— Alberto Giacometti, Écrits, Éditions Hermann, 2007
Il y a assez de traîtrise, de haine, de violence,
d’absurdité dans l’être humain moyen
Pour approvisionner à tout moment n’importe quelle armée
Et les plus doués pour le meurtre sont ceux qui prêchent contre
Et les plus doués pour la haine sont ceux qui prêchent l’amour
Et les plus doués pour la guerre – finalement – sont ceux qui prêchent la paix
Ceux Qui Prêchent Dieu ont besoin de Dieu
Ceux Qui Prêchent La Paix n’ont pas la paix.
Ceux qui Prêchent l’amour n’ont pas l’amour.
Attention aux prêcheurs
attention a ceux qui savent.
Attention a ceux qui lisent toujours des livres.
Attention a ceux qui soit détestent la pauvreté soit sont fiers d’elle
Attention a ceux qui sont prompts a glorifier
Car Ils ont besoin d’Être Glorifiés en retour
Attention a ceux qui sont prompts a censurer:
Ils ont peur de ce qu’Ils ne connaissent pas
Attention a ceux qui recherchent la foule:
Ils ne sont rien seuls
Méfiez-vous de l’homme moyen, de la femme moyenne
méfiez-vous de leur amour
Leur amour est moyen,
recherche la médiocrité
Mais il y a du génie dans leur haine
Il y a assez de génie dans leur haine pour vous tuer,
pour tuer n’importe qui
Ne voulant pas de la solitude
Ne comprenant pas la solitude
Ils essaient de détruire
Tout ce qui diffère d’eux
Etant incapables de créer de l’art
Ils ne comprennent pas l’art
Ils ne voient dans leur échec en tant que créateurs
Qu’un échec du monde
Etant incapables d’aimer pleinement
Ils croient votre amour incomplet
Du coup, ils vous détestent
Et leur haine est parfaite
Comme un diamant qui brille
Comme un couteau
Comme une montagne
Comme un tigre
Comme la ciguë
Leur plus grand art.
…
Nous voilà transportés à la plage
dans une écume beige
toute en dentelles.
Il y a cette demoiselle
sur fond de galaxies
parmi les tourbillons de neige,
avec ce ciel à la Pollock
qui fait un peu toc !:
c’est donc le grand départ
de l’histoire de l’art
qui s’en va visiter d’autres continents;
( ayant acquitté les frais de son voyage )
avant de se trouver prisonnière
dans les filaments gluants
de ton collage:
on la voit comme étrangère
à sa future mutation :
est-elle candidate à l’immigration
après avoir survécu pendant un millénaire
elle qui a été retrouvée sous la mer –
pour être exposée dans un musée
sans même l’avoir demandé ?
C’est que l’aventure esthétique continue
dans un monde qu’elle n’a pas connu
et ne connaîtra jamais
( mais ça… c’est ton secret ) !
–
collage Cathy Garcia Canalès
peinture: James Ensor: autoportrait aux masques
masque traditionnel mexicain: photo Bruno Grandjean
Tu ne les as jamais vus
mais tu t’en fais une idée
à ce qu’on t’a colporté :
Ils ont tendance, à leur insu
à se cristalliser
pour prendre consistance,
se construire une existence,
et se matérialiser.
Ce sont des récits épiques
avec des animaux hors norme
aux curieuses formes :
des bêtes fantastiques…
que l’on dessine
et dont aucun dictionnaire
ne comporte d’exemplaire ,
car tu l’imagines
aussi bien que je te vois :
un griffon sanguinaire ,
un aigle t’emportant dans ses serres,
des reptiles à trente doigts …
Ils sèment l’inquiétude
dans les récits bibliques ,
( sans précision anatomique
ni grande exactitude ) .
Cela remonte au plus profond des âges :
ce dragon a une mauvaise haleine :
compter neuf têtes à l’hydre de Lerne :
les légendes demeurent et voyagent .
Et si on parle d’animal,
on voit dans les fresques comme à travers le temps :
ainsi ces figures d’éléphants
de l’armée d’Hannibal .
Ils nous semblent bien bizarres,
eux qu’on trouve sculptés dans les chapiteaux ,
par rapport à ceux qu’on voit en photo :
l’imaginaire nourrissant l’art.
La comparaison n’est pas de mise :
Si on les reconnait pourtant
c’est bien que des éléments
rappelent leur présence grise…
Ce n’est pas un corps de libellule ,
et de grands yeux étonnés
côtoient une trompe ressemblant davantage à un nez
avec des oreilles minuscules .
Les hommes les représentant
ne l’ont fait que par ouï-dire
un vague récit pour les décrire ;
un souvenir persistant
de légendes terribles :
de ces récits rapportés,
il a suffi de les interpréter
et de les rendre plus visibles
( et donc plus concrets
dans leur apparence ):
de quoi nourrir les croyances,
les faisant passer pour des faits .
Toutes les variations étant permises ,
il n’est pas étonnant que l’imaginaire
abonde dans le bestiaire ,
et qu’on l’utilise
souvent dans la religion :
la bête, opposée à l’humain
( et à plus forte raison aux saints )
est objet de suspiscions
et de hantise
pour l’inconscient collectif ,
voila donc le motif
qui les place en dehors de l’église
souvent agressifs
et symboles de terreur ,
beaucoup plus rares à l’intérieur.
Des moutons, et autres inoffensifs
accompagnent les humains .
Ce sont des animaux domestiques
beaucoup plus pacifiques
qui occupent le terrain
Pas de vautours
ni oiseaux de proie
autour de la croix
ce serait plutôt basse-cour.
On voit bien , avec les rois mages
l’âne et le boeuf,
avec un petit Jésus ( tout neuf ),
réunis pour une belle image
comme une photo de groupe
par contre pas de loup , ni de renard :
ce n’est pas pas hasard
qu’ils ne sont pas dans la troupe !
Il fallait bien faire une sélection :
on ne pouvait pas rassembler tout le monde
à des kilomètres à la ronde :
ne sont venus à la réunion
que les animaux familiers
qui accompagnent
les paysans de nos campagnes
( pas les fourmiliers
ni les dromadaires
pourtant sympathiques ):
les exotiques
du bout de la terre
pouvant rester chez eux ,
car ceux des tropiques
ne correspondent pas à la symbolique
décidée par les dieux
et puis de toute façon
on a beau faire des prouesses,
on ne peut y mettre toutes les espèces :
—- il y en a à foison !
– on a choisi les plus communs
> les résultats de cette élection
mènent bien à une discrimination:
on en prend quelques uns
que chacun peut identifier :
entre les allégoriques
les fantastiques,
les carnassiers
et herbivores,
il y a abondance
et même concurrence :
une vision multicolore
A l’instar des papillons ,
on pourrait en dresser un catalogue ;
ce ne sont pas nos homologues
– il y en a des millions –
les bêtes des antipodes
ou des profondeurs
ont aussi leurs admirateurs
( comme les scarabées et gastéropodes ) .
–
RC – juin 2017
peinture: Fernand Léger Mona-Lisa aux clefs – 1930
La Joconde est sortie des nuages.
Elle a l’air bien songeuse ,
et s’est détachée , ténébreuse,
en partie, de l’image.
On connait mieux la peinture de Léonard
que celle de Léger
( elle a depuis, perdu ses clefs ) :
celles qui ouvrent la porte de l’art.
Oublié le sfumato,
et voici la danse des lignes,
des cercles et des signes,
qui parcourent le tableau.
Elle est comme une image pieuse,
— vous voyez bien, comme celles
qu’on trouve dans les pages du missel
( une icône, et des plus fameuses ).
Malgré son caractère profane,
et son décor imaginaire,
elle est célèbre sur la terre entière .
Ce modèle est juste une femme :
Il en est ainsi,
mais, toujours elle attire
Les foules avec son sourire :
Ce sacré Vinci
En peignant cette demoiselle
Ne pensait pas en faire une star
de l’histoire de l’art ;
– mais, retour dans le réel:
Même sortie de la toile,
c’était peut-être une sainte
telle qu’elle était peinte,
ayant égaré son auréole, ( ou son étoile ).
En attendant de la retrouver
– elle n’en a pas fait le deuil –
elle vous adresse un clin d’oeil
ce qui était plutôt osé, en ces temps reculés.
On dit bien que tout se retrouve
et rien ne se perd, mais jamais elle ne désespère
bien que prisonnière ,
au Musée du Louvre.
Si Duchamp la renomme,
et lui met des moustaches,
que personne ne se fâche,
ce pourrait être un homme !
En dehors de son cadre lourd, on pourra la voir
en illustration banale
imprimée en cartes-postales
sur les présentoirs.
Quelle est donc l’énigme de cette peinture ?
Et avec elle, la clef du mystère,
Où se trouve la serrure ?
… en conjectures on se perd.
Ayez pourtant en tête cet évènement fortuit,
qui posa plein de questions:
Une machine à coudre, sur la table d’opérations,
et Mona cachée sous le parapluie ..
–
RC – juin 2016
penture: Fernand Léger – composition au parapluie 1932
— Alberto Giacometti, Écrits, Éditions Hermann, 2007
extrait de « about Rock, Sex ans the cities »
–
Confie-leur ta colère, ce que tu as
Ils en font du courant électrique
En remplissant la salle jusqu’au toit
Et le matin fera de leur art une relique.
C’est le tout premier texte de son ouvrage » just Kids »... elle évoque le décès de Robert Mapplethorpe… « Foreword » ( préambule).
—
photo: Robert Mapplethorpe – Javier – 1985
J’étais endormie quand il est mort. J’ avais appelé l’hôpital pour lui dire encore bonne nuit, mais il avait disparu sous des couches de morphine.
Je tenais le récepteur et j’ai écouté sa respiration laborieuse à travers le téléphone, sachant que je pourrais ne jamais l’entendre à nouveau.
Plus tard, j’ai rangé tranquillement mes affaires, mon cahier et stylo. L’encrier de cobalt qui avait été le sien. Ma coupe de Perse, mon coeur pourpre, un plateau de dents de lait.
J’ai monté lentement les escaliers, comptant les marches : quatorze , l’une après l’autre.
Je tirai la couverture sur le bébé dans son berceau, embrassai mon fils endormi, puis me suis allongée à côté de mon mari et ai dit mes prières.
Il est encore en vie, je me souviens avoir chuchoté. Ensuite je me suis endormie.
Je me suis réveillée tôt, et alors que je descendais l’escalier, je savais qu’il était mort. Tout était calme, il y avait encore le son de la télévision qui avait été laissé dans la nuit. C’était sur une chaîne d’arts . Il y avait un opéra .
J’étais attirée par l’écran quand Tosca a déclaré, avec puissance et tristesse, sa passion pour le peintre Cavaradossi. C’était une matinée froide de Mars et j’ai mis un pull.
Je levai les stores et la lumière est entré dans le studio. Je lissai le lourd tissu de lin drapant ma chaise et ai choisi un livre de peintures de Odilon Redon, l’ouvrant sur l’image de la tête d’une femme flottant dans une petite mer. Les yeux clos. Un univers pas encore marqué ,contenu sous les paupières pâles.
Le téléphone a sonné et je me suis levée pour répondre.
C’ était le plus jeune frère de Robert, Edward. Il m’a dit qu’il avait donné un dernier baiser à Robert de ma part, comme il l’avait promis. Je restai immobile, frigorifiée; puis, lentement, comme dans un rêve, je suis retournée à ma chaise. A ce moment, Tosca a entamé le grand aria «Vissi d’arte. » J’ai vécu pour l’amour, j’ai vécu pour l’art. Je fermai les yeux et croisai mes mains.
La Providence avait choisi comment je pourrais lui dire adieu.
–
PS
–
(traduction RC )
–
I WAS ASLEEP WHEN HE DIED. I had called the hospital to say one more good night, but he had gone under, beneath layers of morphine. I held the receiver and listened to his labored breathing through the phone, knowing I would never hear him again.
Later I quietly straightened my things, my notebook and fountain pen. The cobalt inkwell that had been his. My Persian cup, my purple heart, a tray of baby teeth. I slowly ascended the stairs, counting them, fourteen of them, one after another. I drew the blanket over the baby in her crib, kissed my son as he slept, then lay down beside my husband and said my prayers. He is still alive, I remember whispering. Then I slept.
I awoke early, and as I descended the stairs I knew that he was dead. All was still save the sound of the television that had been left on in the night. An arts channel was on. An opera was playing. I was drawn to the screen as Tosca declared, with power and sorrow, her passion for the painter Cavaradossi. It was a cold March morning and I put on my sweater.
I raised the blinds and brightness entered the study. I smoothed the heavy linen draping my chair and chose a book of paintings by Odilon Redon, opening it to the image of the head of a woman floating in a small sea. Les yeux clos. A universe not yet scored contained beneath the pale lids. The phone rang and I rose to answer.
It was Robert’s youngest brother, Edward. He told me that he had given Robert one last kiss for me, as he had promised. I stood motionless, frozen; then slowly, as in a dream, returned to my chair. At that moment, Tosca began the great aria “Vissi d’arte.” I have lived for love, I have lived for Art. I closed my eyes and folded my hands. Providence determined how I would say goodbye.
–
Oui, j’étais ce jour là dans les rencontres de circonstances,
J’aurais mieux fait d’errer au rayon parfums du supermarché,
ou de feuilleter les magazines chez le papetier, en face de la gare,
mais me voila coincé entre une pluie insistante et fine,
et les olives de l’apéro du vernissage du samedi soir.
Il ne fallait pas rater ça – parait-il -, enfin, c’est ce que pense tout le monde,
qui se congratule, et se presse autour du buffet,
De toute façon on ne peut , faute d’espace,
admirer les « pièces », car on dit pièces maintenant,
pour des assemblages, dont on ne peut définir
leur statut, leur présence ici;
si ce sont des sculptures, ou bricolages habiles,
qui s’étendent volontiers sur le sol et le mur en même temps.
Mais ce n’est pas le plus important.
L’important est d’être – « là où ça se passe » – , et d’évoquer l’art
… ( Ah, l’Art !!!), ne pas oublier la majuscule…
il est partout nous dit-on,
tellement qu’il arrive à être minuscule.
Mais il doit être là ce soir, particulièrement,
dans un ambiance de champagne, et de robes de soirée,
En plus des flashes du photographe, qui rapportera dans la presse,
que l’expo a remporté un vif succès.
Ca fera déjà plus de lignes, ….. que sur M, qui ne vendait plus rien ces dernières années,
– et qui s’est suicidé il y a deux semaines.
Faut dire aussi, qu’il ne fréquentait pas les vernissages…
Tiens voila qu’une demoiselle bien mise, et en colliers,
Elle me présente de merveilleux petits canapés au saumon…
– » Merci bien vous êtes très aimable ! » –
J’en prends deux, et puis me rapproche discrètement de la sortie.
___
Il a cessé de pleuvoir.
–
RC
–
peinture: Abraham Janssens:
Allégorie de l’inconstance vers 1617. — Madeleine renonçant aux richesses de ce monde, Palais des Beaux-Arts de Lille
–
L’art, dans l’imaginaire, nous transporte toujours
Et même crée devant nos yeux l’image de la pensée
C’est un paradis, un enfer, ou , des âmes , la pesée
Les dieux en combat, les allégories et amours
Au pays de muses, j’aime voyager, en bonne fortune
Dans les peintures, d’espaces translucides
A sortir de son mouchoir, lapin, ou bien lune
Jouer avec les symboles, homard et autres arachnides
D’un espace noir, et peut-être sans atmosphère
Mais agité de courants, fréquenté par les bêtes de la nuit
Et mouvements, tordant les voilages, , qui prolifèrent
Tandis qu’en bas, sous l’oeil des déesses, les hommes s’enfuient.
C’est le caprice de ces dames, la fantaisie des dieux
Qui fait le pluie et le beau temps, et notre destin
Notre sort , notre vie se joue, pour ici, en d’autres lieux
La conduite de ces affaires, n’est pas pour nous, à portée de main.
RC 12 mai 2012
–
–
Dans mon métier, mon art morose
exercé dans la nuit silencieuse
quand la lune seule fait rage
quand les amants sont étendus
avec toutes leurs douleurs dans les bras,
je travaille, à la lumière du chant,
non par ambition ou pour mon pain,
ni pour le semblant, ni par commerce
de charmes sur des scènes d’ivoire
mais pour le salaire ordinaire
du profond secret de leurs coeurs.
Ni pour le prétentieux,
ignorant la lune qui fait rage,
j’écris sur ces pages mouillées d’embrun,
ni pour les morts trop hauts avec leurs rossignols
et leurs psaumes mais pour les amants,
leurs bras enlaçant les chagrins du Temps,
qui n’accordent ni attention, ni salaire
ni éloge à mon métier, mon art morose.
***
Dylan Thomas (1914-1953) – Traduction d’Alain Suied
By Dylan Thomas
Dylan Thomas, “In My Craft or Sullen Art”
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