Gustave Roud – campagne perdue

Sépare-toi de ton double endormi, quitte la chambre du Temps,
le seuil débouche dans une perle!
Nacre et nuit, l’espace gris et rose s’irise et tremble au seul battement de ton désir.
L’espace devient couleur de ta pensée. Tu peux choisir.
L’aube? Le ciel miroite aussitôt comme un ventre de truite.
La nuit d’août? Ce grésillement d’étoiles tout à coup sur le lac d’odeurs
où fermente le vin des roses mortes.
Décembre, si tu veux… La fontaine, sa voix d’été perdue,
coule sans mot dire sous les glaçons,
louche rappel des grelottants réveils d’adolescence.
Tu peux marcher dans l’herbe, dans la neige, cueillir une fleur,
une pomme au jeune pommier Lebel, mâcher le miel des premières violettes
en chassant d’un claquement de mains le corbeau d’octobre
noix au bec à travers l’essaim des feuilles jaunes.
Tu désires l’orage – et l’éclair fend d’un fil de feu la suie et l’argent des nues.
L’étendue n’est qu’un chatoiement du possible autour de tes mains et de tes lèvres.
Murmure pluie! et les molles flèches de l’averse ruisselleront à tes bras nus.
Ta main debout – le soleil flambe aux croupes fumantes des collines…
Tu es le maître de l’espace et le Temps n’est plus pour nous deux
qu’un présent inépuisé.
GR –Une solitude dans les saisons
Ivresse – (Susanne Derève) –

Vivrons nous du souffle léger de Décembre - pierre tendre et tuiles rondes - et des rameaux du grand hiver rouges dans le bleu du ciel, de la promesse des bourgeons sur le bois nu, du dernier sursaut de l’automne, - ivresse, de vin rosé , de vin jeune et de pourpre, de chais silencieux - de l’or paresseux du jour, un boisseau d’ocres et de velours, de verts enluminés de pluie, de l’éclat chancelant du vitrail et de l’offrande de la nuit miroitant de l’averse, une ville à nos pieds, brouillée d’ombre et de vent, de nos mains jointes et refermées innocemment sur la fortune et le hasard, comme on braconne des rêves épars sur les terres blondes de l’été avant que ne l’emprisonnent les neiges blanches de Janvier
Il y avait , sur le dessin – ( RC )
Brooklyn Street-art
–
Il y avait sur le dessin
des ombres, mais aussi des couleurs
qui sont venues habiller le mur.
A travers les grilles,
je le voyais
avec ses fleurs blanches et pourpres,
mais aussi le ciel plombé
d’un proche orage,
Il faisait ce contraste au bonheur
et aussi le mettait en valeur .
Il y avait ,
—– ( car un jour de colère,
quand le cœur se déchire,
j’ai voulu effacer les clématites
avec un chiffon et de l’essence ).
Quand le regard s’y pose,
on voit que tout a dégouliné :
Ce n’était pourtant pas suite à l’averse :
tout n’est pas complètement gommé:
je ne repars pas d’une toile vierge :
on devine bien des choses,
malgré le repentir
on y voit des restes de bonheur
que je n’ai pas pu
( ou pas voulu )
complètement effacer …
RC – août 2018
Ménagerie de papier – ( RC )
( un hommage à Tennessee Williams, et Chr Boltanski )
installation: Chr Boltanski
Petit zoo miniature,
de la ménagerie …
objets de prix,
en villégiature
deux par deux
se suivent à la queue leu-leu,
sur les étagères…
petites choses en verre…
Vous auriez pu choisir,
pour parader à loisir
entre deux pots de bière,
une autre matière:
celle un peu plus malléable
que l’on trouve sur la table,
juste des morceaux de papier,
que je pourrais plier.
Trente millions d’amis,
tous en origami,
certifiés d’origine,
occupant la vitine,
en état de marche:
tout le bestiaire,
à l’abri des courants d’air :
– une nouvelle arche.
Comment s’est-elle échouée là
à côté de la penderie,
la vitrine de la ménagerie
où se reflète le matelas
et deux ou trois caisses ?
les restes d’un naufrage:
l’arche après l’orage
( et toute la chambre en détresse ).
En fait, vous avez compris,
j’occupe mes nuits
à transformer les légendes,
en une sorte de sarabande,
où l’hiver se tient au chaud,
quand je découpe aux ciseaux
tout un parc arboré, et un zoo,
pour tous ces animaux.
Ce sont des rêves fragiles,
qui dérivent comme les îles
que je prélève dans un cahier
en faisant des bandes de papier :
promis à la déchirure,
où la part de l’écrit se disloque elle-même
on dira que les poèmes
trouvent une seconde nature.
Mais les rêves refusent de se faire attraper,
dragons et tigres de papier
ont pris leur indépendance
( quand le chat n’est pas là, les souris dansent ! ),
si on regarde toutes ces bêtes,
la nuit leurs ombres se projettent
sur le plafond
et comme il se doit, le manège tourne en rond.
Les corbeaux et les canards
partagent le cauchemar,
du cahier sur la table:
le château sera de sable
un souffle, une petite averse,
et tout se renverse,
sans même un cri,
( rêves en confettis ).
C’est la fin de la procession :
cela tourne à l’obsession:
le manège occupe maintenant la malle,
et tout ce petit monde s’emballe,
aussi, le matin, de bonne heure,
quand tout le monde semble dormir
je me transforme en inquisiteur,
et décide de l’avenir .
Ce sera bien un drame
quand je livrerai aux flammes
pieds et poings liés
ce monde de papier…
Souhaitons qu’une autre matière
puisse échapper à l’enfer:
Choisissons-la moins éphémère
– une ménagerie de verre fera l’affaire –
–
RC – août 2017
Les doigts marchent au ralenti sur une plage – ( RC )
Les doigts marchent au ralenti sur une plage,
elle est déserte, et j’assemble les mots en vrac.
Ici, il n’y a pas de ressac,
mais l’univers encore vierge d’une page.
Mes doigts tiennent fermement un crayon ,
( on voit que blanchissent les phalanges,
quand je pars à la poursuite de l’ange ),
et de l’ astre j’accroche ses rayons .
Comment fixer ce qui est invisible ?
par le moyen d’une voix clandestine,
( le bout du crayon suivant la mine ) ,
cette voix , alors, me devient audible ,
il faut juste qu’elle me traverse,
portée par des ondes, en-dedans :
c’est peut-être juste le vent
ou une soudaine averse :
( je ne saurai la décrire,
ni, ce qui la déclenche ):
les pensées ne sont pas étanches,
quand je me mets à écrire.
–
RC – nov 2016
Raymond Farina – Une colombe une autre
–
« De mémoire d’oiseau »
Ton gris te va à merveille
surtout quand vient le spleen du ciel
quand tu te poses sur l’ardoise
que l’averse vient d’effacer
Au milieu du grand tintamarre
tu hasardes ta cantilène
comme un infime flux sphygmique
dans l’énorme corps de la ville
À l’instant où les nappes claquent
tu as vite fait la synthèse
des miettes qu’on éparpille
avant de rejoindre les tiens
qui tout en s’ébrouant s’enfoncent
avec un discret enthousiasme
dans leur douce orgie de poussières
dans leur minuscule désert
qu’ils signeront de quelques plumes
d’empreintes à peine visibles
–
Cet « article » provient du site des éditions des Vanneaux.
–
Lionel Bourg – Hautes fougères

gouttes de pluie sur la vitre brouillée avec l’arbre
–
Ce sont de hautes fougères, encore.
Un peu de vase. La lie blanchâtre d’une illusion peut-être. Ou des apparitions. Ce qui demeure d’un rêve quand l’aube se livre à l’équarrissage des ultimes chimères.
Il faut écrire alors.
Tracer des lignes. Peindre, marbrer, scarifier le sol jusqu’à l’instant promis où, sans doute est-ce façon d’espérance, on poussera la porte, s’offrant à la caresse lente du temps.
Il faut aimer.
Crier. Accepter, refuser l’échéance.
Oublier. Partir. S’inscrire, ainsi qu’Aymerick Ramilison ne cesse de le faire, au sein de l’infini naufrage, l’infinie naissance du monde.
N’être que cet arbre, là-bas.
Le bruit obsédant de l’averse. Quelques copeaux d’azur. La lumière sur les feuilles des saules, des bouleaux.
Le charnier radieux du silence.
–
Maurice Fickelson – pratique de la mélancolie – soir de mai
SOIR DE MAI
Ils s’étaient assis tous les trois à l’une des tables que l’on sortait dès les premiers beaux jours, seuls encore, à cette terrasse, devant l’auberge, à la sortie du village. La fraîcheur venait dans les derniers rayons du soleil de mai. Un peu avant, il avait plu et l’on entendait l’eau s’égoutter dans les bois tout proches : une brève et vigoureuse averse, puis le soleil était réapparu pour se coucher.
Les sièges étaient mouillés ;
ils s’étaient quand même assis, les mains posées sur la table ou sur leurs genoux. Une brise, par moments, se levait, mais au premier souffle, retombait, se remettait à plus tard. Durant quelques secondes, l’égouttement des feuillages recommençait l’averse. Comme quelqu’un se retourne dans son sommeil et soupire, le saule, de l’autre côté de la route, dans le pré qui descend vers la rivière, bruissait. Eux, c’était comme s’ils n’attendaient rien, mais attentifs aux intermittences de l’air – leurs cheveux, sur leur front, bougeaient, et les jeunes gens alors se regardaient en souriant. Personne ne les avait vus venir.
Quand la patronne de l’auberge avait remarqué leur présence, ils étaient installés là, tout à fait à l’aise, sans besoin ni désir ; sur la table repeinte en blanc qu’ils occupaient, des gouttes d’eau brillaient au soleil. Ils avaient demandé un pichet de vin, mais ne paraissaient pas pressés de boire et n’avaient pas même rempli les verres.
La jeune patronne de l’auberge venait parfois sur le pas de la porte et, tout en faisant mine d’observer le ciel, ou la route, elle leur jetait des coups d’œil curieux, timides et intéressés. Les quelques habitués réunis à l’intérieur parlaient haut et fort, trinquaient et riaient bruyamment.
Mais ceux-là, assis à la terrasse, tandis que s’allongent les ombres, c’est à peine s’ils bougent la main, de temps à autre, ou tournent la tête. Tellement tranquilles. Ils regardent le saule, ou plus loin en bas du pré, la ligne des aulnes qui suivent le cours de la rivière. Ou bien les nuages, comme immobiles.
Ils regardent aussi l’étroit chemin qui part de la route, contourne le bois derrière l’auberge et remonte entre les noisetiers vers le hameau qu’on appelle Les Portes, l’église ancienne désaffectée et le cimetière à l’abandon. Lorsqu’ils lèvent le visage vers le toit moussu ou le ciel, il reçoit la lumière d’un oblique rayon qui le dore. Cela leur donne l’air heureux de ceux qui ne font pas de projet.
La patronne s’avisa qu’on ne les avait jamais vus par ici. Ils sont de passage, se dit-elle, émue par ce que ces mots apportaient de précaire, tout à coup, dans son existence. Un homme descendait le chemin du cimetière, une fourche sur l’épaule ; on l’apercevait par intervalles, entre les noisetiers.
Le soleil avait disparu.
Ils jetèrent un dernier coup d’œil à tout ce qui les entourait. Ils venaient de fort loin, de plus loin qu’on ne peut l’imaginer, et à quoi bon s’attarder quand le vent du soir ne saurait plus leur apporter l’odeur des lilas