Antonella Aneda – Avant le dîner
[Prima di cena]
[Avant le dîner]
Avant le dîner, avant que les lampes ne chauffent les lits et que le feuillage
des arbres ne devienne vert-noir et la nuit déserte. Dans le court espace du
crépuscule défilent des saisons entières et méconnues; le ciel alors se charge
de nuages, de courants qui soulèvent bûches et ronces. Contre les vitres de la
fenêtre bat l’ombre d’une tempête mystérieuse. L’eau renverse les buissons,
les bêtes chancellent sur les feuilles mouillées. L’ombre des pins s’abat sur les
planchers; l’eau est gelée, de la forêt. Le temps s’arrête, disparaît.
Soudainement, dans le calme solennel des allées, dans le vide des fontaines,
dans les pavillons éclairés toute la nuit, l’hôpital resplendit tel une résidence
de Saint-Pétersbourg en hiver.
Il y aura un cauchemar pire
entrouvert entre les feuilles des jours
aucune porte ne claquera
et les clous plantés au commencement de la vie
plieront à peine.
Il y aura un assassin étendu sur le palier
son visage dans les draps, l’arme à ses côtés.
Lentement la cuisine s’entrouvrira
sans le bruit des vitres brisées
dans le silence d’un après-midi d’hiver.
Ce ne sera pas l’amertume, ni la rancune, seule
– pour un instant – la vaisselle
deviendra immense d’une splendeur marine.
Alors il faudra s’approcher, monter peut-être
là où le futur s’étrécit
à l’étagère remplie de pots
à l’air renversé de la cour
au vol sans déploiement de l’oie,
avec la mélancolie du patineur nocturne
qui d’un coup connaît
le sens du corps et de la glace
se tourner à peine,
s’en aller.
Traduit par Francis Catalano et Antonella D’Agostino
Amal Donqol – fleurs dans une chambre d’hopital
Amal Donqol (Egypte)
Et les paniers de roses
Je les entrevois dans ma torpeur
Une carte sur chaque bouquet
Au nom de celui qui l’a offert
Les belles fleurs me disent
Que leurs yeux se sont écarquillés de stupeur
Quand elles ont été cueillies
Quand elles ont été rompues
Quand elles ont été anéanties dans leur jardin
Elles me disent
Qu’elles sont tombées de leur trône
Pour être exposées dans une vitrine
Ou portées par des marchands ambulants
Avant d’être achetées par un généreux passant
Elles me racontent comment elles sont arrivées jusqu’à moi
(Leur tristesse royale redresse leurs longs cous verts)
Pour me souhaiter longue vie
En exhalant leurs derniers soupirs
Chaque bouquet
Entre torpeur et éveil
Respire péniblement, comme moi, seconde après seconde
Tout content de porter sur sa poitrine
Une carte au nom de son assassin.
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Sur le poète égyptien, cette page vous en dit un peu plus…
Jean-Claude Pirotte – blues 01 ( l’homme est blanc comme linge)
Extrait du gros « pavé » le recueil du « Promenoir Magique »
( paru à la Table Ronde)
l’homme est blanc
comme un linge
il se déplace en crabe
il a peur de son ombre
il a honte du diable
qui se démène en lui
et ronge ses méninges
l’homme est soumis
au prince du jour et des ténèbres
l’homme est un assassin
l’homme est un spadassin
qui ne dort pas la nuit
et que son âme ennuie
J Cl Pirotte s’est vu décerné de « prix Apollinaire de la Poésie »
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