à la table du ciel – ( RC )

Quand je mange à la table du ciel,
je ne mendie pas les nuages,
et dans mon assiette,
il y a des quartiers de lune
que j’arrose de voix lactée.
Si je parle trop fort
après avoir bu du sirop d’étoiles,
elle s’éclipse
le temps que j’aligne
quelques planètes
au bout de ma fourchette
avant quelque comète de sucre glace
me servant de dessert.
Repu, je plonge dans un sommeil opaque,
où je bouscule tout le zodiaque
dans un rêve des plus ordinaires,
revenu brusquement sur terre…
RC – juillet 22
Boris Vian – Triste Azor

Un chien vivait fort chichement
Dans une niche en bois de chêne.
Retenu sans cesse à la chaîne,
Il connaissait plus d’un tourment.
Mais le pire désagrément,
C’était la faim. Nourri de faines
Dont les malfaisantes akènes
Lui laissaient le nez tout saignant,
Il eût aimé jouir d’une table
Satisfaisante et confortable,
Lécher des assiettes, le soir…
Mais, pauvre, il mourut de la peste,
Et l’on grava sur le sol noir :
— Il est mort sans laper des restes.
extrait du recueil de B Vian ‘ sans sonnets »
Clarice Lispector – Et alors ? J’adore voler !
Peinture: Leopold Survage
Il m’est arrivé de cacher un amour par peur de le perdre,
Il m’est arrivé de perdre un amour pour l’avoir caché.
Il m’est arrivé de serrer les mains de quelqu’un par peur
Il m’est arrivé d’avoir peur au point de ne plus sentir mes mains
Il m’est arrivé de faire sortir de ma vie des personnes que j’aimais
Il m’est arrivé de le regretter
Il m’est arrivé de pleurer des nuits durant, jusqu’à trouver le sommeil
Il m’est arrivé d’être heureuse au point de pas parvenir à fermer les yeux.
Il m’est arrivé de croire en des amours parfaites.
Puis de découvrir qu’elles n’existent pas.
Il m’est arrivé d’aimer des personnes qui m’ont déçue.
Il m’est arrivé de décevoir des personnes qui m’ont aimée
Il m’est arrivé de passer des heures devant le miroir pour tenter de découvrir qui je suis et d’être sure de moi au point de vouloir disparaître
Il m’est arrivé de mentir et de m’en vouloir ensuite, de dire la vérité et de m’en vouloir aussi.
Il m’est arrivé de faire semblant de me moquer de personnes que j’aimais avant de pleurer plus tard, en silence dans mon coin.
Il m’est arrivé de sourire en pleurant des larmes de tristesses et de pleurer tant j’avais ri.
Il m’est arrivé de croire en des personnes qui n’en valaient pas la peine, et de cesser de croire en ceux qui pourtant le méritaient.
Il m’est arrivé d’avoir des crises de rire quand il ne fallait pas.
Il m’est arrivé de casser des assiettes, des verres et des vases, de rage.
Il m’est arrivé de ressentir le manque de quelqu’un sans jamais le lui dire.
Il m’est arrivé de crier quand j’aurais dû me taire, de me taire quand j’aurais dû crier.
De nombreuses fois, je n’ai pas dit ce que je pensais pour plaire à certains, d’autres fois, j’ai dit ce que je ne pensais pas pour en blesser d’autres.
Il m’est arrivé de prétendre être ce que je ne suis pas pour plaire à certains,et de prétendre être ce que je ne suis pas pour déplaire à d’autres.
Il m’est arrivé de raconter des blagues un peu bêtes encore et encore, juste pour voir un ami heureux.
Il m’est arrivé d’inventer une fin heureuse à des histoires pour donner de l’espoir à celui qui n’en avait plus.
Il m’est arrivé de trop rêver, au point de confondre le rêve et la réalité…
Il m’est arrivé d’avoir peur de l’obscurité, aujourd’hui dans l’obscurité
“je me trouve, je m’abaisse, je reste là »
Je suis déjà tombée un nombre innombrable de fois en pensant que je ne me relèverais pas.
Je me suis relevé un nombre innombrable de fois en pensant que
je ne tomberais plus.
Il m’est arrivé d’appeler quelqu’un pour ne pas appeler celui que
je voulais appeler.
Il m’est arrivé de courir après une voiture parce qu’elle emmenait
celui que j’aimais.
Il m’est arrivé d’appeler maman au milieu de la nuit en m’échappant d’un cauchemar.
Mais elle n’est pas apparu et le cauchemar fut pire encore.
Il m’est arrivé de donner à des proches le nom d’ami et de découvrir qu’ils ne l’étaient pas.
D’autres en revanche, que je n’ai jamais eu besoin de nommer m’ont toujours été et me seront toujours chers.
Ne me donnez pas de vérités, parce que je ne souhaite pas avoir
toujours raison.
Ne me montrez pas ce que vous attendez de moi parce que je vais suivre mon cœur !
Ne me demandez pas d’être ce que je ne suis pas, ne m’invitez pas à être conforme, parce que sincèrement je suis différente ! Je ne sais pas aimer à moitié, je ne sais pas vivre de mensonges, je ne sais pas voler les pieds sur terre. Je suis toujours moi-même mais je ne serais pas toujours la même !
J’aime les poisons les plus lents, les boissons les plus amères, les
drogues les plus puissantes, les idées les plus folles, les pensées les plus complexes, les sentiments les plus forts.
Mon appétit est vorace et mes délires sont les plus fous.
Vous pouvez même me pousser du haut d’un rocher, je dirai : – et alors
J’adore voler !
Personnages – ( RC )
animation: Anna Malina
Ici, le récit prend une autre tournure:
il y a des êtres qui prennent consistance,
quand les pages se tournent .
L’auteur sait faire s’agiter
les lignes imprimées,
et, au fil des chapitres,
les personnages apparaissent.
Ils commencent à vivre, répondent aux situations.
Leur caractère se dessine,
se précise,
et on ne serait pas surpris de les reconnaître,
si un film s’emparait du scénario.
Ils seraient animés » pour de vrai »,
mais nous seraient déjà familiers .
Nous les avons déjà rencontrés.
Ils dessinent leur contour flou
à l’intérieur même du livre
et peut-être ne demandent-ils
qu’à en sortir.
Le font-ils ?
et à l’insu de l’auteur ?
Il est difficile de le savoir,
car, s’ils le font,
c’est quand nous dormons,
et ils s’emparent de nos rêves
pour les transformer à leur guise.
C’est pour cela qu’à notre réveil
l’oubli passant au-dessus, nous ne remarquons rien.
Je me rappelle toutefois,
qu’un jour des personnages
que l’on croyait fictifs,
soumis au rang modeste
de créatures de papier
ont réellement demandé à être reçus
par l’auteur les ayant négligés.
C’étaient des gens bien ordinaires,
certes au profil un peu plat
( pouvant rentrer sans dommage dans les livres),
mais qui étaient parvenus à grignoter ceux-ci
de l’intérieur…
survivant , en se nourrissant du récit même
qui n’avait pas trouvé de conclusion.
Bien entendu, c’est une affaire qui a fait grand bruit,
et un dramaturge assez connu
a exploité ce fait divers
pour prétendre leur trouver un autre auteur,
et, par là même les intégrer dans sa pièce
( une pièce qui était toujours en construction…
– ou plutôt qu’il n’arrivait pas à terminer )…
On peut imaginer le décor classique d’une pièce
de théâtre de boulevard: un buffet,
un canapé, une bibliothèque
une table où l’on a disposé des assiettes,
et surtout des portes
où les comédiens peuvent passer selon les scènes
de côté cour à jardin ( et inversement ).
Ce qu’on sait moins,
c’est qu’une fois nos personnages
« concrétisés » pour jouer leur propre rôle
dans la pièce – qui n’était pas encore faite –
n’ont pas tardé à se trouver
dans la même situation
que celle du livre dont ils étaient sortis.
A la première:
beaucoup de monde voulut assister ,
cette représentation des « six personnages en quête d’auteur »
( on allait enfin savoir le fin mot de l’histoire ! ).
Au lever de rideau on ne s’attendait tout de même pas
à ce que le décor soit entièrement grignoté
par les personnages.
Eux-même avaient disparu
dans un grand trou
qu’ils sont arrivés à creuser dans le plateau.
On ne les a jamais retrouvés.
Peut-être hantent-ils les rues,
les gares ou les ministères
ou sont-ils aller habiter jusque dans nos esprits ?
–
RC – nov 2019
Histoire de rangement – ( RC )
brookenshaden favorites : Homunculus Stock
Parfois, je ne sais plus vraiment où je suis rangé.
On me retrouve dans les endroits les plus divers
( dernièrement sur une étagère ),
…y pendait un tissu frangé .
Autrement, ce fut une fois avec les assiettes,
dans le buffet de la salle à manger :
mais ma vie devait être en danger,
car voisinaient les verres aux multiples facettes.
La bibliothèque m’accueille dans les rayonnages,
généralement c’est en été,
les portes restent fermées,
et j’ai mon lit de pages.
Mais mon corps est en plusieurs parties ,
car tout cela manque de place
( certainement pas assez d’espace
pour y installer un lit ).
Cette histoire de rangement
n’est pas le premier de mon souci ,
je me découpe, je me déplie
tout à fait naturellement .
Des fois il n’y a qu’un pied, qu’une main
qui s’égare par erreur.
Je n’ai pas essayé le congélateur :
ce n’est pas un endroit très sain
on y côtoie de la viande en sachets
des légumes et du pain durci :
je ne fréquente pas ces lieux ci ;
on dira que je ne suis pas prêt….
Il me faut un minimum d’air
pour que je subsiste quand même :
c’est ça le petit problème
de ma présence sur terre.
J’ai égaré mes poumons , mais je respire:
et même tiré en multiples exemplaires,
je sais qu’il ne faut pas trop s’en faire :
……. comme situation, il y a pire…
–
RC – aout 2018