L’observateur du tournant – ( RC )

photo Annabelle Chabert
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Il y a des lieux comme ça,
Qui nous sont familiers,
On les emprunte si souvent,
Qu’ils s’incrustent dans l’esprit :
Telle pente,
et la lumière qui la frôle,
Tel arbre, sentinelle,
s’étoffe de feuilles,
selon les saisons, – et le serpent grisé
de la route ici, dans cette épingle à cheveux,
- la première des trois avant d’arriver au plateau –
Où le virage prend les couleurs du destin,
Le passé, le futur…
C’est à droite ? : Il faudra descendre,
faire attention à ne pas freiner les jours d’hiver,
quand le verglas guette…
– Et puis se poster là,
selon les jours,
au même endroit.
Poser l’appareil sur son pied,
précisément à la même place,
marquée d’une croix rouge.
Enregistrer tout ce qui se passe,
Que cela soit au petit matin,
ou à l’heure verticale
quand le soleil ne fait presque pas d’ombre .
Attendre…
… attendre qu’il se passe quoi ?
Qu’une biche traverse la chaussée, juste dans le champ de l’appareil ?
Attendre que les motards se succèdent ( le week-end),
se penchent pour mieux aborder le virage,
et compenser la force centrifuge
> ( notions de physique me restant du lycée ).
Pouvoir comptabiliser le trafic :
combien de véhicules se sont succédé ce mardi,
combien montaient, et d’où venaient-ils ?
( leur immatriculation ), et s’il y avait des camions parmi eux.
Attendre que la pluie cesse,
attendre que les engins curent les fossés,
que les employés municipaux
consolident la murette ?
Qu’une pomme de pin se détache et roule sur la chaussée,
selon la pente …
—
Je ne sais pas si se poster là, équivaut à être un témoin,
si jamais il se passe quelque chose
à observer les passages, et les transformations, du temps…
Je ne sais pas….
Peut-être Van Gogh non plus ne savait pas pourquoi
le chemin se sépare en deux,
dans sa dernière peinture, devant son champ de blé.
> Il était là, et c’est tout.
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RC – juin 2015
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ceci est une réaction à l’article « photographique » de Jean-Marc Undriener http://www.fibrillations.net/GYAANDS-TOUYANANTS
Aliette Audra – N’envoyez pas de lettres
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N’envoyez pas de lettres
N’envoyez plus de lettres, seulement des feuilles
D’arbres, que le soleil détache ou le vent cueille
Ou l’automne abat et dépose entre vos mains.
Je ne les recevrai jamais le lendemain,
Mais j’ai depuis toujours l’habitude d’attendre
Et mon cœur, de veiller, n’en sera pas moins tendre.
Vous ne pourrez, c’est vrai, rien écrire dessus,
Cependant je lirai comme si j’avais su
Les paroles que vous formulez dans votre âme
Tant vos rêves pour moi ont l’éclat de la flamme.
Choisissez les couleurs suivant le ton des jours ;
Que la feuille soit fraîche si le ciel est lourd,
Et d’un vert bien profond si le ciel est trop pâle.
Qu’elle soit de chêne et blonde comme le hâle
Au front d’un bel enfant, quand s’achève l’été,
Et lorsque vient Novembre, afin de refléter
Ce qu’il ensevelit et ce qu’il remémore
Veuillez me cueillir une feuille au sycomore.
(Mais qu’elle soit de hêtre, d’aulne ou d’olivier,
que m’importe après tout pourvu que vous viviez !)
Et si, dans le futur, un jour Dieu vous propose
Par hasard le bonheur, pour me dire la chose
Envoyez simplement une feuille de rose.
Aliette Audra
(Paris, 1897 – Lausanne, 1962)
William Cliff – Encore attendre
Je t’attendais devant le cinéma nommé Éden.
Huit heures et demie avions-nous dit devant ce cinéma.
L’Astragale de Sarrazin je l’avais vu la veille.
Une histoire d’amour très passionné.
Je ne te vois toujours pas arriver. Je voulais revoir avec toi
ce film d’amour très passionné, mais la rue était pleine
d’ombre et vide vide de gens entrant au cinéma ;
je n’attends plus qu’un bus pour me renfuir avec ma peine.
Je m’étais dit : invitons-le ce soir au cinéma
pour voir ce film d’amour très passionné, et puis un verre
de bière qu’on aurait pris, un verre de bière, un verre de joie
pour se donner du cœur au ventre. Un verre de peine amère
maintenant je bois. J’embrasserai mon oreiller au lieu de toi.
Toute une nuit pour changer en pardon des flots de haine.
Vêtement de rosée ( RC )
Une pause en prose,
En vêtement de rose
Habillé seulement de rosée
Et d’un vent frais – et osé,
C’est un voyage tendre
A celui qui sait attendre
Une caresse déposée
– Le fruit de tes baisers…
RC 23 septembre 2012
Fernand Dumont – Il a neigé longtemps
Il a neigé longtemps
Il a neigé longtemps sur les tables de l’absence
où je grave ton nom avec un doigt de feu
en t’attendant
comme je suis seul à savoir t’attendre
immobile et désertique
jusqu’au milieu du siècle
s’il le faut
avec ce coeur de caillou noir
taillé pour ne jamais mourir
comme celui que j’ai trouvé un jour
dans le village où tu es née
Ce caillou taillé en amande
il y a si longtemps
qu’on ne peut même plus imaginer
qu’il y avait déjà des hommes
en ce-temps-là
dans le pays où tu es né
Je t’attendrai
avec ce coeur de pierre
et personne ne voudra me croire
quand j’annoncerai ton arrivée
au seul fait
que la neige de la table deviendra grise
et triste
comme la cendre des anciens jours
Fernand Dumont; « La région du coeur » poète surréaliste belge.
Henri Meschonnic – Seulement attendre
–
l faut seulement attendre
ne pas demander
quoi
quand
serrer les yeux
comme on serre
les dents
on ne peut pas éviter
des remontées
de la nuit
dans le jour
une indigestion de nuit
qui revient aux yeux
aux dents
(JTE, 49)
——–
la douceur
à mots fermés
elle ne dit rien
seulement vivre
c’est tout ce qu’elle
saura faire
elle se roule
dans vivre vivre
et nous sans parole
nous sommes
par elle
au commencement
du langage
(JTE, 93)
Miguel Veyrat – Somnambule
–
Une toute nouvelle publication de Miguel…
dont j’ai « osé la traduction » ( approuvée par l’auteur )…
Je me suis déshabillé
pour vous retrouver
en apprenant
la combustion silencieuse
(Peut-être un sanglot caché,
nomade et muet
comme une étincelle
au coin du feu.)
épuisé d’attendre
accroupi et assoiffé
à l’arrivée de l’aube,
le silex chute
sur les entrailles dures
de la Parole.
-(— et dans la langue d’origine:
—
« Sonnambula »
Me desnudaba
para hallarte
y callaba quemando
lo aprendido.
(Acaso un oculto
sollozo, nómada y mudo
como una chispa
junto al fuego.)
Exhausto aguardaba
agazapado y sediento
el centelleo de la aurora,
pedernales cayendo
sobre las duras entrañas
del Verbo
(MV. In « Conocimiento de la llama »
–
Arthémisia – elle sait

dessin: l'homme qui marche - Alberto Giacometti
Toujours plein de belles créations, sur le blog corpsetame d’Arthémisia, je republie ici un de ses posts anciens, de 2007
536 – Elle sait
Roberto Fernandez Retamar – Si on me dit que tu es partie
Si on me dit que tu es partie
Si on me dit que tu es partie
Ou que tu ne viendras pas,
Je ne vais pas le croire : je vais
T’attendre et t’attendre.
Si on te dit que je m’en suis allé,
Ou que je ne reviendrai pas,
Ne le crois pas :
Attends-moi
Toujours.
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en savoir plus sur l’auteur , voir son interview
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