Qui a saisi ce sourire doux-amer ? – ( RC )

Les trains du soir
se sont enfuis dans la nuit,
et ton sourire a ces lèvres absentes
de la beauté fanée
d’une photographie
qui a mal vieilli.
Une pellicule dans un album photo
oublié au fond d’une armoire.
Je ne sais plus qui a saisi cet instant,
ce sourire doux-amer
qui rappelle celui de la Joconde,
derrière son épaisse armure de verre
– le mystère d’une perspective
difficile à saisir – ,
une fleur épinglée sur la poitrine
laissant échapper son parfum.
Qui se souvient des fêtes et de la joie,
des portes qui grincent,
des fenêtres ouvertes sur l’azur ,
des verres qui tintent,
de la guerre tendre des regards ?
une guerre qui pâlit
comme s’effacent les voix
de ceux qui t’ont connue.
L’or des cheveux
retrouverait-il son feu,
ton oeil, son incandescence
le vent , son insolence ,
si le sort était levé,
tu reviennes à la vie,
extraite comme par magie
de la photographie ?
Pourquoi je dors dans le couloir – (RC )
Je dors à même le sol,
dans le couloir de l’hôtel.
L’air a été meurtri de couches diffuses
de tabac froid.
J’imagine qu’il y a
derrière les portes de chambres,
des lumières falotes,
et une photo défraîchie
d’une baie, quelque part,
en méditerranée.
C’est étonnant comme les choses immobiles
traversent les années.
Si le bâtiment s’écroule,
et qu’on voie comme si une tronçonneuse
était passée au travers
il y aura de chambre en chambre,
ce papier peint identique
à rayures verticales,
ces photos de la baie,
et la trace en clair, sur le mur
des armoires hautaines,
ayant déposé leur ombre,
puis qui ont basculé
avec les étages
avec une pluie de gravats.
–
Je dors à même le sol,
dans le couloir de l’hôtel.
Je n’ai pas voulu entrer
dans la chambre
que j’ai réservée ,
où l’on ne dort
que d’un sommeil anonyme.
Mais j’entends tous les bruits.
Mes voisins qui ronflent,
l’armoire noire qui baille
attendant le bon moment
pour libérer les serpents.
Ils ne vivent que la nuit
et répandent leur venin
obséquieux dans les rêves
de citadins de passage
qui traversent les voyageurs .
La ville coasse encore
sous l’effet de la brume
et des lampes à iode :
une atmosphère de fête
qui plaît aux rongeurs.
Ils grouillent de partout
pénètrent dans les moindres interstices
et prennent le pouvoir:
leurs reflets dans leurs yeux,
sont comme de petites lucioles
Ils sortent même des lambris,
renversent les brosses à dents
et dévorent les tapis.
Vous devez maintenant savoir
pourquoi je dors dans le couloir.
–
RC – janv 2019
Je marche dans l’inconnu – ( RC )
peinture: Ellsworth Kelly
–
Là où le monde secret des inanimés perd de son mystère ,
en léchant ses plaies de lumière ,
on se tire difficilement du sommeil ,
dans le parcours des heures qu’interromp le réveil .
On a encore dans la tête , mille rêves .
Ils éclatent, comme une bulle crève ,
quand le jour s’élance
l’aube effaçant le silence
du coeur même de la nuit .
On doit reconquérir son esprit ,
ranger l’armoire à nuages ,
se préparer au voyage ,
- Aujourd’hui nous attend ;
il faut plonger dedans ,
endosser son costume ,
poser ses pieds sur le bitume .
Il n’est pas certain qu’il s’ajuste exactement :
ce matin , je ressens un flottement
entre hier et aujourd’hui :
> pas sûr que ma vie
me suive à la trace :
à mesure, elle s’efface
sans plus me correspondre :
les minutes et les secondes ,
les années anciennes
ne sont plus les miennes :
le temps est discontinu :
> je marche dans l’inconnu.
–
RC – juill 2017
Christophe Sanchez – une respiration
On retrouvera des lettres entre les draps, dans une armoire normande au bois vermoulu. Dans la chambre où la poussière a figé le temps, on traversera en quelques pas des années de silence. Contre le mur, calé par des livres de papier jaune, le grand bahut nous craquera sa vérité enfouie. Il faudra de la patience pour ouvrir l’armoire à la serrure grippée. On insistera. La clef en laiton fera des tours perdus à l’angoisse de la découverte. Les battants finiront par céder dans un frémissement. Sur les étagères, des piles de linge viendront sous nos yeux disperser les lunes, dévoiler des années d’intimité au jour neuf.
On retrouvera des lettres entre les draps de lin pliés au carré. Avant le brin sec de lavande, le flacon d’huile essentielle de cèdre, un reste d’odeur humaine. Des lettres oubliées dans les plis du passé, à l’abri du regard de l’autre. Cet autre à qui on a caché les mots. Sur les enveloppes, on admirera la calligraphie, les hautes jambes des lettrines, les vieux timbres et les dates évoquées feront passer le siècle pour une respiration.
Jean Follain – parler seul
–
Il arrive que pour soi
l’on prononce quelques mots
seul sur cette étrange terre
alors la fleurette blanche
le caillou semblable à tous ceux du passé
la brindille de chaume
se trouvent réunis
au pied de la barrière
que l’on ouvre avec lenteur
pour rentrer dans la maison d’argile
tandis que chaises, table, armoire
s’embrasent d’un soleil de gloire.
Jean Follain,
Exister, Anthologie de la poésie française du XXème siècle, Poésie/Gallimard
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Parcours nocturne sans lune ( RC )
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Si, d’une nuit sans lune,
Tu descends à pas de loup,
L’escalier de bois,
Dont tu sais chaque marche,
Comme autant de pièges,
Celles qui gémissent,
Ou dont les têtes de clous se rebellent,
D’autres qui jointoient mal…
Cette étape franchie, c’est le couloir qu’encombre,
La découpe dans le sombre,
De la vieille armoire,
Encore un peu plus noire,
Et, suspendus à côté,
L’amas des habits d’hiver,
Comme autant de dépouilles,
Sur leur crochet de fer,
.. Présences enveloppées du passé,
Echarpes et manteaux entassés.
C’est à droite la cuisine,
Son carrelage froid,
La coupe de mandarine,
Sur la table en bois,
Attendant sans bruit,
A côté de quelques livres,
La fin de la nuit.
Vois-tu les fleurs de givre,
Eclairées par derrière,
De la présence immobile,
Du seul réverbère ?
——- Il est minuit pile..
- photo Lionel Feininger
RC – 27 juin 2013
L’armoire, porteuse d’histoires (RC)
La vieille armoire, celle qui prend feu
A abrité longtemps des piles de draps
Des trousseaux inutilisés, mangés par les rats
Autres générations , autres enjeux
Tante Ernestine est morte
Un jour d’hiver fardé
Auprès de son feu, attardée
Un jour , a cédé sa porte
Et les piles des habits d’antan
Les parures et les dentelles
Napperons de belle vaisselle
N’ont pas attendu les petits enfants
Partis ailleurs émigrer
Se chercher, loin du bercail
Une raison de vivre, un travail,
Evidemment de leur plein gré
La maison d’Ernestine est vide
Personne n’est revenu au village
Lui rendre un dernier hommage
Aux maisons barricadées, arides
Il a fallu extraire les meubles pesants
Du pays de la famine
Rongés par la vermine
La vie d’antan, du modèle paysan
Le feu qui maintenant
Dévore le bois craquant du sapin
Se nourrit des volutes du destin
De l’exil, des déserrements
Alors que, patient témoin gris
L’olivier au feuillage argenté
Décrit le temps des ancêtres arrêté
Sans s’en montrer davantage aigri.
RC
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