

pourtant aucun oiseau ne m’a fait franchir les frontières

pour me sauver, aucune eau, coulant vers l’estuaire,

n’entraîne mon visage, qui regarde vers le bas,

n’entraîne mon sommeil, qui ne veut pas voyager…

Je sais le monde plus proche et silencieux.

 

Derrière le monde il y aura un arbre

aux feuilles de nuages

et à la cime d’azur.

Dans son écorce en ruban rouge de soleil

le vent taille notre cœur

et le rafraîchit de rosée.

 

Derrière le monde il y aura un arbre,

à sa cime un fruit

dans une peau en or.

Regardons de l’autre côté

quand à l’automne du temps,

dans les mains de Dieu il roulera !

 

Die Welt ist weit und die Wege von Land zu Land,

und der Orte sind viele, ich habe alle gekannt,

ich habe von allen Türmen Stadte gesehen,

die Menschen, die kommen werden und die schon gehen.

Weit waren die Felder von Sonne und Schnee,

zwischen Schienen und Straβen, zwischen Berg und See.

Und der Mund der Welt war weit und voll Stimmen an

  meinem Ohr

und schrieb, noch des Nachts, die Gesänge der Vielfalt   

  vor.

Den Wein aus fünf Bechern trank ich in einem Zuge aus,

mein nasses Haar trocknen vier Winde in ihrem

  wechselnden Haus.

 

Die Fahrt ist zu Ende,

doch ich bin mit nichts zu Ende gekommen,

jeder Ort hat ein Stück von meinem Lieben genommen,

jedes Licht hat mir ein Aug verbrannt,

in jedem Schatten zerriβ mein Gewand.

 

Die Fahrt ist zu Ende.

Noch bin ich mit jeder Ferne verkettet,

doch kein Vogel hat mich über die Grenzen gerettet,

kein Wasser, das in die Mündung zieht,

treibt mein Gesicht, das nach unten sieht,

treibt meinen Schlaf, der nicht wandern will…

Ich weiβ die Welt näher und still.

 

Hinter der Welt wird ein Baum stehen

mit Blättern aus Wolken

und einer Krone aus Blau.

In seine Rinde aus rotem Sonnenband

schneidet der Wind unser Herz

und kühlt es mit Tau.

 

Hinter der Welt wird ein Baum stehen,

eine Frucht in den Wipfeln,

mit einer Schale aus Gold.

Laβ uns hinübersehen,

wenn sie im Herbst der Zeit

in Gottes Hände rollt !

 

 

Toute personne qui tombe
        a des ailes
Poèmes 1942-1967 
Traduction de l’allemand (Autriche)
par Françoise Rétif
Nrf   Poésie /Gallimard


La mer – ( Susanne Derève) –


Arkhip Kuindzhi – Pêche sur la mer noire

.

Tapie , retranchée dans la nuit
je la devine à son long battement
de métronome ,
à la fulgurance de ses phares ,
à leur éclat – deux rouges un vert –
marquant l’entrée du port

Je la devine mordant la plage 
où la vague prend son essor
tutoie le ciel ,
dérobe un éclat de silence ,
et se saborde sur le sable ,
le sable froid des nuits d’été

La mer …
Je la devine essuyant les rochers
d’un blanc suaire d’écume
sous le vol lourd des goélands,
à son chant de cloche brisée
lorsque forcit le vent .


Kenneth White – Lettre à un vieux calligraphe


Arkhip Kuindzhi – On a Valaam Island, 1873

 

 

Cent jours passés

par les grèves et les montagnes

 

à l’affût

du héron et du cormoran

 

puis écrire ceci

à la lisière du monde

 

dans un silence devenu

une seconde nature

 

et connaitre à la fin 

dedans le crâne, dedans les os

 

le sentier du vide.

 

 

Un monde ouvert 

Anthologie personnelle 

nrf

Poésie /Gallimard